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Annales de Médecine Physique 1968.11:247-52

Le point douloureux inter-scapulaire paramédian des dorsalgies communes
Rôle de la branche postérieure de la racine T2

R Maigne


 

Dans des publications précédentes (1), nous avons attiré l'attention sur une forme de dorsalgie bénigne de l'adulte, particulièrement fréquente : « l'Algie Interscapulaire ». Nous avons pu montrer son origine cervicale fréquente et les intéressantes possibilités thérapeutiques que cela permettait. Nous avons insisté sur l'existence constante dans ces dorsalgies d'un point particulièrement sensible à la pression, se situant à un travers de doigt de la ligne médiane au niveau de D5 ou D6. C'est plus particulièrement la signification de ce point qui fait l'objet de cet exposé.

Fig. 1: Le Point Interscapulaire, toujours présent dans cette forme de dorsalgie et toujours fixe dans sa topographie. La pression faite à cet endroit précis avec la pulpe de l'index reproduit ou exagère la dorsalgie habituelle du malade.

 

Cette Algie interscapulaire est favorisée et aggravée par certains travaux (dactylographie, couture). Nous rappellerons rapidement ses caractères ainsi que les arguments qui permettent d'en faire une douleur trouvant son origine au niveau du rachis cervical.

Caractéristiques

Cette algie interscapulaire se caractérise par :

  • Sa topographie paramédiane unilatérale interscapulovertébrale irradiant peu ; son caractère : « brûlure », fatigue localisée, « point aigu »
  • et surtout l'existence constante d'un point très précis à la pression à un travers de doigt de D5 ou de D6. Ce point est remarquable par le fait qu'il paraît être l'épicentre de la douleur, lorsqu'on fait pression sur lui, mais son infiltration à la procaïne est sans grand effet.
  • Son origine cervicale est affirmée sur le fait qu'on peut reproduire ou exagérer cette dorsalgie par la manœuvre cervicale suivante : la palpation attentive de la région antérolatérale du cou, au niveau de l'émergence des dernières racines cervicales, montre que du côté de la dorsalgie, l'un des étages cervicaux est vivement sensible à une pression modérée faite avec la pulpe du pouce, beaucoup plus que les zones symétriques ou les étages sus ou sous-jacentes. Mais surtout, la pression maintenue quelques secondes sur ce « Point Sonnette Cervical Antérieur » provoque aussitôt la dorsalgie interscapulaire habituelle (fig. 2).

 

Fig. 2 : Le Point Sonnette Antérieur : la pression faite avec la pulpe du pouce, celui-ci étant tenu horizontalement sur la partie antéro-latérale du rachis au niveau de l'émergence des racines rachidiennes, met en évidence un étage plus sensible que les autres. La pression légère maintenue quelques secondes sur lui provoque l'irradiation dorsale habituelle.

L'examen va montrer que cet étage cervical présente une sensibilité anormale que l'on met en évidence par la douleur à la pression dans la gouttière postérieure et par la pression sur l'épineuse correspondante.

Différentes remarques viennent s'ajouter à cet argument :

  • La fréquence de la même douleur interscapulaire dans certaines névralgies cervico-brachiales, radiculaires typiques (avec le point interscapulaire para D5, et le point sonnette antérieur).
  • Le déclenchement fréquent d'une dorsalgie interscapulaire de même caractère après traumatisme cervical ou manipulation mal faite du rachis cervical.
  • Les très bons résultats enfin obtenus par des traitements qui intéressent uniquement le rachis cervical : manipulations cervicales le plus souvent, port d'un petit collier immobilisant le rachis cervical pendant 15 jours ; radiothérapie cervicale. Les bons résultats thérapeutiques ainsi obtenus sont d'autant plus frappants que l'on sait le caractère généralement rebelle des dorsalgies bénignes de l'adulte.
     

Tout cela montre bien l'origine cervicale de cette dorsalgie.

Le problème est de comprendre comment cette dorsalgie peut trouver son origine au niveau du rachis cervical et à quoi correspond le point interscapulaire si fixe et si constant.

CLOWARD, neurochirurgien américain, a cherché à savoir, au cours d'une série d'expérimentations, quelle douleur pouvait provoquer l'irritation de chaque partie du disque intervertébral au niveau du rachis cervical. Chaque partie de l'annulus donc a été excitée par différents procédés (aiguille, discographie, excitation électrique faite au travers de l'aiguille de discographie) et enfin excitation sous contrôle direct de la vue au cours d'interventions sur la région cervicale faites sous anesthésie locale. A côté de la douleur radiculaire qu'il obtient par irritation directe de la racine sensitive, il décrit une douleur « discogénique » qu'il provoque par excitation directe des fibres superficielles de l'annulus. La partie postéro-latérale de l'annulus ainsi irritée donne une douleur de la face postérieure du cou et de l'épaule, assez sourde, tandis que la partie antérolatérale donne une douleur interscapulaire vive, profonde et tensive, de la région interscapulaire du même côté.
Après anesthésie de la partie correspondante de l'annulus, l'excitation ne provoque plus de douleurs. CLOWARD note aussi que l'excitation directe de la racine antérieure provoque exactement la même douleur interscapulaire que celle qu'il obtient par irritation de l'annulus à sa partie antéro-latérale. Il émet différentes hypothèses concernant le mécanisme de trans-mission de cette douleur et fait jouer un rôle important au nerf sinu-vertébral. Pour lui la douleur interscapulaire est une douleur musculaire et il appuie cette hypothèse sur certaines constatations électromyographiques.

Ces travaux de CLOWARD apportent confirmation de la relation entre le rachis cervical et l'algie interscapulaire, mais n'expliquent le pourquoi du point interscapulaire, sa fixité et sa constance.

A quoi correspond donc ce point interscapulaire ?

Il pourrait s'agir d'une souffrance de muscles tels que le rhomboïde (hypothèse de CLOWARD), mais l'innervation de celui dépend de l'étage C4 C5 et non pas des étages inférieurs où l'on trouve le plus souvent le point sonnette.
En outre, cela explique mal la fixité du point interscapulaire et les manœuvres de mise en contraction contrariée de ce muscle n'augmentent ni la douleur spontanée ni la sensibilité à la pression.

Il pourrait s'agir d'une irritation de la branche postérieure des nerfs cervicaux ; mais on sait que d'après les travaux d'anatomie, ces branches ne descendent guère à plus de trois ou quatre étages au-dessous de leur émergence ; cependant, il faut penser aux muscles qui sont innervés par elles. Le splénius et le complexus descendent assez bas et leur insertion terminale se fait précisément au niveau de la cinquième ou de la sixième vertèbres dorsales alors que leur insertion liante se fait au niveau de l'occiput. Mais un argument s'inscrit contre cette hypothèse : la mise en contraction de ces muscles contre résistance n'augmente pas la douleur dorsale et ne rend pas plus sensible le point interscapulaire à la pression.

On doit donc se demander à quelle formation anatomique précise correspond ce point interscapulaire si fixe et si constant. Le traité d'anatomie d'HOVELACQUE, sur les nerfs rachidiens, apporte une réponse plausible ; il montre, en effet, que ce point correspond exactement à l'émergence superficielle de la branche postérieure de D2.

Cette branche naît au niveau de la deuxième vertèbre dorsale, a d'abord un trajet profond, descend parallèlement à la ligne médiane et devient superficielle à un travers de doigt 1 /2 de la ligne médiane en regard de D5 ou de D6. De là, elle s'épanouit en dehors. Son territoire cutané est nettement plus étendu que celui des autres nerfs dorsaux. Il atteint le bord externe de l'omoplate. Ce nerf peut comporter un rameau musculaire innervant les muscles paravertébraux adjacents et peut donner des rameaux au Rhomboïde et à la partie inférieure du trapèze (TURNER). Cette topo-graphie de la sensibilité, cette innervation motrice, correspondent parfaitement à ce que nous rencontrons chaque jour chez nos dorsalgiques. Nous avons pu faire la preuve de cette hypothèse en pratiquant l'anesthésie de ce nerf à sa sortie du rachis (donc entre D2 et D3).

Il est évident qu'au cas où ce nerf est concerné dans la dorsalgie, son anesthésie doit faire disparaître la douleur spontanée et le point interscapulaire à la pression. Nous l'avons pratiqué 30 fois, aussi bien dans des algies interscapulaires aiguës que chroniques. Dans tous les cas, les résultats furent immédiats : disparition de la douleur spontanée et disparition du point interscapulaire que la pression ne pouvait plus réveiller et aussi disparition de la sensibilité des tissus superficiels à la manœuvre du pincer-rouler. C'est bien la branche postérieure de D2 qui est responsable de la douleur interscapulaire. C'est un maillon de la chaîne mais il reste à comprendre les liens qui existent entre le rachis cervical bas et ce nerf dorsal.

Nous avons déjà signalé que dans certains cas d'algie interscapulaire suraiguë, nous avons pu calmer parfaitement le patient par une infiltration novocaïnique du ganglion stellaire. Nous avons recommencé ce traitement dans 23 cas. Dans 20 cas, nous avons pu obtenir un soulagement très important et même total (mais généralement transitoire) de la douleur dorsale et la disparition du point interscapulaire à la pression. Notons que l'étage cervical restait aussi sensible, mais sa pression ne donnait plus la douleur dorsale. Tout se passait comme si nous avions ainsi coupé un relais. On peut évidemment se demander si c'est bien le ganglion stellaire seul que l'on infiltrait ainsi et non pas les parties vertébrales ou musculaires adjacentes. Pourtant dans les quelques cas où nous n'obtenions pas un syndrome de Claude Bernard Horner à la première infiltration, le soulagement fut nul ou léger. Rappelons à ce sujet que la piqûre du ganglion stellaire ou son excitation (ARNULF) provoquent une douleur profonde ressentie dans la région interscapulaire moyenne. D'ailleurs, lorsque nous infiltrons le ganglion stellaire des dorsalgiques, ceux-ci nous disent très fréquemment lors de l'injection qu'ils ressentent la piqûre dans « leur douleur ». Par contre, dans quelques cas, une infiltration stellaire parfaitement réussie, avec syndrome de Claude Bernard Horner, n'a pu modifier la douleur interscapulaire.


Fig. 3: Trajet, schématique de la branche postérieure de D2. Cette branche descend verticalement dans le plan musculaire profond jusqu'aux environs de D5 et devient à ce moment-là superficielle, s'épanouissant vers l'extérieur et vers le haut. Son territoire cutané et musculaire est plus important que celui des autres branches postérieures. Le Point douloureux inlerscapulaire correspond à son émergence superficielle.


Ajoutons l'effet souvent heureux des ganglioplégiques (dibromure d'hexaméthyl-pentane-ammonium) dans ces douleurs interscapulaires aiguës. Ceci permet de penser à un certain rôle du sympathique.
Il semble donc bien que c'est à la souffrance de la branche postérieure de D2 que l'on puisse rapporter nombre de dorsalgies communes et tout particulièrement celles qui se présentent avec un point exquis à la pression se situant à un travers de doigt de D5 ou D6 (point d'émergence superficielle de ce nerf).

Mais comme nous l'avons vu par ailleurs, de telles douleurs prennent souvent leur origine au niveau du rachis cervical ainsi que peuvent le mettre en évidence certains tests (recherche du point sonnette cervical antérieur) confirmés par certaines observations cliniques (douleurs accompagnant les névralgies cervico-brachiales) et par la confirmation thérapeutique (bonne action des manipulations, ou immobilisation cervicale).

Il reste évidemment à comprendre quel est l'intermédiaire entre le rachis cervical et la branche postérieure de D2, tout en notant l'action souvent heureuse de l'infiltration stellaire et des ganglioplégiques.


 

(1) Sur l'origine cervicale de certaines dorsalgies bénignes et rebelles.
R. MAIGNE, Ligue Française contre le Rhumatisme ; séance du 15 avril 1964, et Revue du Rhumatisme, 9, 497-503, 1964. L'algie interscapulo-vertébrale. Forme fréquente de dorsalgie bénigne ; son origine cervicale.
R. MAIGNE et F. LE CORRE, Annales de Médecine Physique, VII, I, 1-16, 1964.



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