Revue de Médecine Orthopédique. 1992;30:5-8
Une
classification des lésions discales lombaires
Jean-Yves MAIGNE,
Service de Rééducation Fonctionnellee, HÙtel-Dieu
de Paris
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Avertissement :
Ce texte, publié en 1992, a été repris sur de nombreux sites consacrés à la
lombalgie. L’idée de base est que la pathologie discale n’est pas univoque, et
qu’aux différentes anomalies discales décrites par l’anatomie et la biochimie,
doivent pouvoir correspondre différentes situations cliniques. Une autre idée
est la notion d’ "entorse discale". Si, relus dix ans plus tard, certains
détails du texte sont inexacts, la trame générale nous semble toujours
d’actualité. On lira, en complément, le texte sur la
modélisation du mal de dos, disponible sur le site.
L’origine discale
de nombreuses lombalgies communes est un fait bien établi, mais qui s'avère
insuffisant en pratique car il ne reflète pas la diversité des situations
cliniques. Qu'une origine articulaire postérieure ait pu être ajoutée à cette
origine discale n'a pas modifié fondamentalement les choses puisqu'il n'existe
actuellement (1992) aucune sémiologie clinique prouvée propre à l'atteinte de
ces articulations. La présentation clinique des douleurs lombaires diffère
pourtant d'un malade à l'autre, parfois de façon nette, qu'il s'agisse de la
topographie, de l'horaire, du mode de survenue, des données de l'examen et des
radiographies. Les résultats même du traitement sont déroutants. Certains
patients sont soulagés par des manipulations vertébrales, d'autres n'y trouvent
aucun mieux. Le corset rigide est jugé tantôt très efficace, tantôt encombrant.
Les infiltrations partagent cette réputation contrastée.
Incriminer le
disque sans autre précision devant une lombalgie, c'est un peu, toutes
proportions gardées, se mettre dans la situation d'un neurologue qui se
contenterait pour tout diagnostic d'incriminer le cerveau devant toute affection
du système nerveux central. Nous sentons tous qu'il y a là une grave
insuffisance, d'autant qu'il est probable qu'à chaque lésion du disque
correspond un tableau clinique (ou au moins certains signes ou symptômes)
précis. Or, dans bien des cas, nous ne savons pas établir cette correspondance.
Autant dire que nous traitons nos patients sur des présomptions plus que sur des
certitudes.
Nous proposons
une classification fondée sur l'anatomo-pathologie du disque partant d'une
notion simple, à savoir que le disque est composé d'un noyau, le nucléus, et
d'un anneau, l'anulus. Il existe bien évidemment des interactions entre ces deux
constituants, mais il est possible, à la base, de séparer les lombalgies dues à
l'atteinte du nucléus de celles dues à l'atteinte de l'anulus.
Gardons cependant
présent à l'esprit que les lésions décrites ici ne sont pas toujours
symptomatiques, loin s'en faut.
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Défaillance de l'amortisseur discal (insuffisance discale) par
atteinte du nucleus
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Le
nucléus joue le rôle d'un ressort (il écarte les plateaux vertébraux) mais aussi
d'un amortisseur (il absorbe une partie des chocs). Il se déshydrate
progressivement dans la journée pour reprendre son volume initial dans la nuit.
C'est ainsi que nous mesurons 1 à 2 cm de plus le matin que le soir et que les
astronautes qui reviennent d'un long séjour dans l'espace ont gagné parfois plus
de 5 cm. Pour des raisons mal connues (défaillance primitive de l'anulus ?), le
métabolisme du nucléus peut s'altérer. Il va d'abord se déshydrater trop vite
dans la journée ou lors de positions extrêmes maintenues trop longtemps :
hyperlordose lors de la station debout immobile, hypercyphose en station assise
(pathologie dite de la position extrême par 0. Troisier). Cette situation est
réversible, puisque le nucléus se réhydrate au cours de la nuit. La douleur est
donc d'apparition progressive dans la journée, maximale le soir. Elle survient
également en position extrême : longtemps assis ou piétinement sur place. Elle
disparaît au cours de la nuit. Le patient ne souffre pas le matin. L'examen
clinique semble négatif dans ces cas. Les radios sont normales au début. Le
nucléus n'étant pas innervé, on ignore ce qui fait mal. Le traitement logique
associe : verrouillage lombaire (Troisier), port d'une ceinture de contention
dans certaines situations, musculation et meilleure hygiène posturale.
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Rupture de l'anulus : de l'entorse discale à la hernie
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Nous considérons,
avec Bogduk, que l'anulus n'est rien d'autre qu'un ligament. Il en a la
composition (collagène), l'organisation spatiale des fibres (d'un plateau
vertébral à l'autre), l'innervation (peu dense et purement nociceptive), la
vascularisation (très faible). Il en a donc la pathologie (déchirure, que l'on
nomme entorse), avec les mêmes possibilités de cicatrisation (médiocres) et les
mêmes nécessités de traitement (contention). On pourrait d'ailleurs ajouter,
comme le dit Bogduk, que l'anulus est le seul vrai ligament intervertébral,
l'anatomie des livres ne correspondant pas toujours à l'anatomie fonctionnelle
réelle.
1) LA
RUPTURE PARTIELLE OU RUPTURE INTRADISCALE ("entorse discale")
Il
s'agit d'une déchirure de fibres collagènes d'étendue variable au sein de
l'anulus. Nous proposons le terme d'entorse discale pour mieux souligner
l'analogie de mécanisme, de symptomatologie et de traitement avec les entorses
d'articulation périphérique. Elle survient typiquement après un effort de
soulèvement (qui augmente la pression nucléaire, donc tend les fibres
annulaires) associé à une rotation, qui cisaille l'anneau). La douleur, comme
lors de toute entorse, est intense et s'accompagne d'une contracture antalgique
plus ou moins marquée ("lumbago") avec douleur en antéflexion ou parfois en
extension, mais elle peut être plus modérée (sans doute fonction du nombre de
fibres intéressées par la rupture). Une étude récente a montré que les ruptures
localisées de l'anulus entraînaient l'apparition d'une vascularisation
intra-discale à partir des plateaux vertébraux.
Pour nous, le
traitement comporte les manipulations dans les formes les plus simples et, dans
les formes les plus douloureuses, le corset rigide (ou, à défaut, une ceinture
de maintien lombaire). Outre l'antalgie bien réelle qu'il apporte, il est
probable (mais difficile à démontrer) que l'immobilisation améliore les
possibilités de cicatrisation des fibres par synthèse locale de collagène et
préserve l'avenir. Quoiqu'il en soit, cette cicatrisation est probablement de
moins bonne qualité que les fibres d'origine, d’où le risque de rechute. Ce
processus s'accompagne d'une dégénérescence nucléaire.
Figure
: Trois stades de fissuration radiale de l'anulus : "entorse", hernie
contenue, hernie exclue
2) LA
RUPTURE PRESQUE COMPLÈTE DE L'ANNEAU FIBREUX (hernie contenue)
Physiologiquement,
nous entendons par là une rupture s'étendant de la périphérie du nucléus à la
presque périphérie de l'anulus sans toutefois l'atteindre. Ces ruptures sont
souvent localisées aux points faibles de l'anneau, soit dans sa partie
postéro-latérale. Si du nucléus existe en quantité suffisante, il peut migrer en
partie dans la fente ainsi créée et former une hernie discale "contenue". Les
fibres les plus périphériques de l'anulus (renforcées par le ligament vertébral
commun postérieur) résistent à la poussée nucléaire et isolent cette dernière de
l'espace épidural. Nous avons montré la tendance naturelle de ces hernies à
persister longtemps après la guérison de la sciatique.
3) LA RUPTURE
COMPLETE DE L'ANNEAU FIBREUX (hernie exclue)
Cette fois ci, la
fente annulaire fait communiquer le nucléus et l'espace épidural. S'il y a
suffisamment de nucléus, il va migrer dans la fente et former une hernie discale
"exclue", qui va se trouver libre au sein de cet espace. Nous avons montré, dans
un précédent travail, que la durée de vie de ces hernies était plus courte que
celle des hernies contenues car elles se comportaient au sein de l'espace
épidural comme des corps étrangers, pénétrées par des néovaisseaux puis lysées
et phagocytées progressivement, alors que les hernies "contenues" sont à l'abri
de ces intéressants phénomènes.
Outre les deux
lésions fondamentales décrites ci dessus (déshydratation du noyau et entorse
discale), certains phénomènes pathologiques peuvent survenir, qui vont modifier
la présentation clinique et compliquer la situation. Nous en décrivons deux :
l'inflammation et l'hyperpression.
1)
L'INFLAMMATION INTRA-DISCALE
Sa présence,
suspectée depuis longtemps, n'a été démontrée que récemment autour de certaines
hernies ou au sein de discopathies dégénératives. Cette inflammation est
probablement due au contact de fragments de nucléus (immunologiquement étrangers
au corps humain) avec la circulation sanguine (vaisseaux épiduraux ou bourgeons
vasculo-nerveux provenant du corps vertébral et pénétrant la plaque
cartilagineuse en cas de dégénérescence discale). Elle peut être intense
puisque les concentrations d'enzymes de l'inflammation notées dans certains
prélèvements étaient supérieures à ce que l'on trouve dans le liquide
articulaire des arthrites inflammatoires ! Elle peut donc accompagner toute
pathologie discale mécanique, en particulier les ruptures, les discarthroses et
les instabilités. Sa sémiologie clinique n'a pas encore été étudiée. Le meilleur
critère pourrait être l'efficacité de l'infiltration épidurale. Elle pourrait se
caractériser dans certains cas, comme nous avons pu le noter, par une douleur de
la fin de nuit et du matin, avec raideur vertébrale au réveil et dérouillage
matinal pouvant durer de quelques minutes à une heure ou deux. Le patient est
souvent mieux debout que couché. Mais il n'y a pas que l'inflammation à être à
l'origine de ce tableau clinique : l'élévation nocturne de la pression
intradiscale fait que certaines sciatiques sont moins bien le matin que le soir,
et mieux debout que couchées, un mauvais matelas a les mêmes conséquences : on
est pressé de quitter son lit...
2) L'HYPER
PRESSION INTRA-DISCALE
Elle est définie
par une surpression permanente et mesurable du nucléus qui correspond
probablement à un état de "sur-hydratation". Elle pourrait être due à un
démasquage de muco-polysaccharides normalement inactifs. S'agit il d'un
processus mal adapté de réparation face à certaines ruptures partielles ? C'est
possible dans la mesure ou l'on sait que l'hyper pression s'accompagne d'une
synthèse accrue de collagène dans l'anulus. L'hyper pression doit probablement
rendre plus symptomatique l'entorse discale qui lui a donné naissance.
Actuellement, seule la prise de pression intradiscale permet d'en faire le
diagnostic de façon expérimentale. Elle est, après l'arthrose et la contracture
musculaire, le troisième facteur d'enraidissement du segment mobile.
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Association de ces syndromes : la discopathie active
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La discopathie
dégénérative en évolution est manifestement la lésion anatomique la plus souvent
en cause dans la genèse des lombalgies communes. Rappelons qu'une radiographie
ou une IRM "normale" n'éliminent pas une discopathie débutante. Cette dernière
se caractérise par la succession de micro-ruptures partielles et de poussées
inflammatoires, associées à une déshydratation du nucléus. il en résulte un
pincement, c'est à dire une défaillance plus marquée de l'amortisseur discal et
un retentissement sur l'arc postérieur et une instabilité progressive que peut
éventuellement compenser l'ostéophytose et l’arthrose postérieure. On conçoit la
variété des tableaux cliniques en fonction de la prédominance de tel ou tel
symptôme.
Dans certains
cas, l'instabilité n'est pas compensée par ces mécanismes de correction et une
instabilité réelle, clinique, apparaît. Elle est définie par la possibilité de
mouvements anormaux au sein d'un segment mobile et traduit la défaillance du
"ligament" annulaire discal.
Elle est
probablement due à des ruptures intra-discales successives. C'est l'analogue
d'une entorse grave. La présence d'un pincement majore le risque puisqu'il
détend les fibres non rompues. Le seul signe clinique spécifique (?) est la
survenue de douleurs brèves et brutales (Troisier) correspondant à un
déplacement de vertèbre, sous l'effet d'une absence momentanée de verrouillage
dans certaines positions particulières ou lors de mouvements inopinés.
Dans d'autres
cas, au contraire, les mécanismes de correction (ostéophytose, arthrose
postérieure) l'emportent. Le remodelage osseux est tel qu'il empêche tout
mouvement anormal. La guérison n'est pas acquise pour autant : le remodelage
osseux s'accompagne de microfissures des plateaux vertébraux par où pénètrent
des néovaisseaux et des fibres nerveuses, d'une élévation de la pression
intra-osseuse au sein du corps vertébral, d'une condensation de l'os vertébral
et de la mise en activité des récepteurs nociceptifs intra-osseux.
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Dérangement intervertébral mineur
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Le dérangement
intervertébral mineur (DIM) représente une souffrance "mineure" du segment
mobile. Sa définition n'est pas anatomique mais fonctionnelle. C'est donc une
notion qui intègre certaines lésions envisagées ci dessus (et d'autres de l'arc
postérieur), qui représentent toutes d'une façon ou d'une autre, une souffrance
mineure du segment mobile.
Le DIM est cependant
à la fois quelque chose de plus et quelque chose de moins. Il est « en plus »
d'être une sorte de dénominateur commun de chacune de ces lésions, puisque
nombre d'entre elles peuvent, à un moment ou à un autre, bénéficier d'un
traitement manipulatif. Ceci signifie que la description purement anatomique que
nous avons faite n'est pas toujours suffisante : la douleur ne peut seulement
être expliquée par ces lésions anatomiques. Il est "en moins" de ne représenter
que la part réversible de ces lésions après un traitement manipulatif. Il
appartiendra à des travaux ultérieurs de préciser en quoi consiste,
anatomiquement, cette part réversible : lésion spécifique tel un blocage
intradiscal ou articulaire postérieur, ou lésion non spécifique telle une
contracture musculaire segmentaire péri vertébrale.
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