image
image
image
image

 

Annales Médecine Physique 1972;15:275-92

Sémiologie clinique des
dérangement intervertébraux mineurs

R Maigne


 

 

Lorsque la manipulation soulage une algie vertébrale consécutive à un effort, à un faux mouvement, à un trouble statique ou postural, il est évident qu'elle remédie durablement ou temporairement à un désordre réversible provoqué par l'une de ces causes.

La pratique des thérapeutiques manuelles nous a permis de nous rendre compte, au fil des années, que dans des cas de cervicalgies, dorsalgies, lombalgies communes, aiguës ou chroniques, et tout particulièrement dans celles qui étaient électivement aidées par la manipulation, un seul étage vertébral est responsable du syndrome douloureux ; et cela même si les lésions radiologiques d'arthrose ou de détérioration discale sont plus étendues. Il est donc important de pouvoir mettre en évidence cet étage responsable, d'autant qu'il arrive que ce soit le moins atteint radiologiquement. Or l'examen clinique classique ne le permet généralement pas. C'est seulement dans les cas où existe une algie radiculaire que l'on peut sur la topographie de la douleur des troubles moteurs ou réflexes éventuels, déterminer l'étage vertébral atteint. C'est pourquoi dans certains cas difficiles de lombalgies rebelles par exemple, il faudra avoir recours à des examens avec substance de contraste ou à la discographie, mais seulement lorsque l'intervention est envisagée. Or, dans la majorité des cas habituels, il est possible par un examen attentif de petits signes toujours présents de déterminer s'il y a une souffrance parti­culière d'un segment vertébral. C'est ce que nous nous proposons de montrer ici.

 

Cette question est capitale en matière de thérapeutique manuelle, car la manipulation n'est justifiée que s'il existe un dérangement mécanique. C'est ainsi que certaines céphalées, certaines épicondylalgies sont soulagées par la manipulation cervicale appropriée ou aggravées par la mani­pulation inverse. Mais ce n'est pas sur une simple impression clinique que l'on doit « tenter » la manipulation, ni sur les seules impressions du patient que l'on doit juger de ses effets. Il faut mettre en évidence ce déran­gement segmentaire et en préciser les caractères. Ce problème est donc capital pour l'emploi et la justification des manipulations, mais il n'est pas moins important pour la compréhension des algies vertébrales com­munes.

 

 

I) Que peut être ce dérangement intervertébral mineur ?

 

 

Ce dérangement ne peut siéger que dans les éléments mobiles du rachis, c'est à dire en dernière analyse en ce que Junghanns a appelé le « Segment mobile » et qui comprend ce qui joint deux vertèbres adjacentes, c'est à dire le disque, les articulations interapophysaires, les ligaments et les muscles.


 

Fig. 1 et 2 : Le Segment mobile de Junghanns

 


 

En fait, une telle lésion mécanique ne peut siéger que dans le disque, ou les articulations interapophysaires. Mais il faut concevoir aussi l'existence d'un « dérangement fonctionnel », dans ce système vertébral placé sous le signe du fonctionnement automatique.

Nous allons voir d'abord quelles sont les lésions mécaniques (et réversibles) possibles des articulations intervertébrales et des disques.

 

1) Lésions possibles des articulations interapophysaires

 

Nous ne voulons pas revenir sur les importants rapports que l'on trouvera dans ce même volume sur ce sujet. Mais rappelons que pour la plupart des auteurs, il ne peut y avoir de blocage mécanique intra-articulaire par lésion du petit ménisque intra-articulaire beaucoup trop mince pour cela. Peut-être dans certains cas peut-il y avoir pincement et souffrance d'une frange synoviale (Junghanns) comme cela peut se voir dans certaines entorses tibiotarsiennes, où Florent nous a dit avoir à l'intervention trouvé des franges synoviales infarcies et très oedématiées Cela pourrait rendre compte de certaines douleurs aiguës mais pas des douleurs chroniques qui sont les plus fréquentes.

 

2) Lésions discales possibles

 

Il peut s'agir :

  • soit de blocages intra-discaux où l’anulus n'est pas complètement déchiré,
  • soit de hernie discale où l’anulus est complètement déchiré et où le nucléus fait saillie hors du disque,
  • soit enfin d'insuffisance discale.

 

a) Hernie discale

La hernie discale donne dans la majorité des cas un syndrome radiculaire. Le tableau clinique (sciatique, NCB, etc.) est bien classique : il comporte des troubles sensitifs, éventuellement des troubles moteurs plus ou moins importants et des troubles réflexes. Mais il s'ajoute à ces signes d'hypo ou hyperesthésie, d'hypotonie ou de diminution de la force musculaire, des symptômes plus discrets qui ne sont pas décrits dans les traités classiques mais qui revêtent un particulier intérêt dans l'étude et le traitement des algies vertébrales communes.

Nous avons, il y a quelques années, attiré l'attention sur ce syndrome neurotrophique d'accompagnement des douleurs radiculaires, que nous appellerons « syndrome tendino-cellulomyalgique ». Il comporte :

 

  • des plaques de cellulalgie vivement sensibles au palpé-roulé dans certaines parties du dermatome de la racine concernée ;
  • des faisceaux musculaires indurés et très sensibles (comme des contractures localisées) dans le corps de certains muscles tributaires de la racine atteinte ;
  • des douleurs téno-périostées qui ne sont souvent révélées que par la palpation et qui se trouvent dans le territoire innervé par la racine concernée (épicondylalgie pour C6, douleur du grand trochanter pour L5, etc.)

 

Ces zones de sensibilité (cutanées, musculaires ou ténopériostées) ne sont retrouvées que par l'examen systématique. Elles peuvent être responsable de la persistance de la douleur radiculaire initiale ou si celle ci a manqué, de douleurs, sources d'erreur de diagnostic. Nous y reviendrons.

 

b) Blocages intra-discaux

C'est le blocage d'un fragment de noyau dans une fissure incomplète de l’anulus. On connaît surtout les blocages postérieurs qui, à la région lombaire sont classiquement tenus pour responsables du lumbago aigu ou de certaines lombalgies chroniques (de Séze).

Il faut noter que l'existence d'une hernie discale ou d'un blocage intra-discal, qu'il soit postérieur ou latéral ou antérieur, retentit sur le fonctionnement de l'ensemble du segment mobile. Par mauvaise répartition des contraintes, certains éléments vont donc subir des tractions ou des pressions qu'ils ne peuvent supporter (ligament, articulation, muscle) et de ce fait vont souffrir. La symptomatologie de cette souffrance va s'ajouter à celle propre au disque, si celui ci provoque par sa pression des troubles, ou être isolée si le disque ne comprime directement aucun élément sensible (fig. 3).



Fig. 3 :
Blocage discal postérieur ; ses conséquences sur les articulations interapophysaires et le ligament interépineux.


Fig. 4 
: Un blocage discal postérolatéral entraîne un dysfonctionnement des articulations postérieures.


 

Cette souffrance peut se traduire par des douleurs locales ou irradiées, selon une topographie pseudoradiculaire, comme l'ont montré les expériences de Kellgren. Rappelons que celles-ci consistent, après anesthésie de la peau, à injecter dans le ligament interépineux ou dans un muscle paravertébral, une solution saline hypertonique à 5 %.

Mais c'est surtout sur une des deux articulations interapophysaires que le « stress » mécanique se fait le plus sentir. Il n'est pas de « Dérangement intervertébral mineur » sans souffrance articulaire d'un côté. Cela est facile à constater au niveau du rachis cervical où ces articulations sont très facilement palpables.

L'intimité de leur rapport avec la branche postérieure du nerf rachidien (Lazorthes) fait que la souffrance de ces articulations interapophysaires (oedème, réactions périarticulaires, etc.) retentit toujours sur le nerf.

En fin de compte, pour provoquer des douleurs, il n'est pas nécessaire que la hernie discale ou le blocage intradiscal soient directement symptomatiques. Ils peuvent être symptomatiques par eux-mêmes, mais le devenir par l'intermédiaire du ligament interépineux ou de l'articulation interapophysaire que leur présence fait souffrir.

Il nous paraît vraisemblable qu'un grand nombre de dérangements intervertébraux mineurs sont dus à ce mécanisme, et que l'un des modes d'action de la manipulation est de modifier légèrement la position du fragment discal bloqué, donnant au segment mobile un équilibre dynamique meilleur, moins traumatisant pour les autres éléments, notamment le système articulaire postérieur.

 

3) Le dérangement fonctionnel

 

Il faut souligner que dans le système vertébral qui fonctionne sous le signe de l'automatisme, tout dérangement mécanique est pratiquement la cause d'un Dérangement fonctionnel créé par les sollicitations anormales qu'il provoque sur des éléments riches en innervation proprioceptive. Cela modifie le stéréotype neuromusculaire normal. Le spasme musculaire est l'élément le plus objectif, en tout cas le plus palpable de ce déran­gement fonctionnel qui peut persister alors que le dérangement mécanique est devenu minime, et peut être même a disparu.

L'action inhibitrice de la manipulation sur ce spasme constitue sans doute un des points les plus importants de son mode d'action.

 

 

II) Signes du dérangement intervertébral mineur

 

 

L'examen attentif va permettre de retrouver toute une série de petits signes qui vont traduire la souffrance d'un étage vertébral. Ils sont la conséquence du disfonctionnement local, de l'irritation de la branche postérieure du nerf rachidien et de celle des éléments du trou de conjugaison.

Ce sont donc :

  • des signes locaux,
  • des signes régionaux,
  • des signes à distance.

 

Aucun d'entre eux n'est pathognomonique d'un dérangement de nature mécanique ; ils sont simplement le témoignage de la souffrance ou de la perturbation du segment vertébral correspondant.

C'est sur l'ensemble des données de l'examen clinique, radiologique et des examens complémentaires que l'on pourra poser l'étiquette du dérangement bénin. Mais celui ci ne sera une indication à la manipulation que s'il répond à un certain nombre de critères que nous avons définis par ailleurs et notamment si la Règle de la non douleur et du mouvement contraire peut être appliquée.

 

1) Signes locaux

 

Certains seront fournis par la palpation qui cherche à apprécier certaines modifications tissulaires locales. Les autres par des manoeuvres de pression sur les épineuses qui vont solliciter le Segment Mobile dans différentes directions.

 

a) La palpation paravertébrale

Elle permet de mettre en évidence ce que nous appelons le point paravertébral. En effet, la palpation superficielle, à peine effleurée, faite avec la pulpe des doigts qui parcourt de haut en bas les gouttières paravertébrales, va permettre à l'opérateur entraîné de retrouver sur une toute petite surface de moins d'un centimètre carré des signes pour lui familiers. Cette zone se situe à un travers de doigt de la ligne médiane et n'existe généralement que d'un seul côté. Le doigt qui palpe a une impression d'oedème superficiel très localisé et d'une tension profonde des tissus. Ce signe est particulièrement net dans les dérangements thoraciques et cervicaux.

Cette zone correspond sensiblement à la projection de l'articulation interapophysaire sous-jacente, dont elle traduit sans doute la souffrance. Si l'opérateur augmente sensiblement sa pression sur ce point il va provo­quer une vive douleur, ce qu'il ne pourra pas faire sur les zones voisines ou symétriques ; mieux cette pression rappelle souvent au patient sa douleur habituelle.

Il est tout à fait surprenant pour le patient et encore plus pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec les thérapeutiques manuelles de voir l'opérateur repérer ainsi très vite et avec une grande exactitude l'étage douloureux, sans même interroger le patient. Et cela en promenant simplement la pulpe de l'index et du médius le long de la ligne paraépineuse. La rapidité, la certitude et la précision millimétrique de la localisation de l'étage perturbé grâce à ce « Point para vertébral » ont fait beaucoup pour encourager les Ostéopathes d'abord et d'autres ensuite à demander à cet examen purement palpatoire plus qu'il ne peut raisonnablement donner.

Mais aussi étonnant et amusant que soit ce signe, il ne permet qu'un repérage et pas un diagnostic.

Il n'en reste pas moins que cette détection du « Point postérieur » est extrêmement commode, d'une part, pour la localisation de l'étage, mais aussi pour juger sur sa disparition ou son atténuation de l'efficacité d'une manoeuvre thérapeutique.

 

b) manoeuvres de pression

On va maintenant solliciter le Segment mobile en faisant des pressions sur les épineuses de manière à créer un mouvement local exagéré. On fera des manoeuvres de pression vertébrale beaucoup plus intéressantes. Ce sont :

  • la pression sur l'épineuse
  • la pression contrariée latérale des épineuses
  • la pression du ligament interépineux
  • la pression sur l'articulation interapophysaire.
  • et la manoeuvre du « Point sonnette antérieur » pour le rachis cervical inférieur.

 

La pression sur l'épineuse est la manoeuvre la plus utilisée dans l'examen classique du rachis. Elle a un intérêt si la pression lente, médiate de préférence, exercée sur elle, réveille une douleur profonde, plus encore si elle augmente la douleur spontanée (fig. 5).

Mais il faut se méfier d'une cause d'erreur fréquente : la sensibilité superficielle de l'épineuse due à une apophysite ou à une douleur d'insertion du ligament surépineux qu'on peut reproduire par un frottement léger de l'épineuse.

 

La pression contrariée latérale des épineuses (Maigne). Le but de cette manoeuvre que nous proposons est de faire faire à un Segment Mobile donne un mouvement électif de rotation forcée à droite, puis à gauche (fig. 6).



Fig. 5 :
Pression sur l'épineuse.


Fig. 6 
: Pression latérale sur l'épineuse (a). Pression latérale contrariée sur les épineuses (c). La manipulation à faire dans un tel cas consiste à forcer la rotation de B dans le sens non douloureux, avec éventuellement un contre-appui sur la transverse gauche de C. (d) : sens de la manipulation.

Fig. 7 : Pression sur le ligament surépineux.

Fig. 8 : Le point articulaire postérieur et interépineux.


 

On commence par faire une pression latérale sur les épineuses de la région examinée. D'abord de droite à gauche, puis de gauche à droite (fig. 6 a). Si l'une de ces manoeuvres sur une vertèbre est sensible dans un sens et plus encore si elle exagère on reproduit la douleur du patient, on effectue la manoeuvre suivante qui va permettre de savoir si l'étage responsable est l'étage sus-jacent ou sous-jacent à la vertèbre sensible : tout en maintenant la pression qui provoque la douleur, on va simulta­nément faire contre-pression en sens opposé sur l'épineuse A sus-jacente (fig. 6 b), puis sur l'épineuse c sous-jacente. L'une de ces deux manoeuvres (sur c) augmentera la douleur primitivement provoquée ; l'autre non. Cela nous précisera exactement l'étage qui souffre (étage B C). Dans le système thérapeutique que nous préconisons, cela va aussi nous donner le sens précis de la manipulation à faire (dans le sens de la non-douleur) (fig. 6 d). La manoeuvre de sens opposée (B C) étant indolore.

 

La pression du ligament inter-épineux. Il est habituel de noter que le ligament interépineux d'un Segment Mobile siège d'un Dérangement intervertébral mineur est nettement plus sensible à la pression que les autres. Cette sensibilité, on la recherche avec un anneau de clé, peut disparaître après manipulation (fig. 7). Mais elle peut parfois persister, alors que les autres signes ont disparu. Et dans certains cas, cette souffrance ligamentaire résiduelle entretiendra une douleur rebelle qui disparaîtra après l'infiltration anesthésique du ligament. Cela constitue un test utile et parfois le traitement. Dans les cas rebelles, la sclérose selon le procédé mis au point par Barbon et Troisier sera la thérapeutique de choix, mais pour nous seulement après que la manipulation aura remédiée au déran­gement responsable.

Signalons qu'isolée, la sensibilité d'un ligament interépineux traduit souvent une « instabilité vertébrale » que d'autres appellent « hypermobilité ». La sclérose peut être là aussi un bon traitement, mais il ne faut pas manipuler. Dans ce cas si l'on trouve des signes de Dérangement Intervertébral Mineur, ils ne sont pas fixes à différents examens : le Point Postérieur change de côté avec le traitement; il peut être bilatéral, ce qui est exceptionnel dans les D.I.M. qui répondent bien au traitement manipulatif; les muscles sont vite irritables, etc...

 

Dernière manoeuvre de pression que nous avons déjà évoquée tout à l'heure c'est la pression sur l'articulation interapophysaire. Il n'est pratiquement pas de dérangement intervertébral mineur sans un retentissement direct ou indirect sur une articulation interapophysaire. La richesse de son innervation, son intimité avec la branche postérieure du nerf rachidien en fait une des sources principales des troubles qui découlent d'un dérangement intervertébral mineur. Les articulations interapophysaires sont très facilement palpables (palpation en douceur, sans appuyer) au niveau du rachis cervical, le patient étant en décubitus dorsal ; il est intéressant de noter que même dans les cas de cervicalgies ou il y a une arthrose portant sur plusieurs étages, il n'y a généralement, sauf lors des poussées inflammatoires, qu'une seule articulation sensible. Cette sensibilité diminue ou disparaît instantanément après la manipulation réussie.

 

La manoeuvre du point sonnette antérieur (Maigne). Elle est particulière au rachis cervical. On place horizontalement le pouce qui va appuyer très légèrement sur la partie antérolatérale du cou, étage par étage, d'abord en avant où il comprimera légèrement les racines, puis latéralement où il comprimera les régions latérovertébrales. L'opérateur va ainsi noter la particulière sensibilité d'un étage par rapport aux autres. C'est en règle, le même que celui où l'on aura découvert le Point arti­culaire postérieur » (fig. 9).


Fig. 9 : Le Point sonnette antérieur.


Cette manoeuvre peut réveiller ou augmenter une douleur projetée du bras, montrant son origine cervicale. Dans la plupart des cas de dorsalgies interscapulaires, elle permettra de reproduire la douleur dorsale habituelle, montrant également leur origine cervicale. Elle n'est évidemment pas spécifique des dérangements mécaniques pas plus que les autres signes que nous avons évoqués.

 

2) Signes régionaux

 

Il en est sur lesquels nous n'insisterons pas : limitation de la mobilité régionale dans certaines directions et douleurs provoquées si on force ce mouvement. La contracture musculaire paravertébrale est habituelle et surtout marquée dans les cas aigus.

Mais c'est sur des signes plus discrets que nous voulons insister ici, car ils sont fréquents dans les micro dérangements mécaniques qui nous intéressent, surtout lorsqu'ils sont chroniques. Ils sont dus à la souffrance de la branche postérieure du nerf rachidien ce sont des signes du syndrome douloureux cellulo-myalgique :

  • indurations partielles de faisceaux musculaires paravertébraux. ;
  • et surtout c'est la manoeuvre du « palpé-roulé » systématiquement appliquée sur les régions du dos qui va mettre en évidence ce qui est le témoignage le plus caractéristique de cette irritation chronique : l'existence d'une bande transversale d'infiltration cellulalgique. Les plans cutanés sont épaissis et sensibles avec parfois

des petits noyaux très douloureux à la pression. Cette zone est plus ou moins étendue. Elle a un grand intérêt séméiologique si elle est isolée, unilatérale suspendue et encore plus si sa palpation rappelle au patient sa douleur.

Il faut savoir qu'au niveau de la région thoracique, l'innervation cutanée se fait à 3 ou 4 étages au dessous de l'émergence du nerf hors du rachis. C'est donc beaucoup plus bas que le niveau de l'étage qui présente un dérangement mineur qu'il faut rechercher la bande cellulalgique. (fig.10).



Fig. 10 : 
La zone cellulalgique, témoignage de l'irritation de la branche
postérieure du nerf rachidien (ici D7). Noter le décalage entre le niveau d'origine et le territoire cutané.


Au niveau lombaire, les branches postérieures innervent les plans cutanés fessiers et sacrés et aussi les muscles et les ligaments de la région sacrée. Dans un cas de lombalgie, par exemple, si la palpation révèle une cellulalgie unilatérale au niveau de la crête iliaque, il faut avoir l'attention attirée vers L1 ou L2. Ce sont les branches postérieures des nerfs rachidiens lombaires qui innervent les plans cutanés, les muscles et les ligaments de la région sacro-iliaque. Leur irritation est la cause la plus fréquente des douleurs attribuées à tort à l'articulation sacroiliaque.

 

3) Signes à distance

 

Ce sont essentiellement :

- des DOULEURS RADICULAIRES : les signes d'irritation ou de compression de la branche antérieure du nerf rachidien, dont la sciatique et la névralgie cervicobrachiale sont les exemples les plus courants ;

- les DOULEURS PROJETÉES à topographie souvent pseudo-articulaire d'origine ligamentaire, articulaire ou musculaire qu'ont bien mises en évidence les expériences de Kellgren. Nous en connaissons les projections habituelles. Kellgren, puis Hackett en ont dressé les cartes topographiques. Il faut y penser lors de l'examen clinique ; elles suivent d'ailleurs à peu près le trajet des racines du même étage. Mais nous ne nous y attarderons pas ici car elles ne font pas partie de ce qu'on peut appeler la séméiologie objective.

 

Revenons sur les douleurs radiculaires, ou plus exactement sur les signes d'irritation et de compression de la racine. On sait que ce syndrome comprend classiquement :

  • des signes sensitifs situés dans le dermatome correspondant sous forme d'hyper, hypoesthésie ou même d'anesthésie ;
  • des signes moteurs situés dans le myotome correspondant et qui se traduisent par une diminution ou une perte de la force musculaire que révèlera un testing musculaire bien fait ;
  • des signes réflexes : abolition ou diminution d'un réflexe tendineux
  • et parfois, des troubles sympathiques.

 

C'est sur la topographie des signes sensitifs, moteurs, et réflexes qu'on détermine l'étage atteint dans l'examen neurologique classique.

 

Nous insisterons encore sur le syndrome cellulo-tendino-myalgique si fréquent dans les algies radiculaires et qui a un intérêt de premier plan pour le thérapeute manuel, aussi bien pour son diagnostic que pour son action thérapeutique. On les trouve au niveau des plans cutanés, des muscles et des insertions ténopériostées dont l'innervation dépend de la racine atteinte (fig. 11 et 12).


 

Fig. 11 : Le syndrome cellulo-tendino-myalgique d'accompagnement des algies radiculaires. Ici celui que l'on peut rencontrer dans un syndrome C6. En hachures fines zones de cellulalgie, en grosses hachures faisceaux musculaires indurés et sensibles (sous-épineux), en cercles : douleurs ténopériostées : épicondyle, styloïde radiale (épicondylite d'origine cervicale ou styloïdite).

Fig. 12 : Syndrome cellulo-myalgique S1. Cellulalgie (en hachures fines). Faisceaux musculaires indurés et sensibles : grand fessier, partie inférieure du biceps crural et jumeau externe).

 


 

a) Dans le dermatome correspondant, la manoeuvre du pincé-roulé pourra mettre en évidence certaines zones plus ou moins étendues allant de la taille d'une pièce de monnaie à celle d'une paume de main qui sont le siège d'une (« cellulalgie » où le pli est épaissi. Elles sont très sensibles à la manoeuvre du pincé-roulé (à comparer avec les zones voisines et symétriques). Nous venons de les évoquer à propos de la branche postérieure du nerf rachidien. On peut les trouver simultanément ou indépendamment sur une partie du dermatome de la racine antérieure. Elles peuvent entre­tenir des douleurs rebelles (certains cas de sciatiques prolongées) et être source d'erreur de diagnostic (paroi abdominale).

 

b) Dans le myotome correspondant, plus exactement dans des parties de certains muscles de ce myotome, la palpation pourra révéler l'existence de faisceaux durs, très sensibles à la pression, de taille variable, de celle d'une aiguille à celle d'un cigare, en passant par celle d'une olive. Là aussi, ces zones myalgiques dures sont assez étonnantes dans une atteinte radiculaire où l'on trouve généralement le muscle mou, hypotonique ou présentant une diminution de force. Leur pression rappelle assez la douleur de la crampe avec laquelle elles ne sont sans doute pas sans analogie sur un plan pathogénique.

Elles peuvent aussi entretenir des douleurs rebelles (cruralgies, sciatiques). Elles siègent presque toujours dans le même muscle pour une même racine et dans la même partie de ce muscle (partie externe du jumeau externe, droit antérieur, partie inférieure du court biceps, etc.)

Leur traitement est d'abord la correction du dérangement responsable, ensuite l'étirement de muscle (comme pour une crampe) et l'infiltration anesthésique au point le plus douloureux du muscle.

 

c) Dans le sclérotome correspondant, on pourra trouver une vive sensibilité de certains points d'insertion tendineux ; ce peut être une pseudo­tendinite du sus-épineux (pour la racine C5) ou du biceps (pour la racine C6), ou certaines épicondylites (pour C6 ou C7), ou certaines douleurs trochan­tériennes dans les sciatiques L5. Dans certaines sciatiques, existent des douleurs du biceps et même une véritable périarthrite tibio péronière.

Ces zones douloureuses et surtout celles des plans cutanés et des muscles sont, assez curieusement, souvent ignorées du patient bien qu'elles soient responsables de douleurs rebelles qui perpétuent la crise de radiculalgie alors que la cause qui lui a donné naissance s'est éteinte.

Mais on peut les rencontrer dans des cas où la douleur radiculaire n'a jamais été ressentie. C'est que la souffrance radiculaire a été minime, au dessous d'un certain seuil, mais les troubles neurotrophiques sont présents. Dans ces cas, la correction du Dérangement Intervertébral supprimera d'une manière parfois spectaculaire ces phénomènes et les douleurs qui leur sont liées, par exemple, soulagement instantané d'une epicondylite d'origine cervicale. Il faudra parfois associer au traitement vertébral un traitement local (postures étirées du muscle, massages des plans cutanés, infiltrations du point algique).

 

Lorsque nous trouvons les signes locaux ou régionaux d'un dérangement intervertébral mineur, il faut donc examiner systématiquement les territoires cutanés, musculaires et téno-périostés qui dépendent de cet étage dans le territoire de la branche antérieure. A l'inverse, lorsqu'un malade se plaint d'une douleur qui semble entretenue par une cellulalgie localisée, une douleur musculaire ou téno­périostée, il faut examiner l'étage vertébral correspondant et y rechercher les signes locaux et régionaux d'un DIM.

 

Tels sont les petits signes qui vont traduire la souffrance d'un étage vertébral. Ils nous permettront d'affirmer sa responsabilité alors que les radiographies ou l'examen classiquement conduit s'avéreraient négatifs. Mais il ne fait qu'attirer l'attention sur cet étage précis qui devra être expertisé radiologiquement. Ces données devront être reportées dans le cadre de l'examen général. C'est seulement sur cet ensemble qu'on sera en droit de porter le diagnostic de « Dérangement Intervertébral Mineur » dans le traitement duquel la manipulation pourra être envisagée si les critères d' application en montrent la possibilité. C'est sur leur diminution et leur disparition parfois instantanée après une manipulation que l'on jugera du résultat favorable, complet ou incomplet, des manoeuvres.

 

 

 

III) Que penser de la notion de restriction de mobilité ?

 

 

A aucun moment nous n'avons envisagé dans le diagnostic du dérangement intervertébral mineur la « restriction de mobilité » qui est, on le sait, pour les Ostéopathes, pour Mennel et pour Lewitt, la justification essentielle du traitement manipulatif.

Rappelons qu'il s'agit d'apprécier par la seule palpation une modification du jeu intervertébral portant sur un seul segment ; le segment atteint présentant par rapport aux autres un moindre rapprochement ou écartement des épineuses, ou une sensation de résistance élastique en fin de rotation. On imagine la subtilité d'un tel examen et sa subjectivité !

Il ne nous parait pas sérieux de tenir cette donnée de restriction de mobilité comme la justification essentielle de la manipulation et cet examen pour la base du traitement manuel. Cette conception est une vue de l'esprit : il est bien évident que le jeu intervertébral n'est pas total chez tous les individus à tous les étages du rachis. A 15 ans, peut-être ; à 40 sûrement pas. L'usure articulaire, les troubles statiques mineurs, vont créer des modifications minimes, parfai­tement silencieuses et bien tolérées du mouvement intervertébral sur certains segments. S'il fallait traiter cela, il faudrait manipuler tout le monde, tout le temps!

 

Mais surtout l'examen qui prétend reconnaître et analyser de tels micro­mouvements est une illusion : la palpation ne peut permettre d'apprécier des modifications de jeu interépineux aussi subtiles à travers la peau et les plans sous cutanés et à plus forte raison les modifications du jeu de rotation sur la palpation du mouvement des apophyses transverses profon­dément enfoncées sous les muscles !

On peut sans risque défier quiconque de reconnaître par cet examen l'existence d'un bloc vertébral congénital cervical, dorsal ou lombaire par exemple. C'est pourtant un cas où la « restriction » de mobilité est totale et indiscutable ! De plus, les renseignements que pourrait fournir un tel examen s'il était possible, seraient trompeurs. Imaginons que ces "restrictions de mobilité" puissent être mises en évidence par la palpation ou mieux par les radios dynamiques ou la cinéradiographie.

Selon la théorie défendue par les Ostéopathes ou par Lewitt, il faudrait restaurer par la manipulation cette mobilité perdue en insistant selon le sens restreint (un peu comme on le ferait pour une porte qui ouvre mal). Or, il suffit de prendre une exemple pour comprendre la fausseté d'un tel raisonnement.

Prenons donc le cas d'un lumbago dû à un blocage discal postérieur entre L4 et L5. La mobilité du segment sera à peu près normale en flexion ; mais elle sera très diminuée en extension. C'est un beau cas de « restriction de mobilité » en extension. Il faudrait donc pour « restaurer » la mobilité restreinte, forcer le mouvement en extension, ce qui est évidemment aberrant : c'est exactement l'inverse que l'on fera pour soulager ce patient.

En réalité, ceux qui prétendent être capables de détecter ces « restrictions de mobilité », s'illusionnent sur ce qu'ils perçoivent. Comme nous l'avons exposé, il existe autour du segment dérangé des réactions tissulaires tro­phiques ou réflexes. Ce sont, d'une part, ces modifications et, d'autre part la réaction des muscles aux petits mouvements passifs faits lors de l'examen qui sont perçus par l'opérateur entraîné. Il les interprète à tort comme un moindre mouvement intervertébral. Au plus, la palpation peut per­mettre un repérage des zones où il y a disfonctionnement, sans pour autant révéler la cause de celui-ci, ni sa nature exacte, ni être d'une aide sérieuse dans la détermination du mouvement thérapeutique.

 

 

Conclusion

 

 

En matière de traitements manuels, ne peuvent nous intéresser que les dérangements intervertébraux qui sont suffisants pour être générateurs de troubles ou de douleurs locales, régionales ou radiculaires, mais qui ne sont cependant pas trop importants car ils doivent être réversibles et accessibles à notre thérapeutique.

Le Signe le plus fidèle d'un tel dérangement est la douleur que l'on peut provoquer localement on à distance en sollicitant le segment respon­sable. On cherche ainsi à augmenter légèrement le dérangement (par le mouvement localisé, la pression latérale sur une épineuse, etc.) C'est ce que nous avons ressayé de montrer dans ce rapport.

La positivité de ces manoeuvres met en évidence la souffrance de certaines structures sensibles du segment mobile ; sinon il n'y aurait pas de symptômes provoqués. L'examen qui va solliciter ce segment en forçant son mouvement dans les différentes directions va aussi permettre d'analyser la direction qui augmente le dérangement et de choisir pour le traitement celle qui le diminue, c'est à dire le sens de la non-douleur opposé à celui qui fait mal. Mais cet examen serait incomplet si l'on ne faisait le bilan des signes d'irritation radiculaire du même étage y compris ceux de la branche postérieure.



image
 
image
image
image