Annales de Médecine Physique
1981;24:313-9
Pubalgies, pseudo-tendinites des adducteurs
et charnière dorso-lombaire
R
Maigne
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Nous avons
décrit une forme particulière de lombalgies basses : la lombalgie d'origine
dorso-lombaire (1). Il s'agit d'une lombalgie à expression basse, mais qui
trouve son origine au niveau D11-D12 ou D12-L1. Elle est due à la souffrance
des articulations postérieures, et des branches postérieures des nerfs
rachidiens correspondants. Ces derniers innervent les plans cutanés de la
fosse lombaire, de la région fessière supérieure et de la région
sacro-iliaque. Elle simule parfaitement la lombalgie discale. Nous ne
reviendrons pas sur les signes de cette lombalgie qui ont été récemment
repris dans cette même revue (2).
Nous avons
aussi montré que cette lombalgie est fréquemment associée à des douleurs
simulant des douleurs gynécologiques, intestinales ou urogénitales.
Celles-ci siègent du même côté que la lombalgie. Elles sont la conséquence
de l'irritation de la branche antérieure des mêmes 11e, 12e
nerfs rachidiens dorsaux ou du 1er lombaire, c'est dire qu'elles
occupent le territoire cutané du nerf abdomino-génital. Le signe clinique
essentiel est la douleur des plans cutanés du dermatome à la manœuvre du «
pincé roulé » : ceux-ci sont épaissis et surtout très sensibles au malaxage
que provoque cette manoeuvre. Le résultat de l'examen est à comparer avec le
côté opposé. Il est rare, mais cela existe, qu'il y ait atteinte bilatérale
(3). A ces deux éléments : douleurs lombaires et douleurs pseudo-viscérales,
il nous faut ajouter un autre élément à ce syndrome d'irritation des nerfs
de la charnière dorso-lombaire, c'est la fréquente sensibilité de
l'hémipubis du même côté.Le patient étant allongé sur le dos, avec la pulpe
des doigts, on palpe en frottant légèrement l'hémipubis, et on compare avec
le côté opposé. Celui-ci s'avère sensible, parfois très sensible. Cela est
dû au fait que l'hémipubis reçoit son innervation du rameau pubien du nerf
abdomino-génital (fig. 1). Cette sensibilité diminue ou disparaît très vite,
parfois d'une manière presque immédiate après le traitement vertébral
portant sur le segment dorsolombaire responsable (manipulation ou
infiltration). Dans certains cas, les tendons qui tirent sur ce périoste
sensible, provoquent une douleur simulant une tendinite des adducteurs.
Fig. 1 :
Trajet schématique de l'innervation cutanée du nerf abdomino-génital (D12,
L1) et du rameau pubien.
I) Examen lombaire
Il va consister
dans la recherche de la particulière sensibilité d'un segment dorso-lombaire
selon notre technique habituelle. Le patient est couché à plat ventre en
travers de la table (fig. 2).
1° Recherche
de la sensibilité à la pression latérale sur l'épineuse . la pression est
faite tangentiellement à la peau, avec la pulpe du pouce de droite à gauche,
puis de gauche à droite, sur les épineuses de D10 à L2. On trouvera une vive
sensibilité dans un seul sens en général sur D12 ou L1 ;
2° Recherche de
la sensibilité du massif articulaire postérieur correspondant : on fait une
pression-friction longitudinale en petits mouvements de va-et-vient très
appuyés à 1 cm de la ligne médiane. On réveillera une vive douleur en un
point précis qui correspond au massif articulaire postérieur restant (cela
est facile à contrôler sous écran de brillance).
Fig. 2 :
Examen de la région dorsolombaire. Noter la position du patient (position
d'examen de l'auteur) : à gauche manœuvre de pression latérale sur les
épineuses, à droite manœuvre de pression friction sur les articulaires
interapophysaires.
II) Examen abdominal
On trouvera au «
pincé-roulé » une zone de sensibilité plus ou moins étendue au niveau de
l'aine, et d'une manière constante sur la partie supérieure de la face
interne de la cuisse (ce territoire n'est pas toujours attribué à D12 et à
L1 dans les traités classiques) (Fig. 3 et 4).
Fig. 3 :
Examen par le « pincé-roulé » de la partie supéro-interne
de la cuisse. Cette manœuvre est pratiquement toujours douloureuse du côté
de l'irritation chronique de la branche antérieure des nerfs rachidiens Dl 2
ou L1, même s'il n'y a pas douleur spontanée.
Fig. 4 :
Le « pincé-roulé » de la peau abdominale inférieure, de l'aine, de la peau
prépubienne est très douloureux. Cette « cellulalgie » peut être responsable
de douleurs trompeuses pseudo-viscérales.
Cet examen est
suivi par la palpation du pubis. On l'examine en le frottant avec la pulpe
des doigts. Du côté atteint, cette manoeuvre est désagréable et même
douloureuse, alors qu'elle est neutre du côté opposé. Cette sensibilité de
l'hémipubis est fréquemment retrouvée chez les sujets présentant une
lombalgie isolée du même côté que celle-ci, et n'est qu'une découverte
d'examen systématique. Mais parfois, le sujet se plaint d'une douleur
pubienne isolée ou même d'une douleur qu'il situe au niveau des adducteurs.
Citons quelquesobservations typiques.
Obs. n°1:
A.C., 25 ans : Pratique le judo, et depuis quatre mois
souffre d'une hémi-pubalgie et de douleurs des tendons adducteurs droits. Il
a Présenté aussi des épisodes de lombalgie droite.A l'examen : tableau de
lombalgie d'origine dorsale, vive sensibilité de l'hémipubis et, au « pincé
roulé » de la partie supérieure de la face interne de la cuisse. Au niveau
dorsal l'examen révèle la sensibilité de l'étage D12-L1 ; les radios sont
normales.Dès la première manipulation lombaire centrée sur la charnière
dorsolombaire : disparition de la sensibilité spontanée du pubis. Elle
persiste, diminuée, à 1'examen. Après trois traitements retour à l'état
normal.
Obs. n°2 :
J.P., 28 ans : Joueur professionnel de football souffre
depuis un an, et surtout depuis 6 mois de douleurs au niveau de l'insertion
des adducteurs droits. Il a dû arrêter de jouer il y a 4 mois. Le repos
atténue, mais ne module guère la situation. Il a eu de nombreuses
infiltrations et du traitements physiothérapiques sans succès.L'examen
révèle une hémipubalgie, et un pincé-roulé de l'aine et de la partie supero-interne
de la cuisse douloureux. Cette manoeuvre est également sensible au niveau de
la peau de la partie supérieure de la fesse du même côté. Il y a bien
quelques lombalgies, mais elles passent ici au deuxième plan.L'examen
segmentaire vertébral révèle une souffrance D12-L1, avec des radios normales.
Trois manipulations vont soulager cette souffrance mécanique mineure du
rachis, et font en même temps disparaître la douleur supposée due aux
adducteurs.On l'autorise à reprendre 15 jours après le soulagement, ce qu'il
fait sans problème ultérieur.
Obs. n° 3:
H.C., 23 ans : Danseuse professionnelle, souffre des
adducteurs gauches depuis plusieurs mois, et a dû interrompre entraînement
et spectacles depuis 2 mois. On trouve les mêmes signes que clans
l'observation précédente.On obtient le même bon résultat en quatre
manipulations associées à une infiltration articulaire postérieure de D12,
L1 gauche qui était très sensible à l'examen. A noter que dès la première le
soulagement était très net.
Douleurs
d'insertion des grands droits
A côté des
douleurs des adducteurs (vraies ou fausses), il existe chez les footballeurs
des douleurs d'insertion des grands droits sur le pubis, qui peuvent certes
être des douleurs d'insertion classiques, mais qui peuvent aussi être la
conséquence d'une hypersensibilité chronique du périoste pubien, dû à
l'irritation de D12 ou de L1.
III) Discussion pathogénique
Comme nous
l'avons constaté dans nombre d'autres cas (épicondylalgies, douleurs du
trochanter), le périoste, tout comme l'est la peau, à la manœuvre du «
pincé-roulé », peut être très sensible lorsque la racine nerveuse qui en
assure l'innervation subit une irritation au niveau du rachis, par la
souffrance mécanique, cliniquement décelable, du segment vertébral
correspondant («Dérangement intervertébral mineur »).
Dans les
sports, tels que danse, judo, football, il y a une très forte sollicitation
de la charnière dorso-lombaire par les mouvements de torsion du tronc,
d'autant que ceux-ci s'effectuent le plus souvent en lordose. La colonne
lombaire a, on le sait, une possibilité de rotation très faible en position
neutre, mais celle-ci est inexistante en lordose. Ceci est dû à
l'orientation sagittale des articulations interapophysaires. Par contre, les
vertèbres dorsales sont très mobiles en rotation. Le gril costal limite le
mouvement, mais pas pour les deux derniers segments dorsaux où s'attachent
les fausses côtes. Cette zone charnière dorsolombaire, est donc soumise à
des stress considérables dans les mouvements de rotation forcée du tronc,
particulièrement en lordose. Cela explique la fréquence avec laquelle
l'examen systématique du rachis de ces patients révèle une sensibilité de
l'un des derniers segments dorsaux. Le plus souvent ces sensibilités
segmentaires sont passagères et sans conséquence, mais parfois deviennent
chroniques, constituant ce que nous appelions un « dérangement
intervertébral mineur » ; celui-ci peut provoquer une certaine irritation du
nerf rachidien correspondant qui se traduira exceptionnellement par une
douleur névralgique, mais plus généralement comme nous l'avons signalé, par
des manifestations neurotrophiques « celluloténomyalgiques » dans son
territoire d'innervation. A ces manifestations que nous ne décrirons pas en
détail, car elles ont fait l'objet de publications dans cette revue, il faut
ajouter la fréquente sensibilité du périoste innervé par le même nerf.
C'est le cas
ici, où le pubis est innervé par un rameau issu du nerf abdomino génital
(D12, L1). Le périoste déjà sensible à la seule palpation - en comparaison
avec le côté opposé - va devenir franchement douloureux lors des tractions
considérables que vont exercer les adducteurs sollicités au maximum dans le
shoot, les mouvements de fauchage de jambe au judo, ou dans la danse. La
douleur est alors perçue comme une tendinite des adducteurs. Avec le temps,
ceux-ci deviennent d'ailleurs également douloureux. Dans d'autres cas, la
douleur est ressentie comme une pubalgie isolée, et parfois comme une
douleur d'insertion des muscles droits.
IV) Traitement