Rééducation de la lombalgie commune
Jean-Yves Maigne
La "Rééducation"
est certainement le traitement le plus prescrit en cas de lombalgie commune.
Ce terme générique regroupe des techniques très différentes, les unes à
visée antalgique, les autres dont le but est préventif.
I. Sur quels
éléments peut agir la rééducation ?
La sédation
de la douleur
1)
Physiothérapie
La
physiothérapie antalgique peut se pratiquer selon de nombreuses modalités.
Certaines procurent un soulagement indéniable, mais de brève durée (la
chaleur, le froid, les ultra-sons, les massages, la kinébalnéothérapie par
exemple), d'autres sont sans activité démontrée (Laser, ionisations...). En
ce qui concerne les ondes courtes, il a été montré une certaine activité
lorsqu'elles sont utilisées en mode pulsé (champ magnétique) sur les
cervicalgies. Malheureusement, les kinésithérapeutes ne disposent en général
pas du matériel adéquat et leur formation en électrothérapie peut être
médiocre.
2) Postures
antalgiques
Parfois, le
patient victime d'une douleur aiguë les a noté lui-même. Il en est d'autres
qu'il ignore et qu'il est bon de lui enseigner. Ces techniques
d'auto-sédation ont l'avantage de ne rien coûter et de pouvoir être répétées
aussi souvent que nécessaire.
a) Les
postures simples.
– S'allonger
en chien de fusil
– S'allonger
en décubitus dorsal sur un plan dur
– Debout, se
placer en hyperlordose accentuée (position efficace lorsque la flexion
lombaire est douloureuse)
– Changer de
position : se lever et marcher, s'assouplir, basculer le bassin d'avant en
arrière
b) Les
postures en tant que méthode de rééducation
La pratique
de postures répétées dans la position opposée à celle qui déclenche la
douleur est connue sous le nom de méthode McKenzie. Elle est étudiée plus
loin.
Le
renforcement de la force musculaire du tronc
Muscler le
tronc est l'un des objectifs les plus connus de la rééducation. Il est en
effet habituel de penser que des muscles faibles favorisent la survenue de
douleur. Ceci n'est pourtant absolument pas démontré. En revanche, il est
bien établi qu'il existe chez le lombalgique chronique un déficit des
muscles du tronc (et tout particulièrement des extenseurs), dont on ne sait
s'il est cause ou conséquence de la douleur.
1) Les
différents types de musculation
La
musculation peut se faire de façon isométrique, isotonique ou isocinétique.
La
musculation isométrique : les muscles se contractent sans mobiliser le
segment vertébral correspondant. L'absence de mouvement évite en théorie de
léser la colonne. La musculation isométrique pratiquée pendant quelques
séances est sans grand effet. C'est pourquoi le rôle du kinésithérapeute est
surtout de montrer les mouvements à effectuer, le patient devant les répéter
chaque jour chez lui pendant au moins dix minutes. La compliance à un tel
traitement est faible.
La
musculation isotonique : ici, la force développée par les muscles est
constante dans le mouvement. La musculation isotonique se pratique au mieux
dans des salles équipées d'appareils de musculation.
La
musculation isocinétique : c'est maintenant la vitesse de contraction qui
est constante. L'isocinétisme nécessite une machine de musculation dont la
résistance au mouvement est directement fonction de la force de contraction
du sujet. A un effort modéré répondra une résistance modérée, à un effort
plus puissant répondra une résistance plus forte. La résistance est donc
auto-adaptée au patient. Dans les deux cas, la vitesse de déplacement sera
la même. L'effort peut être dosé de façon très fine et adaptée à chaque
patient. L'ensemble est couplé à un ordinateur et permet l'établissement de
courbes successives dont la comparaison permet d'apprécier la qualité du
renforcement musculaire. Ces appareils, particulièrement coûteux, sont
disponibles dans certains centres de rééducation spécialisés.
2) Le
renforcement des abdominaux : bases physiologiques.
La
contraction des abdominaux aide aux efforts de soulèvement, une partie des
forces de compression subies par le rachis étant déviée de ce dernier (donc
des disques) vers les viscères. C'est le principe de la poutre composite, le
tronc étant constitué de la colonne d'une part et des viscères devenant
incompressibles si les abdominaux sont contractés. Ils peuvent alors
transmettre une partie des forces et soulager le rachis. D'autre part, le
renforcement des abdominaux mené conjointement à la détente des spinaux
conduit (en théorie) à une légère modification de la posture. C'est la
rééducation en cyphose (voir plus bas).
Enfin, il
existe une véritable phobie de la lordose dans le public médical ou non
médical (j'ai mal au dos car je suis trop cambré...), que pourtant rien ne
justifie...
3) Le
renforcement des spinaux : bases physiologiques
La découverte
d'une perte de force des extenseurs du dos bien plus importante que celle
des abdominaux chez le lombalgique chronique est une notion récente mais
confirmée. D'où l'idée de les remuscler.
L'acquisition
d'une meilleure maîtrise des mouvements lombo-pelviens
La motricité
lombo-pelvienne est de type automatique. Le contrôle pyramidal y est faible.
La plupart des mouvements du bassin (donc de la charnière lombo-sacrée) sont
des mouvements réflexes, parfois nocifs pour les derniers disques.
La
rééducation proprioceptive a pour but de faire prendre conscience au patient
de sa position lombo-pelvienne et de l'entraîner à améliorer cette
perception par la correction de petits déséquilibres induits
L'apprentissage de notions d'ergonomie vertébrale
La bonne
position de soulèvement de charges lourdes est l'exemple le plus
caractéristique de ce qu'il faut faire (plier les genoux en gardant le tronc
droit). A chaque situation de la vie quotidienne stressant la charnière
lombo-sacrée correspond une solution gestuelle économisant la colonne : se
lever de son lit, passer l'aspirateur, repasser, faire un lit, etc...
Il n'est pas
besoin de souligner l'intérêt des démonstrations pratiques, telles qu'elles
sont menées dans les écoles du dos (pour la vie domestique) ou sur le lieu
de travail (adaptation du poste de travail).
II. Les
différents protocoles de rééducation vertébrale
Le
verrouillage lombaire selon Troisier
Le
verrouillage lombaire, décrit par Troisier, est la méthode de rééducation la
plus utilisée en France. Elle trouve sa justification dans la nocivité des
positions extrèmes du dos et de la nécessité de les éviter. Ainsi, la
station debout prolongée s'accompagne t'elle d'une extension lombaire, la
station assise d'une flexion, la station couchée sur le côté d'une
latéroflexion qui peuvent être mal supportées. Troisier considère que la
charnière lombo-sacrée doit être immobilisée le plus possible dans les
gestes de la vie quotidienne, les mouvements devant surtout se faire aux
hanches et aux épaules.
Le but
général est donc d'obtenir du patient une immobilisation de son rachis
lombosacré en position neutre (c'est à dire ni en flexion, ni en extension)
en toutes circonstances, avec pour conséquence théorique la baisse des
contraintes articulaires en L4-5 et L5-S1. Le vérouillage lombaire consiste
donc à obtenir du sujet qu'il se comporte comme s'il portait un corset
rigide, en remplaçant ce dernier par sa propre musculature.
Le patient
doit d'abord prendre conscience de la position neutre puis être capable de
la maintenir d'abord en position statique, par contraction des abdominaux et
des spinaux, puis en dynamique (lors du lever d'un lit, d'un siège, de
rotations du tronc...). Si l'on "rigidifie" le dos, il faut assouplir les
hanches et les genoux (en luttant contre la rétraction des ischio-jambiers
ou des quadriceps) et même fortifier les muscles des cuisses.
La
rééducation en cyphose selon Williams
La
rééducation en cyphose est l'un des plus anciens protocoles décrits (1955).
Son promoteur pensait soulager nombre de lombo-sciatalgies par lésions
discales en diminuant la lordose lombaire. Ainsi, il obtenait une ouverture
du foramen et une décompression de la partie postérieure du disque, supposés
bénéfiques.
Ce but était
théoriquement atteint en musclant les abdominaux, en détendant les spinaux
et les psoas par le massage et les étirements, ce qui avait pour conséquence
une rétroversion du bassin. Actuellement, ce sont surtout les patients
souffrant d'un canal lombaire étroit qui relèvent de cette méthode.
La
rééducation en lordose selon Cyriax
Cyriax
pensait qu'en augmentant la lordose lombaire, l'on bloquait la partie
postérieure du disque ce qui empêchait l'expulsion de matériel discal vers
l'arrière. C'était en quelque sorte l'inverse de la théorie de Williams.
Les moyens
préconisés étaient de même nature, quoi qu'inversés : renforcement des
spinaux, étirement des abdominaux et antéversion du bassin. Cette technique
a connu un regain d'intérêt suite aux travaux de McKenzie (voir ci-dessous).
Elle est surtout utilisée dans les pays nordiques, en tant que traitement de
la lombalgie chronique.
La
rééducation selon McKenzie
Robin
McKenzie est un physiothérapeute (= kinésithérapeute) néo-zélandais qui a
mis au point une technique de rééducation des lombosciatiques discales.
Pour
McKenzie, l'étude soigneuse des mouvements lombaires répétés dans toute leur
amplitude en flexion, puis en extension, puis en latéroflexion dans
différentes positions (debout, assis ou allongé) permet de noter ceux qui
soulagent, ceux qui aggravent et ceux qui sont sans effet sur la douleur.
Lorsqu'il s'agit d'une lombosciatique, le soulagement se fait en général
selon un schéma prédéterminé, la douleur s'effaçant d'abord du mollet puis
de la cuisse puis de la fesse pour ne persister que dans le dos. On dit que
la douleur se centralise. Dans le cas contraire, si la douleur est fessière
et qu'un mouvement répété de flexion par exemple la fait descendre dans la
cuisse ou la jambe, on dit qu'elle se périphéralise.
Le but du
traitement est de trouver le ou les mouvements ou la combinaison de
mouvements qui centralisent la douleur et de demander au patient de
maintenir de telles postures pendant quelques minutes quatre à dix fois par
jour. Il s'agit le plus souvent de postures en hyperextension lombaire
maximale, mais il peut aussi s'agir de postures en flexion ou en
latéroflexion.
Cette méthode,
très connue dans le monde anglo-saxon, a été l'un des éléments moteur du
renouveau de la rééducation en lordose.
La
réadaptation à l'effort selon Mayer
La lombalgie
chronique rebelle est, de toutes les formes de mal de dos, celle qui coûte
le plus à la collectivité. Tom Mayer considère que ces patients ne sont plus
adaptés à leur milieu de vie et que cette désadaptation ne fait que
renforcer le trouble. Cette désadaptation ne doit pas seulement s'envisager
en termes de force musculaire (il existe effectivement une perte de force
des extenseurs plus que des fléchisseurs) car elle est aussi
cardiovasculaire (essoufflement anormal à l'effort) et psychologique (le
patient se refermant sur lui-même et devenant dépressif).
Mayer propose
un programme d'athlétisation pour le réadapter et lui inculquer un esprit
sportif positif, opposé à une attente passive de soins. Il s'agit donc d'une
musculation intensive fondée sur le mouvement dont la philosophie est
radicalement opposée à celle de la rééducation isométrique. Cette
musculation se fait en centre spécialisé (isocinétisme), sur trois à cinq
semaines, avec suivi des performances. Les exercices de début sont
d'intensité moyenne, la difficulté augmentant progressivement.
Les écoles du
dos
Les écoles du
dos ne constituent pas de la rééducation à proprement parler, mais un
enseignement simple sur la colonne vertébrale et sur la façon de la ménager.
Cet enseignement se fait par petits groupes de 5 à 10 patients en moyenne.
L'apprentissage d'une gestuelle correcte grâce à de véritables "travaux
pratiques" est l'élément le plus intéressant de ces écoles.
III) Quelle
rééducation prescrire ?
L'idéal est
de prescrire la rééducation en fin de crise. Lorsqu'il s'agit d'une première
crise de lombalgie, si celle-ci a été de courte durée (moins de deux mois),
la rééducation est inutile. Pour les autres formes, plus prolongées ou à
répétition, l'apprentissage du verrouillage lombaire est la méthode à
laquelle les kinésithérapeutes sont le mieux formés en France. Le plus
souvent, on demandera un verrouillage en position neutre mais parfois, on
pourra prescrire un verrouillage en légère cyphose ou lordose, en fonction
de ce qui soulage ou aggrave le patient.
Quinze
séances sont suffisantes, vingt au grand maximum. Un intervalle d'au moins
un an parait nécessaire entre deux prescriptions au cas où une rechute
surviendrait. En effet, la répétition des séances à intervalles trop brefs
est inutile.
La
rééducation en cyphose n'est indispensable que pour les patients qui
souffrent d'un canal lombaire étroit. La rééducation selon McKenzie n'est
pas pratiquée en France, faute de praticiens formés à cet effet. La
rééducation avec réadaptation à l'effort semble actuellement se développer.
Elle n'est disponible que dans de rares centres.
Les RMO
Masso-kinésithérapie dans les lombalgies communes
Les méthodes de
masso-kinésithérapie dites à effet antalgique direct sont le plus
souvent perçues comme sédatives par le patient, notamment le massage et
le réchauffement local. Il n'existe cependant aucune preuve de leur
efficacité durable dans le traitement de la lombalgie chronique.
Les soins de
masso-kinésithérapie (...) cherchent à améliorer la gestion de la
douleur et à diminuer le retentissement fonctionnel (...), sa
répercussion dans les actes de la vie courante qu'il s'agisse des
activités quotidiennes ordinaires, professionnelles, de loisir, voire
sportives.
Le choix de la méthode
de rééducation dépend des données de l'évaluation médicale et du bilan
para-médical. Une notion importante est la position lombo-pelvienne qui
habituellement aggrave ou soulage la lombalgie. Ainsi :
• les techniques
d'étirement pour les muscles jugés insuffisamment extensibles;
• la cyphose quand la
lombalgie est régulièrement soulagée par la flexion et aggravée par
l'extension;
• la lordose dans le
cas contraire.
Il n'existe pas
suffisamment de preuves pour recommander un
traitement de
masso-kinésithérapie dans la lombalgie aiguë.
Il ne faut pas
recommander un programme d'école du dos dans la lombalgie aiguë.
Il existe suffisamment
de preuves pour conseiller la prescription de masso-kinésithérapie dans
la lombalgie chronique
Quinze séances sont
suffisantes pour juger du résultat de la masso-kinésithérapie. Le
programme initial doit être poursuivi par une auto-rééducation. La
prescription de courtes séries de séances dans les mois ou les années
qui suivent peut etre justifiée.
Il n'existe pas
suffisamment de preuves pour généraliser le principe des écoles du dos
dans le traitement de la lombalgie chronique en attendant de nouvelles
évaluations.