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Annales Médecine Physique 1981;24

Douleurs et pseudo-blocages du genou

R Maigne


 

 

Résumé. Des douleurs rebelles du genou peuvent être la conséquence d'une cellulalgie de la face interne du genou (douleur et épaississement des plans cutanés à la manœuvre du « pincé-roulé »). Celle-ci semble liée à une irritation chronique de la racine L3, conséquence d'un « dérangement intervertébral mineur » de L2-L3 que l'examen clinique met régulièrement en évidence.

D'autres douleurs du genou paraissent avoir la même origine vertébrale. Elles sont parfois associées aux précédentes, parfois isolées. Dans ce dernier cas, la palpation met en évidence une vive sensibilité du vaste interne. Curieusement dans certains cas, il y a une impossibilité d'extension totale de la jambe, et parfois même un blocage simulant un blocage méniscal. Celui-ci, comme la douleur, cède rapidement, parfois instantanément au traitement vertébral (manipulation, infiltration).

Il faut donc examiner le rachis lombaire et particulièrement les étages L2-L3 et L3-L4, en cas de douleurs du genou non explicables par des lésions locales quand elles ont les caractères décrits ci-dessus.


 

 

I) Introduction

 

A la lumière de quelques observations, il nous semble intéressant d'attirer l'attention sur une cause trompeuse de douleur du genou : le rachis lombaire, et plus particulièrement le segment L2-L3. Il peut s'agir soit de douleurs ressenties au niveau du genou, qui n'interfèrent nullement avec la fonction de celui-ci : aucun mouvement n'est bloqué, ni douloureux ; soit de douleurs avec des gênes ou même parfois de véritables blocages de l'extension, simulant un blocage méniscal. Ces douleurs paraissent liées à une irritation du 3e nerf lombaire. Elles se traduisent localement, soit par une infiltration cellulitique du dermatome de ce nerf à la face interne du genou, soit par une sensibilité particulière du vaste interne. Ces deux manifestations sont inconnues du patient, et sont retrouvées seulement par l'examen systématique. Le rôle du rachis est confirmé par l'effet thérapeutique du traitement qui porte sur lui. Ce type de manifestation rentre dans le cadre du « syndrome cellulo-téno-myalgique des irritations radiculaires » (Maigne,1 - 3).

 

 

II) Cellulalgie du dermatome L3

 

 

Une observation typique est la suivante :

 

Obs. 1 : A.C., 24 ans, danseuse. Se plaint depuis trois mois d'une douleur du genou droit. Celui-ci est libre. Elle peut faire tous les exercices que nécessite son art, mais ressent surtout au dérouillage et à la fatigue une douleur diffuse mai localisée de la région antéro-interne du genou. Elle a été examinée à plusieurs reprises dans différents services. On a trouvé une sensibilité des tendons de la patte d'oie, mais deux in filtrations n'ont pas modifié la situation. Quant au reste, le genou est strictement normal. Lorsque nous la voyons, nous faisons les mêmes constatations. Mais la manoeuvre du « pincé roulé » de la peau nous permet de constater que ce ne sont plus les tendons de la patte d'oie qui sent sensibles, mais une cellulalgie infiltrant les plans cutanés qui recouvrent la patte d'oie, sur une surface large comme la paume d'une main. Le « pincé roulé » y est très douloureux, tandis qu'il est indolore sur l'autre genou. La peau est épaissie et grumeleuse.

 

L'examen segmentaire du rachis pratiqué selon notre technique habituelle (patient couché en travers de la table) : pression latérale sur les épineuses, pression-friction sur les massifs articulaire postérieurs, révèle une nette sensibilité de l'étage L2-L3. Les radiographies vertébrales sont normales.

 

Trois manipulations lombaires pratiquées sur le segment en cause, selon la « règle de la non douleur et du mouvement contraire », font disparaître la douleur spontanée. La cellulalgie est très atténuée. Deux infiltrations locales avec un anesthésique dilué, immédiatement suivie d'un court massage en pétrissage des tissus concernés la fait complètement disparaître.

 

 

Cette cellulalgie était donc dépendante d'une irritation minimale de la racine L3 par un dérangement intervertébral mineur L2-L3. Le réflexe rotulien était normal. Cette patiente n'avait jamais eu de névralgie crurale, même discrète. Elle se plaignait de quelques lombalgies épisodiques, peu gênantes qui disparurent après le traitement vertébral.

 

Les gonalgies de ce type sont en règle unilatérales. Elles ne sont pas exceptionnelles ; nous avons pu en une année rassembler 25 observations. La cellulalgie de la face interne des genoux est fréquente chez les femmes obèses, notamment après la ménopause. Elle est donc toujours bilatérale. Son mécanisme est différent. Mais, lorsque son rôle peut être envisagé dans une gonalgie (test à l'infiltration anesthésique locale), le rachis lombaire doit être examiné.

 

Obs. 2 : Sc. F., 51 ans. A été opérée du ménisque interne du genou gauche il y a 20 ans. La lésion méniscale était consécutive à un accident de ski. Résultat excellent. Depuis un an, elle s'est mise à souffrir du même genou, à la montée et à la descente des escaliers, puis même au repos. Elle dû interrompre ses activités sportives (tennis). La marche prolongée est devenue pénible. Des radiographies du genou ne montrent aucune lésion. Les défilés patello-fémoraux sont strictement normaux. Il n'y a aucun signe de syndrome rotulien. Elle a eu trois infiltrations intra-articulaires qui n'ont eu aucun effet.

 

Lorsque nous l'examinons, nous ne trouvons qu'un empâtement cellulalgique bilatéral de la face interne du genou. Mais, du côté gauche, la manœuvre du « pincé-roulé » est extrêmement douloureuse, alors que la même manoeuvre n'est que désagréable à droite. L'examen vertébral met en évidence la sensibilité élective de L3 à la pression latérale de l'épineuse. Les radiographies montrent des discopathies dégénératives L5-S1 et L4-L5, muettes cliniquement. La manipulation lombaire pratiquée selon les règles habituelles amène en deux séances une disparition des douleurs du genou et permet la reprise des activités sportives.

 

 

 

 

III) Vaste interne et L3

 

1) Pseudo-blocages du genou

 

Le rôle du vaste interne dans la physiologie du genou est bien connu, et on sait l'attention qu'y portent les médecins rééducateurs. Ce muscle, essentiellement innervé par L3, semble jouer un rôle assez étonnant dans certaines douleurs atypiques et trompeuses du genou.

 

Obs. 3 : J.F., 26 ans. Étudiant en médecine souffre depuis plusieurs mois du genou droit. Le début a eu lieu lors d'un match de tennis. Il a ressenti une douleur à la face interne du genou et a dû interrompre le match. Il a boitillé un jour ou deux avec une douleur à l'hyper-extension du genou. Il a été mieux, puis a récidivé à plusieurs reprises jusqu'à ce que la gêne et le blocage soient permanents. Il a consulté dans un service d'orthopédie où on lui a dit que malgré les apparences ça n'était pas méniscal et on a conseillé massages et rééducation. Ceux-ci ont été sans effet. Consultant dans un autre service d'orthopédie une arthrographie est proposée. C'est alors qu'il vient nous voir. Il souffle depuis six mois. L'examen du genou ne montre aucun signe particulier si ce n'est une impossibilité d'extension complète, avec douleur vive si on résiste et sensation tactile de résistance à l'examen, comme dans un blocage méniscal. Aucun autre signe évoquant une souffrance méniscale ou ligamentaire. Le seul élément de I'examen est une particulière sensibilité à la palpation du vaste interne qui présente des cordons myalgiques hypersensibles. On propose une injection d'anesthésique local dans ces cordons myalgiques aux points les plus douloureux pour en faire un test. Mais le patient nous dit être allergique aux anesthésiques locaux... A l'examen du rachis, nous constatons une nette souffrance du segment L2-L3. Les radiographies sont normales. Nous pratiquons une manipulation appropriée. A notre étonnement, immédiatement après celle-ci le patient pouvait étendre sa jambe complètement, spontanément et même contre-résistance. Après deux séances de manipulations l'extension était normale, et il n'y avait aucune douleur dans le mouvement contre résistance. Nous nous demandions s'il n'y avait pas eu une action purement psychothérapique...

 

 

Faisant état un jour de cette observation devant un groupe de médecins, deux d'entre eux demandèrent à être examinés, car les deux présentaient une douleur du genou avec impossibilité absolue d'extension depuis plusieurs mois. L'un d'eux avait eu une arthrographie à la recherche d'une lésion méniscale. Il n'y en avait pas. Chez les deux, nous découvrîmes une sensibilité de l'étage L2-L3. Chez les deux la sensibilité à la palpation du vaste interne était très vive. Elle était curieusement ignorée des deux patients, et n'avait pas retenu l'attention des différents consultants. Chez les deux, dès la première manipulation lombaire appropriée, le genou retrouvait sa liberté d'extension.

 

Par la suite, nous pouvions observer une quinzaine de cas semblables avec un véritable blocage de l'extension, simulant un blocage méniscal. Dans ces cas, le flessum est irréductible, le blocage existe non seulement au mouvement actif, le sujet ayant l'impression de buter contre une résistance douloureuse, mais aussi au mouvement passif. Il est impossible d'obtenir les 10 ou 15 derniers degrés de l'extension. La plupart de nos patients avaient eu des arthrographies négatives à la recherche d'une lésion méniscale, tant la symptomatologie peut être trompeuse.

 

Le signe essentiel de ce syndrome est la vive sensibilité de faisceaux indurés du vaste interne à la palpation, dont l'anesthésie permet immédiatement l'extension du genou. L'effet est généralement temporaire. Le plus étonnant et qui vient confirmer l'origine rachidienne du syndrome est le résultat parfois instantané et stupéfiant de la manipulation lombaire appropriée. Elle fait immédiatement diminuer la sensibilité du segment L2-L3 et celle du faisceau musculaire induré et le patient est aussitôt soulagé de sa douleur du genou. Il peut étendre complètement la jambe sur la cuisse sans gêne. Cela est particulièrement étonnant dans les cas où il y a blocage franc de l'extension, pseudo-méniscal. La manipulation est centrée sur l'étage où l'on a trouvé le « dérangement » responsable, c'est-à-dire généralement L2-L3, parfois L3-L4. Dans d'autres cas, il faut associer manipulation lombaire, qui améliore partiellement, et infiltration locale du vaste interne qui complète le résultat comme nous le faisons le plus souvent dans le traitement des faisceaux indurés musculaires d'origine radiculaire.

 

Un seul de nos patients avait présenté une névralgie crurale typique. Certains des autres accusaient des lombalgies épisodiques et sans importance.

 

2) Douleurs du genou sans blocage

 

Dans d'autres cas, beaucoup plus fréquents, il n'y a pas de blocage, mais une simple gonalgie, plus ou moins gênante à la face interne du genou, parfois augmentée par l'hyperextension et l'hyperflexion. La mise en contraction isométrique contrariée du vaste interne est douloureuse, de même que sa palpation : sa force semble souvent nettement diminuée au testing. On retrouve les mêmes signes lombaires que ci-dessus et les résultats du traitement sont aussi favorables.

 

 

Obs. 4 : G.J., 44 ans, mécanicien. Joue au football régulièrement toutes les semaines. Il y a six mois en dansant fait un taux mouvement, et ressent une vive douleur au genou droit. Le genou présente alors une hydarthrose qui disparaît en quelques semaines. Mais il persiste une gêne à l'hyperextension et surtout à tous les mouvements d'adduction contrariée : il ne peut shooter, pousser contre une résistance avec le bord interne du pied. Il a eu quatre infiltrations intra-articulaires sans résultat, puis un traitement kinésithérapique pas plus efficace, puis électrothérapique. Son état est stationnaire depuis quatre mois quand nous le voyons. L'examen du genou ne révèle qu'une très vive sensibilité de certains faisceaux du vaste interne. Au testing le patient ne peut étendre complètement la jambe contre résistance : elle lâche dès que celle-ci est un peu forte. A l'examen rachidien, un note une nette sensibilité de l'étage L2-L3. Il n'a pas de lombalgie ni de cruralgie, le réflexe rotulien est normal, les radios lombaires sont normales.

 

On pratique une manipulation lombaire selon les règles habituelles. Aussitôt après, les mouvements d'adduction contre résistance deviennent indolores. Revu un mois plus tard, il a pu reprendre le football, sans douleur, dès la semaine qui a suivi le traitement.

 

 

3) Association d'une cellulalgie et d'une sensibilité du vaste interne (d'origine L3)

 

Il peut y avoir association de la cellulalgie et de la sensibilité du vaste interne, les deux manifestations trouvant leur origine dans une même irritation de la 3e racine lombaire.

 

Obs. 5 : N.M., 33 ans, danseuse. Souffrait du genou gauche depuis longtemps, sans que cela la gêne trop après échauffement. La gêne s'est accentuée depuis deux mois. Elle ne peut plier complètement le genou, et a une douleur à l'hyperextension qu'elle maintient avec peine. A l'examen, placard cellulalgique de la face interne du genou, très douloureux au « pincé-roulé » sur la surface d'une pièce de cinq francs, et sensibilité du vaste interne, augmentée par la mise en contraction isométrique contrariée. La force du muscle semble diminuée par rapport au côté opposé.L'examen vertébral révèle une vive sensibilité de L3. Les radiographies sont normales. Après deux séances de manipulations, la gêne a pratiquement disparu. Une troisième séance au cours de laquelle on infiltre et masse la zone cellulalgique résiduelle permet une récupération totale.

 

 

 

 

IV) Discussion pathogénique

 

L'infiltration cellulitique douloureuse au « pincé-roulé », qui occupe tout ou partie du dermatome L3, rentre dans le cadre du syndrome « cellulo-ténomyalgique des irritations radiculaires » que nous avons décrit et qui a fait l'objet de publication dans cette revue (2). Il en va de même de la sensibilité particulière de certains faisceaux du vaste interne. Ces manifestations neurotrophiques peuvent accompagner une névralgie radiculaire cliniquement évidente, disparaître avec elle ou lui survivre. Dans de dernier cas, elles peuvent être responsables de douleurs rebelles et trompeuses.

 

Mais elles semblent, avec exactement les mêmes caractères et la même topographie pour une même racine, pouvoir être la seule manifestation d'une irritation chronique, infraclinique, de celle-ci. La cause de cette irritation est le plus souvent un « dérangement intervertébral mineur » ; ce peut être aussi une discopathie. Le traitement vertébral - s'il est efficace - les fait disparaître rapidement, parfois presque immédiatement.

 

Dans le cas de la cellulalgie, le mode d'expression de la douleur n'est pas fait pour nous étonner, car il est là comme souvent trompeur : douleur profonde et non superficielle. Par contre, l'existence des « blocages », est plus curieuse et plus étonnante. Ceux-ci cèdent à l'anesthésie du vaste interne, ce qui ne saurait se produire dans le cas d'un blocage mécanique par un fragment méniscal. Il s'agit donc en fait d'un pseudo-blocage d'origine réflexe. Tout serait clair si la souffrance de certains faisceaux du vaste interne empêchant sa contraction efficace, amenait une prédominance du vaste externe et favorisait l'expression douloureuse aiguë d'une lésion préexistante du genou parfaitement tolérée jusque-là : chondromalacie, ou subluxation externe de la rotule. Mais, dans les cas que nous avons pu observer, nous n'avons mis en évidence que trois fois sur quinze une douleur de la face cachée de la rotule évoquant une chondromalacie. Son rôle était difficile à évaluer en l'occasion puisque le traitement vertébral réalisé, le genou n'était plus douloureux. Un de ces trois patients devait récidiver quelques mois plus tard, après un effort lombaire. La douleur du genou était vive, le blocage moins marqué ; le traitement vertébral soulagea immédiatement. Nous revîmes ce patient trois mois plus tard allant bien. De plus dans aucun des autres cas, l'examen ne révélait des signes d'un syndrome méniscal ligamentaire, synovial associé.

 

En fait, ce blocage qui paraît mécanique, et qui semble buter sur un obstacle est en réalité élastique. Il céderait complètement par une extension progressive et continue si la douleur n'était là pour l'empêcher. L'infiltration intra-articulaire n'y change rien. Seule celle du cordon induré sensible du vaste interne, point de départ du réflexe local de défense, le fait céder. Cette sensibilité du vaste interne paraît bien être d'origine radiculaire, liée à l'irritation de L3. La réponse au traitement vertébral apporte une confirmation à cette thèse.

 

Diverses hypothèses peuvent être envisagées sur le mécanisme de ce blocage, aucune n'est tout à fait satisfaisante. Nous nous contentons donc ici de présenter des faits qui trouveront sans doute leur explication plus tard.


 

BIBLIOGRAPHIE

 

1 - MAIGNE R. - lnfiltrats cellulalgiques conséquence d'algies radiculaires et causes de douleurs rebelles. Vie Méd., 1971, 4,12-16.

 

2. MAIGNE R. - Sémiologie des « Dérangements intervertébraux mineurs ». Ann Méd. Phys., 1972; 15,

 

3. MAIGNE R, - Syndrome celluloténomyalgique des irritations radiculaires. In « Douleurs d'origine vertébrale et traitement pu manipulations ». 1 vol., Expansion Sc. édit., Paris (1° éd. 1968), 3° éd. 1978.



 
Institut National de Réadaptation (St-Maurice 94). Centre de Rééducation de l'Hôtel-Dieu (Paris)



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