Cahiers de Rééducation et Réadaptation Fonctionnelle
1972;8:1-11
Les manipulations vertébrales dans le traitement
des névralgies cervico-brachiales
et des
irritations radiculaires cervicales
R Maigne
|
Résumé :
la manipulation est un traitement intéressant dans les névralgies
cervico-brachiales. Elle s'adresse surtout aux formes d'intensité moyenne. La
sélection des cas susceptibles d'être manipulés est faite en fonction de
certains critères qui sont exposés. Mais l'action favorable des manipulations
cervicales s'étend à certains syndromes d'irritation radiculaire décrits ici
sous le nom de « Syndrome cellulo-tendino-myalgique » et qui comporte, dans le
territoire d'innervation de la racine concernée :
- des plaques de
cellulalgie, vivement sensibles au pincé roulé,
- des cordons
musculaires indurés et sensibles,
- des douleurs
ténopériostées (épicondylite, épitrochléïte, styloïdite radiale) qui sont
susceptibles de provoquer des douleurs rebelles, et qui peuvent être
soulagées par manipulations cervicales.
L'Auteur attire aussi
l'attention sur la présence quasi constante dans les N.C.B. d'un point dorsal
douloureux très précis para D5 ou D6, véritable « Point cervical du dos ». Il le
retrouve dans les dorsalgies communes de l'adulte dont il affirme l'origine
cervicale habituelle. Il souligne enfin les liens qui peuvent exister entre
certains syndromes du canal carpien et le rachis cervical.
Longtemps décriée et trop
souvent mal pratiquée, la manipulation est cependant un traitement fort efficace
dans la plupart des algies vertébrales communes et des irritations radiculaires
qui peuvent en être la conséquence. Elle permet, lorsqu'elle est indiquée, et
bien faite, des résultats rapides et parfois instantanés, là ou les autres
thérapeutiques agissent mal ou lentement. Or, dans le cas des névralgies
cervico-brachiales, il n'en va pas tout à fait de même. S'il n'est pas rare de
soulager vite un patient qui en souffre, les bons résultats sont nettement moins
fréquents ici que dans les autres algies vertébrales. La névralgie
cervico-brachiale (N.C.B.) est d'ailleurs la seule indication où la traction
vertébrale donne des résultats analogues en fréquence à ceux de la manipulation.
Mais cette dernière a l'avantage d'agir plus vite lorsqu'elle est efficace et
d'agir beaucoup mieux sur les algies résiduelles des névralgies
cervico-brachiales. Il va sans dire que toutes les N.C.B. ne sont pas
justiciables de la manipulation, même lorsqu'on s'est assuré qu'il s'agit bien
d'une N.C.B. de nature bénigne. Nous verrons plus loin les critères de sélection.
GENERALITES SUR LES TRAITEMENTS PAR MANIPULATIONS
1) Comment se pratique une
manipulation ?
Imaginons un patient allongé sur
le dos. Le médecin lui tient la tête entre deux mains. C'est la mise en
position. Le médecin imprime au cou une rotation vers la droite, jusqu'à ce
qu'il ait l'impression d'être arrivé au bout du mouvement possible. Il insiste
légèrement : c'est la mise en tension. Si à partir de ce point, il revient à son
point de départ et recommence plusieurs fois, nous disons qu'il a fait une série
de mobilisations en rotation droite.
Mais si, ayant mis en tension, il imprime brusquement d'un petit coup sec et
très bref du poignet gauche, un léger mouvement de rotation supplémentaire, il a
alors l'impression qu'une résistance a cédé et que la colonne a exécuté quelques
degrés de mouvement en plus. Cela s'accompagne d'un bruit de craquement
caractéristique. Ce mouvement forcé, bref, unique, exécuté à partir de la mise
en tension, c'est la manipulation (fig. 1).
Fig. 1 : On peut
schématiser les degrés des mouvements d'un système articulaire de la manière
suivante : 1) Mouvement actif, volontaire, qui a une amplitude (V). 2) Mouvement
passif, non volontaire, qui a une amplitude un peu plus grande que V et qui sera
V + P (c'est la mobilisation). 3) Et enfin la manipulation, mouvement forcé qui
va au-delà du jeu physiologique, sans dépasser le jeu anatomique (M). 4) Si ce
jeu anatomique est dépassé, c'est la luxation (L).
La manipulation doit toujours être effectuée à partir de la mise en tension. Ce
doit être un tout petit mouvement. Un grand mouvement lancé est violent, non
mesurable, douloureux et dangereux.
La manipulation est donc une
mobilisation forcée, qui porte les éléments de l'articulation au-delà de leur
jeu volontaire et habituel, sans bien entendu, dépasser les limites
anatomiquement possibles de l'articulation.
C'est dire que ce mouvement doit être parfaitement contrôlé par l'opérateur et
demande, pour être bien exécuté, une certaine expérience. La manipulation doit
être complètement indolore. Elle peut être exécutée à tous les étages du rachis
par un opérateur entraîné sur un patient normal, sans qu'aucun de ces mouvements
forcés ne soit douloureux ou désagréable.
Le bruit de craquement qui accompagne la manipulation n'est que le témoignage de
la brusque séparation des surfaces articulaires ; il est de même nature que
celui obtenu par une brusque traction exercée sur les doigts ; il ne signifie
nullement que quelque chose a été remis en place. Il est possible de faire
craquer tous les segments vertébraux d'un sujet dont la colonne est absolument
normale. Ce bruit est dû, comme l'ont montré UNWORTH et coll., au phénomène de
cavitation qui se produit dans le liquide synovial, lors de la séparation
brusque des surfaces articulaires.
2) Règle d'application des
manipulations
Les manipulations ne doivent pas
être des mouvements forcés, exécutés systématiquement sur un segment vertébral,
quel que soit l'aspect du cas clinique considéré ; il est par exemple tout à
fait illogique de traiter toutes les lombalgies aiguës ou chroniques ou toutes
les sciatiques par deux ou trois manœuvres standard répétées systématiquement, à
droite puis à gauche, quelles que soient les particularités propres à chaque cas
comme cela se fait trop souvent. Chaque cas réclame une manœuvre particulière,
qui doit être rigoureusement adaptée.
L'expérience nous a montré que si on forçait un mouvement rachidien douloureux,
cela apportait quelquefois une amélioration au prix d'une vive douleur pour le
malade, mais que bien souvent on aggravait les choses. Cela est logique : si un
mouvement est douloureux ou bloqué, c'est qu'il est limité par un conflit ;
vouloir forcer ce conflit va peut-être permettre de le vaincre, de « briser des
adhérences », comme il est souvent dit, mais va l'irriter et l'aggraver.
Au contraire, des années
d'expérience nous ont prouvé que lorsqu'un mouvement de la colonne vertébrale
est limité, par exemple dans sa rotation gauche, alors qu'il est libre en
rotation droite, ce n'est pas en forçant cette rotation gauche que l'on va
l'améliorer, mais au contraire en faisant un mouvement de rotation droite forcé.
Ainsi un malade qui présente un torticolis traumatique qui l'empêche de tourner
la tête à droite et qui tourne librement le cou à gauche ne sera pas soulagé par
une rotation forcée du cou à droite, même sous traction, mais bien par une
rotation forcée du cou à gauche. Ce point est extrêmement important car cette
manière de procéder permet d'agir toujours sans douleur pour le malade et la
pratique quotidienne montre que ce mode d'action est tout à fait physiologique
puisqu'il apporte régulièrement une libération du mouvement bloqué.
Nous avons appelé cette règle de conduite la « Règle de la non-douleur et du
mouvement contraire ». Elle consiste donc à faire la manipulation dans le sens
opposé à celui qui est douloureux et limité, à condition bien entendu qu'il soit
lui-même libre et indolore.
Mais comme il est rare qu'une seule orientation de mouvement soit bloquée, les
mouvements vertébraux étant liés, la manipulation devra être faite selon chacune
des orientations libres, soit successivement, soit avec des techniques
multidirectionnelles.
3) Testing prémanipulatif
Une fois le diagnostic acquis et
l'indication d'un traitement par manipulations posé, il faut procéder à un «
testing prémanipulatif », destiné à analyser les mouvements libres d'une part,
et douloureux ou bloqués d'autre part.
On teste successivement :
- rotation droite,
- rotation gauche,
- latéroflexion droite,
- latéroflexion gauche,
- extension,
- flexion.
Cette analyse correcte n'est pas
toujours facile, surtout si on veut la rapporter exactement au joint que l'on
désire traiter. Si généralement la limitation est évidente, elle est parfois
discrète et demande à être recherchée avec soin : les techniques de
manipulations indirectes montrent là tout leur avantage, car il est possible de
les exécuter incomplètement. Il suffit d'aller jusqu'à la mise en tension pour
noter avec précision quelles sont les directions où cette manœuvre est limitée
ou douloureuse. On les pratique selon les six directions citées plus haut.
Pour rendre clairs les résultats de cet examen, nous figurons les six mouvements
du rachis par une étoile à six branches. Les résultats du testing sont notés en
mettant 1, 2 ou 3 barres sur la branche correspondante, selon le degré de la
limitation ou de la douleur. Dans l'exemple choisi, nous avons : très forte
limitation en rotation gauche : 3 barres, forte limitation en latéroflexion
gauche : 2 barres, légère limitation à la flexion : 1 barre (fig. 2).
Fig. 2
Les manœuvres à faire seront en
rotation droite, latéroflexion droite et en extension.
Si dans un cas, tous les mouvements sont limités ou douloureux, il n'y a pas
d'application possible de la Règle de la non-douleur et du mouvement contraire
et on ne doit pas manipuler. C'est dire que dans le cas des névralgies
cervico-brachiales hyperalgiques, la manipulation ne peut être utilisée puisque
dans ces cas, les six orientations sont généralement douloureuses. L'indication
de la manipulation devient raisonnable lorsque trois orientations sont libres
sur le schéma en étoile.
Fig. 3 : Traitement manipulatif d'une névralgie
cervico-brachiale droite Le patient présente une N.C.B. droite C8. Le testing
prémani-pulatif donne : — latéroflexion droite très limitée et douloureuse, —
rotation droite limitée et douloureuse, — extension limitée et douloureuse. Le
patient sera d'abord mobilisé en rotation gauche, puis latéroflexion gauche,
puis en flexion (fig. 4) une série de 8 à 10 mouvements de chaque orientation
sera exécutée, puis on fera : 1° une manipulation en flexion, 2° une
manipulation en rotation gauche (fig. 5), 3° une manipulation en latéroflexion
gauche (fig. 6).
NEVRALGIES
CERVICO-BRACHIALES ET MANIPULATIONS
Bien que les N.C.B. ne constituent
pas la meilleure indication des manipulations, dans bien des cas, celles-ci
peuvent rendre service en apportant un soulagement rapide au patient.
1) Sélection des cas à
manipuler
Le premier temps de la sélection
est le diagnostic. Il est évident que le traitement par manipulations ne peut
être envisagé que si l'on est sûr d'être en présence d'une N.C.B. de nature
bénigne, et dont on a retenu l'origine mécanique.
Un deuxième temps sera l'élimination des cas où la manipulation pourrait
présenter un risque : rachis porotique, mauvais état vasculaire, malformation de
la charnière cervico-occipitale, « tests de postures » défavorables, etc.
Le troisième temps sera technique : il faut que la « Règle de la non-douleur »
puisse être appliquée.
Il faut enfin que la manipulation soit réalisable. Il est en effet des cas où le
dernier temps de la manipulation, bien que non douloureux, ne permette pas la
détente rapide souhaitable.
En pratique, l'indication la meilleure pour les N.C.B. est la N.C.B. subaiguë,
tout particulièrement la N.C.B. subaiguë traînante. Certains cas aigus peuvent
cependant être soulagés d'une manière spectaculaire, le traitement manipulatif
n'étant appliqué que si trois orientations sont libres, et si les mobilisations
donnent au patient l'impression d'une détente, d'un soulagement.
Dans les formes hyperalgiques, où aucun mouvement du cou n'est libre, il ne faut
pas manipuler. C'est l'immobilisation du cou dans un collier rigide, voire dans
une minerve, qui est la solution de choix. Les anti-inflammatoires, les
ganglioplégiques donnent souvent d'excellents résultats, et parfois
l'infiltration stellaire. Dans quelques cas cependant, elles pourront rendre
service : on n'utilisera que les manœuvres de détente et on effectuera très
doucement des manœuvres de mobilisation selon des orientations très étudiées
s'il y a des mouvements restés libres.
2)
L'examen prémanipulatif du cou
Les mouvements sont étudiés avec
soin en position assise d'abord, puis en position allongée tête en dehors de la
table en position de relâchement maximum. Le résultat de cet examen est reporté
sur le schéma en étoile.
Le test de traction manuelle : le patient étant allongé sur le dos, le médecin
empaume menton et occiput, maintient cette traction 1 minute environ, et demande
au patient si cette manœuvre le soulage de sa douleur de bras ou d'épaule. Il va
sans dire que si la manœuvre produit une exacerbation, il faudra éviter toute
traction manuelle ou mécanique (fig. 7).
Recherche de l'étage atteint : il peut être connu par la topographie de la
douleur si elle atteint les doigts. Sinon, on le retrouvera en recherchant les
signes de « dérangement intervertébral mineur », et notamment la très vive
sensibilité à la palpation, du massif articulaire postérieur au niveau de
l'étage atteint ; ce signe recherché, le patient étant allongé sur le dos, est
d'une grande constance dans tous les dérangements intervertébraux mineurs, que
la cause en soit discale ou non. On pourra aussi rechercher le point sonnette
antérieur (Maigne) (fig. 10). On appuie légèrement au niveau de la partie
antéro-latérale et inférieure du cou, étage par étage, avec le pouce maintenu
horizontal. Au niveau de l'étage responsable, la racine est très sensible à son
émergence et la pression légère reproduit la douleur traçante habituelle.
On ne manquera pas d'examiner le dos où l'on trouvera presque toujours le «
Point interscapulo-vertébral para-D6 » que nous avons décrit et qui est un
véritable « Point cervical du dos ».
3) La séance de traitement
Elle commence toujours par
l'examen attentif des mouvements possibles et de ceux qui ne le sont pas. Le
résultat est reporté sur le schéma en étoile. On procède lentement à quelques
mobilisations dans chacun des sens non-douloureux, puis on pratique deux ou
trois manipulations, l'une à dominante de rotation, l'autre à dominante de
latéro-flexion et la troisième combinée à la flexion ou à l'extension selon
celle de ces orientations qui est libre. Entre chaque mobilisation et après
chaque manipulation on pratique un nouveau testing.
Un soulagement est fréquent dès la première séance. Mais, dans un cas sur trois
environ, le patient peut avoir après la première séance une réaction plus ou
moins désagréable dans la nuit suivante. Il faut le prévenir de cette
éventualité qui ne change rien au bon résultat possible. Cette réaction dure 6 à
8 h, parfois un peu plus. Elle est généralement modérée, mais elle peut être
vive. Dès qu'elle est terminée, l'amélioration apparaît, souvent très nette.
Il est parfois des réactions plus durables. Elles sont très rares si toutes les
précautions pré-manipulatives ont été prises, et si les manœuvres ont été bien
faites. Il peut s'agir d'un cas où l'élément inflammatoire était trop important.
Mais il s'agit le plus souvent ou d'une imprudence du patient qui, très soulagé
après la manipulation s'est livré à des exercices qu'il n'aurait pas pu faire la
veille, ou qui a pris une mauvaise position la nuit suivant le traitement, ce
qui amplifie et allonge la réaction normale. II est toujours bon de conseiller
au patient le port d'un collier cervical — ce qui est un excellent traitement
complémentaire des N.C.B. — tout au moins pendant les 48 h qui suivent la
manipulation. On fera ainsi de deux à cinq séances ; mais on ne poursuivra pas
au-delà de trois si aucun progrès n'a été marqué.
4) Résultats
Ainsi comprise, la manipulation
rend des services certains. Les cas où elle peut être utilisée, si on suit nos
directives, représentent environ les 2/3 des cas totaux de névralgies
cervico-brachiales aiguës communes. Dans les cas retenus, les bons résultats
sont de l'ordre de 70 p. 100 en une à cinq séances. Mais près de la moitié de
ces patients sont franchement soulagés dès la première séance de traitement.
Ajoutons que la manipulation a un intérêt particulier dans le traitement des
séquelles ou des algies cervico-brachiales traînantes. C'est le cas
lorsqu'existe un élément du « Syndrome cellulo-tendino-myalgique » (Maigne).
LE SYNDROME CELLULO-TENDINO-MYALGIQUE DES N.C.B.
Les signes classiques de souffrance radiculaire sont :
- Sensitifs : hypo ou
hyperesthésie,
- Moteurs : hypotonie
ou diminution de la force musculaire,
- Réflexes : abolition
ou diminution,
- On peut ajouter
parfois certains troubles sympathiques.
Mais si l'on examine
systématiquement les plans cutanés par la manœuvre du palpé-roulé, si l'on
pratique systématiquement les testings musculaires, en palpant muscles et
tendons ainsi sollicités, on retrouve souvent dans de tels cas ce que nous avons
appelé « le Syndrome cellulo-ténomyalgique » des algies radiculaires. II
consiste en :
- Une bande de
cellulalgie dans une partie du territoire cutané du nerf irrité révélé par
une vive sensibilité au palpé roule.
- L'induration de
certains faisceaux musculaires extrêmement sensibles à la palpation dans
certains muscles tributaires de la racine atteinte.
- La sensibilité de
certaines zones d'insertion ténopériostées ou de certains tendons dont
l'innervation dépend de la racine concernée. C'est ainsi qu'une vive
sensibilité du trochanter (moyen fessier) est fréquente dans les sciatiques
L5. Mais on ne la retrouve que par l'examen systématique car le malade
l'ignore le plus souvent, même si celle-ci est responsable d'une douleur
traînante, comme le montre l'infiltration locale qui la fait disparaître.
Dans de nombreux cas de névralgies
cervico-brachiales, on va retrouver un ou plusieurs de ces éléments : « bande
cellulalgique », « sensibilité d'un faisceau musculaire induré » ou d'un tendon
; chacun peut être responsable de douleurs rebelles, augmenter ou perpétuer la
douleur radiculaire. Mais aussi, ils peuvent provoquer des douleurs d'épaule, de
coude ou de poignet, différentes de la douleur radiculaire primitive.
On peut donc se trouver en présence (fig. 8) :
1° De douleurs d'épaule
Elles se présentent à l'examen
comme des douleurs tendineuses. L'exploration analytique contre résistance
statique de chacun des muscles de l'épaule révélera ainsi une souffrance soit du
sous-épineux, soit du sus-épineux, soit du sous-scapulaire ou du biceps, que la
palpation simultanée du muscle mettra encore mieux en évidence.
Dans certains cas, la manipulation cervicale fera disparaître instantanément la
souffrance de l'étage cervical révélée par la palpation du massif articulaire
postérieur du même côté, la douleur d'épaule spontanée et celle contre
résistance. Certaines épaules aux mouvements limités (sus et sous-épineux
surtout) sont parfois libérées instantanément.
Généralement, trois ou quatre séances seront nécessaires, mais le résultat sera
obtenu sans autre aide thérapeutique.
2° De douleurs de coude
Il s'agit d'épicondylalgies le
plus souvent, d'épitrochléites plus rarement. S'il s'agit d'une épicondylite,
c'est l'étage C5-C6 ou C6-C7 qui est concerné. S'il s'agit d'une épitrochléite,
c'est l'étage C7-D1 que l'on trouvera sensible, du même côté.
Sans nous étendre sur cette question, disons que nous considérons que 60 p. 100
des épicondylites sont d'origine cervicale. La moitié de celles-ci va être
soulagée en une à quatre séances de manipulations purement cervicales. L'autre
moitié sera nettement améliorée par ce traitement cervical mais nécessitera pour
obtenir un soulagement complet un traitement local, qui sera soit manuel
(mobilisation latérale du coude, s'il y a un certain degré de périarthrite
associé), soit dans quelques cas, l'infiltration de corticoïdes au niveau du
tendon douloureux, ou mieux en injection intra-articulaire si la périarthrite du
coude est trop marquée. Elle se manifeste par la disparition des mouvements de
ballottement latéral du coude à l'examen.
3° De douleurs du poignet
Il arrive qu'une douleur de la
styloïde radiale accompagne l'irritation radiculaire C6 et disparaisse dès la
manipulation réussie de l'étage correspondant.
Ces manifestations peuvent se
rencontrer au cours de N.C.B. aiguës et surtout comme séquelle de N.C.B. plus ou
moins sévères.
Elles peuvent aussi exister après une phase discrète, vite oubliée d'algie
cervico-brachiale. Mais surtout, on peut les rencontrer chez des patients
n'ayant jamais eu de crise cervico-brachiale. Il faut cependant penser à leur
origine cervicale possible, si à l'examen on retrouve une vive sensibilité de
l'étage cervical correspondant du même côté (par palpation du massif articulaire
postérieur).
Le traitement cervical — toute précaution étant prise — pourra alors soulager
spectaculairement le patient.
Fig. 8 :
Syndrome cellulo-tendino-myalgique de l'irritation de la racine C6
- Cordons myalgiques sus et surtout sous-épineux, biceps parfois.
- Cellulalgie : CP, liée à l'irritation de la branche postérieure de C6 ;
CA, liée à l'irritation de la branche antérieure.
- Douleur ténopériostée : sus-épineux (insertion humérale), biceps (longue
portion), styloïde radiale.
RACHIS CERVICAL ET DOULEUR INTERSCAPULAIRE
1) La douleur dorsale des N.C.B.
Nous avons attiré l'attention sur
le fait que dans la quasi-totalité des N.C.B., l'examen attentif va mettre en
évidence l'existence d'un point électif, très sensible à la pression situé au
niveau de D5 ou D6 du même côté que la radiculalgie : c'est le « point
interscapulo-vertébral », véritable « point cervical du dos » (MAIGNE). Ce point
très sensible à la pression peut être inconnu du patient, mais bien souvent, une
douleur dorsale aura précédé de quelques jours la douleur radiculaire, et aura
été très aiguë, transfixiante. Elle pourra disparaître ou s'atténuer avec
l'apparition de la douleur du bras, mais aussi l'accompagner ou lui survivre.
Dans certains cas, elle va persister très gênante. Il est intéressant de noter
que la pression sur ce point para-D6 très localisé, très précis, toujours
constant dans sa topographie quelque soit l'étage cervical atteint (C5-C6,
C6-C7, C7-D1) reproduit exactement ou exagère la douleur dorsale du patient même
si celui-ci croit la ressentir plus bas, plus haut ou plus latéralement ;
parfois même elle reproduit l'irradiation brachiale.
|
|
Fig. 9 :
Le « point interscapulo-vertébral » ou « point cervical du dos »
(MAIGNE) La pression sur ce point reproduit la douleur dorsale
habituelle même si le patient la ressent plus externe, plus diffuse.
C'est un point très particulier, véritable « point cervical du dos »,
car il est presque toujours le reflet d'une souffrance cervicale basse,
comme permet généralement de le montrer la manœuvre du « Point sonnette
antérieur » |
Fig. 10 : le
point sonnette antérieur. Une pression modérée est exercée étage par
étage à la partie antéro-latérale et intérieure du rachis cervical. A un
certain niveau, elle déclenche la dorsalgie habituelle du patient. |
Dans 70 p. 100 des cas, comme nous
l'avons montré, une pression faite doucement avec le pouce sur la région
antéro-latérale du cou au niveau de l'étage concerné reproduit la douleur
dorsale habituelle, signant son origine cervicale, sans que l'on puisse affirmer
sur quelle structure s'exerce la pression (fig. 10). Mais notre impression est
qu'il s'agit le plus souvent du disque.
Chose plus intéressante, la manipulation strictement cervicale élective faite
sur l'étage sensible peut faire disparaître instantanément et complète-ment la
douleur dorsale spontanée et « le point interscapulaire » qu'on ne retrouve plus
à la palpation. Dans des cas anciens, on peut noter l'existence d'une zone de
cellulalgie parfois très épaisse, occupant un triangle à base externe dont le
sommet est le point interscapulaire. La manœuvre du pince-roulé est vivement
sensible dans ce territoire alors qu'elle est insensible du côté opposé.
Véritable contre-épreuve : une complication bégne mais fréquente des
manipulations cervicales mal faites, est précisément le déclenchement d'une
douleur dorsale interscapulaire présentant exacte-ment les mêmes caractères.
2) La dorsalgie commune de
l'adulte. Son origine cervicale fréquente
Il est intéressant de noter que ce
P.I.S. (Point interscapulo-vertébral) se rencontre d'une manière quasi-constante
dans les dorsalgies de l'adulte, et notamment dans celles dites de la jeune
femme, avec les mêmes signes d'examen. Nous pensons donc que la quasi-totalité
des douleurs dorsales communes sont l'expression d'une souffrance cervicale,
même lorsque celle-ci ne se traduit par aucune douleur cervicale et par aucune
douleur cervico-brachiale. Cependant l'examen attentif met toujours en évidence
la particulière sensibilité d'un étage cervical inférieur au niveau du massif
articulaire postérieur C5-C6 ou C7-D1 du même côté que le P.I.S. palpé sur le
patient en décubitus dorsal. Si cette sensibilité disparaît après traitement
cervical, aussitôt disparaît le P.I.S. A l'inverse, toute manœuvre qui augmente
la sensibilité articulaire postérieure, augmente la dorsalgie.
L'examen radiologique peut montrer un cou normal, un disque aminci, une arthrose
banale. Cela n'a guère d'importance pour le traitement ; ce qui est important,
c'est de ne pas méconnaître une origine cervicale maligne. Nous avons vu de
telles dorsalgies avec point interscapulo-vertébral typique, isolées pour un
temps, être le premier témoin d'une métastase cervicale ou d'une tumeur
cervicale.
Dans les cas habituels et bénins, le traitement le plus efficace de ces
dorsalgies est la manipulation cervicale lorsqu'elle est techniquement possible.
3) Nature du point inter
scapulo-vertébral para D6
Ce point interscapulaire
correspond, comme nous l'avons montré, à l'émergence superficielle de la branche
postérieure de D2, et le territoire cellulitique répond exactement au territoire
cutané de ce nerf. L'infiltration de la branche postérieure de D2, lorsqu'elle
contourne le massif articulaire D2-D3, supprime aussitôt la douleur spontanée et
le point interscapulaire para-D6 et rend complètement insensible la zone
cellulalgique au pince-roulé (fig. 11 et 12).
|
|
Fig. 11
: Les nerfs superficiels du plan dorsal. Noter que la branche
postérieure de D2 est plus grosse et a un territoire plus étendu que ses
voisines, ce que nous avons pu vérifier sur de nombreuses dissections. |
Fig. 12
: La branche postérieure du 2e nerf rachidien. Née entre D2 et
D3, elle devient superficielle en perforant les muscles paravertébraux
dont l'innervation est cervicale. Son point d'émergence superficielle
correspond au « Point interscapulovertébral ». Son territoire correspond
à la zone d'hyperesthésie et à celle de l'infiltration cellulalgique qui
accompagnent fréquemment la dorsalgie.
L'infiltration anesthésique faite à son niveau d'origine entre D2 et D3
soulage la dorsalgie et fait disparaître le Point interscapulaire. Le
lien qui existe entre le rachis cervical inférieur et cette branche
postérieure de D2 n'est pas clair : anastomoses entre les branches
postérieures ou sympathiques ? |
Le problème est plus complexe en ce qui concerne la liaison entre le rachis
cervical et la branche postérieure de D2 : anastomoses des branches postérieures
ou des nerfs sinu-vertébraux ? Sympathique ? Mais nous insistons sur le fait que
la quasi-totalité des dorsalgies communes de l'adulte répondent à cette
description. Elles sont d'origine cervicale et elles ne peuvent être rapidement
soulagées que par un traitement cervical. II est évident que le terrain
psychique sur lequel elles évoluent entre en ligne de compte. Il ne faut ni le
méconnaître, ni le surestimer. Il joue souvent un rôle facilitateur, donnant de
la voix à une douleur mécanique mineure, dont il ne faut pas pour autant mer
l'organicité et négliger le traitement mécanique.
NEVRALGIE CERVICO-BRACHIALE ET SYNDROME DU CANAL CARPIEN
Nous rappellerons une observation, prise parmi quelques dizaines :
OBS. — Mme C., 35
ans : Après un épisode de torticolis présente une névralgie
cervico-brachiale C6. Elle vient nous voir au 15e jour de l'évolution de cette
douleur mal calmée par les anti-inflammatoires. Soulagée dès la première
traction elle voit son algie brachiale disparaître au bout de 4 séances. Une
vague sensibilité épisodique persiste dans le bras très peu gênante.
Nous ne la revoyons que trois mois plus tard, qu'elle a passes en province. Elle
a dû consulter un Rhumatologue pour des acroparesthésies gênantes occupant les 3
premiers doigts. Elle a été bien soulagée par deux infiltrations du Canal
Carpien, mais venait nous voir car après un mois de calme, elle les ressentait à
nouveau.
Il s'agit bien d'un syndrome du canal carpien : avec sa topographie typique, un
signe de Tinel, la reproduction des acroparesthésies par la dorsiflexion forcée
du poignet, etc.
Nous pratiquons une infiltration de corticoïdes La patiente revient un mois plus
tard ayant été soulagée 15 jours. A ce moment, nous examinons attentivement le
cou en retrouvant une sensibilité de l'étage C5-C6 nous manipulons le cou, sans
faire d'infiltration du canal carpien La patiente est soulagée. Deux autres
manipulations complétèrent le résultat qui se maintient au bout d'un an
Or cette observation n'est pas
pour nous une exception. Nous avons vu de nombreux cas où l'on pouvait conclure
à une irritation du médian dans le canal carpien et où la présence de signes
cervicaux à l'examen (vive sensibilité d'une articulation interapophysaire) nous
conduisait à manipuler le cou — sans infiltrer le canal — et où le soulagement
était excellent, meilleur et plus durable que celui obtenu par nous ou par
d'autres par l'infiltration du canal carpien.
Il s'agissait tantôt de patients ayant présenté une N.C.B. typique plus ou moins
sévère, tantôt de patients n'ayant pas présenté de N.C.B. mais où l'examen
cervical révélait la vive sensibilité de l'étage C5-C6.
Un signe intéressant : la manœuvre du point sonnette antérieur qui permet de
reproduire l'acro-paresthésie habituelle est un argument en faveur de l'origine
cervicale de celle-ci. Cela montre qu'il faut peut-être envisager avec moins de
fréquence qu'on ne le fait aujourd'hui la responsabilité du canal carpien dans
le mécanisme des acroparesthésies. Il est en cause souvent, mais indirectement
parfois.
LES ACCIDENTS DES MANIPULATIONS CERVICALES — LEUR
PREVENTION
La manipulation ne présente pas plus de risques que la plupart des
thérapeutiques médicales, lorsque son indication est bien posée et qu'elle est
bien exécutée. C'est son mauvais usage qui lui a créé une mauvaise réputation,
mauvais usage par des non-médecins qui en font une panacée (les chiropractors
notamment) avec des théories infantiles et des techniques limitées mais aussi
par des médecins inexperts dans cette technique qui de-mande un long
apprentissage et une certaine dextérité.
Il est néanmoins une complication rarissime que l'on doit bien connaître : c'est
le risque vasculaire.
Les accidents d'insuffisance vertébro-basilaire aiguë, dont le syndrome de
Wallenberg est l'expression la plus habituelle, peuvent être, on le sait,
provoqués par des manipulations cervicales. En fait, dans la plupart des
accidents publiés (ils sont peu nombreux), il s'agit presque exclusivement de
manipulations chiropractiques (donc brusques), faites par des non-médecins et
souvent sur des indications aberrantes.
On a beaucoup exagéré la fréquence de ces accidents si l'on songe à leur très
petit nombre comparé aux millions de manipulations qui se font chaque jour dans
le monde, sur des indications ahurissantes avec des techniques approximatives et
entre des mains non médicales ou inexpertes.
Les tests de posture
Mais aussi exceptionnel qu'il
soit, il faut connaître la prévention de ce risque. Nous avons proposé avant
toute manipulation cervicale d'utiliser ce que nous appelons les « test de
posture » :
Le patient est à plat dos sur la table, le médecin porte sa tête en
hyperextension et en rotation droite, puis gauche, la maintenant ainsi dans
chacune de ces positions pendant 10 à 15 secondes, guettant un nystagmus, une
impression vertigineuse qui feraient surseoir à toute manipulation cervicale —
tout au moins dans le sens qui provoque le vertige — d'une manière absolue. On
sait en effet que la rotation en hyperextension du rachis cervical supérieur
stoppe la circulation dans l'artère vertébrale opposée au sens de la rotation.
On détecte par ces manœuvres toute menace que ferait peser une manipulation
cervicale insistante.
Bibliographie
- MAIGNE (R.). —
Douleurs d'origine vertébrale et traitements par manipulations. 1 vol. 1968,
Exp. Scien. Fr. édit., 480 pages.
- MAIGNE
(R.). — Epicondylalgies, rachis cervical et articulation radio-humérale,
Ann. Méd. Phys., 1960, 3, 290.
- MAIGNE
(R.). — Les infiltrats cellulitiques conséquences d'algies radiculaires et
causes de douleurs rebelles. La Vie Médicale, 1971, 4.
- MAIGNE
(R.). — Les cordons musculaires douloureux dans certaines sciatiques et
cruralgies rebelles. Cinésiologie, n° 37, 1970, p. 231.
-
UNSWORTH (A.), DOWSON (D.), WRIGHT (VJ. — Cracking joints. Ann. Rhum. Dis.,
1971, 30, 348.
* Chargé
du Centre de Rééducation de l'Hôtel-Dieu (Paris). Chef de service Institut
National de Réadaptation (St-Maurice 94).
|