Muscle splenius du cou et
dorsalgies communes
Etude anatomique et clinique
Jean-Yves Maigne |
La dorsalgie
commune est une affection fréquemment rencontrée en pathologie vertébrale.
Une forme particulière, l’algie interscapulaire, a été décrite par R. Maigne.
Elle se caractérise par l’association de signes thoraciques et cervicaux. La
douleur est ressentie comme un “point” entre les deux omoplates. La pression
sur ce point immédiatement latéro-vertébral situé au niveau de T5 reproduit
précisément la douleur spontanée du patient. C’est le “point inter-scapulaire”
(PIS), fixe et constant d’un patient à l’autre. Les signes cervicaux sont
représentés par une souffrance segmentaire homolatérale au PIS, à l’étage
C5-C6 ou C6-C7, d’origine discale ou articulaire postérieure. Cette
souffrance segmentaire n’est le plus souvent pas ressentie directement par
le patient (dorsalgie pure) mais elle peut l’être (cervico-dorsalgie). C’est
à ce niveau que doit se porter le traitement.
L’expérience
clinique confirme la fréquence de ce type de dorsalgie mais ne permet pas de
savoir à quoi correspond le PIS ni quelle est la nature du lien qui l’unit
au rachis cervical. Maigne, s’appuyant sur une description de Hovelacque,
pensait que le PIS correspondait à l’émergence superficielle de la branche
médiale du rameau dorsal issu de la racine T2. Il considérait ce dermatome
comme le lieu de projection des souffrances cervicales basses, du fait de
l’absence de territoire cutané correspondant aux rameaux dorsaux de C5 à T1.
Le but de notre
étude a été de préciser à quel élément anatomique pouvait correspondre ce
PIS et si d’autres hypothèses pouvaient être faites pour expliquer son lien
avec le rachis cervical.
Trente patients
souffrant d’une dorsalgie commune haute ont été examinés. Vingt cinq d’entre
eux répondaient aux critères de Maigne pour le diagnostic d’algie inter-scapulaire:
présence d’un PIS, d’une souffrance cervicale basse homolatérale, absence de
lésion radiologique sur les vertèbres thoraciques hautes. Ils furent
examinés pour repérer précisément la situation du PIS. Etait considéré comme
PIS le point ou la douleur provoquée était la plus forte et ressemblait le
plus à la douleur spontanée du patient. La technique de palpation permettant
le mieux cette mise en évidence était notée à chaque fois. Une marque
métallique était apposée sur la peau et une radiographie de face était prise.
Ces
renseignements obtenus, 16 dissections furent pratiquées sur des sujets
frais pour préciser les rapports anatomiques du PIS ainsi localisé. Un soin
particulier fut apporté à l’isolement des structures musculaires et
nerveuses régionales.
Mise en
évidence du point inter-scapulaire
Dans tous les
cas, ce point jouxtait la ligne des épineuses. Pour le mettre en évidence,
une pression dirigée obliquement en dedans vers le sommet et la face
latérale de l’épineuse concernée était plus efficace et réveillait une
douleur plus forte que la même pression effectuée dans une direction
strictement postéro-antérieure. L’extension en hauteur de ce point était
soit réduite à la hauteur d’une épineuse, soit s’étendait sur 5 à 10 mm au
dessus ou en dessous (fig.1).
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Fig.1 :
Palpation du point interscapulaire : la pression, oblique,
est dirigée vers la face latérale des épineuses thoraciques. Le
point est en regard de l'épineuse T4. |
Résultat
des radiographies
Dans 18 cas, le
repère métallique se projetait sur le corps de T5, correspondant donc à la
partie distale de l’épineuse de T4 ou aux ligaments inter-épineux sus- ou
sous jacents en raison de l’obliquité des épineuses thoraciques hautes. Dans
3 cas, il s’agissait de l’épineuse de T5 (projection sur le corps de T6) et
dans 4 cas de celle de T3 (Fig.2).
Fig.2
: le repère métallique se projette en regard de l'épineuse de T4.
Résultat
des dissections
Après section de
l’insertion du muscle trapèze et repérage de l’épineuse de T4, le muscle
splenius du cou (splenius cervicis) apparut s’insérer de façon prédominante
sur la face latérale de cette épineuse sous la forme d’une mince lame
tendineuse (fig.3). Vers le haut, cette insertion débordait sur le ligament
inter-épineux T3-T4 et sur l’épineuse de T3. Vers le bas, elle se faisait
aussi sur le ligament inter-épineux T4-T5 et sur l’épineuse de T5. Dans 7
cas, cette disposition était décalée d’un étage vers le haut ou vers le bas.
D’autre part,
les branches médianes des rameaux dorsaux thoraciques devenaient
superficiels au contact du sommet des épineuses correspondantes et se
dirigeaient latéralement pour innerver la peau. Au niveau de l’épineuse de
T4, le rameau dorsal de T4 passait sous le tendon du splenius dans 11 cas
(fig.4) et le perforait dans cinq cas (fig.5). Sous le splenius s’insérait
le muscle rhomboïde et sous ce dernier le muscle spinalis thoracis. Il
s’agissait cependant d’insertions se renouvelant à chaque étage, donc
étalées en hauteur, contrairement à celle du splenius du cou, centrée sur
l’épineuse de T4.
Fig. 3 : insertion des splenius cervicis (SC) droit et
gauche sur les faces latérales de l’épineuse de T4 et les ligaments inter-épineux
adjacents.
Figures 4 et 5 : détail de l’insertion du splenius cervicis et de
ses rapports avec les branches postérieures thoraciques de T3 et T4.
D’après le
repérage radiographique, le point interscapulaire correspondait dans 18 cas
à l’épineuse de T4 et, plus précisément, à sa face latérale, plus rarement à
celle de T3 ou de T5.
Nos dissections
ont confirmé la présence à ce niveau, d’une insertion musculaire très
localisée, ne s’étendant pratiquement pas ni vers le haut ni vers le bas,
celle du muscle splenius du cou. D’autres muscles s’insèrent sur l’épineuse
de T4. Mais il s’agit de véritables nappes musculaires, très étendues en
hauteur (trapèze, rhomboïde, semispinalis), dont on a du mal à imaginer
qu’elles pourraient n’être douloureuses qu’en un seul point. L’insertion
distale du muscle splenius du cou correspond donc très probablement au point
inter scapulaire.
A ce même niveau
devient superficielle la branche médiale du rameau dorsal de T4 (de T3 ou de
T5 dans les autres cas). Le PIS ne peut donc être lié à l’émergence de la
branche médiale du rameau dorsal de T2, le schéma d’Hovelacque ne
correspondant pas à ce que nous avons observé. Certes, il a été mentionné la
possibilité d’un syndrome canalaire lorsque ces nerfs devenaient
superficiels, mais ceci ne devrait se rencontrer que chez des sujets âgés,
alors que l’algie interscapulaire touche plutôt des sujets jeunes.
La situation du
muscle splenius du cou rend compte du rôle qu’il pourrait jouer dans les
dorsalgies commune. L’anatomie comparée nous apprend que son développement
est lié à l’apparition de la lordose cervicale, donc à la verticalisation :
il s’insère plus bas chez l’Homme que chez l’animal. Quoique mince et peu
puissant, il participe au maintient de la lordose cervicale. Son insertion
sur les trois premières transverses cervicales ne lui donne qu’un très
faible bras de levier dans les mouvements d’extension. Cette situation
l’expose à la fatigue en cas de maintient prolongé de la tête et du cou en
flexion (travaux de bureau, couture), positions connues pour favoriser les
douleurs dorsales hautes. Son insertion basse pourrait alors devenir
douloureuse. D’autre part, ce muscle est innervé par les rameaux dorsaux des
racines cervicales inférieures. Une souffrance des segments mobiles
correspondants pourrait être à l’origine d’une douleur de son insertion
basse.
En conclusion,
l’algie inter-scapulaire, forme la plus fréquente des dorsalgies de l’adulte,
nous semble être en rapport avec une douleur de l’insertion basse du muscle
splenius du cou.
Références