Revue du Rhumatismee 1964;1
Sur
l'origine cervicale de certaines dorsalgies
bénignes et rebelles de l'adulte
R Maigne
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Résumé
L'auteur attribue à de
minimes dérangements du rachis cervical inférieur la plupart des dorsalgies
habituelles (type dorsalgies des dactylos) qui se présentent comme des
algies interscapulaires unilatérales avec un point douloureux exquis à la
pression, toujours situé a un travers de doigt de la ligne médiane au niveau
de D5 ou de D6. Il note que des douleurs interscapulaires de même
topographie et de même caractère peuvent être provoquées par des
manipulations maladroites du rachis cervical inférieur ou se voient après
des traumatismes cervicaux mineurs, et se rencontrent fréquemment ou cours
des névralgies cervico-brachiales radiculaires.
La pression faite étage
par étage avec le pouce, au niveau de la partie antéro-latérale du rachis
cervical intérieur (C5, C6, C7, analogue à celle utilisée lorsqu'on veut
comprimer une racine cervicale sensible dans une névralgie cervico-brachiale)
permet de mettre presque toujours en évidence la sensibilité particulière
d'un étage cervical du même côté que la dorsalgie. La pression maintenue
quelques secondes sur ce point (et ce point seul) réveille ou exacerbe
vivement la douleur dorsale interscapulaire habituelle du malade.
Ce test, joint au bon
résultat du traitement cervical - manipulations généralement, immobilisation
par petit collier, ou radiothérapie - lui permet d'affirmer l'origine
fréquemment cervicale de ces « algies interscapulovertébrales ». La
physiopathogénie est discutée.
Summary. On the
cervical origin of some benign and treatment resistant dorsalgias of adults
In the
opinion of the author, a large proportion of common dorsalgias (of the type
complained by typists) which present as unilateral interscapular pain with a
particularly sensitive spot which is always one finger's breadth front the
midline at the level of T5 or T6, are due to minimal changes in the lower
cervical vertebrae.
He notes
that interscapular pain of a similar topography and character may be
precipitated by clumsy movements of the lower cervical vertebrae or may be
observed after slight cervical traumas and are commonly found in cervical
radiculopathy. Thumb pressure, stage by stage, along the anterolateral
aspect of the cervical vertebrae (C5, C6, C7, similar to that used for
compression of a sensitive cervical root in cervical radiculopathy), will
nearly always reveal a point of particular tenderness at a cervical level,
on the same side of the dorsalgia. If the pressure is maintained on such a
spot for some seconds (but only on this spot), the familiar interscapular
pain is reproduced, or significantly intensified. This test, together with
the satisfactory results of cervical treatment - generally by manipulation,
immobilisation by a small cervical collar, or heat therapy - justify the
author in stressing the commonly cervical origin of these « Interscapulo-vertebral
pain». There is a discussion of the physiopathology.
Après avoir observé quelques cas de dorsalgies rebelles
consécutives à un traumatisme cervical isolé qui n'ont pu être soulagées que
par un traitement à visée cervicale, nous avons recherché depuis quelques
années si certaines dorsalgies communes n'avaient pas également une origine
cervicale.
On sait en effet le caractère rebelle à la
thérapeutique de ces dorsalgies banales et chroniques, dont la forme la plus
répandue est la dorsalgie des couturières et des dactylos ; on sait aussi la
pauvreté des signes d'examens objectifs. Il est généralement admis qu'un
certain terrain psychasthénique joint à une mauvaise musculature sont les
causes essentielles de ces douleurs. Il est vrai que ce sont des conditions
assez fréquemment rencontrées, mais il paraît difficile de les prendre pour
la cause immédiate de la douleur dorsale, même si leur présence la favorise,
l'augmente ou l'entretient.
Certains signes d'examen régulièrement retrouvés dans
de nombreuses dorsalgies nous paraissent suffisants pour en affirmer
l'origine cervicale, ce que confirme la bonne action des thérapeutiques qui
découlent de ces constatations. Enfin, ces dorsalgies se présentent sous un
aspect clinique assez stéréotypé qu'il est possible d'individualiser.
Nous allons d'abord résumer trois observations dans
lesquelles la dorsalgie pouvait être tout à fait logiquement expliquée par
des causes locales :
I) Observations
Obs. 1. Mme P..., 50 ans. Fracture de
D6 par chute de cheval il y a six ans. Tassement cunéiforme du corps, sans
aucune complication. Depuis, souffre de dorsalgies pénibles et rebelles,
surtout marquées dans la région interscapulo-vertébrale gauche. Cette
douleur est calmée par le repos, mais existe souvent vive le matin au
réveil, Elle est augmentée par la fatigue, le port de paquets ou du sac à
main ; elle rend impossible le tricot, passe-temps favori de cette patiente.
On réveille la douleur habituelle par la pression d'un point para-vertébral
très sensible situé à gauche au niveau de D6, à un travers de doigt de la
ligne médiane.
De nombreux traitements ont été pratiqués : gymnastique
rééducative (dont certains mouvements augmentaient la douleur), massages qui
apportaient temporairement un certain soulagement, infiltrations locales,
cures thermales, ionisations, radiothérapie, sans influencer réellement la
douleur dorsale qui est devenue plus vive et plus constante avec le temps.
Un traitement par manipulations cervicales, fait en
trois séances disparaître la douleur spontanée et le point douloureux D6,
qui ne sont pas réapparus depuis 8 mois.
Obs. 2. Mme S..., 66 ans. Grande et
maigre, présente une forte cyphose sénile. Cette malade se plaint depuis
plusieurs années d'une dorsalgie droite rebelle dont le maximum se situe au
niveau de la région interscapulaire. Elle compare sa douleur 1 un fer rouge,
à un abcès qui la ronge. Cette douleur rend le tricot, la couture
impossibles. Elle ne peut porter le moindre paquet et même au lit, certaines
positions lui font mal et la réveillent.
Les radiographies montrent un squelette très porotique,
mais aucune lésion locale. A l'examen, on retrouve un point très aigu à la
pression, à un travers de doigt de la ligne médiane, au niveau de D5-D6 qui
réveille la douleur.
Différentes thérapeutiques médicales ou
physiothérapiques n'ont apporté aucun soulagement notable.
Cette malade a été complètement soulagée de sa
dorsalgie par le port d'un petit collier en plastique pendant vingt jours.
Puis elle l'a quitté et ne le remet que de temps à autre, pour un jour ou
deux, lorsque la dorsalgie réapparaît, ce qui n'est pas très fréquent. Un an
de recul.
Obs. 3. Mme K.... 54 ans. Dorsalgies
rebelles depuis plus de dix ans, qui ont pris un caractère plus intense
depuis la ménopause, il y a trois ans. Le maximum de la douleur est ressenti
dans la région interscapulaire droite. La dorsalgie est très gênante pour la
malade, aggravée par la fatigue, la position debout ou assise conservées et
lui rend très pénibles tous les travaux ménagers. Les radiographies montrent
une scoliose dorso-lombaire à sommet D6 droit, et surtout une très
importante dorsarthrose. Peu d'influence des antalgiques habituels. A eu de
très nombreux traitements médicaux, anti-inflammatoires, antalgiques,
sédatifs ou tranquillisants, de la radiothérapie dorsale, des massages, des
infiltrations. A fait trois cures thermales avec une légère rémission après
deux d'entre elles. Elle a été très soulagée par trois manipulations
cervicales, complétées par la suite par un traitement radiothérapique.
centré sur le rachis cervical bas qui a fait complètement disparaître la
dorsalgie depuis un an.
Une autre observation fait justement le lien entre le
rachis cervical et la possibilité de douleur dorsale.
Obs. 4. M. C....
42 ans. Ce menuisier, grand et très athlétique,
souffre d'une dorsalgie pénible depuis deux ans, qu'il décrit comme un point
aigu, "une brûlure vive" sous l'omoplate droite. Peu influencée par les gros
travaux, cette douleur est particulièrement pénible dans le travail statique
ou même au repos, en position assise, en voiture. Porter un petit paquet ou
un manteau un peu lourd la réveille désagréablement. A l'examen, on retrouve
effectivement dans la région interscapulaire, au niveau de D6, à un travers
de doigt de la ligne médiane, un point exquis dont la pression réveille « la
douleur habituelle ». Les radiographies montrent une petite hernie
intra-spongieuse de D5 et une de D7, rien d'autre.
A noter dans les antécédents de ce malade une sciatique
S1 droite il y a cinq ans, qui lui a laissé quelques lombalgies lorsqu'il
fait trop d'efforts ou travaille penché. Mais surtout il y a un an, il a
présenté une violente névralgie cervico-brachiale droite. Les radiographies
montrent un pincement C6-C7. Un traitement par tractions cervicales avait
été entrepris. Mais au cours de la première traction, il ressentit une très
vive douleur an niveau de sa dorsalgie habituelle, ce qui a fait interrompre
le traitement. Puis la névralgie cervico-brachiale s'est calmée en quelques
semaines, sous l'influence d'antalgiques et d'anti-inflammatoires. Mais le
point dorsal a persisté avec des poussées plus ou moins aiguës,
conditionnées par la fatigue, certains travaux mais pas les plus durs et
surtout déclenché par certains mouvements, notamment en voiture pour faire
une marche arrière.
Ces quatre malades ont reçu un traitement visant leur
rachis cervical, parce que certains signes d'examen, que nous décrirons plus
loin, permettaient d'attribuer au rachis cervical la responsabilité de la
douleur dorsale. Les résultats en furent excellents.
Nous allons voir les différentes étapes qui nous ont
amené à cette conclusion.
II)
Le point interscapulaire
A noter d'abord certains caractères communs dans ces
quatre cas de dorsalgie, caractères qui ont été également rencontrés dans
les 128 autres cas où une origine cervicale a pu être invoquée.
-
C'est la topographie interscapulovertébrale de la douleur. C'est une «
algie interscapulovertébrale ».
-
L'existence à ce niveau d'un point douloureux particulier, remarquable
par sa constance et par sa fixité, que la palpation réveille à un
travers de doigt de la ligne médiane au niveau de D5 ou de D6.
Il peut exister bien sûr d'autres points douloureux
musculaires au épineux dans ces dorsalgies, mais aucun n'a le même caractère
d'acuité à la pression et ne paraît comme celui-ci être l'épicentre de la
douleur habituelle. Il suffit en effet de maintenir quelques secondes la
pression sur ce point pour que le malade ait l'impression qu'on ait mis le
doigt sur « sa » douleur.
III)
Origine cervicale de la douleur interscapulaire
Depuis longtemps, nous avions remarqué avec quelle
fréquence des manipulations du rachis cervical mal faites déclenchaient des
douleurs interscapulaires avec le même point para-D5 ou para-D6. On
rencontre également le même type de douleur chez des malades qui avaient
simplement fait un faux mouvement du cou. Mais c'est surtout le fait que
l'on rencontre assez régulièrement au cours des névralgies
cervico-brachiales radiculaires typiques une douleur interscapulaire tout à
fait analogue avec le même point para-D5 ou D6. Il ne s'agit pas ici des
irradiations cervico-dorsales hautes vers la fosse sus-épineuse mais bien
d'une douleur à maximum interscapulaire. Elle peut être parfois très aiguë
et précéder la douleur brachiale comme par exemple dans l'observation
suivante :
Mme P..., âgée de 35 ans, souffrait
d'une violente dorsalgie à topographie interscapulaire gauche, survenue
trois jours plus tôt après un effort banal. Cette dorsalgie était augmentée
par le décubitus, par certains mouvements du cou et du bras. Les
radiographies du dos étaient normales. L'examen clinique n'apporte aucun
autre élément que la constatation d'une zone sensible à la pression dans la
région interscapulo-vertébrale gauche, avec un point exquis à 2 cm de
l'épineuse de D5. Il suffit de comprimer ce point avec le doigt pour
augmenter considérablement la dorsalgie et la malade situait là l'épicentre
de sa douleur. Une infiltration locale de novocaïne faite plan par plan
n'apporte aucune amélioration, même temporaire. Puis apparaît quelques jours
plus tard une douleur irradiant aux deux derniers doigts de la main gauche.
C'était une névralgie cervico-brachiale C8 tandis que persistait, suraiguë,
la douleur dorsale.
Les radiographies cervicales alors
pratiquées montraient une certaine rigidité cervicale avec un pincement
C7-D1, et une légère arthrose des uncus (séquelle sans doute d'un
traumatisme cervical par accident d'automobile sept ans auparavant). La
douleur du bras et du dos était intense et très mal calmée par les
thérapeutiques usuelles. Une tentative de traction exacerba la douleur
dorsale. Les manipulations étaient contre-indiquées par le fait que les
mouvements de rotation et latéro-flexion étaient douloureux dans les deux
sens. L'échec des thérapeutiques médicamenteuses conduit à pratiquer une
infiltration stellaire qui soulagea remarquablement la douleur dorsale et
atténua la douleur brachiale. Le port d'un petit collier en plastique
quelques jours maintint parfaitement le résultat.
On sait que dans les névralgies cervico-brachiales, il
existe fréquemment une irradiation douloureuse à la fois sus-épineuse et à
la partie supérieure du dos. Ces cervico dorsalgies hautes, certainement
liées à la souffrance de la branche postérieure, sont très différentes de
l'algie interscapulaire et ne nous intéressent pas ici. Mais dans un tiers
des cas de névralgies cervico-brachiales, on note une algie
interscapulo-vertébrale du même côté, plus ou moins aiguë. Dans la plupart
des cas, la douleur interscapulaire disparaît avant la douleur brachiale,
mais il arrive qu'elle survive isolée. A noter que l'on retrouve chaque fois
dans les algies interscapulo-vertébrales accompagnant les névralgies
cervico-brachiales le même point interscapulaire para-D5 ou D6. La
topographie de ce point ne varie pas avec le niveau de la racine atteinte
qu'il s'agisse de névralgies cervico-brachiales C6, C7 ou C8. Les légères
modifications rencontrées (para-D5 ou para-D6) ne semblent pas liées à
l'étage de la racine atteinte.
IV)
Le point sonnette antérieur
Il est commode, au cours de l'examen des névralgies
cervico-brachiales, surtout quand celles-ci n'ont pas une
topographie radiculaire précise, de chercher à
provoquer l'irradiation brachiale en comprimant à son émergence du rachis
cervical la racine atteinte, ce qui permet d'en préciser l'étage. Pour
mettre ce « signe de la sonnette » en évidence, il faut se placer debout,
face au malade assis. L'opérateur exerce une pression modérée avec le pouce
tenu horizontal (droit pour le côté gauche, gauche pour. le côté droit)
explorant ainsi étage par étage. Seul un étage est vraiment très sensible à
la pression qui, maintenue quelques secondes, provoque l'irradiation
brachiale et l'exacerbation de la douleur interscapulaire lorsqu'elle existe.
Du côté non douloureux, la pression, faite dans les mêmes conditions, peut
provoquer une vague irradiation brachiale (qui n'a pas l'unité du côté
atteint) mais jamais d'irradiation interscapulaire.
Etant donné la similitude entre la douleur
interscapulaire accompagnant certaines névralgies cervico-brachiales et
certaines dorsalgies isolées à topographie interscapulo-vertébrale
fréquemment rencontrées chez les couturières et les dactylos (puisqu'on
trouve dans les deux le même point para-D5 ou para-D6) nous avons cherché
s'il existait là aussi un point sonnette cervical. Nous l'avons trouvé dans
132 cas. Dans tous ces cas de dorsalgies, la pression maintenue quelques
secondes sur l'étage cervical sensible réveillait ou augmentait la dorsalgie
habituelle, le malade retrouvant « sa douleur ». A noter qu'en général, un
seul étage est sensible (seulement du côté de la dorsalgie) à la partie
inférieure et antéro latérale du rachis cervical.
Il est évidemment impossible de dire si la pression est
alors exercée sur la racine, puisqu'il n'y a aucune irradiation radiculaire
brachiale associée. Ce qui est important, c'est l'existence même de ce «
point sonnette » et la liaison qui est ainsi faite entre rachis cervical et
dorsalgie. Celle-ci apparaît comme une douleur non dorsale mais projetée,
contrairement à ce qu'en pourrait faire croire la sensibilité vive à la
pression au niveau du point para-D5 ou D6.
V)
Examen clinique du rachis cervical
Que donne l'examen du rachis cervical ? En dehors du
point sonnette antérieur qui par définition est constant. Il petit exister
une diminution de la mobilité du côté de la dorsalgie, Mais surtout, les
manœuvres forcées en rotation, latéro-flexion ou extension combinées du côté
de la douleur dorsale peuvent parfois, si elles sont maintenues quelques
secondes, réveiller la dorsalgie. Plus souvent, les signes d'examen clinique
au niveau du rachis cervical sont plus discrets - cette limitation de
mobilité doit être recherchée avec soin, le malade étendu sur le dos, la
tête hors de la table, soutenue par les deux mains de l'opérateur qui palpe
doucement les gouttières para-vertébrales et fait exécuter passivement étage
par étage les mouvements, de rotation et latéroflexion de chaque côté,
combinés successivement à des mouvements de flexion et d'extension. Un tel
examen montrera une limitation de la mobilité d'un segment cervical
inférieur du côté de la dorsalgie et l'existence d'une sensibilité vive à la
pression au niveau du massif articulaire postérieur correspondant à l'étage
où l'on aura trouvé le « point sonnette » cervical antérieur. C'est dans ces
manœuvres que l'on pourra également constater que les tentatives de
mobilisation forcée du segment cervical sensible du côté de la dorsalgie
peuvent irriter ou reproduire cette dernière.
Sur le sujet assis, on pourra provoquer une douleur par
la pression sur l'épineuse de la vertèbre cervicale correspondante, par
pression axiale ; mais plus évocatrice d'un petit dérangement mécanique
intervertébral sera l'existence d'une douleur à la pression latérale de
l'épineuse d'un seul côté de cette épineuse (la pression de l'autre côté
étant indolore).
VI)
Examen radiologique
Il n'est évidemment pas d'images caractéristiques. Il
nous semble cependant intéressant de signaler dans 12 cas chez des malades
ayant eu un traumatisme cervical (accident d'automobile le plus souvent),
l'existence d'une forte dysharmonie de courbure, et chez 25 malades de moins
de 40 ans un pincement discal généralement limité à un seul espace
intervertébral (C5-C6, C6-C7, C7-D1). Dans ces 37 cas, la seule
manifestation douloureuse était une dorsalgie interscapulaire. Dans tous ces
cas, l'existence d'un « point sonnette » antérieur qui reproduisait la
douleur dorsale habituelle affirmait la liaison entre cette lésion cervicale
et la dorsalgie.
On peut trouver au niveau du rachis cervical des
lésions importantes d'arthrose qui n'ont rien de spécifique s'il s'agit de
malades ayant dépassé la cinquantaine. On peut alors simplement dire que
l'état arthrosique favorise de petits dérangements intervertébraux,
responsables de la dorsalgie. Dans la plupart des cas d'algies
interscapulaires chez des sujets jeunes, les radiographies étaient normales.
Si la clinique et la thérapeutique semblent bien
montrer le lien qui existe entre le rachis cervical et ces dorsalgies, il
reste à comprendre pourquoi et comment.
VII)
Physiopathogénie
Il pourrait s'agir d'une douleur de la branche
postérieure du nerf rachidien. Mais il semble selon les travaux des
anatomistes que ces branches ne descendent guère de plus de trois étages. Il
paraît donc peu vraisemblable qu'une irritation C6 puisse se faire sentir au
niveau de D5 ou D6. Dans dix cas de névralgie cervico-brachiale associée une
vive douleur interscapulaire C6 ou C7, nous avons pratiqué une infiltration
anesthésique de la racine en évitant les cas de radiculalgies C8 (à cause de
la confusion qu'aurait donné la proximité du ganglion stellaire).Même
lorsque nous avons obtenu une parfaite anesthésie de la racine, nous n'avons
pas noté de modifications bien franches de la douleur dorsale et du point
interscapulaire. Par contre, dans trois de ces cas, une infiltration
stellaire faite le lendemain ou le surlendemain a amené une disparition
totale (transitoire deux fois mais durable une fois) de la douleur
interscapulaire spontanée avec disparition du point sonnette et du point
interscapulaire à la pression. Nous avons alors pratiqué dans 17 cas
d'algies interscapulaires isolées avec « point sonnette cervical antérieur »
une infiltration stellaire et dans 14 cas nous avons pu constater, en même
temps qu'apparaissait le syndrome de Claude Bernard-Horner :
-
la disparition de la dorsalgie spontanée
-
l'impossibilité de retrouver le point interscapulaire, même après une
forte pression ;
-
l'impossibilité de retrouver le « point sonnette cervical » antérieur et
de provoquer par pression en cet endroit la douleur dorsale.
Cet effet est bien sûr transitoire, mais dans quelques
cas (5), l'infiltration stellaire apporta une diminution durable de la
dorsalgie. Dans deux cas, malgré l'apparition d'un syndrome de Claude
Bernard-Horner, rien ne fut changé : persistance du point interscapulaire et
persistance du « point sonnette cervical ». Dans un cas, il y eut une
atténuation, mais pas disparition totale. Nous avons déjà noté que
l'anesthésie, plan par plan au niveau du point para-D5 ou D6, ne modifie
pas, même temporairement la dorsalgie.
Nous n'avons pas trouvé trace dans la littérature
d'attribution des dorsalgies isolées interscapulaires au rachis cervical. En
ce qui concerne la douleur interscapulaire accompagnant les névralgies
cervico-brachiales, elle est évidemment signalée, sans qu'une explication en
soit donnée. Cyriax attribue la douleur dorsale aiguë qui précède souvent
les névralgies cervico-brachiales à une compression de la dure-mère par le
disque. Il semble difficile d'invoquer ce mécanisme dans des dorsalgies
isolées, chez des sujets au cou parfaitement souple et en l'absence de tout
autre signe.
Dans l'ouvrage d'Ectors sur les compressions
cervicales, on trouvé deux observations de tumeurs cervicales dans
lesquelles la première manifestation a été une douleur isolée an niveau de
D6 ; l'auteur dit n'avoir aucune pathogénie à offrir. Arnulf, excitant
directement le ganglion stellaire, signale l'irradiation constante
interscapulaire, qui correspond à celle que l'on provoque parfois en faisant
une infiltration de ce ganglion.
C'est tout récemment que nous avons eu connaissance des
expérimentations d'un neuro-chirurgien américain, Cloward, qui a cherché à
savoir quelle douleur pouvait provoquer l'irritation de chaque partie du
disque intervertébral au niveau du rachis cervical. Chaque partie de
l'anulus a été excitée par différents procédés (aiguille, discographie,
excitation électrique faite au travers de l'aiguille de discographie) et
enfin plus récemment excitation sous contrôle direct de la vue au cours
d'intervention sur la région cervicale faites sous anesthésie locale. A côté
de la douleur radiculaire qu'il obtient par irritation directe de la racine
sensitive, il décrit une douleur « discogénique » qu'il provoque par
excitation directe des fibres superficielles de l'anulus. La partie
postéro-latérale de l'annulus ainsi irritée donne une douleur de la face
postérieure du cou et de l'épaule assez sourde, tandis que la partie
antéro-latérale donne une douleur interscapulaire vive, profonde et tensive
de la région interscapulaire du même côté.
S'il anesthésie la partie correspondante de l'anulus,
l'excitation ne provoque plus de douleurs. Il note aussi que l'excitation
directe de la racine antérieure provoque exactement la même douleur
interscapulaire que celle qu'il obtient par irritation du disque. Il émet
différentes hypothèses concernant le mécanisme de transmission de cette
douleur et fait jouer un rôle important an nerf sinu-vertébral. Ainsi, la
douleur interscapulaire est pour lui une douleur musculaire et il s'appuie
sur certaines constatations électromyographiques. Cela explique bien la
sensation de fatigabilité douloureuse des muscles interscapulaires qui est
l'impression dominante de ces malades et le fait que seuls les travaux qui
mettent en jeu électivement ces muscles sont douloureux ou bien les
positions qui sont néfastes pour le rachis cervical et provoquent la
souffrance du joint intervertébral atteint.
Lorsqu'on examine un malade dorsalgique habituel dans
une phase douloureuse, on a l'impression qu'il s'agit d'une fatigabilité
anormale de quelques faisceaux musculaires du rhomboïde. L'étirement du bras
en avant qui écarte l'omoplate de l'axe médian tire sur le rhomboïde et rend
parfois plus vive la douleur dorsale. D'un autre côté, le mouvement inverse
de rétropulsion adduction forcée du bras qui met le rhomboïde en contraction
et en raccourcissement maximum provoque souvent l'exagération vive de la
douleur dorsale à type de crampe locale si le mouvement est maintenu. Cela
fait bien penser à une sensibilité anormale de ce muscle, sous la dépendance
du rachis cervical.
VIII)
Formes cliniques
1° L'algie interscapulo-vertébrale chronique ou
habituelle. C'est la forme que nous avons décrite.
2° L'algie interscapulo-vertébrale épisodique. Elle
survient par périodes, déclenchée par un faux mouvement presque toujours le
même (rotation extrême du cou du côté de l'algie interscapulo-vertébrale,
étirement
du bras du même côté en adduction et rétropulsion. La
gène plus ou moins marquée existe pendant quelques jours, s'atténue et
disparaît puis se produit à l'occasion d'un autre faux mouvement. A noter
que la douleur se répète toujours identique du même côté, au même endroit.
3° L'algie interscapulo-vertébrale aiguë.
C'est le tableau de la dernière observation que nous
avons décrite. Elle peut être isolée et ne pas précéder une névralgie
cervico-brachiale. Elle n'est pas rare, est extrêmement douloureuse. Les
mouvements du cou sont très souvent limités et déclenchent la douleur
interscapulaire.
La conclusion thérapeutique est évidente. Elle visera
le rachis cervical.
IX)
Traitement
Le traitement que nous avons utilisé le plus
souvent est la manipulation lorsqu'elle est techniquement possible.
Il s'agit de la manipulation élective du segment intervertébral sensible
faite selon la « règle du mouvement contraire et de la non douleur » que
nous avons décrite par ailleurs. Dans la majorité des cas, le soulagement
est obtenu en 2 à 4 manipulations. A noter que ce sont les manœuvres en
latéroflexion qui son le plus souvent utiles, 103 cas ont été ainsi traités
avec 72 très bons résultats. Les manipulations en rotation sont généralement
sans effet.
Les tractions vertébrales nous ont
donné des résultats beaucoup moins fidèles et irréguliers. Il faut les
utiliser si dès la première traction, sous traction, le point
interscapulaire disparaît ou s'atténue à la pression, ce qui n'est pas très
fréquent. Par contre les éviter si au cours de ce premier essai, la douleur
est exacerbée, ce qui est fréquent. En respectant cette règle, 15 cas ont
été traités, 8 très bons résultats.
Dans les cas difficiles ou rebelles ou lorsque les
conditions locales contre-indiquent les traitements mécaniques, le port
pendant 8 à 20 jours d'un petit collier cervical
immobilisant le rachis nous a donné des résultats excellents (obs. n° 2).
Parfois nous ne le faisons porter que pendant la nuit.
La radiothérapie cervicale rend des
services certains, si l'arthrose cervicale basse est très importante. 11
cas, 6 bons résultats.
La rééducation. Très importante elle
portera d'abord sur les muscles de la nuque :
-
En premier lieu, sur les extenseurs de la charnière cervico-dorsale que
le testing musculaire montrera souvent très affaiblis. Nous utilisons la
rééducation en isométrique contre-résistance maximum.
-
Puis, sur les fléchisseurs du cou et sur la musculature du dos
(fixateurs de l'omoplate et spinaux). Mais il est bien évident que la
rééducation d'un malade est un ensemble et qu'il faudra corriger toutes
les déficiences musculaires notamment l'insuffisance abdominale et les
troubles statiques qui peuvent avoir leur retentissement sur tout le
rachis dorsal : inégalité de longueur des membres inférieurs notamment.
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Discussion au cours de la séance de
présentation :
M.. P. P. RAVAULT souligne le caractère latéral et non
pas médian de ces dorsalgies d'origine cervicale. Il pense qu'il s'agit de
douleurs musculaires dans des territoires dont l'innervation motrice dépend
des racines cervicales.
M. S. de SEZE évoque la possibilité de douleurs sur le
territoire des rameaux postérieurs des racines sensitives cervicales, la
possibilité de douleurs dorsales d'origine discale, cervicale, ou même,
comme M. VERHAEGHE, d'origine stellaire.
M. LIEVRE rappelle les expériences de LEWIS et KELLGREN
(étude topographique expérimentale des douleurs projetées aux différents
étages rachidiens), ainsi que la thèse de FRYKHOLM (algies par excitation
des racines motrices).
Travail présenté à la Ligue Française contre le Rhumatisme, séance
du 15 avril 1964.
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