Société de Thérapeutique. 1914
La sciatique d'origine sacro-vertébrale
Henri FORESTIER, Aix les Bains,
1914
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Le fait clinique que certains lumbagos précèdent certaines
sciatiques, fait que j'ai bien observé dans ma pratique à Aix-les-Bains, m'a
amené à me demander s'il n'y avait pas entre les deux affections une relation de
cause à effet.
En analysant la symptomatologie présentée par des cas de cet ordre je suis
arrivé à admettre :
- Que certains
lumbagos ont pour siège l'articulation sacro-vertébrale apophysaire
- Que cette
arthropathie sacro-vertébrale apophysaire, en raison du voisinage immédiat
du nerf lombo-sacré, retentit sur celui-ci et détermine un syndrome
sciatique
- Qu'elle
correspond aux lumbagos bas placés qui ont été pris pour de l'arthrite
sacro-iliaque par suite de l'erreur commise dans l'appréciation du point
douloureux attribue à celle-ci
- Que
vraisemblablement cette arthropathie conditionne la scoliose sciatique.
Cette conception de la pathogénie de certaines sciatiques
s'étaye sur un ensemble de faits anatomiques et cliniques que je vais développer,
et qui ont déjà fait l'objet d'une communication à la Société de Thérapeutique
(11 mars 1914).
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Certains lumbago ont pour siège l'articulation
sacro-vertébrale apophysaire
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J'ai dit que certains lumbagos ont pour siège l'articulation
sacro-vertébrale apophysaire. Voici sur quelles considérations je fonde cette
opinion :
On admet que le lumbago est articulaire aussi souvent sinon
plus souvent que musculaire. C'est une notion qui a été établie il y a quelques
années par le Prof. A. Robin et par Londe. Mais il n'a pas été précisé, que je
sache, si telles articulations lombaires sont plutôt intéressées que telles
autres. Je rappelle en passant qu'à la différence des articulations des disques
vertébraux qui sont des amphiarthroses, c'est-à-dire sont dépourvues de
synoviale, les articulations apophysaires sont des arthrodies, c'est-à-dire en
possèdent une, d'où leur plus grande vulnérabilité.
Or,
il y a des particularités anatomiques qui permettent de penser que les
articulations sacro -vertébrales apophysaires sont plus sujettes à être le siège
d'arthrite que les autres articulations lombaires. Les apophyses articulaires
inférieures de la 5e vertèbre lombaire et du sacrum sont plus écartées de la
ligne médiane, de 5 à 6 millimètres au moins ; Les facettes articulaires sont
planes et plus larges.
Ces dispositions anatomiques, différenciant l'articulation
sacro-vertébrale des autres articulations lombaires, témoignent qu'elle joue le
rôle le plus important dans les mouvements de flexion latérale du rachis. Sur le
cadavre, par conséquent dans de mauvaises conditions, à cause du durcissement
des ligaments sous l'influence de l'injection antiseptique, on constate que,
dans les mouvements de latéralité, les apophyses articulaires de la 5e lombaire
s'abaissent et se relèvent de 5 à 6 mill. en sens inverse. On constate encore
que dans la flexion du tronc en avant, ces apophyses ont un glissement de bas en
haut de 2 à 3 millimètres, alors que celles des autres lombaires se déplacent
insensiblement. On s'explique ainsi que certains faux mouvements dans certaines
attitudes produisent une douleur brusque et violente à la région lombaire
inférieure : tour de reins. Quant au disque intervertébral, on sait qu'il
s'écrase ou se distend à mesure que les vertèbres basculent.
Donc l'articulation sacro-vertébrale apophysaire du fait de sa
mobilité et de sa fonction est une articulation qui fatigue, et par suite est
plus exposée aux causes d'inflammation et aux traumatismes tels que l'entorse.
Elle est vraisemblablement le siège du lumbago à point douloureux bas situé,
celui qu'on observe dans les cas de lumbagos à répétition. Dans d'autres cas,
c'est l'articulation apophysaire des 4e, 3e, 2e, lombaires qui est prise,
constituant le lumbago supérieur haut situé.
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L'arthrite sacro-vertébrale est une réalité
clinique
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L'arthrite sacro-vertébrale apophysaire peut être admise par
conséquent comme une réalité clinique. En se répétant, soit par le fait de
petites entorses, soit par celui de poussées inflammatoires de nature goutteuse
et rhumatismale le plus souvent, l'arthropathie va déterminer des lésions de
voisinage de la péri-arthrite, et de la cellulite, car une couche épaisse de
tissu cellulo-fibreux revêt l'aileron, du sacrum.
Or, le nerf lombo-sacré qui prend la part la plus grande à la
formation du nerf sciatique est immédiatement adjacent à cette articulation. Le
funicule de la 5e paire lombaire, comme l'appelle Sicard, est adossé à la face
antérieure de l'apophyse articulaire du sacrum, qui forme la paroi postérieure
du trou de conjugaison. Cette apophyse est une lame saillante arrondie, de la
dimension d'une pièce de 0,50 cent., mince, de 1 millimètre d'épaisseur à son
bord libre et 2 millimètres à son implantation.
Par ce fait, la capsule fibreuse de l'articulation apophysaire
dans sa partie externe voisine immédiatement le nerf lombosacré à sa sortie du
trou de conjugaison. Ces conditions anatomiques permettent de concevoir comment
un processus inflammatoire développé dans l'articulation sacro-vertébrale
apophysaire ou le tissu cellulaire de l'aileron du sacrum, peut réagir sur le
nerf lombo-sacré et déterminer un syndrome sciatique. Il est très vraisemblable
que les choses se passent ainsi.
En effet dans les spondylites des goutteux et rhumatisants, ce
que j'ai constaté (1) très nettement, il existe à une certaine période de
l'affection des névralgies intercostales dont la cause est l'irritation ou la
compression des racines postérieures dorsales par des productions ostéophytiques
au niveau des trous de conjugaison des articulations apophysaires, lésions
reconnues par Félix Regnault sur des pièces anatomiques de musées. Il y a
analogie complète entre les deux manifestations névralgiques, car elles sont
l'une et l'autre influencées par les secousses de toux, d'éternuement, ce qui
indique que les gaines méningées poussées dans le trou de conjugaison viennent
au contact du périoste endolori par l'inflammation. Le signe la toux est très
net là. Comme autre exemple de lésion osseuse irritative de cet ordre, je
citerai encore les névralgies et névrites du plexus brachial déterminées par la
périostite et les exostoses de la première côte.
En somme, on doit admettre qu'un syndrome sciatique peut être
réalisé soit par l'arthrite sacro-vertébrale apophysaire, soit par la cellulite
siégeant à l'aileron du sacrum. Cette dernière avait déjà été signalée par
Sicard (2) comme jouant un rôle dans la pathogénie de la sciatique. « On
pourrait, dit-il, invoquer la compression des faisceaux « nerveux par une
réaction inflammatoire de voisinage (arthrite du trou de conjugaison,
périmyosite, péri-cellulite, voisine du trou de conjugaison, de la grande
échancrure) « réaction due au froid ? au rhumatisme ? aux intoxications? » Ce
qui fait dire à Sicard que la sciatique est dans certains cas une maladie du
trou de conjugaison.
Allant plus loin dans le même ordre d'idées, je dirai que la
sciatique est parfois une maladie de l'articulation sacro-vertébrale
apophysaire. Dans ce qui précède j'ai mis en cause le nerf lombo-sacré issu de
la 5e paire lombaire. La lésion de celui-ci suffit-elle déterminer le syndrome
sciatique, sans qu'il soit besoin que les 1re et 2e paires sacrées soient
intéressées ? On peut répondre par l'affirmative, car c'est la 5e paire lombaire
qui forme la majeure partie du nerf sciatique, qui possède le plus de rameaux
sensitifs, et qui innerve la totalité des muscles de la jambe et de la cuisse.
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Rapports entre lumbago et sciatique
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J'ai dit en commençant qu'il y avait un rapport très étroit
entre certains lumbagos et certaines sciatiques, que la précédence du lumbago
était un fait clinique très net dans certains cas de sciatiques. En effet, je
l'ai bien noté pour ma part dans ma pratique à Aix-les-Bains, et plus d'une fois
il m'est arrivé de prédire une sciatique à un goutteux ayant déjà présenté
plusieurs attaques de lumbago et n'ayant pas fait les cures nécessaires pour
s'en guérir. Chez ces malades-là j'ai toujours noté que les points douloureux
les plus constants sont au niveau de l'épine de la 5e vertèbre lombaire et de
ses apophyses articulaires.
Or, je crois que ces cas sont plus fréquents qu'on ne le pense
et qu'il faut y faire rentrer beaucoup de ceux étiquetés : arthrite
sacro-iliaque. En fait, la plupart d'entre eux sont des arthrites
sacro-vertébrales apophysaires. Voici sur quoi je fonde cette opinion. Quand
pour chercher le point douloureux attribué à l'arthrite sacro-iliaque, le doigt
presse au niveau de l'épine iliaque postéro-supérieure, la pression en réalité
porte plus sur l'articulation sacro-vertébrale apophysaire, que sur la
sacro-iliaque. Elles sont à peu près à la même hauteur.
Mais cette dernière est située très en avant du côté de la
cavité pelvienne où sa synoviale affleure, tandis que du côté postérieur se
trouve le ligament sacro-iliaque épais de plus d'un centimètre. Il est donc
difficile que la pression du doigt agisse à travers cette épaisseur, et révèle
la sensibilité et l'articulation sacro-iliaque. Au surplus celle-ci est fort peu
mobile, comme l'on sait (nutation). En raison de sa mobilité insignifiante, sauf
chez les femmes en gestation, elle est bien peu sujette à des traumatismes ou à
des localisations inflammatoires.
En outre, quand on se trouve en présence de soi-disant cas
d'arthrite sacro-iliaque, on constate bien que la pression bilatérale sur les
crêtes iliaques ne provoque pas de douleur, ce qui est, au contraire, très net
dans les cas de sacro-coxalgie où c'est vraiment l'articulation sacro-iliaque
qui est lésée.
Donc, si d'une part, on admet que l'arthrite sacro-iliaque est
rare, et si, d'autre part. on reconnaît que le point douloureux au niveau de
l'épine iliaque postéro-supérieure (point douloureux sacro-iliaque de Valleix)
correspond à l'arthrite sacro-vertébrale apophysaire, on conçoit parfaitement
que celle-ci représente un grand nombre de lumbagos. Ce lumbago bas situé, je
l'appellerai sacro-vertébral, et c'est lui qui a un rapport de cause à effet
avec certaines sciatiques.
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L'arthrite sacro-vertébrale joue aussi un rôle
dans la scoliose sciatique
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Mais ce n'est pas tout. Cette conception m'amène à admettre
que l'arthrite sacro-vertébrale apophysaire peut bien jouer un rôle dans la
scoliose sciatique dont la pathogénie n'a pas encore reçu d'explication
satisfaisante. Charcot, Babinski et d'autres admettent l'attitude instinctive
prise par le malade pour soulager le membre douloureux du poids du corps. Lortat-Jacob,
dans son excellente monographie des sciatiques (3), relate plusieurs autres
théories émises qui interprètent les choses dans le même sens.
Il serait plus rationnel d'admettre que l'arthrite
sacro-vertébrale apophysaire, coïncidant avec la sciatique funiculaire,
conditionne la scoliose, parce que l'inclinaison de la colonne lombaire du côté
opposé entrebâille l'articulation apophysaire, réalisant ainsi une moindre
pression des surfaces articulaires sur la synoviale.
C'est bien une interprétation de cet ordre que donne Sicard
lorsqu'il dit à propos de la scoliose (4) : « Sous une influence encore
indéterminée, mais certainement conditionnée pour une grande part, par la
réaction défensive à la douleur et par l'atteinte de l'articulation
sacro-iliaque, certains muscles sont immobilisés dans un tonus fixe, imprimant à
l'architecture vertébro-coxale des attitudes variables ».
A la différence de Sicard, je crois, comme je l'ai expliqué,
que c'est l'articulation sacro-vertébrale apophysaire qui est en jeu et non pas
la sacro-iliaque. Cette théorie pathogénique de la scoliose sciatique semble
s'accorder avec la plupart des faits. Cependant, on peut se demander pourquoi
l'arthrite sacro-vertébrale n'est pas habituellement accompagnée de scoliose.
Mon explication est que dans les cas de lumbago sacro-vertébral ou d'arthrite
sacro-vertébrale apophysaire, ce qui est la même chose, les deux articulations
apophysaires sont prises également, d'où attitude raide simplement, mais non pas
attitude inclinée. Que si l'une d'elles reste plus atteinte que l'autre, ceci
n'a rien d'étonnant, et c'est celle-là qui deviendra le siège d'arthrite et
péri-arthrite devant plus tard amener la sciatique. Puis, quand l'arthrite
sacro-vertébrale apophysaire unilatérale sera constituée, il arrivera que les
rameaux sensitifs articulaires émanés du funicule de la 5e paire lombaire
subiront une irritation. Et ainsi la sciatique et l'arthrite apophysaire
retentiront réciproquement l'une sur l'autre, ce qui entretiendra les conditions
de la scoliose.
Au demeurant j'admets très bien que celle-ci est dans certains
cas conditionnée par la compression du funicule dans son passage entre
l'apophyse transverse de la 5e vertèbre lombaire et les faisceaux du ligament
ilio-lombaire. Le moindre gonflement de la gaine du nerf en ce point réalise la
compression. Quant à la scoliose homologue elle échappe à toute explication.
Etant donné qu'elle est l'apanage des névropathes, il est permis de penser que
le syndrome sciatique correspond là, soit à une radiculite, soit à une
méningo-radiculite, où la spécificité est fréquente. Ce sont des cas complexes
dans lesquels l'élément spasmodique est associé à des lésions organiques.
Il ressort de tout ce qui a été dit que ma conception de la
pathogénie sacro-vertébrale s'applique exclusivement aux espèces
anatomo-cliniques dites sciatiques funiculaires. Celles-ci peuvent évoluer sous
forme de névralgie ou de névrite suivant les cas. Les idées reçues sur la
pathogénie des sciatiques tronculaires, plexulaires, primitives ou secondaires,
sur les sciatiques radiculaires conservent toute leur valeur. Le contrôle de la
clinique montrera si la pathogénie sacro-vertébrale de certaines sciatiques que
j'ai exposée est exacte.
(1) H. FORESTIER
- La spondylose rhumatismale, in Archives générales de médecine, juillet 1901.
(2) SICARD - Les
sciatiques, diagnostic et traitement in Journal de médecine de Paris, no 41,
page 812.
(3) LORLAT-JACOB
et SABAREANU. - Les sciatiques ; leurs traitements, 2e édition, Paris 1913.
(4) SICARD. -
Loc. cit., p. 792.
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