image
image
image
image

 

Mode d'action et règles d'application des manipulations vertébrales

 

J-Y Maigne, Médecine Physique Hôtel-Dieu, Paris

Les manipulations vertébrales constituent l’un des traitements majeurs des douleurs mécaniques d’origine vertébrale, sans doute celui qui a donné lieu à la plus abondante littérature scientifique. Leur efficacité est prouvée pour les douleurs lombaires récentes, probable pour certaines cervicalgies, sciatiques et lombalgies chroniques. S’il reste encore beaucoup à faire pour mieux connaître leurs indications et leur mode d’action, leur place en pathologie vertébrale est maintenant bien établie.

 
Définition des manipulations
 

Dans la langue anglaise, le mot manipulation inclue en général l'ensemble des traitements manuels : mobilisations, étirements, techniques myotensives et manoeuvres dites à “haute vélocité et faible amplitude”. Ce sont ces dernières qu’en France, nous appelons manipulations. Il s’agit de “manoeuvres articulaires brèves et sèches qui portent une articulation au delà de son jeu physiologique sans dépasser ses limites anatomiques” (R Maigne). Elles peuvent être directes (à bras de levier court), agissant directement sur la vertèbre, ou indirectes (à bras de levier long), utilisant, par exemple, le bassin ou les côtes comme point d’appui. Une manipulation s’accompagne obligatoirement d’un bruit de craquement qui témoigne du brusque écartement des surfaces articulaires mises sous tension. Une manipulation se déroule en trois temps successifs : mise en position du patient, mise en tension du segment vertébral, impulsion manipulative proprement dite.

Le mode d'action des manipulations vertébrales est complexe. Il concerne chacun des constituants du segment mobile. On aurait tort de penser que chaque manipulation est pourvue de l’ensemble des actions qui sont décrite ci-dessous. Au contraire, il est plausible que chaque manoeuvre ait sa spécificité, liée à la position du rachis nécessitée pour son accomplissement et que les autres actions soient secondaires.

 
Action des manipulations sur les corps vertébrtaux
 

1. L'impulsion manipulative est appliquée sur le corps du patient (ceinture pelvienne, scapulaire, cou, dos...). Une fraction modérée de cette force est amortie dans les tissus périvertébraux et n'est pas transmise au rachis [19]. La majeure partie de l’impulsion atteint directement la colonne. Les muscles ne semblent pas lui opposer de limitation s’ils sont bien relâchés, car le mouvement se déroule trop brusquement pour qu'une contraction musculaire de protection ait le temps de se manifester [19,11,18]. A l’opposé, la présence d’une contracture paravertébrale peut verrouiller suffisamment le rachis, de telle sorte que toute manipulation est impossible. Cette impossibilité se manifeste par l’absence de bruit de craquement.

2. La manipulation mobilise les corps vertébraux l'un par rapport à l'autre. Des travaux sur cadavre ont révélé un réel mouvement relatif entre deux vertèbres au cours de l'impulsion manipulative, soit à l'aide d'aiguilles plantées dans l'os [5], soit à l'aide d'accéléromètres solidaires des corps vertébraux [13]. Il se déroule très rapidement, puisque l'intervalle de temps entre l'impulsion manipulative et l'amplitude maximale du mouvement est de un à cinq dixièmes de seconde [19]. Ce mouvement vertébral est complexe pour deux raisons. La première est que les mouvements vertébraux, à l’exception de la flexion-extension, sont des mouvements combinés (par exemple, au niveau lombaire, association de l’extension, de la latéro-flexion homo-latérale et de la rotation contro-latérale). La seconde est que la manipulation est un mouvement forcé, artificiel, qui impose au segment mobile des mouvements inhabituels.

3. Ce mouvement intéresse plusieurs segments mobiles simultanément [11,13]. L'impulsion manipulative s'applique en théorie à un seul étage lorsque la manœuvre est focalisée, mais, malgré les précautions prises, les étages adjacents sont intéressés simultanément.

4. En fin de manipulation, il est probable que la position des vertèbres les unes par rapport aux autres n’est pas modifiée. Ceci a été montré pour les manipulations sacro-iliaques [20]. Il n’y a donc pas de “remise en place” de quoi que ce soit. Cependant, rien ne permet d’exclure un “déblocage” segmentaire.

5. La conséquence du mouvement intervertébral est un étirement des tissus (muscles, tendons, ligaments, anulus, etc.) soit uni, soit bilatéral. C'est dans cet étirement sec, renforcé par le craquement, qu'il faut chercher le mode d'action des manipulations vertébrales.

 
Action des manipulations sur le disque intervertébral
 

Nous avons montré que la pression intra-discale variait en deux phases successives au cours d’une manipulation lombaire [13]. Il y a d'abord un rapprochement des corps vertébraux adjacents, attribué à la disposition oblique des fibres annulaires mises en tension par la composante rotatoire de la manipulation. Ce rapprochement s'accompagne d'une élévation de pression intra-discale. La fin de manipulation, caractérisée par une composante en traction, s’accompagne d’un écartement des plateaux vertébraux. Lors de cette deuxième phase, la pression intra-discale chute et devient inférieure à la valeur de départ. Le retour à la normale se fait assez rapidement (moins d’une minute, fig. 1). Ces constatations permettent d’envisager plusieurs actions possibles sur le disque.

  • Réduction d'un blocage intra-discal. L'hypothèse selon laquelle un fragment de nucleus pourrait migrer dans une fissure radiale de l'anulus et se trouver bloqué a été avancée pour expliquer certains lumbagos ou douleurs discales aiguës [3]. On comprend que la manipulation, en écartant les plateaux vertébraux et en mettant en tension le ligament longitudinal postérieur, puisse réduire la lésion en permettant au fragment de nucleus de regagner sa position centrale [2,8,10]. Ce mécanisme reste hypothétique.
  • Effacement des pics de pression intra-discaux. Lorsqu’un disque est soumis à des contraintes de compression, sa pression interne augmente de façon homogène. Si la compression se prolonge, la répartition de la pression devient inhomogène. Des pics de pression apparaissent, correspondant à des zones de concentration de stress, à côté de zones de basse pression [1]. Ces pics de pression, qui pourraient agresser les plateaux vertébraux adjacents, sont considérés comme une cause de lombalgie posturale. Dans ce contexte, les variations de pression induites par la manipulation pourraient jouer un rôle favorable d'homogénéisation et de réduction de ces pics de pression intra-discaux [13].
  • Déplacement d'une hernie discale. Contrairement à certaines hypothèses, il n’a jamais pu être observé (au scanner) de déplacement de hernie discale ou de réintégration de la hernie dans le disque à la suite de manipulations [4].
 
Action des manipulations sur les articulaires postérieures
 

L'opinion selon laquelle les manipulations vertébrales agiraient préférentiellement sur les douleurs d'origine articulaire postérieure est souvent émise [9], mais ne repose sur aucune preuve. En revanche, le bruit de craquement caractéristique ne peut provenir que de l'écartement brusque de ces articulations, lié à un phénomène de cavitation [21].

Lors de la manipulation, les surfaces articulaires ne s'écartent pas progressivement. Dans un premier temps, les surfaces adhèrent l’une à l’autre et les vertèbres restent solidaires. Lorsque la force manipulative dépasse un certain seuil, la séparation se fait, mais de façon très brusque, comme une ventouse arrachée d'un mur. Ce qui rend possible ce décrochage est la force de cohésion liée à la présence de liquide synovial. Quand la force de traction lui devient supéreiure, les deux surfaces se séparent brusquement. Des microbulles de vide apparaissent dans le liquide synovial’apparition soudaine et les gaz dissous s'y précipitent. De là naît le bruit de craquement caractéristique, dont le mécanisme est le même, toutes proportions gardées, que celui d’un coup de feu. Le craquement témoigne donc d’une séparation brusque des articulaires postérieures, alors que l'impulsion manipulative qui lui a donné naissance est un mouvement continu. Il y a donc accumulation d'énergie puis, lors du décrochage des articulaires, restitution sous forme d’une accélération du mouvement. Au total, les deux vertèbres se séparent plus vite que ne le voudrait la seule impulsion manipulative. Les forces de cohésion, en retardant la séparation des surfaces articulaires, agissent comme un ressort. Lorsque le mouvement atteint une certaine vitesse apparait le bruit de craquement, qui est le témoin de cette vitesse. Il fait la spécificité de la manipulation. Une tension musculaire trop importante ou une hypomobilité (liée à une arthrose ou à une orientation particulière ce ces articulations) peut empécher toute manipulation.

Pour des raisons anatomiques évidentes, au cours d'un mouvement de rotation lombaire, le craquement se produit du côté de la rotation (fig. 2). Lors d'une manipulation en rotation cervicale, il se produit le plus souvent du côté de la rotation, mais parfois de l’autre côté. Il n’a pas été étudié pour les autres techniques.

Les actions possibles au niveau des articulaires postérieures sont les suivantes :

  • L’étirement des capsules articulaires a probablement un effet inhibiteur sur les contractures musculaires paravertébrales, comme cela a été montré chez l’animal [7].
  • Dégagement d'une structure bloquée. L'écartement des facettes pourrait permettre à une frange synoviale bloquée entre les deux murs articulaires de se dégager [8,10]. Il s'agit d'un mécanisme allégué mais non prouvé de blocages douloureux lombaires. Il en est de même des blocages articulaires par engrènement de crêtes cartilagineuses.
  • Rupture d'adhérences intra-articulaires. A la suite d'une poussée congestive d'arthrose, des adhérences intra-articulaires faites de dépôts de fibrine pourraient se produire, restreignant le mouvement. L'écartement brusque des deux surfaces articulaires pourrait rompre ces adhérences [16].
Les articulaires postérieures apparaissent autant comme le véritable “moteur à ressort” de la manipulation que comme une cible thérapeutique.
 
Action des manipulations sur les muscles péra-vertébrtaux
 

Les muscles paravertébraux constituent une cible importante des manipulations, car le muscle est une structure relais de la douleur vertébrale.

  • Décontraction par étirement direct. La mise en tension lors d'une manipulation lombaire en décubitus latéral entraîne un étirement des muscles paravertébraux du même côté et un relâchement de l'autre côté [12 et fig. 3]. En fait, toutes les manoeuvres manipulatives entraînent un étirement des muscles spinaux lors de la phase de mise en tension, quel que soit l'étage [14]. Lors de l'impulsion proprement dite, l'écartement des facettes, et l'écartement des deux vertèbres qui s'ensuit entraîne un surcroît d'étirement des muscles, d'une façon sèche. Ce mécanisme est connu, en physiologie, pour inhiber la contracture musculaire.
  • Décontraction par étirement des capsules articulaires. L’étirement et la distension des capsules articulaires postérieures a une action inhibitrice sur la contracture musculaire paravertébrale [7].
  • Réaction musculaire post-manipulative. Une réaction musculaire post-manipulative a été mise en évidence in vivo par EMG [6]. Chaque type de manipulation est suivi d’une réponse musculaire réflexe (contracture réflexe en réponse à l’étirement manipulatif) dans une région spécifique, assez étendue toutefois. Ces réponses surviennent entre 50 et 200 msec après l’impulsion manipulative, cette rapidité de survenue éliminant une réponse volontaire du sujet. La durée du phénomène est brève, de moins de 0,5 seconde. Cette contraction réflexe succédant à l’étirement du muscle pourrait faire décroître la contracture musculaire.
 
Action des manipulations sur la douleur
 

Il est probable que les manipulations ont un effet antalgique propre indépendamment de toute autre action mécanique vertébrale. Dans une étude, des sujets soumis à une stimulation électrique cutanée paraspinale voyaient leur seuil de sensibilité à la douleur s'élever immédiatement après une manipulation au même niveau, ce qui n'était pas obtenu dans le groupe placebo [17]. Des observations ont été rapportées de patients porteurs de pathologie osseuse métastatique et soulagés temporairement par des manipulations (évidemment pratiquées de façon fautive, après erreur diagnostique) [22]. Cette inhibition de la douleur pourrait être liée à l'activation par la manipulation du système descendant d'inhibition de la douleur, dont l'origine se situe au niveau de la substance grise périaqueducale [23]. Cette activation se ferait sous l'effet de la contre-stimulation qu'entraîne la manipulation en étirant brusquement des structures innervées (ligaments, disques, capsules articulaires).

 
Effet placebo des manipulations
 

Les manipulations ont certainement un effet placebo. Y concourent le sentiment que la vertèbre est remise en place, la bonne acceptation (voire le besoin ressenti) du bruit de craquement, ainsi que la prise en main qui précède l'acte manipulatif. A cette action purement psychologique s'ajoute l'évolution propre, spontanément favorable, de beaucoup de syndromes douloureux vertébraux. Le médecin peut (et doit) utiliser cet effet placebo lorsque le patient y est sensible. Par exemple, il peut insister sur le bruit de craquement en soulignant que le dos est maintenant bien débloqué. N’oublions pas que nous devons avant tout soulager et, ensuite seulement, faire de la science.

On aurait cependant grand tort de réduire leur action à ce seul effet placebo.

 
Synthèse du mode d'action des manipulations
 

Ces notions permettent de mieux comprendre le ou les modes d'actions possibles des manipulations sur certaines douleurs vertébrales communes, qui peuvent s'envisager à trois niveaux et bien sûr s'associer.

a) Les manipulations pourraient guérir une lésion particulière (c.à.d. que les manipulations en seraient le meilleur traitement étiologique et le plus physiologique). Cette lésion est appelée "lésion manipulable". Selon les écoles, elle porte différents noms (lésion ostéopathique, dysfonction somatique, hypomobilité, subluxation, fixation, dérangement intervertébral mineur) et obéit à des conceptions variées. Ainsi, les trois premières sont des troubles de la mobilité vertébrale (ou de toute autre articulation) pouvant survenir en n'importe quelle partie de la colonne et pouvant être à l'origine de n'importe quelle douleur. La subluxation est un "déplacement" en mauvaise position avec impossibilité de réduction spontanée. Le dérangement intervertébral mineur est assimilé à une petite entorse pérénisée par une contracture musculaire périvertébrale et est à l'origine de douleurs en rapport avec sa localisation anatomique sur la colonne. Aucune de ces lésions n'a pu réellement être visualisée malgré les techniques modenes d'imagerie.

b) Les manipulations pourraient agir sur une des composantes d'une lésion complexe sans agir sur la cause proprement dite. C'est particulièrement le cas des contractures musculaires qui accompagnent nombre de cervicalgies ou de lombalgies d'origine discale ou articulaire postérieure. L'étirement sec d'un muscle contracturé le détend et l'assouplit. Si la cause des contractures musculaires est en voie de guérison, elles n'auront pas tendance à récidiver après manipulation. Au contraire, si la cause est encore active parce que non traitée ou sérieuse (hernie discale compressive, inflammation intra-discale, instabilité...), elles récidiveront très vite et le traitement manipulatif sera un échec.

c) Enfin, troisième hypothèse, les manipulations, dépourvues d'action sur les lésions elles-mêmes, pourraient n'avoir qu'une action purement antalgique du fait de leur action sur le système nerveux central. Il s'agit d'une action totalement non spécifique (au même titre que n'importe quel antalgique).

 
Règles d'application des manipulations
 

Les règles d’application des manipulations (“Quelle manipulation faire dans telle situation ?”) dérivent avant toute chose de l’idée que l’on se fait des lésions qu’elles prétendent traiter. Ainsi, pour la chiropraxie traditionnelle, la lésion de base est une subluxation vertébrale (ou une “fixation”). La manipulation doit donc faire parcourir à la vertèbre déplacée le chemin inverse, lequel chemin définit la zone d’impact et la direction spécifique. Pour l’ostéopathie, la lésion de base est une perte de mobilité (souvent associée à un blocage en malposition), dite “dysfonction somatique”. La manipulation à choisir est donc celle qui redonne la mobilité perdue.

Envisager les choses d’un point de vue médical (ou scientifique) ne permet pas de retenir ces conceptions. Le pragmatisme demande de chercher les règles d’application des manipulations dans leur mode d’action, et non l’inverse.

1. Règle de la non-douleur et du mouvement contraire

R Maigne a proposé, en 1965, une règle empirique d’application : la règle de la non-douleur et du mouvement contraire [15]. Cette règle est à utiliser lorsque l’indication à un traitement manipulatif est acquise (voir plus bas). Sa signification est la suivante. La ou les manipulations doivent être faites sur un segment donné dans une direction opposée à celle(s) qui déclenche(nt) la douleur. Par exemple, une cervicalgie avec douleur en rotation droite et en latéro-flexion droite doit être manipulée avec des manoeuvres en rotation gauche et en latéro-flexion gauche, c’est à dire dans le sens opposé à la douleur. Cette règle est donc bien différente d’une interprétation hâtive, selon laquelle “il ne faut pas faire mal”. Elle a l’énorme avantage de ne plus faire référence à une quelconque lésion, mais seulement à la douleur.

Détermination de la direction douloureuse. La direction douloureuse doit être déterminée lors de l’étude de la mobilité passive du rachis, puis lors de la phase préparatoire de la manipulation, qui s’appelle “mise en tension” (et qui “mime” la manipulation en la préparant). En principe, il y a cohérence entre les deux mesures (si la rotation passive du cou est douloureuse vers la droite, une mise en tension cervicale en rotation droite sera douloureuse). Il arrive qu’il y ait discordance. C’est alors de la douleur lors de la mise en tension dont on doit tenir compte pour déterminer si la manipulation est possible ou non.
  • Plus de trois directions douloureuses. Lorsque le mouvement est douloureux dans plus de trois directions, la manipulation est contre-indiquée. Il s’agit souvent de situations aiguës (torticolis, lumbago, sciatique aiguë) qui, quoique de type mécanique, seraient aggravées par une manipulation. Il peut aussi s’agir de discopathies inflammatoires qui relèvent de traitements médicamenteux.
  • Absence de direction douloureuse. Il peut arriver qu’il n’y ait pas de direction douloureuse (ex : douleur produite par la mise en charge du rachis et non par la rotation) ou que la direction douloureuse soit différente de celle où l’on manipule. Ainsi, un grand nombre de lombalgies sont douloureuses en flexion ou en extension, alors que les directions forcées par les manipulations sont en rotation, les quelles sont en général indolores. Dans ce cas, il est possible de manipuler dans toute direction. Les manoeuvres seront choisies en fonction de leur mode d’action présumé sur le segment mobile (cf. infra).
  • Blocage en fin de course. Il arrive que ni la mobilisation passive, ni la mise en tension ne soient douloureuses, mais que l’impulsion manipulative ne soit suivie d’aucun craquement. On dit que la manipulation ne “passe pas”. Ceci témoigne d’un blocage “arthrosique” ou d’un verrouillage musculaire de protection. Il faut essayer de manipuler dans la direction inverse. Si le blocage est bilatéral, il ne faut pas forcer. Une telle situation est assez caractéristique des discopathies en phase inflammatoire ou des arthroses évoluées.
2. Etude de cette règle en fonction du mode d’action des manipulations

Un certain nombre d’actions anatomiques doivent impérativement être obtenues si l’on veut profiter au mieux des possibilités qu’offrent les traitements manipulatifs. Trois d’entre elles nous paraissent indispensables pour soulager certaines douleurs vertébrales : étirer les muscles paravertébraux et écarter les articulaires postérieures du côté de la douleur et faire baisser la pression intra-discale. Le côté douloureux est déterminé par l’examen segmentaire.

  • Etirement des muscles paravertébraux. L’étirement sec des muscles paravertébraux est bénéfique puisqu’il diminue leur tension. Une des manoeuvres au moins doit étirer au maximum les muscles du côté de la douleur, c’est à dire, par exemple, les muscles lombaires droits si la lombalgie est à droite, ou si les signes d’examen prédominent à droite. Dans ce cas, on choisira une rotation vers la gauche (manipulation dite en décubitus latéral droit avec flexion lombaire, qui étire bien les muscles lombaires droits). Pour une cervicalgie de même côté, une rotation ou une latéro-flexion gauche, avec la possibilité d’agir sur les muscles paravertébraux cervicaux au niveau de leurs attaches thoraciques hautes par une manipulation du rachis thoracique (donc la possibilité d’agir sur une cervicalgie sans manipuler le rachis cervical).
  • Ecartement des interlignes articulaires postérieurs. L’écartement des interlignes est bénéfique puisque la distension capsulaire aurait un effet de détente sur les muscles paravertébraux. De plus, il pourrait, dans certains cas, “débloquer” et remobiliser l’articulation. Cette action doit se faire du côté de la douleur. Pour la même lombalgie droite, on choisira une rotation vers la droite (manipulation dite en rotation à cheval vers la droite, qui semble permettre une bonne décoaptation articulaire postérieure droite). Quel que soit le côté de la lombalgie, la manoeuvre dite en appui sternal assure une excellente (et sonore) décoaptation bilatérale. Appliquée vers la charnière thoraco-lombaire, ses effets de détente se font sentir sur l’ensemble des paravertébraux lombaires, jusqu’à la charnière lombo-sacrée. Pour une cervicalgie, on complétera la rotation par une latéro-flexion (ou l’inverse).
  • Baisse de la pression intradiscale. Faire baisser brusquement la pression intra-discale est sans doute une des conséquences bénéfiques des manipulations. Au niveau lombaire, la manipulation en décubitus latéral a cette action. Il est probable que la manipulation en rotation à cheval la possède encore plus, en raison de l’accentuation de la lordose lombaire qu’elle nécessite (donc de l’écartement des plateaux vertébraux). Cette donnée n’a pas été étudiée au rachis cervical.
3. Synthèse

Suite à ces remarques, les manipulations suivantes peuvent être proposées en cas de lombalgie ou de cervicalgie sans inflammation et sans blocage majeur. Il s’agit d’un “traitement de base”, qui n’est pas toujours applicable (quoiqu’il le soit dans la grande majorité des cas) et qui doit se faire dans le cadre de la règle de la non-douleur. Ces séquences de manipulations les plus standardisées possible exploitent au mieux toutes les actions physiques de ces manoeuvres et leurs possibilités.

  • En cas de lombalgie : associer systématiquement la manoeuvre en décubitus latéral sur le côté douloureux en cyphose (rotation contro-latérale), la rotation à cheval avec rotation homo-latérale (vers le côté douloureux) et une manoeuvre en appui sternal.
  • En cas de syndrome de charnière thoraco-lombaire sans atteinte lombo-sacrée concomittante : associer systématiquement une rotation contro-latérale et un appui sternal.
  • En cas de cervicalgie : associer systématiquement les manoeuvres en rotation et latéro-flexion (contro-latérales) et un appui sternal haut ou une manoeuvre en enroulé dorsal.
Il s’agit donc de proposer pour une douleur donnée, une séquence de manipulation la plus standardisée possible qui exploite au mieux toutes les actions physiques de ces manoeuvres et leurs possibilités. Il est cependant des cas où cette standardisation n’est pas possible.
 
Bibliographie
 
  • [1] Adams MA, McMillan DW, Green TP, Dolan P. Sustained loading generates stress concentration in lumbar intervertebral discs. Spine 1996 ; 21 : 434-438
  • [2] Bogduk N, Jull G. The theoretical pathology of acute locked back : a basis for manipulative therapy. Manual Med 1985 ; 1 : 78-82
  • [3] Cyriax J. Manuel de médecine orthopédique. Paris : Masson, 1988, 59-60 et Cyriax J. Textbook of orthopaedic medicine, diagnosis of soft tissue lesions. In : Baillière Tindall ed. Londres 1971 : vol 1
  • [4] D'Ornano J, Conrozier T, Bossard D, Bochu M, Vignon E. Effets des manipulations vertébrales sur la hernie discale lombaire. A propos de 12 cas. Rev Med Orthop 1990 ; 19 : 21-25
  • Evans DP, Burke MS, Lloyd KM, Roberts EE, Roberts GM. Lumbar spinal manipulation on trial. Part 1 : Clinical assessment. Rheumatology and Rehabilitation 1978 ; 17 : 46-53
  • [5] Gàl J, Herzog W, Kawchuk G, Conway P, Zhang Y. Movements of vertebral during manipulative thrust to unembalmed human cadavers. JMPT 1997 ; 20 : 30-40
  • Giles LGP. Lumbosacral and cervical zygapophyseal joint inclusions. Manual Medicine 1986 ; 2 : 89-92
  • Grice AA. Muscle tonus changes following manipulation. Journal of the Canadian Chiropractic Assosiation 1974 ; 19 : 29-31
  • Grice AA, Tschumi PC. Pre- and post-manipulation lateral bending radiographic study and relation to muscle function of the low back. Annals of the Swiss Chiropractic Assosiation 1985 ; 8 : 149-165
  • [6] Herzog W, Scheele D, Conway PJ. Electromyographic responses of back and limb muscles associated with spinal manipulative therapy. Spine 1999 ; 24 : 146-153
  • [7] Indahl A, Kaigle AM, Reikeras O, Holm SH. Interaction between the porcine lumbar intervertebral disc, zygapophysial joints, and paraspinal muscles. Spine 1997 ; 22 : 2834-2840
  • [8] Jull G. The theoretical pathology of acute locked back : a basis for manipulative therapy. Manual Med 1985 ; 1 : 78-82
  • Kane R, Olsen D, Leymaster C. Manipulating the patient : a comparison of the effectiveness of physician and chiropractor care. Lancet 1974 ; 1 : 1333
  • [9] Kirkaldy-Willis WH, Bernard TN. Managing low back pain (4e Ed). Churchill Livingstone, 1999, 269
  • [10] Kos J, Wolf J. Les ménisques intervertébraux et leur rôle possible dans les blocages vertébraux, Ann Med Phys 1972 ; 15 : 203-218
  • [11] Lee M, Kelly KW, Steven GP. A model of spine, ribcage and pelvic responses to a specific lumbar manipulative force in relaxed subjects. J Biomechanics 1995 ; 28 : 1403-1408
  • [12] Maigne JY, Guillon F. Effet des manipulations sur le segment mobile lombaire. Réflexions sur leur mode d'action. Rev Med Orthop 1993 ; 34 : 7-9
  • [13] Maigne JY, Guillon JF, El-Khatib A. Highlighting of intervertebral movements and variations of intradiscal pressure during lumbar spinal manipulation. A feasibility study. JMPT sous presse.
  • [14] Maigne R. Diagnostic et traitement des douleurs communes d'origine rachidienne. Paris : Expansion Scientifique, 1989, 206-209
  • [15] Maigne R. Une doctrine pour les traitements par manipulation : la règle de la non-douleur et du mouvement contraire. Ann Med Phys 1965 ; 8 : 37-47
  • Matthews JA, Yates DAH. Reduction of lumbar disc prolapse by manipulation. British Medical Journal 1969 ; Sept 20 : 696-699
  • Nwuga VC. Relative therapeutic efficacy of vertebral manipulation and conventional treatment in back pain management. American Journal of Physical Medicine and Rehabilitation 1982 ; 61 : 273-278
  • Rasmussen GG. Manipulation in low back pain : a randomized clinical trial. Manuelle Medizin 1979 ; 1 : 8-10
  • [16] Schekelle PG. Spine update : spinal manipulation. Spine 1994 ; 19 : 858-861
  • Shambaugh P. Changes in electrical activity in muscles resulting from chiropractic adjustement : a pilot study. Journal of Manipulative and Physiological Therapeutics 1987 ; 10 : 300-303
  • [17] Terrett AC, Vernon H. Manipulation and pain tolerance. American Journal of Physical Medicine 1984 ; 63 : 217-225
  • [18] Triano J, Schultz AB. Loads transmitted during lumbosacral spinal manipulative therapy. Spine 1997 ; 22 : 1955-1964
  • [19] Triano J. Studies on the biomechanical effect of a spinal adjustment. JMPT 1992 ; 15 : 71-75
  • [20] Tullberg T, Blomberg S, Branth B, Johnsson R. Manipulation does not alter the position of the sacroiliac joint. Spine 1998 ; 23 : 1124-1129
  • [21] Unsworth A, Dowson D, Wright V. Cracking joints. Ann Rheum Dis 1971 ; 30 : 348
  • [22] Vautravers P. Lecoq J. Pièges redoutables, retard diagnostic en rapport avec les manipulations vertébrales. In : Masson ed. . Les manipulations vertébrales (Montpellier 1994). Paris : Masson, 1994 : 296-304
  • [23] Vicenzino B, Collins D, Wright A. The initial effects of a cervical spine manipulative physiotherapy treatment on the pain and dysfunction of lateral epicondylalgia. Pain 1996 ; 68 : 69-74
  • Waagen GN, Deboer K, Hansen J, McGhee D, Haldeman S. A prospective comparative trial of general practice medical care, chiropractic manipulative therapy and sham manipulation in the managementof patients xith chronic or repetitive low back pain. Boston 1990. Abstract, International Society for the Study of the Lumbar Spine

Légende des figures (à venir)

Figure 1 : Courbe de pression intradiscale mesurée dans les disques lombaires de L1-L2 à L4-L5 au cours d'une manipulation en rotation lombaire, le rachis étant positionné en flexion et le patient installé sur le côté. On note une légère accentuation de la pression en début de manipulation, à laquelle fait suite une dépression nettement plus marquée suivie d'un retour à la normale.

Figure 2 : Aspect de l’articulaire postérieure L4-L5 sur le squelette. A gauche, lors de la rotation lombaire gauche, les surfaces articulaires se rapprochent. A droite, lors d'une rotation vers la droite, elles s’écartent. Le bruit de craquement correspond à une accélération de la vitesse d'écartement.

Figure 3 : Manipulation en rotation lombaire droite sur un rachis en flexion, le patient étant en décubitus latéral gauche (tête vers la gauche de la figure). On note l’étirement des fibres de l’érecteur spinal du côté gauche (partie inférieure de la figure) alors que le même muscle est en relâchement complet du côté droit (partie supérieure de la figure).



image
 
image
image
image