image
image
image
image

 

Proceedings of the IVth International Congress of Physical Medicine, Paris, September 6-11, 1964
Reprinted from Excerpta Medica International Congress Series No. 107

 

L'application rationnelle des manipulations vertébrales

R Maigne


 

 

 

M. le Professeur Junghanns vient de nous montrer avec clarté le fonctionnement de ce qu'il a appelé le «Bewegsegment » : « Segment mobile, » et tous les dérangements mécaniques que pouvait subir ce segment, avec leurs conséquences.

Les manipulations vertébrales constituent le traitement le plus rationnel de ceux de ces dérangements qui sont réversibles. L'expérience nous montre que, bien utilisées, elles sont irremplaçables pour la rapidité et la fréquence des bons résultats qu'elles permettent.

L'utilisation correcte des manipulations dépend :

  • D'un bon diagnostic, d'abord ;
  • D'une bonne indication, ensuite ;
  • Et enfin, d'une bonne manipulation, c'est à dire du choix de la technique la plus appropriée et de la bonne exécution de celle-ci.

 

Mais avant d'étudier ce problème de l'application des manipulations, il nous semble indispensable de donner quelques définitions. Qu'est ce qu'une mobilisation ? Qu'est ce qu'une manipulation ?

Imaginons un patient allongé sur le dos. Le médecin lui tient la tête entre deux mains. C'est la mise en position ; le médecin imprime au cou une rotation vers la droite, jusqu'à ce qu'il ait l'impression d'être arrivé au bout du mouvement possible. Il insiste légèrement : c'est la mise en tension. Si à partir de ce point, il revient à son point de départ et recommence plusieurs fois, nous disons qu'il a fait une série de mobilisations en rotation droite.

Mais si, ayant mis en tension, il imprime brusquement d'un petit coup sec et très bref du poignet gauche, un léger mouvement de rotation supplémentaire, il a alors l'impression qu'une résistance a cédé et que la colonne a exécuté quelques degrés de mouvement en plus. Cela s'accompagne d'un bruit de craquement caractéristique. Ce mouvement forcé, bref, unique, exécuté à partir de la mise en tension, c'est la manipulation.

La manipulation doit toujours être effectuée à partir de la mise en tension. Ce doit être un tout petit mouvement. Un grand mouvement lancé est violent, non mesurable, douloureux et dangereux.

 

La manipulation est donc une mobilisation forcée, qui porte les éléments de l'articulation au delà de leur jeu volontaire et habituel, sans bien entendu, dépasser les limites anatomiquement possibles de l'articulation.

C'est dire que ce mouvement doit être parfaitement contrôlé par l'opérateur et demande, pour être bien exécuté, une certaine expérience. La manipulation doit être parfaitement indolore. Elle peut être exécutée à tous les étages du rachis par un opérateur entraîné sur un patient normal, sans qu'aucun de ces mouvements forcés ne soit douloureux ou désagréable.

 

Le bruit de craquement qui accompagne la manipulation n'est que le témoignage de la brusque séparation des surfaces articulaires ; il est de même nature que celui obtenu par une brusque traction exercée sur les doigts ; il ne signifie nullement que quelque chose a été remis en place. Il est possible de faire craquer tous les segments vertébraux d'un sujet dont la colonne est absolument normale.

 

 

I) Identification de la manipulation

 

On peut donc manipuler les segments vertébraux selon les six directions :

Rotation droite ;

Rotation gauche ;

Latéroflexion droite ;

Latéroflexion gauche ;

Flexion ;

Extension ;

sans oublier une 7e direction : la traction, qui est plus ou moins présente dans la plupart des manipulations.

 


 

Fig. 1: On peut faire des manipulations unidirectionnelles, ou des manipulations pluridirectionnelles, qui vont combiner différentes orientations. Exemple : Rotation droite + latéroflexion droite + extension, le premier mot désigne le sens dans lequel le mouvement est forcé.

 


 

On peut décrire : des manipulations « directes », et des manipulations « indirectes ».

 

1) Les manipulations directes

 

Elles consistent, le patient étant couché sur le ventre, à effectuer avec le talon de la main, des pressions directes sur la colonne vertébrale, soit au niveau des apophyses transverses, soit au niveau des apophyses épineuses. Cette pression doit être suivie d'un relâchement très rapide. Ces techniques sont brutales et ne sont pas dosables. Elles sont souvent désagréables, pour ne pas dire douloureuses pour le patient, mais surtout leurs possibilités sont extrêmement limitées. Elles nous paraissent de peu d'intérêt et hasardeuses.

 

2) Les manipulations indirectes

 

L'opérateur utilise ici les bras de levier naturels du corps pour agir sur la colonne vertébrale : par exemple : par une pression opposée sur le bassin et sur l'épaule, le patient étant couché sur le côte, il va pouvoir faire faire à la colonne lombo-dorsale un mouvement de torsion. Ou bien, comme dans l'exemple que nous avons pris tout à l'heure, il va, mobilisant la tête, faire exécuter des mouvements au cou. De très nombreuses manoeuvres permettent de manipuler toutes les zones vertébrales selon toutes les orientations désirables.

Ces manoeuvres sont douces, progressives, peuvent être utilisées en mobilisations. Elles ont le grand avantage de pouvoir être essayées avant d'être exécutées complètement, l'opérateur allant jusqu'à la mise en tension peut se rendre compte si la manoeuvre est indolore ou non.

Ceci est très important dans le système de manipulations que nous proposons.

On peut augmenter la précision de ces ma­noeuvres en utilisant les manoeuvres que nous appellerons semi-indirectes. Dans celles-ci, le mouvement global est donné à distance comme dans les manipulations indirectes, mais l'opérateur, grâce à des pressions ou à des contre­pressions, maintenues avec la main par exemple au niveau ou au dessous du segment à traiter, peut obtenir une localisation plus précise de l'effet de la manipulation. La figure montre un exemple de manipulation semi-indirecte assistée de la région dorsale basse.

 

 

II) Règle de la non douleur et du mouvement contraire

 

Nous en venons au problème essentiel des traitements par manipulations.

Les manipulations ne doivent pas être des mouvements forcés, exécutes systématiquement sur un segment vertébral, quel que soit l'aspect du cas clinique considéré; il est par exemple tout à fait illogique de traiter toutes les lombalgies aiguës ou chroniques, ou toutes les sciatiques par deux ou trois manoeuvres standard répétées systématiquement, à droite puis à gauche, quelles que soient les particularités propres à chaque cas. Chaque cas réclame une manoeuvre particulière, qui doit être rigoureusement adaptée.

L'expérience nous a montré que si on forçait un mouvement rachidien douloureux, cela apportait quelquefois une amélioration au prix d'une vive douleur pour le malade, mais que bien souvent on aggravait les choses. Cela est logique : si un mouvement est douloureux ou bloqué, c'est qu'il est limité par un conflit ; vouloir forcer se conflit va peut-être permettre de le vaincre, de « briser des adhérences » comme il est souvent dit, mais va l'irriter et l'aggraver.


Fig. 2 Deux exemples de sciatique droite.

A-1 Le patient présente une scoliose antalgique convexe du côté de la sciatique. Il y a une limitation de la rotation droite, de la latéroflexion droite et de l'extension.

A-2. Manipulation en rotation gauche.

A-3. Manipulation en latéroflexion gauche.

A-4. Manipulation en rotation gauche + flexion.

B-1. Le patient présente une scoliose antalgique concave du côté de la sciatique. Il y a une limitation de la rotation gauche, de la latéroflexion gauche et de la flexion.

B-2. Manipulation en rotation droite.

B-3. Manipulation en latéroflexion droite.

B-4. Manipulation en rotation droite + extension.

En conséquence, l'application de la Règle de la « Non-Douleur et du Mouvement Contraire» conduit à des manipulations de sens opposé dans les deux cas.


 

 

1) Définition

 

Au contraire, des années d'expérience nous ont prouvé que lorsqu'un mouvement de la colonne vertébrale est limité, par exemple dans sa rotation gauche, alors qu'il est libre en rotation droite, ce n'est pas en forcant cette rotation gauche que l'on va l'améliorer, mais au contraire en faisant un mouvement de rotation droite forcé.

Ainsi, un malade qui présente un torticolis traumatique qui l'empêche de tourner la tête à droite et qui tourne librement le cou à gauche ne sera pas soulagé par une rotation forcée du cou à droite, même sous traction, mais bien par une rotation forcée du cou à gauche. Ce point est extrêmement important car cette manière de procéder permet d'agir toujours sans douleur pour le malade et la pratique quotidienne montre que ce mode d'action est tout à fait physiologique puisqu'il apporte régulièrement une libération du mouvement bloqué.

Nous avons appelé cette règle de conduite la « règle de la non-douleur et du mouvement contraire ». Elle consiste donc à faire la manipulation dans le sens opposé à celui qui est douloureux et limité.

Mais comme il est rare qu'une seule orienta­tion de mouvement soit bloquée, les mouvements vertébraux étant liés, la manipulation devra être faite selon chacune des orientations libres, soit successivement, soit avec des techniques multidirectionnelles.

 

2) Testing pré-manipulatif

 

Une fois le diagnostic acquis et l'indication d'un traitement par manipulations posé, il faut procéder à un testing prémanipulatif, destiné à analyser les mouvements libres d'une part, et douloureux ou bloqués d'autre part.

On teste successivement

Rotation droite ;

Rotation gauche ;

Latéroflexion droite ;

Latéroflexion gauche ;

Extension ;

Flexion.

Cette analyse correcte n'est pas toujours facile, surtout si on veut la rapporter exactement au joint que l'on désire traiter. Si généralement la limitation est évidente, elle est parfois discrète et demande à être recherchée avec soin : les techniques de manipulations indirectes montrent là tout leur avantage, car il est possible de les exécuter incomplètement. Il suffit d'aller jusqu'à la mise en tension pour noter avec précision quelles sont les directions où cette manoeuvre est limitée ou douloureuse. On les pratique selon les sixdirections citées plus haut.

Un autre procédé fort utile dans certains cas consiste à faire pression latéralement sur l'épineuse de chaque vertèbre, à droite, puis à gauche. En faisant cela, on provoque une rotation forcée de la vertèbre et on note le sens douloureux.

 

Cette manoeuvre permet également de localiser le joint siège d'un « dérangement inter­vertébral mineur » : On fait pression dans un sens (vers la gauche par exemple) sur l'épineuse d'une vertèbre et on fait contre-pression en même temps dans le sens opposé (ici vers la droite) sur l'épineuse de la vertèbre, sus-jacente, puis sous-jacente. Dans un 2e temps, on fait la manoeuvre dans le sens inverse; une de ces manoeuvres ou les deux provoquent une vive douleur lorsqu'elle est pratiquée sur le joint dérangé.

 

Pour rendre clairs les résultats de cet examen, nous figurons les 6 mouvements du rachis par une étoile à six branches. Les résultats du testing sont notés en mettant 1, 2 ou 3 barres sur la branche correspondante, selon le degré de la limitation ou de la douleur. Dans l'exemple choisi, nous avons : très forte limitation en rotation droite : 3 barres, forte limitation en latéroflexion droite : 2 barres, légère limitation à l'extension : 1 barre.

Les manoeuvres à faire seront en rotation gauche, latéroflexion gauche et flexion.

Si dans un cas, tous les mouvements sont limités ou douloureux, il n'y a pas d'application possible de la Règle de la non-douleur et du mouvement contraire et on ne doit pas manipuler.

 

3) Exemples pratiques

 

Pour illustrer cette méthode et montrer un aspect de son application, nous allons choisir deux cas de sciatique droite, se présentant avec deux scolioses antalgiques différentes.

 

Dans le cas A, le patient a une scoliose antalgique convexe du côté de la sciatique. Il se penche librement vers la gauche, mais ne peut se pencher vers la droite. En outre, la rotation droite est bloquée, et le segment lombaire peut fléchir mais ne peut pas faire d'extension.

 

Dans le cas B, c ’est l'inverse. Le patient a une scoliose antalgique concave du côté de la sciatique. Il se penche librement vers la droite mais ne peut se pencher vers la gauche. La rotation gauche est bloquée, le segment lombaire peur s'étendre mais pas fléchir.

 

Le schéma en étoile de ces deux cas nous montre que les manipulations vont être tout à fait différentes d'orientation et même complètement opposées. Ici dans cet exemple pour le cas A, on fera :rotation vers la gauche, latéroflexion vers la gauche et flexion avec des manoeuvres unidirectionnelles ou combinées.

Pour le cas B, au contraire, rotation vers la droite, latéroflexion vers la droite et extension.

 

D'autres éventualités peuvent se présenter et ainsi cet examen et l'application de cette règle permettront d’adapter la manipulation spécifique. Ainsi, cette règle de la non douleur permet de dire si :

  • La manipulation est techniquement possible,
  • Si oui, elle permet de déterminer avec précision les manipulations à faire ;
  • Enfin, elle permet une progression du traitement, car si une manipulation rend libre une orientation préalablement douloureuse ou bloquée, cette dernière sera introduite dans de nouvelles manipulations.

 

Ce rapport ne montre qu'un des aspects des recherches que nous poursuivons dans l'étude des manipulations qui doit être une thérapeutique précise dans ses indications et ses applications. Ainsi pratiquées, les manipulations sont irremplaçables dans le traitement de certaines conditions douloureuses de la colonne vertébrale.

Mais que ces résultats brillants ne nous fassent pas oublier la fréquente nécessité d'une gymnastique vertébrale destinée à renforcer et surtout à re-coordonner des muscles défaillants.


7, rue Catulle Mendès, Paris 17°



image
 
image
image
image