Revue du Rhumatisme 1979;46:177-83
Premiers
résultats d'un traitement chirurgical
de la lombalgie basse rebelle d'origine dorso-lombaire
R Maigne, F Le Corre,
H Judet
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Résumé
Les
lombalgies basses peuvent trouver leur origine au niveau de la charnière
dorso-lombaire. Celle ci constitue mécaniquement une zone transitionnelle
très sollicitée. La douleur est transmise par les branches postérieures des
nerfs rachidiens Dll, D12 ou L1 qui innervent les plans cutanés et
sous-cutanés de la région lombaire basse et fessière supérieure. Fille est
perçue comme une douleur profonde basse. L'examen clinique permet de
déterminer l'étage responsable. L'anesthésie de l'articulation
interapophysaire fait disparaître la douleur lombaire. Le traitement médical
approprié réussit le plus souvent.
S'il échoue,
la chirurgie peut apporter une solution. Elle consiste en une capsulectomie
portant sur l'étage responsable, et sur les étages sus et sous-jacents.
Cette intervention détruit aussi la branche postérieure qui est intimement
accolée à la capsule.
Sur les 10
cas opérés avec un recul de 20 mois à 6 mois, 1 échec, 6 très bons résultats
et 3 bons résultats. Sans pouvoir préjuger de l'avenir, il semble qu'il y
ait là un espoir pour le traitement des lombalgies inexpliquées, ou de
celles qui persistent après des interventions sur les disques lombaires et
qui ne sont pas soulagées par le traitement médical approprié de la
charnière dorso-lombaire.
L'un de nous a
précédemment attiré l'attention sur l'origine dorso-lombaire de certaines
lombalgies ressenties seulement dans la région lombaire basse, fessière ou
vers la crête iliaque, comme une douleur profonde, très semblable à celle
des lombalgies lombo-sacrées [2].
La plupart de
ces lombalgies sont soulagées d'une manière satisfaisante par le traitement
médical approprié et quelques conseils posturaux. Il y a bien entendu des
échecs. Lorsque la lombalgie était importante et très invalidante et pour
quelques cas très rares sélectionnés, nous avons envisagé une solution
chirurgicale. Ce sont ces premiers résultats que nous allons exposer. La
série est peu nombreuse, parce que nous avons attendu un certain temps entre
les premiers cas opérés pour avoir une appréciation sur l'intérêt de cette
chirurgie et parce que nos critères de sélection sont très stricts. L'avenir
dira si on peut les assouplir. Le recul est de 20 mois pour le cas le plus
ancien, de 6 mois pour les plus récents de cette série de 10 cas. D'autres
patients ont été opérés depuis avec un bon résultat jusqu'à présent, mais le
recul est insuffisant pour figurer ici.
I) Bases anatomiques
Cette lombalgie
basse d'origine haute (D10-D11 ou D11-D12, ou D12-L1) semble due à la
souffrance articulaire postérieure et à l'irritation de la branche
postérieure du nerf rachidien correspondant qui innerve les plans cutanés et
sous-cutanés de la région de la crête iliaque et de la partie supérieure de
la fosse iliaque externe. Ces branches postérieures des nerfs rachidiens
affectent des rapports très étroits avec les articulations interapophysaires
qu'elles contournent et qu'elles innervent, comme l'a montré G. Lazorthes
[1] (fig. 1, 2, 3, 4).
D'après nos
dissections portant sur 25 cas, il y a de nombreuses variations
individuelles dans la distribution cutanée de ces branches postérieures.
Néanmoins d'une manière habituelle, l’innervation de la partie moyenne des
plans cutanés de la partie supérieure de la fesse est assurée par D12 et L1,
soit en un rameau commun, soit en deux rameaux qui sont assez voisins et
croisent perpendiculairement la crête iliaque à 7 à 10 cm de la ligne
médiane. La partie plus externe est innervée par D11. Les plans cutanés de
la fosse lombaire, situés au-dessus de la crête iliaque le sont par D11 et
D10.
Rappelons que la
charnière dorso-lombaire est une zone mécaniquement très sollicitée dans les
mouvements de rotation et d'inflexion latérale, puisque le rachis lombaire
ne petit guère effectuer que des mouvements de flexion-extension. Il faut
noter que les contraintes mécaniques considérables des articulations
interapophysaires de cette zone de transition ne se traduisent que très
rarement par des lésions dégénératives.
II)
Signes cliniques
Le patient est
examiné couché à plat ventre en travers de la table.
1) Le point de crête
On note la
douleur provoquée par la pression du rameau nerveux responsable contre la
crête iliaque. « Le point de crête » qui est donc situé à 7 à 10 cm de la
ligne médiane (fig. 5) ;
Fig. 5. La
recherche du « point de crête » : le doigt de l'opérateur glisse lentement
le long de la crête iliaque en exerçant tous les centimètres des manoeuvres
de friction en va et vient verticaux et horizontaux.
Fig. 6. La
manoeuvre du « pincé-roulé » au niveau des plans cutanés fessiers et
lombaires inférieurs. La peau est plissée, pincée, tirée et roulée entre
pouce et index sans relâcher le pincement qui doit être ferme. Tout la
surface cutanée est ainsi explorée.
2) La cellulalgie
On note la
sensibilité particulière à la manoeuvre du pincé-roulé, des plans cutanés de
la fosse iliaque externe, et parfois de la région au dessus de la crête
iliaque (si le nerf se divise au dessus de celle ci) innervée par ce rameau.
On pince en un gros pli les plans cutanés et sous cutanés entre pouce et
index, on tire en maintenant le pincement, et on roule en pinçant le pli
ainsi saisi, comme on le ferait d'une cigarette (fig. 6). Le pli est souvent
épaissi, grumeleux, douloureux, par rapport au côté oppose si l'atteinte est
unilatérale.
Dans le cas
d'une atteinte de D10 ou D11, il peut ne pas y avoir de « point de crête »
mais seulement une cellulalgie de la fosse lombaire. Au niveau
dorso-lombaire il n'y a aucun signe radiologique particulier dans la plupart
des cas. Mais dans quelques cas, nous avons découvert cette symptomatologie
comme seul signe d'une spondylodiscite D11-D12 ou D12-L1, ou d'une fracture
D12 ou L1 méconnue, ou d'un début de pelvispondylite rhumatismale.
3) La recherche de
l'étage responsable
Elle se fait
Sur
la douleur provoquée sur l'épineuse de D10, de D11, de D12, ou de L1 par la
pression faite latéralement, sur celle ci de droite à gauche ou de gauche à
droite (fig. 7) ;
Sur
la sensibilité particulière du massif articulaire postérieur correspondant
relevée par une pression friction appuyée faite à 1 cm de la ligne médiane
avec le médius (fig. 8).
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Fig. 7.
La manoeuvre de pression latérale contre l'épineuse. Elle
est faite tangentiellement à la peau, de droite à gauche puis de
gauche à droite, Elle doit être progressive et maintenue quelques
secondes sur chaque épineuse. |
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Fig. 8. Recherche de la sensibilité d'un massif articulaire
postérieur : l'opérateur exerce une pression friction profonde avec
de petits mouvements de va et vient sur place. Il explore ainsi tous
les étages sur une ligne parallèle à 1 cm de la ligne médiane. |
Ce diagnostic de
lombalgie basse d'origine haute doit être confirmé par l'infiltration
anesthésique de ce massif articulaire postérieur qui fait presque aussitôt
disparaître ou diminue nettement (fig. 9) : la douleur spontanée et la gêne
aux mouvements du malade, la sensibilité du « point de crête » et la
sensibilité à la manoeuvre du pincé-roulé tandis que les plans infiltrés et
durs deviennent souples. Le résultat peut survivre à l'effet anesthésique,
mais généralement il disparaît avec elle. Il arrive que deux ou trois étages
dorso-lombaires soient sensibles. L'infiltration portera alors sur ces deux
ou trois étages. A l'inverse l'infiltration épidurale n'apporte ici aucun
soulagement même partiel ni aucune modification de ces signes.
Fig.
9. Au niveau du massif articulaire postérieur sensible,
l'infiltration anesthésique faite au contact osseux, fait disparaître «
point de crête » et sensibilité des plans cutanés à la manoeuvre du «
pincé-roulé ». Faite avec un dérivé cortlsond elle est thérapeutique. Dans
les cas rebelles au traitement médical (infiltrations ou manipulations),
c'est sur elle que portera la capsulectomie chirurgicale, qui détruire en
même temps la branche postérieure du nerf rachidien.
III)
Sélection des patients
Il s'agit de
patients présentant des lombalgies rebelles et très invalidantes, ayant les
caractères typiques de la lombalgie d'origine dorsale chez qui les
traitements médicaux avaient échoué [2]. Nous avons éliminé les patients
chez qui la composante psychique paraissait trop importante. Nous avons pour
l’instant limité nos indications
Lorsque nous
envisageons l'intervention, nous pratiquons à quelques jours d'intervalle
plusieurs infiltrations avec un anesthésique local : les unes au niveau du
point tatoué qui doivent soulager nettement le patient et faire disparaître
« point de crête » et douleur au « pincé-roulé » ; les autres pratiquées au
dessus et au dessous (à l'insu du patient) qui ne soulagent pas et ne
modifient pas les signes d'examen.
Lorsqu'il y a
constance dans le résultat à trois reprises avec non résultat dans les
points placebos, nous proposons l'intervention au patient en :le prévenant
de l'incertitude du résultat.
IV)
Intervention
L'incision est
médiane postérieure.
On expose
soigneusement l'articulaire correspondant au niveau du tatouage, celle
sus-jacente et celle sous-jacente. L'exposition doit être parfaitement
anatomique montrant bien lames. Ligaments jaunes, articulaires recouvertes
de leur capsule, et apophyses transverses. On excise au bistouri en totalité
la capsule des trois articulaires, en raclant bien au ras de l'os. Les
fragments capsulaires restants sont nettoyés à la pince gouge ainsi que les
villosités synoviales. On vérifie la liberté de l'interligne par
l'introduction d'une spatule. On ne touche pas au cartilage, on ne fait pas
d'arthrodèse. On complète par l'excision du ligament intertransversaire sous
lequel passe le nerf. Les transverses sont raclées au bistouri et on termine
par une électrocoagulation de la région exposée (lames, facettes,
transverses). Le malade reste quatre jours étendu puis se lève en appui. On
enlève les fils au dixième jour. Les activités normales sont reprises ait
deuxième mois [3].
V)
Résultats
Sur les 10
patients, il y avait 7 hommes et 3 femmes. Tous étaient très handicapés par
leur lombalgie. Quatre étaient des accidents du travail : 3 hommes et 1
femme (tableau 1).
Sept (5 hommes,
2 femmes) avaient été opérés d'une sciatique par hernie discale. Trois de
ces patients avaient été opérés deux fois. Les résultats étaient bons sur la
douleur sciatique mais il y avait eu persistance et aggravation des
lombalgies. Trois avaient un « dos vierge » non opéré. Un (cas n° 5) avait
présenté une sciatique discale typique post-traumatique guérie médicalement
puis avait souffert de lombalgies rebelles et sévères qui s'avéraient
d'origine dorso-lombaire.
Neuf de ces
patients sur 10 sont satisfaits de l'intervention. Parmi ceux ci : six n'ont
plus de douleur et vivent normalement. Trois étaient des accidents du
travail : 2 ont repris leur travail, 1 est à la retraite. Trois ont été très
soulagés. Deux conservent une certaine sensibilité à la position debout
prolongée ou aux efforts, et doivent donc se ménager. Notre impression est
qu'il s’agit d'une douleur d'origine lombo-sacrée ; elle est soulagée par le
port du lombostat que ces patients mettent épisodiquement lorsqu'ils
prévoient unie journée fatigante, alors que ce lombostat ne soulageait pais
la douleur d'origine dorso-lombaire. Un malade a présenté à 3 reprises en un
an une légère récidive due à la souffrance d'une articulation postérieure,
sous-jacente à celle capsulectomisée qui, chaque fois, a été soulagée
durablement par une seule infiltration cortisonée.
Un échec (cas no
4) : c'est l'un des 2 cas où nous avons fait une capsulectomie bilatérale
(sur 3 étages). Par précaution nous lui avons mis un corset plâtré pendant 2
mois après l'intervention. Il était soulagé, mais peu après avoir enlevé le
plâtre, il a souffert de nouveau. Il est apparu nettement que la douleur
provenait de l'articulation gauche sus-jacente à la plus haute avant été
capsulectomisée. L'infiltration en apportait la confirmation en apportant un
soulagement net mais temporaire. A la 3e, le patient avait un malaise bénin,
et faisait une réaction douloureuse pendant 3 jours. Il refusait alors tout
autre traitement et notamment la réintervention que nous voulions tenter. Ce
cas était l'un de nos 4 accidentés du travail.
VI)
Commentaires
En pratique
quotidienne, ces lombalgies basses d'origine dorso-lombaire isolées sont
fréquentes ; elles peuvent aussi être associées à des lombalgies d'origine
lombaire basse, discale, articulaire postérieure ou ligamentaire.
Il est aussi des
cas d'irradiations ectopiques trompeuses et inattendues : c'est, par exemple,
le cas n° 6 où le patient présentait une douleur lombaire, puis une douleur
irradiant au membre inférieur évoquant une sciatique L5. C’était d'ailleurs
le diagnostic du chirurgien orthopédiste qui nous l'avait adressé à fin de
traitement médical (radiculographie normale). Il y avait un signe de Lasègue
à 60°. Celui ci disparaissait complètement après l’infiltration de
l'articulation postérieure D12-L1. Après la capsulectomie disparaissent la
lombalgie et la pseudo-sciatique.
Un autre de nos
patients (hors cette série) a vu disparaître une douleur rebelle du talon
empêchant l'appui après capsulectomie de D10-D11, D11-D12, D12-L1.
Signalons la
douleur testiculaire du cas n° 2 (branche antérieure de L1) qui a disparu
après l'intervention. Ces douleurs antérieures sont fréquentes chez des
patients présentant des lombalgies d'origine dorsale par irritation de la
branche antérieure de L1 ou de D12.
Conclusion
Il est évident
que cette série de patients est trop peu nombreuse pour tirer des
conclusions définitives. On ne peut savoir ce que sera l'avenir de ces
rachis opérés. Rien n'interdit la récidive sur le côté non capsulectomisé,
ou sur les étages sus et sousjacents, ou même sur les articulations opérées.
Mais cela est également vrai pour la chirurgie discale. Ces résultats
confirment néanmoins le rôle de la jonction dorso-lombaire dans certaines
lombalgies basses et ouvrent la voie à d'autres recherches. Nous étudions
actuellement la possibilité de traitement par électro-coagulation percutanée
des capsules articulaires qui pourrait constituer un traitement plus simple,
mais aussi plus aveugle.
Il faut bien
considérer que, dans cette forme de lombalgie qui est fréquente et
représente dans nos statistiques plus de la moitié des lombalgies courantes,
il s'agit presque toujours de lombalgies modérées, supportables, mais
rebelles, si on ne reconnaît pas leur origine dorsale et si on ne leur
oppose pas le traitement approprié. Elles prennent rarement un caractère
handicapant sévère. Même ces dernières répondent le plus souvent bien au
traitement médical.
La chirurgie
décrite ici, malgré sa bénignité, ne s'adresse qu'à des cas rares.
Bibliographie
1 LAZORTHES G.,
GAUBERT J. La branche postérieure des nerfs rachidiens. L'innervation des
articulations interapophysaires vertébrales. In Bulletin de l'Association
des Anatomistes (43° Réunion), pp. 488-496, Lisbonne, 1956.
2 MAIGNE R.
Origine dorso-lombaire de certaines lombalgies basses. Rôle des
articulations interapophysaires et des branches postérieures des nerfs
rachidiens. Rev. Rhum., 1974, 41, 781-789.
3 MAIGNE R., LE
CORRE F., JUDET H. Lombalgies basses d'origine dorso-lombaire : traitement
chirurgical par excision des capsules articulaires postérieures (rapport
préliminaire). Nouv. Presse méd., 1978, 7, 565-568.
DISCUSSION AU COURS DE LA SÉANCE DE PRÉSENTATION :
M. DELCAMBRE :
cette séméiologie vertébrale est intéressante car beaucoup de lombalgies
reconnaissent cette étiologie dorsale par irritation de la branche
postérieure au niveau des articulaires postérieures. Il faut souligner
l'intérêt d'une intervention chirurgicale minime plutôt que les greffes
vertébrales souvent décevantes. Mais le recul est trop peu important. Que
deviennent les malades au delà de 5 ans ?
M. VIGNON : je
ne suis pas convaincu de l'authenticité du syndrome ni de l'efficacité de la
thérapeutique. En effet, il s'agirait d'une irritation des filets nerveux au
niveau des articulaires postérieures soumises à des efforts de rotation avec
irradiation lombaire, mais il n'y a pas de preuve de lésion anatomique. Tout
repose sur la constatation de points douloureux avec amélioration par
infiltration. Une intervention (même mineure) pour des douleurs localisées
doit être condamnée.
M. KAHN : nous
avons recherché cette séméiologie et nous ne l'avons pas retrouvée. Par
contre les points douloureux sont banals dans la cellulalgie. Lorsqu'on
retrouve un de ces points douloureux, les autres sont généralement présents.
Si l'on supprime l'innervation, la douleur disparaît, mais ne peut-elle pas
réapparaître à partir du bout centripète, conséquence de la section nerveuse
?
M. VILLIAUMEY :
on connaît l'existence de douleurs lombaires basses et latérales à point de
départ dorso-lombaire comme les douleurs de la crête iliaque après tassement
de D12 ou au cours de spondylodiscites.
Réponses
: l'injection de placebo a donné des résultats régulièrement
négatifs alors que l'injection d'anesthésique était efficace.
Nous avons opéré
des malades invalides du fait de leur lombalgie. Il y a inévitablement une
dénervation similaire dans la chirurgie des scolioses par exemple, sans
inconvénient de celle-ci.
(*) Travail du
Centre de Rééducation fonctionnelle (Pr JP. Held), Hôtel-Dieu, Paris
Présenté à la
Société Française de Rhumatologie, séance du 21 juin 1978.