Extrait de "La sciatique et le nerf
sciatique" L Simon, Masson ed.
Sciatiques
et manipulations vertébrales
R Maigne
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Les manipulations vertébrales sont un moyen
thérapeutique intéressant pour certaines sciatiques communes, à condition
que l'indication en soit bien choisie et que la technique utilisée soit bien
appropriée et bien exécutée. Mais malgré leur intérêt dans ces cas, elles ne
sauraient être isolées des traitements classiques auxquels généralement il
est bon de les associer.
Les sciatiques discales, d'intensité modérée, et les
sciatiques traînantes paraissent être les meilleures indications, mais il
n'est pas rare que la manipulation apporte un soulagement à une sciatique
très aiguë.
Avant d'envisager un traitement manipulatif, il est
évident qu'il faut d'abord s'assurer de la nature bénigne et mécanique de la
sciatique. Cela fait, il faudra s'assurer aussi de la possibilité
d'appliquer ce traitement, et enfin il conviendra de déterminer les
manoeuvres utiles.
I) Quelques généraltés sur les manipulations
1) Description d'une manipulation
Il est indispensable de donner d'abord quelques
définitions des termes que nous utilisons. Prenons l'exemple d'une
manipulation cervicale : le patient allongé sur le dos, le médecin lui tient
la tête entre deux mains. C'est la mise en position ; le médecin imprime au
cou une rotation vers la droite, jusqu'à ce qu'il ait l'impression d'être
arrivé au bout du mouvement possible. Il insiste légèrement : c'est la mise
en tension. Si à partir de ce point, il revient à son point de départ et
recommence plusieurs fois, nous disons qu'il a fait une série de
mobilisations. en rotation droite. Mais si, ayant mis en tension, il imprime
brusquement d'un petit coup sec et très bref du poignet gauche, un léger
mouvement de rotation supplémentaire, il a alors l'impression qu'une
résistance a cédé et que la colonne a exécuté quelques degrés de mouvement
en plus. Cela s'accompagne d'un bruit de craquement caractéristique. Ce
mouvement forcé, bref, unique, exécuté à partir de la mise en tension est la
manipulation.
La manipulation doit toujours être effectuée à partir
de la mise en tension. Ce doit être un mouvement très limité. Un grand
mouvement lancé est violent non mesurable, dangereux. C'est dire que le
mouvement doit être parfaitement contrôlé par l'opérateur à toutes les
phases de son exécution. Il demande, pour être bien fait, une certaine
expérience. La manipulation doit être indolore. Elle peut être exécutée à
tous les étages du rachis par un opérateur entraîné sur un patient normal,
sans qu'aucun de ces mouvements forcés ne soit douloureux ou désagréables.
Le bruit de craquement qui accompagne la manipulation
n'est que le témoignage de la brusque séparation des surfaces articulaires;
il est de même nature que celui obtenu par une brusque traction exercée sur
les doigts. Ce bruit est dû à un phénomène de cavitation dans le liquide
synovial (Unworth).
2) Dans quelle direction manipuler ?
Le rachis peut, à des degrés divers selon les régions,
se mouvoir dans six directions : flexion, extension, latéro-flexion droite
et gauche, rotation droite et gauche. On sait qu'en réalité rotation et
latéro-flexion sont des mouvements intimement liés. Mais il est commode de
conserver ce schéma. Au niveau du rachis lombaire inférieur, les mouvements
de flexion-extension sont les plus libres. L'inclinaison latérale est très
limitée, et la rotation est théoriquement impossible, étant donné
l'orientation des surfaces articulaires postérieures. En fait on peut
obtenir quelques degrés par un mouvement forcé, surtout si le rachis est en
demi-flexion. Il sera commode. de décomposer chaque manipulations en ses
différentes directions.
On peut donc appliquer sur les segments vertébraux des
mouvements selon six directions : rotations droite et gauche,
latéro-flexions droite et gauche, flexion, extension, sans oublier une
septième direction : la traction, qui est plus ou moins présente, dans la
plupart des manipulations. On peut faire des manipulations
unidirectionnelles ou des manipulations pluridirectionnelles, qui vont
combiner différentes orientations. Exemple : rotation droite + latéroflexion
droite + extension.
Un point essentiel est la direction précise à donner à
la manoeuvre dans un cas donné. La plupart des auteurs anglo-saxons
utilisent des manoeuvres globales stéréotypées. Par exemple, Mennell
conseille pour les sciatiques de manipuler d'abord en extension par pression
directe (le malade étant sur le ventre), puis de faire une rotation des deux
côtés (le malade étant couché sur le côté), enfin de porter la colonne en
hyperflexion (le malade étant allongé sur le dos). Cyriax recommande les
mêmes manœuvres, et dit simplement que « dans la manoeuvre de rotation, il
place de préférence la jambe douloureuse en l'air ». Une telle pratique
systématique ne paraît pas rationnelle ; si elle est valable quelquefois,
elle ne saurait l'être toujours. De plus, la manœuvre directe d'extension,
utilisée en premier lieu est une manoeuvre brusque qui nous paraît à éviter
même dans les cas où selon nos critères elle serait théoriquement valable.
Le fait que les manoeuvres utilisées par ces opérateurs
soient « globales », c'est-à-dire qu'elles mobilisent globalement des
régions vertébrales très étendues atténue aussi bien les effets favorables
que les aggravations que donneraient des manoeuvres à action plus localisée
sur le rachis, ou plus insistantes dans telle ou telle direction.
De l'étude que nous avons faite de ces procédés manuels,
il y a une vingtaine d'années, nous avons tiré une règle qui ne nous paraît
pas avoir d'exception : c'est en forçant le mouvement dans le sens opposé à
celui que provoque la douleur - à condition qu'il soit lui-même indolore et
libre - que l'on obtient le meilleur résultat. Cela permet des manoeuvres
précises, dont l'une ne détruit pas les effets bienfaisants de l'autre, et
qui ont l'avantage énorme de n'être pas douloureuses et de ne jamais
aggraver les patients. Cela permet aussi d'utiliser des manœuvres poussées à
fond sur un segment très limité et dans des directions très définies...
Nous avons appelé cette règle de conduite : « Règle du
mouvement contraire et de la non-douleur». L'application de cette règle
réclame un examen analytique préalable des mouvements du segment vertébral
considéré, c'est le « testing » prémanipulatif. Cet examen prémanipulatif
sera fait sur le patient assis à cheval en bout de table, de dos par rapport
au médecin. Celui-ci teste successivement les rotations droite et gauche,
les latéro-flexions droite et gauche, l'extension et la flexion en amenant
doucement chaque mouvement jusqu'à la limite extrême.
Schéma en étoile. - Pour rendre clairs
des résultats de cet examen, nous figurons les six mouvements du rachis par
une étoile à six branches. Les résultats de l'examen sont notés en mettant
1, 2 ou 3 barres sur la branche correspondante, selon le degré de la
limitation ou de la douleur. Cet examen va donner la réponse aux deux
questions pratiques : peut-on manipuler ? comment manipuler ?
II) Peut on manipuler ?
Plusieurs cas de figure sont possibles.
-
Le « testing » manipulatif montre que les six orientations sont
douloureuses : donc pas de manipulation puisque la règle de la
non-douleur n'est pas applicable. C'est le cas de la plupart des
sciatiques hyperalgiques ou des hernies discales avec réactions
congestives importantes.
-
Il n'y a qu'une orientation libre : pratiquement pas de possibilités
manipulatives. Il s'agit souvent de hernies discales sévères.
-
Il y a deux orientations libres : on fait quelques mobilisations dans
les sens libres et on voit si cela apporte une certaine aide au patient.
Dans ce cas, on manipule et on refait un nouveau « testing » afin de
voir si d'autres mouvements se sont libérés.
-
Lorsque 3 orientations sont libres, c'est le cas le plus fréquent, la
manipulation est tout à fait applicable. Elle sera pratiquée selon les 3
sens libres et indolores.
III) Comment manipuler ?
Il est facile de comprendre que les manoeuvres qui vont
être appliquées dans chaque cas de sciatique selon les règles de la non-douleur
et des mouvements contraires vont être déterminées par la variété de
l'attitude antalgique. Pour illustrer cette méthode, nous allons choisir
deux cas de sciatique droite, se présentant avec deux attitudes antalgiques
différentes (fig. 1). Dans le cas A, le patient a une scoliose antalgique
convexe du côté de la sciatique. Il se penche librement vers la gauche, mais
ne peut se pencher vers la droite. En outre, la rotation droite est bloquée
et le segment lombaire peut fléchir mais ne peut pas s'étendre ? Ceci est
reporté sur le schéma en étoile. Dans le cas B, c'est l'inverse : le patient
a une scoliose antalgique concave du côté de la sciatique. Il se penche
librement vers la droite, mais ne peut se pencher vers la gauche. La
rotation gauche est bloquée, le segment lombaire peut s'étendre mais pas
fléchir.
Fig. 1 :
Application de la « règle du mouvement
contraire (au mouvement bloqué) et de la non-douleur » dans deux cas de
sciatiques droites. A, Avec attitude antalgique croisée. B, Avec attitude
antalgique directe Les directions « bloquées » testées sur le patient assis,
sont reportées sur le schéma en étoile. 1° Manipulation en latéroflexion
(technique à la ceinture): Elle est vers la gauche pour «A» vers la droite
pour « B ». 2° Manipulation en décubitus latéral : Elle est en cyphose pour
« A », le patient étant couché sur le côté douloureux; Elle est en lordose
pour «B », le patient étant couché sur le côté non douloureux. Le
schéma en étoile de ces deux cas nous montre que les manipulations vont être
tout à fait différentes d'orientation et même complètement opposées. Ici
dans cet exemple, pour le cas A, on fera : rotation vers la gauche ; latéro-flexion
vers la gauche; flexion; avec des manoeuvres unidirectionnelles ou combinées.
Pour le cas B, au contraire : rotation vers la droite, latéro-flexion vers
la droite et extension.
IV) Conduite du traitement
Il est indispensable de mesurer l'effet de chaque
manoeuvre. Pour les sciatiques, cela se fait commodément en se servant :
Cela ne signifie pas que la manipulation ne donne que
des résultats instantanés. Mais on connaît l'action parfois immédiate des
manipulations et il n'est pas rare de voir un signe de Lasègue passer de 30
à 70° après une première manoeuvre. Sans compter régulièrement sur de telles
améliorations, il nous paraît indispensable que la première séance de
manipulation apporte, ne serait ce que temporairement, un gain immédiat d'au
moins 10 à 15°, pour que l'on puisse espérer un résultat favorable des
autres séances. Celles-ci seront en tout de 2 à 6, en moyenne 3 ou 4. Leur
espacement sera de 3 à 5 jours, il sera fonction du résultat obtenu, de
l'état de la sciatique, des réactions du patient au traitement.
Réactions post-manipulation. Il y a
parfois une exacerbation de la douleur dans les heures qui suivent la
première séance. Cette réaction qui se manifeste de 6 à 12 heures après la
manipulation est parfois vive. Elle dure de 12 à 36 heures. Elle est
généralement suivie d'une franche amélioration et doit correspondre à des
réactions vasomotrices.
Elle ne se reproduit pas à la deuxième séance, sauf
exception. En tout cas, une réaction qui se reproduirait aussi vive à chaque
séance est anormale et devrait conduire à un nouvel examen clinique, et vers
une nouvelle thérapeutique.
L'ancienneté de la sciatique
- Il est souvent écrit que les sciatiques récentes sont de meilleures
indications que les sciatiques anciennes. Telle n'est pas notre opinion, et
sur de très nombreux cas, nous avons pu constater que les résultats étaient
plus rapides et dans l'ensemble meilleurs sur des sciatiques datant de
quelques semaines ou même de quelques mois que sur des sciatiques datant de
quelques jours.
L'âge - Les
sciatiques des très jeunes (moins de 20 ans) qui s'accompagnent souvent
d'attitudes antalgiques importantes, caricaturales parfois en hyperlordose,
sont de mauvaises indications des manipulations, les exceptions sont rares.
Celles qui ne s'accompagnent que d'une très forte limitation de la flexion
antérieure, sans déviation latérale trop marquée, sont de meilleures
indications : la manipulation améliore très vite les phénomènes douloureux,
parfois instantanément, mais la raideur rachidienne peut persister des mois.
Les sujets âgés peuvent bénéficier des traitements
manuels, mais il est préférable chez eux d'utiliser des manœuvres douces de
mobilisation dont l'efficacité est souvent remarquable, ils sont pratiqués
sur les mêmes principes que ceux décrits ci-dessus.
V) Mode d'action
Les sciatiques communes sont la conséquence d'un
conflit discoradiculaire (de Sèze) pour la très grande majorité d'entre
elles. Mais il existe, on le sait, des sciatiques radiculaires typiques, que
l'on pourrait considérer comme discales sur l'histoire et l'allure clinique,
et où les examens de contraste, voire dans certains cas l'intervention
montrent l'absence de hernie. Il est aussi des douleurs à allure sciatique
trompeuses d'origine mécanique et bénigne à partir de la souffrance d'une
articulation interapophysaire lombaire basse. Nous avons enfin rencontré des
douleurs à allure sciatique qui disparaissaient après l'infiltration de
l'articulation interapophysaire dorso-lombaire (D11-D12, D12-L1). Celle-ci
provoquait également une lombalgie basse du même côté ce qui est beaucoup
plus habituel.
On a pu dire que la manipulation soulage seulement
certaines sciatalgies, en tout cas jamais les sciatiques discales. Ceci est
tout à fait inexact Mais on peut se demander sur quoi agit la manipulation
qui supprime la douleur d'une sciatique dont la clinique, les examens de
contraste montrent l'origine discale réelle, confirmée éventuellement
lorsque après un soulagement total de plusieurs mois, une récidive conduit à
l'intervention qui montre la hernie, Très nombreux sont les cas de
sciatiques où les radiculographies montrent une évidente hernie discale, et
qui sont soulagés par le seul traitement manipulatif, et ceci d'une manière
très durable.
On comprendra aisément, que devant les risques, - même
s'ils sont très rares - que représente une radiculographie, nous n'avons pas
fait refaire cet examen chez nos patients soulagés. Toutefois, certains
d'entre eux, pour des raisons variées ont eu un deuxième examen - en dehors
de nous - alors qu'ils ne souffraient plus après un traitement manipulatif.
Nous avons ainsi observé cinq de ces cas. Les patients ne souffraient plus,
le rachis était souple, il n'y avait plus de Lasègue, mais l'image de la
deuxième radiculographie était absolument identique à celle de la première,
montrant la même encoche discale.
Alors, quel est le mode d'action ? La manipulation
crée-t-elle un micro-déplacement de la hernie dans un sens favorable qui
suffirait pour que diminue l'inflammation de la racine (cause de la douleur)
? Action vasomotrice ? Action inhibitrice sur la contracture musculaire qui
« protège », mais entretient le conflit ? ou autre mécanisme ? Nous en
sommes réduits aux hypothèses. Mais cette ignorance n'est pas le privilège
de la manipulation.
VI) Résultats
De ce qui précède, il est facile de déduire que la
manipulation peut être contre-indiquée dans une sciatique à un moment donné
de son évolution (règle de la non-douleur non applicable), peut être
efficace lorsque la phase hyperalgique a régressé, écourtant alors
notablement révolution.
Les statistiques précises sont difficiles à réaliser,
car si dans certains cas la manipulation peut constituer le seul traitement,
ailleurs elle sera combinée au repos ou aux anti-inflammatoires.
On peut considérer, que trois sur quatre des sciatiques
communes, peuvent bénéficier du traitement manipulatif à un moment donné de
leur évolution. Parmi celles-ci 20 % seront inchangées après trois
manipulations, 30 % seront complètement soulagées en 1 à 4 manipulations, 30
% nettement améliorées, 20 % légèrement améliorées.
Bibliographie
[1] Cyiax J. - Text-Book of
orthopadic Medicine. Bailliere, Tindall, 1971.
[2] Maigne R - Douleurs d'origine vertébrale et
traitements par manipulation. 1 vol. Expansion Scient. éd. 3e éd, 1977,4767.
[3] Maigne R. Une doctrine pour l'emploi des
manipulations. Ann. Méd. Phys. 1965, 8, 37-47.
[4] Maigne R. Sciatalgies et pseudo-sciatalgies
rebelles d'origine vertébrale. FMC Languedoc Roussillon, 2,9,1979.
[5] Mennel J. M. Art and science of
joint manipulation. 2 vol., J. A. Churchill pub., London, 1949.
Hôtel Dieu, Paris
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