Rev
Rhum 1974;41:781-9.
Origine
dorso-lombaire de certaines lombalgies basses
Rôle des
articulations interapophysaires et des branches postérieures des nerfs
rachidiens
R Maigne
|
Résumé :
un grand nombre de lombalgies basses, ressenties comme une
douleur lombofessière, trouvent leur origine dans la souffrance d'une branche
postérieure d'un nerf rachidien de la jonction dorso-lombaire (11, D12 ou Ll)
région charnière. Ce sont ces branches postérieures qui innervent les plans
cutanés de la crête iliaque et de la fosse iliaque externe. Leur rameau cutané
devient superficiel au niveau de la crête iliaque. Cette émergence est très
sensible à la pression en cas d'irritation du nerf, tandis que son territoire
cutané est dans les cas chroniques, le siège d'une infiltration cellulitique
très sensible à la manœuvre du pincé-roulé. Cette irritation des branches
postérieures est due à la souffrance de l'articulation interapophysaire
correspondante avec laquelle elle affecte des rapports très intimes.
L'infiltration anesthésique ou cortisonée de cette articulation apporte un
soulagement immédiat de la douleur basse.
Le traitement est constitué par l'infiltration de l'articulation
interapophysaire responsable ; la manipulation portant sur l'étage
dorso-lombaire donne d'excellents résultats lors-qu'elle est applicable et faite
dans de bonnes conditions par un médecin entraîné. Il faut parfois compléter le
traitement, par des massages de la zone cellulalgique si elle persiste après le
traitement vertébral. La rééducation est utile ; elle doit éviter tous les
mouvements de torsion du tronc.
Thoraco-lumbar origin
of certain cases of low back pain. Role of facet joints and dorsal rami of the
spinal nerves. Certain cases of low back pain are the
result of irritation of the dorsal ramus of a spinal nerve at the thoracolumbar
junction (T12, L1 or L2). These dorsal rami innervate the cutaneous area of the
iliac crest and of the extemal iliac fossa. Their cutaneous branches become
superficial at the level of the iliac crest. This point of emergence is very
sensitive to pressure when the nerve is irritated, while in chronic cases, its
cutaneous territory of distribution is the seat of infiltration of cellulite
that is sensitive to the pinching - rolling test.
This irritation of the posterior branches is a result of a lesion of the
corresponding facet joint with which it has a close relationship. The injection
of an anaesthetic or cortisone into this joint gives immediate relief of the low
back pain.
The treatment consists of injection of the culprit facet joint. Manipulation of
the dorso-lumbar area gives excellent results when it is applied under
favourable conditions by a trained doctor. Sometimes, it is necessary to
complete the treatment with massage of the painful areas of cellulite if they
persist after the spinal treatment. Reeducation is useful : it is essential to
avoid all torsional movements of the trunk.
Il est habituel de considérer que les lombalgies aiguës ou chroniques d'origine
vertébrale sont généralement la conséquence de lésions des deux ou trois
derniers segments du rachis lombaire. Nous voulons attirer l'attention ici sur
le fait qu'un nombre important de ces lombalgies basses prouvent au contraire
leur origine au niveau de la région dorsale basse (D11-D12, D12-L1) ou lombaire
haute (L1-L2). Elles sont dues à la souffrance de la branche postérieure d'un
nerf rachidien irrité au niveau de l'articulation postérieure interapophysaire
correspondante, avec laquelle elle affecte des rapports très étroits.
L'efficacité de l'infiltration anesthésique de ce nerf à son émergence du rachis
(au niveau de D11, D12, L1), ou mieux de l'articulation interapophysaire
responsable, apporte une confirmation thérapeutique intéressante à notre thèse.
Rappel anatomique
Nous ferons d'abord un
bref rappel anatomique concernant les articulations interapophysaires et les
branches postérieures des nerfs rachidiens dorso-lombaires.
Articulations
interapophysaires
Elles sont constituées par les apophyses articulaires supérieures et inférieures
qui naissent de l'arc postérieur. Elles contribuent à former le trou de
conjugaison. Elles conditionnent l'amplitude et la direction du mouvement de
chaque étage vertébral. Leur orientation et leur forme changent effectivement à
chaque étage du rachis et favorisent certains mouvements et en empêchent
d'autres ; Au niveau du rachis cervical, le plan articulaire a une inclinaison
de 45° sur l'horizontale. Celle-ci est de 60° au niveau du rachis dorsal et de
90° au niveau du rachis lombaire. Au niveau du rachis cervical et du rachis
dorsal, les articulations sont sensiblement dans un plan frontal. Elles sont au
contraire dans un plan sagittal au niveau du rachis lombaire. Cette disposition
fait que le rachis dorsal devrait avoir une mobilité particulièrement grande
surtout en rotation si les côtes ne le gênaient. Par contre, ce mouvement de
rotation est pratiquement impossible au niveau du rachis lombaire surtout à sa
partie inférieure.
Anatomiquement et
physiologiquement, D12 est une vertèbre intermédiaire. Ses articulations
supérieures se comportent comme celles du rachis dorsal et les inférieures comme
celles du rachis lombaire. Il y a donc là une certaine rupture de l'harmonie du
mouvement qui peut favoriser la souffrance du segment. C'est au niveau de la
jonction dorso-lombaire que s'effectue dans la vie courante l'essentiel de la
rotation du tronc, limitée au-dessus par les côtes et rendue impossible
au-dessous par l'orientation des surfaces articulaires. Ceci est très important.
La capsule articulaire,
sauf dans sa partie latérale, est résistante et élastique. Chaque mouvement se
fait contre cette résistance élastique qui tend, lors-que la force mobilisatrice
cesse, à faire reprendre aux surfaces articulaires leur position initiale
(Tondury). La capsule est très riche en innervation pro-prioceptive. Elle reçoit
son innervation de rameaux venant de la branche postérieure du nerf rachidien et
à sa partie interne, de rameaux du nerf sinu-vertébral. Zuckswerdt [15] puis
Tondury [14] ont décrit des « formations méniscoïdes » attachées à la capsule et
auxquelles certains veulent faire jouer un rôle dans de possibles « blocages
interapophysaires ». Il s'agit de formations de taille et de forme très
variables, avec une attache capsulaire, une partie moyenne conjonctive richement
innervée et vascularisée et un bord libre comportant parfois des cellules
chondroïdes. Ces formations existent dans 84 p. cent des articulations
interapophysaires selon Emmeringer. Elles sont souvent d'une très grande minceur
« comme une feuille de papier à cigarette » (Emmeringer). Elles ont avant tout
un rôle trophique et comblent l'espace articulaire en favorisant leur coaptation
et le glissement des surfaces. Kos pense qu'elles peuvent être responsables de
blocages mécaniques de l'articulation par leur déchirure ou leur plissement [4].
Tel n'est pas l'avis de Tondury et d'Emmeringer [2 et 14]. Mais il n'est pas
contraire au bon sens de penser que leur lésion mécanique produisant œdème et
congestion, puisse créer une douleur articulaire [11].
Branches
postérieures des nerfs rachidiens dorso-lombaires
Rappelons que les branches
postérieures des nerfs rachidiens innervent tous les plans cutanés du dos, du
vertex au coccyx, les muscles intrinsèques de la colonne vertébrale, les
articulations interapophysaires et les ligaments sur et interépineux. La branche
postérieure, au niveau lombaire supérieur et dorsal inférieur, se détache
presque à angle droit du nerf rachidien. Elle contourne l'articulation
interapophysaire, en moulant son trajet sur le relief de l'apophyse articulaire
supérieure de la vertèbre sous-jacente. Elle se divise immédiatement en arrière
de la portion inférieure du muscle intercostiforme [5 et 6] en une branche
externe motrice et sensitive qui devient sous-cutanée environ 3 vertèbres
au-dessous de son origine et une branche interne à peu près exclusivement
motrice et qui se dirige en bas, en arrière et en dedans et se distribue au
transversaire épineux et à l'épi-épineux (fig. 1 et 2).
Le territoire cutané est innervé par les branches postérieures de D12, L1 et L2
(fig. 3). On constate que D12 innerve toute la partie externe de la fosse
iliaque externe à sa partie supérieure et que L1 innerve la région de la crête
iliaque et la partie moyenne de la fosse iliaque externe, tandis que L2 innerve
la partie plus interne. Il est évident que des variations individuelles sont
fréquentes. Mais il faut retenir de cela que ; les plans cutanés de la moitié
supérieure des fosses iliaques externes et de la région de la crête iliaque sont
innervés par les branches postérieures de D12, L1 et L2 ; les branches
postérieures de L3, L4 et L5 n'ont généralement pas de rameaux cutanés ; le
point d'émergence de L1, de L2 et de D12 se fait au niveau ou au voisinage de la
crête iliaque et correspond à des points douloureux souvent rencontrés à
l'examen systématique des lombalgiques.
Fig. 2 (à gauche) : Trajet schématique du rameau
externe cutané de la branche postérieure de D12 en bas et de D9 en haut. Noter
le décalage entre le point d'origine et la zone Innervée où l'on peut trouver
l'Infiltrat cellulitique.
Fig. 3 (à droite) : Points d'émergence habituels des
rameaux cutanés des branches postérieures de
L2, L1, D12 et 11 d'après Hovelacque. Mais nous avons constaté de nombreuses
variations individuelles
Tableau clinique des lombalgies
d'origine dorso-lombaire
La lombalgie aiguë est
généralement provoquée par un faux mouvement ou un effort en torsion du tronc.
Elle est unilatérale. Elle est ressentie comme un endolorissement profond, mal
localisé de la fosse lombaire, irradiant à la crête iliaque. Elle ne
s'accompagne pas d'attitude antalgique en baïonnette ou en cyphose, comme la
lombalgie discale L4-L5 ou L5-S1. Il existe une contracture plus ou moins
importante de la région paravertébrale sans déviation rachidienne. La limitation
douloureuse du mou-vement porte généralement sur la rotation et la flexion du
côté douloureux et plus souvent sur la flexion que sur l'extension.
La lombalgie chronique se
présente à première vue comme une lombalgie banale lombo-sacrée. Elle est
influencée par les positions, les efforts. Mais il faut noter son caractère
unilatéral habituel et la fréquence avec laquelle les mouvements de torsion
forcée du tronc exagèrent ou provoquent la douleur. La position couchée, même
sur un lit ferme, n'a pas toujours l'effet favorable qu'elle a dans les
lombalgies d'origine lombaire basse et le patient est par-fois réveillé le matin
par sa douleur dans le lit. La douleur est ressentie soit au niveau d'un point
précis de la crête iliaque, soit plus profonde, plus diffuse, endolorisant la
fosse lombaire et la fosse iliaque externe, avec parfois une sensation de
pesanteur difficile à localiser.
Certains patients ressentent en même temps que la douleur basse une douleur plus
haut située, latéro-vertébrale, au niveau de l'angle costo-vertébral. Il n'est
pas rare de noter une irradiation antérieure plus ou moins vive au niveau de la
fosse iliaque ou de l'aine du même côté, dans le territoire de la branche
antérieure correspondante (fig. 4). L'examen va mettre en évidence les
caractères particuliers de cette lombalgie au niveau de la crête iliaque et de
la fosse iliaque externe et au niveau de la région dorso-lombaire où elle trouve
son origine (fig. 5).
Fig. 4 : A gauche, l'étoile figure le
point douloureux de la crête iliaque correspondant à l'émergence du rameau
cutané de la branche postérieure de L1. La zone hachurée est la zone souvent
infiltrée de cellulalgie quand ce nerf est irrité. A droite,
zone de cellulalgie de la fosse iliaque droite correspondant à l'irritation de
la branche antérieure de L1. Ces zones de cellulalgie peuvent être la seule
manifestation d'irritation du nerf. Elles sont réveillées par la manœuvre du
pince-roulé qui souvent reproduit la douleur habituelle du patient, en
réveillant l'extrême sensibilité de la zone.
Fig. 5 : a) Position du patient pour l'examen, b) A
gauche : Recherche du « point de crête » par friction du doigt le long de la
crête iliaque. Cette manœuvre comprime contre l'os, le rameau cutané de la
branche postérieure irritée. A droite : Manœuvre du pince-roulé positive dans la
plupart des cas, révélant une cellulalgie plus ou moins étendue, plus ou moins
épaisse, toujours très sensible (à comparer avec le côté opposé), c) Recherche
de l'étage dorsal inférieur responsable. A gauche : pression latérale latérale
contre les épineuses (à faire de L5 à D9) ; 1 une d entre elles (D10, D11, D12
ou L1) est très sensible à la pression. A droite : au même niveau, la pression
avec petits mouvements de friction, révèle la sensibilité particulière de
l'articulation interapophysaire responsable. L'anesthésie de cette articulation
et de la branche postérieure qui la contourne fait disparaître la sensibilité du
« Point de crête », celle de la cellulalgie et aussi la douleur spontanée du
patient.
Au niveau de la crête
iliaque
On notera une très vive sensibilité à la pression du doigt au niveau du point
correspondant à l'émergence cutanée de la branche postérieure du nerf rachidien
concerné. Le doigt glisse sur la crête iliaque en appuyant légèrement de
centimètre en centimètre. La pression réveille en ce point précis une douleur
assez vive qui correspond souvent à la sensation habituelle du patient. Ce «
point de crête » est à rechercher avec attention. Il est très interne pour L2,
situé sensiblement au niveau de l'insertion du ligament iliolombaire pour L1, il
est plus externe pour D12. Les variations individuelles sont fréquentes.
On sait que certains
auteurs font jouer à la douleur d'insertion du ligament iliolombaire un rôle
dans certaines lombalgies. Le soulagement obtenu par l'infiltration locale
semble alors confirmer ce diagnostic de douleur d'insertion du ligament, alors
que celui-ci s'insère sur le versant interne de la crête iliaque et ne peut donc
être atteint facilement ni par la palpation ni par l'infiltration. En fait, il
s'agit d'une erreur d'interprétation et on attribue au ligament ce qui revient
au nerf.
Au niveau de la fosse
iliaque externe
On examine les plans cutanés et sous-cutanés par la manœuvre du palpé-roulé. On
prend entre pouce index de chaque main un gros pli de peau et de tissus
sous-cutanés ; on le fait rouler comme on roule une cigarette. On trouvera
souvent du côté de la lombalgie à partir du point douloureux de la crête, une
zone plus ou moins étendue de cellulalgie où le pli est épaissi, grumeleux,
extrêmement sensible a la pression, ce qui contraste avec les zones voisines et
symétriques. Il est des cas où ce signe manque et il est des cas où il est
difficile à mettre en évidence lorsque le patient et surtout la patiente est
obèse et a les tissus très infiltrés. Mais même là, on peut souvent noter une
différence sensible entre les deux côtés dans la douleur provoquée.
Au niveau de la
région dorso-lombaire
L'examen de la région lombaire supérieure se fera sur le patient couché à plat
ventre en travers de la table — au besoin avec un coussin sous le ventre. On
cherchera à mettre en évidence la souffrance d'un étage vertébral entre D10 et
L2 et plus particulièrement la sensibilité d'un massif articulaire postérieur du
côté de la lombalgie, le plus souvent D11-D12, ou L1-L2. Pour cela, il faut
faire pression au niveau de la gouttière paravertébrale, au ras de la ligne des
épineuses, de centimètre en centimètre ; la pression doit être lente, profonde,
maintenue. Elle est indolore sur les articulations normales, vivement sensible
sur l'articulation irritée. Elle va reproduire la douleur habituelle du patient
qui est pourtant perçue beaucoup plus bas. On complétera l'examen par les autres
signes de « dérangement inter-vertébral mineur » [12] : pression axiale sur
l'épineuse, sensibilité du ligament interépineux et sur-tout pression latérale
sur l'épineuse faite avec la pulpe du pouce, tangentiellement aux plans cutanés.
Cette manœuvre provoque généralement la douleur dans un seul sens, de droite à
gauche ou de gauche à droite. Dans la majorité des cas, la douleur est provoquée
par la pression de droite à gauche si la lombalgie est droite et inversement. La
radiographie et les examens de laboratoire viendront confirmer la nature banale
et bénigne de cette souffrance vertébrale ; nous y reviendrons (fig. 5).
Preuve du rôle de l'articulation interapophysaire et de
la branche postérieure dans le mécanisme de la lombalgie
Il est remarquable que l'infiltration anesthésique de l'articulation
interapophysaire ainsi repérée, fait aussitôt disparaître la douleur et la gêne
aux mouvements du patient, la sensibilité au point de crête iliaque que l'on ne
retrouve plus et bien souvent la zone cellulalgique qui devient aussitôt
indolore et souple, paraissant désinfiltrée.
On peut ajouter que dans
les premières secondes de l'infiltration, le liquide provoque fréquemment la
douleur habituelle du patient.
Ajoutons qu'une manipulation - lorsqu'elle est possible - faite sur la région
dorso-lombaire, peut permettre le même résultat immédiat favorable si elle est
faite dans le bon sens. Elle sera au contraire aggravante si elle est faite dans
le mauvais. Il s'agit généralement de manœuvres en rotation.
Discussion pathogénique
Mécanisme de la
souffrance articulaire postérieure.
La question qui se pose est le pourquoi de la souffrance articulaire postérieure
dorso-lombaire, d'autant que dans la grande majorité des cas, il n'y a aucune
lésion radiologique particulière à ce niveau, si l'on veut bien ne pas tenir
compte des petites déviations ou des séquelles discrètes d'épiphysite qui
peuvent cependant jouer un rôle favorisant.
Parfois la lésion arthrosique articulaire postérieure est évidente et il s'agit
alors presque toujours de patientes présentant un syndrome trophostatique de la
post-ménopause de de Sèze et Caroit [13]. La souffrance articulaire postérieure
et l'irritation de la branche postérieure peuvent rendre compte d'une partie des
douleurs qu'elles présentent Dans quelques cas, il s'agit de patients ayant
présenté un tassement traumatique de D11, D12, L1 ou L2 et l'on comprend fort
bien qu'une des articulations postérieures ou les deux aient subi les
conséquences du traumatisme. Enfin, dans deux de nos cas, il s'agissait d'une
lombalgie perçue très bas, mais dont la cause était un mal de Pott
dorso-lombaire pour le premier et une métastase de D12 pour le second.
Donc, le plus souvent, la radiographie est négative et ne nous est d'aucun
secours pour expliquer la sensibilité de l'étage responsable, tandis que les
examens complémentaires et l'évolution en affirment la nature mécanique et
bénigne.
Nous pouvons alors imaginer deux mécanismes de la souffrance articulaire
postérieure : le premier qui n'atteindrait que l'articulation, le deuxième où la
souffrance articulaire postérieure est la conséquence d'un « dérangement
intervertébral mineur » [11].
Atteinte isolée de l'articulation interapophysaire
Il peut
s'agir d'une entorse [2, 7, 1] avec lésion éventuelle de la formation méniscoïde
(œdème, déchirure, etc.). Ce mécanisme peut être invoqué dans les formes aiguës
consécutives à un mouvement de rotation forcée du tronc. Le pivot de la rotation
du tronc se fait au niveau de D12, dont nous avons rappelé plus haut les
particularités anatomo-physiologiques. Il peut ailleurs s'agir d'une poussée
congestive d'arthrose portant sur l'articulation, à une période où l'image
radiologique est encore normale.
Ces explications s'appliquent surtout aux cas aigus, mais rendent moins bien
compte des cas chroniques, beaucoup plus fréquents. De plus, elles n'apportent
guère d'explication satisfaisante au bon résultat habituel que donnent dans ces
cas les manipulations vertébrales correctement appliquées.
La
souffrance articulaire postérieure est la conséquence d'un dérangement
intervertébral mineur
Dans l'ignorance où nous
sommes du mécanisme de la plupart des douleurs vertébrales bénignes, la notion
de « dérangement intervertébral mineur » permet de mettre en ordre un certain
nombre de faits cohérents. Disque et articulations interapophysaires sont
fonctionnellement liés à l'intérieur du segment mobile de Junghanss. Toute
lésion de l'un retentit sur l'autre et sur les autres constituants
ligamentaires, musculaires. Le disque, clef de voûte du système, doit assumer
une parfaite répartition des contraintes.
Une lésion du disque peut
être symptomatique directement parce qu'il y a pression sur un élément sensible
: racine nerveuse, fibres superficielles de l'annulus dans sa partie
postérieure, dure-mère ; ou asymptomatique par elle-même; mais, par la mauvaise
répartition des contraintes, la lésion discale peut faire souffrir une autre
partie du segment mobile qui aura à fonctionner dans des conditions anor-males
et deviendra l'origine de la douleur.
L'articulation
interapophysaire, par sa fonction, est la victime la plus habituelle de ces
disfonctionnements intermittents ou permanents du segment mobile. L'intimité de
cette articulation avec la branche postérieure du nerf rachidien fait que
celle-ci est fréquemment irritée lorsqu'il y a atteinte des articulaires
postérieures. Enfin, la riche innervation proprioceptive de la capsule
articulaire facilite le déclenchement d'un cercle vicieux qui tend à limiter le
jeu douloureux de l'articulation. C'est une « fausse note », un « circuit
parasite » qui se crée ainsi dans le système vertébral qui fonctionne
exclusivement sous le signe de l'automatisme. Il y a ainsi tendance à
l'auto-entretien de la lésion, car tout mouvement qui fait souffrir
l'articulation augmente la défense locale, donc fixe encore plus le dérangement.
Selon l'importance de celui-ci, de nombreuses thérapeutiques avec au premier
plan la mise en décharge, c'est-à-dire le repos du segment, pourront contribuer
à soulager le patient. La manipulation occupe ici — si elle est possible — une
place privilégiée, car elle peut revendiquer une double action : mécanique sur
le dérangement discal et la mobilité articulaire postérieure, et réflexe sur les
contractures que l'étirement puissant qu'elle permet tend à inhiber [8, 12].
La cellulalgie localisée,
conséquence de l'irritation radiculaire. Le syndrome « cellulo-tendino-myalgique
»
Nous avons attiré l'attention sur certains manifestations accompagnant les
irritations radiculaires que nous appelons le « syndrome
cellulo-tendi-nomyalgique ». Ces manifestations inconstantes mais fréquentes, se
rencontrent dans des radiculalgies évidentes : sciatiques, névralgies
cervico-brachiales, cruralgies. Elles disparaissent le plus souvent avec la
crise. Mais non reconnues et non traitées, elles peuvent persister et entretenir
des pseudoradiculalgies rebelles [8, 9, 10, 12].
Ce syndrome
cellulo-tendinomyalgique comporte (fig. 6) ; des plaques de cellulalgie vivement
sensibles au pince-roulé dans certaines parties du dermatome de la racine
concernée ; des faisceaux musculaires indurés, très sensibles à la palpation
dans le corps de certains muscles tributaires de la racine atteinte ; des
sensibilités ténopériostées sous la dépendance de l'irritation radiculaire.
Ces zones de sensibilité, généralement méconnues du malade ne peuvent être
retrouvées que par l'examen systématique et attentif. Elles peuvent contribuer à
entretenir une douleur radiculaire. Mais elles peuvent être aussi la source
d'erreurs de diagnostic.
En effet, elles peuvent survivre à la crise radiculaire qui leur a donné
naissance et entretenir longtemps des douleurs. Mais elles peuvent aussi exister
chez des patients qui n'ont jamais présenté de douleurs radiculaires évidentes.
Alors l'examen vertébral systématique segment par segment retrouvera les signes
habituels d'un dérangement intervertébral sur l'étage métamétriquement
correspondant. Plus encore, le traitement — manipulatif par exemple — de ce
segment fera aussitôt disparaître, ou atténuera la douleur à distance qui ne lui
paraissait pas liée (exemple : pseudotendinite d'épaule, douleurs d'épicondyle,
pseudo-douleur du genou, etc.). Ce syndrome peut être ainsi la seule
manifestation d'une irritation radiculaire à minima isolée, ou la séquelle d'une
crise passée [8, 12].
Fig. 6.
Le syndrome celluloténomyalgique (Maigne) dans les sciatiques L5
et S1 : en pointillé les zones habituelles d'infiltration cellulltique ; traits
gras, cordons musculaires Indurés et sensibles à la palpation ; pour L5 moyen
fessier, tenseur du fascia-lata, plus rarement extenseur des orteils ; pour S1
grand fessier, moyen fessier, biceps, jumeau externe, soléaire ; cercle :
douleur ténopériostée pour L5 (Insertion du moyen fessier sur le trochanter)
Fig. 7.
Le syndrome celluloténomyalgique dans les lombalgies. Dans une
lombalgie d'origine dorso-lombaire (à droite) : points douloureux d'émergence du
rameau au niveau de la crête iliaque ; infiltration cellulitique dans le
territoire de ce rameau. Dans une lombalgie d'origine lombo-sacrée (à gauche),
pas d'Infiltration cellulitique, mais présence de cordons indurés douloureux à
la palpation dans les muscles innervés par la racine lombaire de l'étage
concerné (L5 ou S1).
Dans le cas des branches
postérieures des nerfs rachidiens qui sont sensitivo-motrices comme les branches
antérieures, le témoignage le plus évident de cette irritation est l'existence
fréquente d'une bande de cellulalgie horizontale au niveau des plans cutanés du
dos. Il faut se souvenir du décalage habituel entre l'origine et la zone cutanée
innervée qui est de 3 à 4 segments vertébraux. Ainsi, au niveau de L1,
l'innervation dépend du rameau de D9.
Dans le cas qui nous intéresse, la cellulalgie occupe une partie de la fosse
iliaque externe. Et c'est la manœuvre du palpé-roulé qui la mettra en évidence
par comparaison avec les zones voisines ou symétriques. Elle disparaît parfois
aussitôt après manipulation ou infiltration de l'étage dorso-lombaire
responsable [8, 11, 12].
Il est intéressant de
noter ici que dans le cas d'une lombalgie d'origine basse L4-L5 et L5-S1, par
exemple, le syndrome cellulo-ténomyalgique touchera essentiellement les muscles
fessiers, fascia lata, moyen fessier, grand fessier, qui seront le siège de
cordons indurés très sensibles et qui disparaîtront avec le traitement efficace
de la lombalgie. Rappelons que les rameaux cutanés des dernières branches
postérieures lombaires sont quasi inexistants (fig. 7).
Sur 102 lombalgies communes d'origine vertébrale que nous avons pu suivre depuis
que nous recherchons systématiquement la responsabilité possible des branches
postérieures des nerfs dorso-lombaires, nous avons pu attribuer : 50 fois la
responsabilité totale de la lombalgie à la souffrance d'un étage du rachis
dorso-lombaire (D11-D12 à L1-L2) selon le tableau décrit ; 22 fois, il y avait
une double origine à la lombalgie, à la fois haute et basse (dorso-lombaire et
lombo-sacrée) ; 30 fois, la responsabilité incombait aux derniers étages
lombaires. Et notre impression est que, plus nous connaissons ce mécanisme des
lombalgies, plus nombreux sont les cas que nous lui attribuons. Ceci ne saurait
nous étonner car si la zone D11-L1 est bien connue comme étant la zone
vulnérable pour les fractures du rachis, sa vulnérabilité doit être la même pour
les traumatismes plus mineurs, étant donné son caractère de zone pivot de la
rotation du tronc.
Fig. 8. Repères pour l'infiltration des articulations
interapophysaires D12-L1, L1-L2 et D11-D12. Pour atteindre le rameau externe de
la branche postérieure, on incline le pavillon de l'aiguille légèrement en
dedans pour Injecter la solution anesthésique juste en dehors du massif
articulaire.
Traitement
L'infiltration du massif
articulaire postérieur responsable constitue un traitement efficace et commode
de cette forme de lombalgie. Elle sera pratiquée au niveau de l'articulation
douloureuse. La recherche de celle-ci, comme d'ailleurs l'infiltration, se fera
sur le patient couché en travers de la table, tête, bras et jambes bien relâchés,
un coussin sous le ventre de préférence.
Le point d'injection se
situe à un centimètre de l'épineuse au niveau de son bord inférieur (fig. 8). On
peut injecter un cm3 d'un dérivé cortisonique retard de préférence ; on réveille
souvent la douleur basse en injectant le liquide. Le test de réussite est
immédiat : diminution ou disparition de la sensibilité du point sensible de la
crête iliaque tandis que la pla-que de cellulalgie de la fosse iliaque externe
devient plus souple et indolore. On fait de une à six infiltrations.
Dans les cas où elle est possible, on peut aussi utiliser la manipulation, soit
comme complément de l'infiltration lorsque l'effet de celle-ci est incomplet ou
ne dure pas, soit comme traitement d'emblée. Le résultat est souvent aussi
spectaculaire que celui de l'infiltration, mais cette technique a de plus le
mérite d'améliorer le fonctionnement segmentaire du rachis. Elle sera effectuée
selon les principes de « la non-douleur et du mouvement contraire », c'est-à-dire
que la rotation sera faite de manière à forcer le mouvement dans le sens opposé
à celui qui provoque la douleur par la pression latérale sur l'épineuse. Une des
techniques utilisables est celle où le patient est assis à cheval en bout de
table et où l'opérateur utilise une manipulation semi-directe assistée. Il faut
évidemment avoir une bonne pratique de ces manœuvres pour qu'elles soient
indolores et efficaces en une à six séances [8].
Dans les cas récidivants,
la rééducation peut donner des résultats favorables, mais il faut interdire tous
les mouvements de rotation. Il faut également enseigner au patient à éviter les
mouvements de torsion du tronc, surtout en position assise et, bien entendu, les
efforts.
Nous n'avons pas prescrit
de lombostat aux patients que nous avons traités. Mais signalons que plusieurs
d'entre eux en avaient porté et que certains l'avaient mal supporté, car les
lombostats qui prennent appui sur la crête iliaque appuient précisément sur la
zone sensible, tandis que la barre supérieure frotte souvent sur la région
dorsale basse, origine de la douleur. Une lombalgie que le lombostat aggrave a
une bonne chance d'être du type de celle que nous décrivons ici.
Il faut veiller à ce que
la zone cellulalgique disparaisse complètement. Le traitement par infiltrations
ou manipulations peut suffire pour donner ce résultat ; sinon, on fait pratiquer
quelques massages dont les manœuvres peuvent être facilitées par l'adjonction de
bains de chaleur et d'hydrothérapie.
L'infiltration du point
d'émergence superficielle du rameau cutané, le « point de crête iliaque » peut ;
compléter le soulagement quand l'infiltration articulaire ne l'obtient pas
totalement.
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Travail du Service de
Rééducation, Etablissement National de Saint-Maurice, 94410 Saint-Maurice, et du
Service de Médecine Physique et Rééducation Fonctionnelle (Dr. R. MAIGNE),
Hôtel-Dieu, Paris. Présenté à la Société Française de Rhumatologie, séance du 20
juin 1973.
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