Tout cela montre bien l'origine cervicale de cette dorsalgie.
Le problème est de comprendre comment cette dorsalgie peut
trouver son origine au niveau du rachis cervical et à quoi correspond le point
interscapulaire si fixe et si constant.
CLOWARD, neurochirurgien américain, a cherché à savoir, au
cours d'une série d'expérimentations, quelle douleur pouvait provoquer
l'irritation de chaque partie du disque intervertébral au niveau du rachis
cervical. Chaque partie de l'annulus donc a été excitée par différents procédés
(aiguille, discographie, excitation électrique faite au travers de l'aiguille de
discographie) et enfin excitation sous contrôle direct de la vue au cours
d'interventions sur la région cervicale faites sous anesthésie locale. A côté de
la douleur radiculaire qu'il obtient par irritation directe de la racine
sensitive, il décrit une douleur « discogénique » qu'il provoque par excitation
directe des fibres superficielles de l'annulus. La partie postéro-latérale de
l'annulus ainsi irritée donne une douleur de la face postérieure du cou et de
l'épaule, assez sourde, tandis que la partie antérolatérale donne une douleur
interscapulaire vive, profonde et tensive, de la région interscapulaire du même
côté.
Après anesthésie de la partie correspondante de l'annulus, l'excitation ne
provoque plus de douleurs. CLOWARD note aussi que l'excitation directe de la
racine antérieure provoque exactement la même douleur interscapulaire que celle
qu'il obtient par irritation de l'annulus à sa partie antéro-latérale. Il émet
différentes hypothèses concernant le mécanisme de trans-mission de cette douleur
et fait jouer un rôle important au nerf sinu-vertébral. Pour lui la douleur
interscapulaire est une douleur musculaire et il appuie cette hypothèse sur
certaines constatations électromyographiques.
Ces travaux de CLOWARD apportent confirmation de la relation
entre le rachis cervical et l'algie interscapulaire, mais n'expliquent le
pourquoi du point interscapulaire, sa fixité et sa constance.
A quoi correspond donc ce point interscapulaire ?
Il pourrait s'agir d'une souffrance de muscles
tels que le rhomboïde (hypothèse de CLOWARD), mais l'innervation de celui dépend
de l'étage C4 C5 et non pas des étages inférieurs où l'on trouve le plus souvent
le point sonnette.
En outre, cela explique mal la fixité du point interscapulaire et les manœuvres
de mise en contraction contrariée de ce muscle n'augmentent ni la douleur
spontanée ni la sensibilité à la pression.
Il pourrait s'agir d'une irritation de la branche postérieure des
nerfs cervicaux ; mais on sait que d'après les
travaux d'anatomie, ces branches ne descendent guère à plus de trois ou quatre
étages au-dessous de leur émergence ; cependant, il faut penser aux muscles qui
sont innervés par elles. Le splénius et le complexus descendent assez bas et
leur insertion terminale se fait précisément au niveau de la cinquième ou de la
sixième vertèbres dorsales alors que leur insertion liante se fait au niveau de
l'occiput. Mais un argument s'inscrit contre cette hypothèse : la mise en
contraction de ces muscles contre résistance n'augmente pas la douleur dorsale
et ne rend pas plus sensible le point interscapulaire à la pression.
On doit donc se demander à quelle formation anatomique précise
correspond ce point interscapulaire si fixe et si constant. Le traité d'anatomie
d'HOVELACQUE, sur les nerfs rachidiens, apporte une réponse plausible ; il
montre, en effet, que ce point correspond exactement à l'émergence superficielle
de la branche postérieure de D2.
Cette branche naît au niveau de la deuxième vertèbre dorsale,
a d'abord un trajet profond, descend parallèlement à la ligne médiane et devient
superficielle à un travers de doigt 1 /2 de la ligne médiane en regard de D5 ou
de D6. De là, elle s'épanouit en dehors. Son territoire cutané est nettement
plus étendu que celui des autres nerfs dorsaux. Il atteint le bord externe de
l'omoplate. Ce nerf peut comporter un rameau musculaire innervant les muscles
paravertébraux adjacents et peut donner des rameaux au Rhomboïde et à la partie
inférieure du trapèze (TURNER). Cette topo-graphie de la sensibilité, cette
innervation motrice, correspondent parfaitement à ce que nous rencontrons chaque
jour chez nos dorsalgiques. Nous avons pu faire la preuve de cette hypothèse en
pratiquant l'anesthésie de ce nerf à sa sortie du rachis (donc entre D2 et D3).
Il est évident qu'au cas où ce nerf est concerné dans la
dorsalgie, son anesthésie doit faire disparaître la douleur spontanée et le
point interscapulaire à la pression. Nous l'avons pratiqué 30 fois, aussi bien
dans des algies interscapulaires aiguës que chroniques. Dans tous les cas, les
résultats furent immédiats : disparition de la douleur spontanée et disparition
du point interscapulaire que la pression ne pouvait plus réveiller et aussi
disparition de la sensibilité des tissus superficiels à la manœuvre du
pincer-rouler. C'est bien la branche postérieure de D2 qui est responsable de la
douleur interscapulaire. C'est un maillon de la chaîne mais il reste à
comprendre les liens qui existent entre le rachis cervical bas et ce nerf
dorsal.
Nous avons déjà signalé que dans certains cas d'algie
interscapulaire suraiguë, nous avons pu calmer parfaitement le patient par une
infiltration novocaïnique du ganglion stellaire. Nous avons recommencé ce
traitement dans 23 cas. Dans 20 cas, nous avons pu obtenir un soulagement très
important et même total (mais généralement transitoire) de la douleur dorsale et
la disparition du point interscapulaire à la pression. Notons que l'étage
cervical restait aussi sensible, mais sa pression ne donnait plus la douleur
dorsale. Tout se passait comme si nous avions ainsi coupé un relais. On peut
évidemment se demander si c'est bien le ganglion stellaire seul que l'on
infiltrait ainsi et non pas les parties vertébrales ou musculaires adjacentes.
Pourtant dans les quelques cas où nous n'obtenions pas un syndrome de Claude
Bernard Horner à la première infiltration, le soulagement fut nul ou léger.
Rappelons à ce sujet que la piqûre du ganglion stellaire ou son excitation (ARNULF)
provoquent une douleur profonde ressentie dans la région interscapulaire moyenne.
D'ailleurs, lorsque nous infiltrons le ganglion stellaire des dorsalgiques,
ceux-ci nous disent très fréquemment lors de l'injection qu'ils ressentent la
piqûre dans « leur douleur ». Par contre, dans quelques cas, une infiltration
stellaire parfaitement réussie, avec syndrome de Claude Bernard Horner, n'a pu
modifier la douleur interscapulaire.
Fig. 3: Trajet, schématique de la branche
postérieure de D2. Cette branche descend verticalement dans le plan musculaire
profond jusqu'aux environs de D5 et devient à ce moment-là superficielle,
s'épanouissant vers l'extérieur et vers le haut. Son territoire cutané et
musculaire est plus important que celui des autres branches postérieures. Le
Point douloureux inlerscapulaire correspond à son émergence superficielle.
Ajoutons l'effet souvent heureux des ganglioplégiques (dibromure d'hexaméthyl-pentane-ammonium)
dans ces douleurs interscapulaires aiguës. Ceci permet de penser à un certain
rôle du sympathique.
Il semble donc bien que c'est à la souffrance de la branche postérieure de D2
que l'on puisse rapporter nombre de dorsalgies communes et tout particulièrement
celles qui se présentent avec un point exquis à la pression se situant à un
travers de doigt de D5 ou D6 (point d'émergence superficielle de ce nerf).
Mais comme nous l'avons vu par ailleurs, de telles douleurs
prennent souvent leur origine au niveau du rachis cervical ainsi que peuvent le
mettre en évidence certains tests (recherche du point sonnette cervical
antérieur) confirmés par certaines observations cliniques (douleurs accompagnant
les névralgies cervico-brachiales) et par la confirmation thérapeutique (bonne
action des manipulations, ou immobilisation cervicale).
Il reste évidemment à comprendre quel est l'intermédiaire
entre le rachis cervical et la branche postérieure de D2, tout en notant
l'action souvent heureuse de l'infiltration stellaire et des ganglioplégiques.