Mais avant
d'étudier ce problème de l'application des manipulations, il nous semble
indispensable de donner quelques définitions. Qu'est ce qu'une mobilisation
? Qu'est ce qu'une manipulation ?
Imaginons un
patient allongé sur le dos. Le médecin lui tient la tête entre deux mains.
C'est la mise en position ; le médecin imprime au cou une
rotation vers la droite, jusqu'à ce qu'il ait l'impression d'être arrivé au
bout du mouvement possible. Il insiste légèrement : c'est la mise en
tension. Si à partir de ce point, il revient à son point de départ
et recommence plusieurs fois, nous disons qu'il a fait une série de
mobilisations en rotation droite.
Mais si, ayant
mis en tension, il imprime brusquement d'un petit coup sec et très bref du
poignet gauche, un léger mouvement de rotation supplémentaire, il a alors
l'impression qu'une résistance a cédé et que la colonne a exécuté quelques
degrés de mouvement en plus. Cela s'accompagne d'un bruit de craquement
caractéristique. Ce mouvement forcé, bref, unique, exécuté à partir de la
mise en tension, c'est la manipulation.
La manipulation
doit toujours être effectuée à partir de la mise en tension. Ce doit être un
tout petit mouvement. Un grand mouvement lancé est violent, non mesurable,
douloureux et dangereux.
La
manipulation est donc une mobilisation forcée, qui porte les éléments de
l'articulation au delà de leur jeu volontaire et habituel, sans
bien entendu, dépasser les limites anatomiquement possibles de
l'articulation.
C'est dire que
ce mouvement doit être parfaitement contrôlé par l'opérateur et demande,
pour être bien exécuté, une certaine expérience. La manipulation doit être
parfaitement indolore. Elle peut être exécutée à tous les étages du rachis
par un opérateur entraîné sur un patient normal, sans qu'aucun de ces
mouvements forcés ne soit douloureux ou désagréable.
Le bruit de
craquement qui accompagne la manipulation n'est que le témoignage de la
brusque séparation des surfaces articulaires ; il est de même nature que
celui obtenu par une brusque traction exercée sur les doigts ; il ne
signifie nullement que quelque chose a été remis en place. Il est possible
de faire craquer tous les segments vertébraux d'un sujet dont la colonne est
absolument normale.
I) Identification de la manipulation
On peut donc
manipuler les segments vertébraux selon les six directions :
Rotation droite
;
Rotation gauche
;
Latéroflexion
droite ;
Latéroflexion
gauche ;
Flexion ;
Extension ;
sans oublier une
7e direction : la traction, qui est plus ou moins présente dans la plupart
des manipulations.
Fig. 1:
On peut faire des manipulations unidirectionnelles, ou des manipulations
pluridirectionnelles, qui vont combiner différentes orientations. Exemple :
Rotation droite + latéroflexion droite + extension, le premier mot désigne
le sens dans lequel le mouvement est forcé.
On peut décrire : des manipulations « directes », et
des manipulations « indirectes ».
1) Les manipulations directes
Elles
consistent, le patient étant couché sur le ventre, à effectuer avec le talon
de la main, des pressions directes sur la colonne vertébrale, soit au niveau
des apophyses transverses, soit au niveau des apophyses épineuses. Cette
pression doit être suivie d'un relâchement très rapide. Ces techniques sont
brutales et ne sont pas dosables. Elles sont souvent désagréables, pour ne
pas dire douloureuses pour le patient, mais surtout leurs possibilités sont
extrêmement limitées. Elles nous paraissent de peu d'intérêt et hasardeuses.
2) Les manipulations indirectes
L'opérateur
utilise ici les bras de levier naturels du corps pour agir sur la colonne
vertébrale : par exemple : par une pression opposée sur le bassin et sur
l'épaule, le patient étant couché sur le côte, il va pouvoir faire faire à
la colonne lombo-dorsale un mouvement de torsion. Ou bien, comme dans
l'exemple que nous avons pris tout à l'heure, il va, mobilisant la tête,
faire exécuter des mouvements au cou. De très nombreuses manoeuvres
permettent de manipuler toutes les zones vertébrales selon toutes les
orientations désirables.
Ces manoeuvres
sont douces, progressives, peuvent être utilisées en mobilisations. Elles
ont le grand avantage de pouvoir être essayées avant d'être exécutées
complètement, l'opérateur allant jusqu'à la mise en tension peut se rendre
compte si la manoeuvre est indolore ou non.
Ceci est très
important dans le système de manipulations que nous proposons.
On peut
augmenter la précision de ces manoeuvres en utilisant les manoeuvres que
nous appellerons semi-indirectes. Dans celles-ci, le mouvement global est
donné à distance comme dans les manipulations indirectes, mais l'opérateur,
grâce à des pressions ou à des contrepressions, maintenues avec la main par
exemple au niveau ou au dessous du segment à traiter, peut obtenir une
localisation plus précise de l'effet de la manipulation. La figure montre un
exemple de manipulation semi-indirecte assistée de la région dorsale basse.
II) Règle de la non douleur et du mouvement
contraire
Nous en venons
au problème essentiel des traitements par manipulations.
Les
manipulations ne doivent pas être des mouvements forcés, exécutes
systématiquement sur un segment vertébral, quel que soit l'aspect du cas
clinique considéré; il est par exemple tout à fait illogique de traiter
toutes les lombalgies aiguës ou chroniques, ou toutes les sciatiques par
deux ou trois manoeuvres standard répétées systématiquement, à droite puis à
gauche, quelles que soient les particularités propres à chaque cas. Chaque
cas réclame une manoeuvre particulière, qui doit être rigoureusement adaptée.
L'expérience
nous a montré que si on forçait un mouvement rachidien douloureux, cela
apportait quelquefois une amélioration au prix d'une vive douleur pour le
malade, mais que bien souvent on aggravait les choses.
Cela est logique : si un
mouvement est douloureux ou bloqué, c'est qu'il est limité par un conflit ;
vouloir forcer se conflit va peut-être permettre de le vaincre, de « briser
des adhérences » comme il est souvent dit, mais va l'irriter et l'aggraver.
Fig. 2
Deux exemples de sciatique droite.
A-1 Le patient présente une scoliose antalgique convexe du côté de la
sciatique. Il y a une limitation de la rotation droite, de la latéroflexion
droite et de l'extension.
A-2. Manipulation en rotation gauche.
A-3. Manipulation en latéroflexion gauche.
A-4. Manipulation en rotation gauche + flexion.
B-1. Le patient présente une scoliose antalgique concave du côté de la
sciatique. Il y a une limitation de la rotation gauche, de la latéroflexion
gauche et de la flexion.
B-2. Manipulation en rotation droite.
B-3. Manipulation en latéroflexion droite.
B-4. Manipulation en rotation droite + extension.
En conséquence, l'application de la Règle de la « Non-Douleur et du
Mouvement Contraire» conduit à des manipulations de sens opposé dans les
deux cas.
1) Définition
Au contraire,
des années d'expérience nous ont prouvé que lorsqu'un mouvement de la
colonne vertébrale est limité, par exemple dans sa rotation gauche, alors
qu'il est libre en rotation droite, ce n'est pas en forcant cette rotation
gauche que l'on va l'améliorer, mais au contraire en faisant un mouvement de
rotation droite forcé.
Ainsi, un malade
qui présente un torticolis traumatique qui l'empêche de tourner la tête à
droite et qui tourne librement le cou à gauche ne sera pas soulagé par une
rotation forcée du cou à droite, même sous traction, mais bien par une
rotation forcée du cou à gauche. Ce point est extrêmement important car
cette manière de procéder permet d'agir toujours sans douleur pour le malade
et la pratique quotidienne montre que ce mode d'action est tout à fait
physiologique puisqu'il apporte régulièrement une libération du mouvement
bloqué.
Nous avons
appelé cette règle de conduite la « règle de la non-douleur et du mouvement
contraire ». Elle consiste donc à faire la manipulation dans le sens opposé
à celui qui est douloureux et limité.
Mais comme il
est rare qu'une seule orientation de mouvement soit bloquée, les mouvements
vertébraux étant liés, la manipulation devra être faite selon chacune des
orientations libres, soit successivement, soit avec des techniques
multidirectionnelles.
2) Testing pré-manipulatif
Une fois le
diagnostic acquis et l'indication d'un traitement par manipulations posé, il
faut procéder à un testing prémanipulatif, destiné à analyser les mouvements
libres d'une part, et douloureux ou bloqués d'autre part.
On teste
successivement
Rotation droite
;
Rotation gauche
;
Latéroflexion
droite ;
Latéroflexion
gauche ;
Extension ;
Flexion.
Cette analyse
correcte n'est pas toujours facile, surtout si on veut la rapporter
exactement au joint que l'on désire traiter. Si généralement la limitation
est évidente, elle est parfois discrète et demande à être recherchée avec
soin : les techniques de manipulations indirectes montrent là tout leur
avantage, car il est possible de les exécuter incomplètement. Il suffit
d'aller jusqu'à la mise en tension pour noter avec précision quelles sont
les directions où cette manoeuvre est limitée ou douloureuse. On les
pratique selon les sixdirections citées plus haut.
Un autre procédé
fort utile dans certains cas consiste à faire pression latéralement sur
l'épineuse de chaque vertèbre, à droite, puis à gauche. En faisant cela, on
provoque une rotation forcée de la vertèbre et on note le sens douloureux.
Cette manoeuvre
permet également de localiser le joint siège d'un « dérangement
intervertébral mineur » : On fait pression dans un sens (vers la gauche par
exemple) sur l'épineuse d'une vertèbre et on fait contre-pression en même
temps dans le sens opposé (ici vers la droite) sur l'épineuse de la vertèbre,
sus-jacente, puis sous-jacente. Dans un 2e temps, on fait la manoeuvre dans
le sens inverse; une de ces manoeuvres ou les deux provoquent une vive
douleur lorsqu'elle est pratiquée sur le joint dérangé.
Pour rendre
clairs les résultats de cet examen, nous figurons les 6 mouvements du rachis
par une étoile à six branches. Les résultats du testing sont notés en
mettant 1, 2 ou 3 barres sur la branche correspondante, selon le degré de la
limitation ou de la douleur. Dans l'exemple choisi, nous avons : très forte
limitation en rotation droite : 3 barres, forte limitation en latéroflexion
droite : 2 barres, légère limitation à l'extension : 1 barre.
Les manoeuvres à
faire seront en rotation gauche, latéroflexion gauche et flexion.
Si dans un cas,
tous les mouvements sont limités ou douloureux, il n'y a pas d'application
possible de la Règle de la non-douleur et du mouvement contraire et on ne
doit pas manipuler.
3) Exemples pratiques
Pour illustrer
cette méthode et montrer un aspect de son application, nous allons choisir
deux cas de sciatique droite, se présentant avec deux scolioses antalgiques
différentes.
Dans le
cas A, le patient a une scoliose antalgique convexe du côté de la
sciatique. Il se penche librement vers la gauche, mais ne peut se pencher
vers la droite. En outre, la rotation droite est bloquée, et le segment
lombaire peut fléchir mais ne peut pas faire d'extension.
Dans le
cas B, c ’est l'inverse. Le patient a une scoliose antalgique
concave du côté de la sciatique. Il se penche librement vers la droite mais
ne peut se pencher vers la gauche. La rotation gauche est bloquée, le
segment lombaire peur s'étendre mais pas fléchir.
Le schéma en
étoile de ces deux cas nous montre que les manipulations vont être tout à
fait différentes d'orientation et même complètement opposées. Ici dans cet
exemple pour le cas A, on fera :rotation vers la gauche, latéroflexion vers
la gauche et flexion avec des manoeuvres unidirectionnelles ou combinées.
Pour le cas B,
au contraire, rotation vers la droite, latéroflexion vers la droite et
extension.
D'autres
éventualités peuvent se présenter et ainsi cet examen et l'application de
cette règle permettront d’adapter la manipulation spécifique. Ainsi, cette
règle de la non douleur permet de dire si :