Mode d'action et règles d'application des manipulations vertébrales
J-Y Maigne, Médecine Physique Hôtel-Dieu, Paris |
Les
manipulations vertébrales constituent l’un des traitements majeurs des
douleurs mécaniques d’origine vertébrale, sans doute celui qui a donné lieu
à la plus abondante littérature scientifique. Leur efficacité est prouvée
pour les douleurs lombaires récentes, probable pour certaines cervicalgies,
sciatiques et lombalgies chroniques. S’il reste encore beaucoup à faire pour
mieux connaître leurs indications et leur mode d’action, leur place en
pathologie vertébrale est maintenant bien établie.
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Définition des manipulations
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Dans la
langue anglaise, le mot manipulation inclue en général l'ensemble des
traitements manuels : mobilisations, étirements, techniques myotensives et
manoeuvres dites à “haute vélocité et faible amplitude”. Ce sont ces
dernières qu’en France, nous appelons manipulations. Il s’agit de
“manoeuvres articulaires brèves et sèches qui portent une articulation au
delà de son jeu physiologique sans dépasser ses limites anatomiques” (R
Maigne). Elles peuvent être directes (à bras de levier court), agissant
directement sur la vertèbre, ou indirectes (à bras de levier long),
utilisant, par exemple, le bassin ou les côtes comme point d’appui. Une
manipulation s’accompagne obligatoirement d’un bruit de craquement qui
témoigne du brusque écartement des surfaces articulaires mises sous tension.
Une manipulation se déroule en trois temps successifs : mise en position du
patient, mise en tension du segment vertébral, impulsion manipulative
proprement dite.
Le mode
d'action des manipulations vertébrales est complexe. Il concerne chacun des
constituants du segment mobile. On aurait tort de penser que chaque
manipulation est pourvue de l’ensemble des actions qui sont décrite
ci-dessous. Au contraire, il est plausible que chaque manoeuvre ait sa
spécificité, liée à la position du rachis nécessitée pour son
accomplissement et que les autres actions soient secondaires.
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Action des manipulations sur les corps vertébrtaux
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1.
L'impulsion manipulative est appliquée sur le corps du patient (ceinture
pelvienne, scapulaire, cou, dos...). Une fraction modérée de cette force est
amortie dans les tissus périvertébraux et n'est pas transmise au rachis
[19]. La majeure partie de l’impulsion atteint directement la colonne. Les
muscles ne semblent pas lui opposer de limitation s’ils sont bien relâchés,
car le mouvement se déroule trop brusquement pour qu'une contraction
musculaire de protection ait le temps de se manifester [19,11,18]. A
l’opposé, la présence d’une contracture paravertébrale peut verrouiller
suffisamment le rachis, de telle sorte que toute manipulation est
impossible. Cette impossibilité se manifeste par l’absence de bruit de
craquement.
2. La
manipulation mobilise les corps vertébraux l'un par rapport à l'autre.
Des travaux sur cadavre ont révélé un réel mouvement relatif entre deux
vertèbres au cours de l'impulsion manipulative, soit à l'aide d'aiguilles
plantées dans l'os [5], soit à l'aide d'accéléromètres solidaires des corps
vertébraux [13]. Il se déroule très rapidement, puisque l'intervalle de
temps entre l'impulsion manipulative et l'amplitude maximale du mouvement
est de un à cinq dixièmes de seconde [19]. Ce mouvement vertébral est
complexe pour deux raisons. La première est que les mouvements vertébraux, à
l’exception de la flexion-extension, sont des mouvements combinés (par
exemple, au niveau lombaire, association de l’extension, de la latéro-flexion
homo-latérale et de la rotation contro-latérale). La seconde est que la
manipulation est un mouvement forcé, artificiel, qui impose au segment
mobile des mouvements inhabituels.
3. Ce
mouvement intéresse plusieurs segments mobiles simultanément
[11,13]. L'impulsion manipulative s'applique en théorie à un seul étage
lorsque la manœuvre est focalisée, mais, malgré les précautions prises, les
étages adjacents sont intéressés simultanément.
4. En
fin de manipulation, il est probable que la position des vertèbres les unes
par rapport aux autres n’est pas modifiée. Ceci a été montré pour
les manipulations sacro-iliaques [20]. Il n’y a donc pas de “remise en
place” de quoi que ce soit. Cependant, rien ne permet d’exclure un
“déblocage” segmentaire.
5. La
conséquence du mouvement intervertébral est un étirement des tissus
(muscles, tendons, ligaments, anulus, etc.) soit uni, soit bilatéral. C'est
dans cet étirement sec, renforcé par le craquement, qu'il faut chercher le
mode d'action des manipulations vertébrales.
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Action des manipulations sur le disque intervertébral
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Nous avons
montré que la pression intra-discale variait en deux phases successives au
cours d’une manipulation lombaire [13]. Il y a d'abord un rapprochement des
corps vertébraux adjacents, attribué à la disposition oblique des fibres
annulaires mises en tension par la composante rotatoire de la manipulation.
Ce rapprochement s'accompagne d'une élévation de pression intra-discale. La
fin de manipulation, caractérisée par une composante en traction,
s’accompagne d’un écartement des plateaux vertébraux. Lors de cette deuxième
phase, la pression intra-discale chute et devient inférieure à la valeur de
départ. Le retour à la normale se fait assez rapidement (moins d’une minute,
fig. 1). Ces constatations permettent d’envisager plusieurs actions
possibles sur le disque.
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Réduction
d'un blocage intra-discal. L'hypothèse selon laquelle un fragment de
nucleus pourrait migrer dans une fissure radiale de l'anulus et se
trouver bloqué a été avancée pour expliquer certains lumbagos ou
douleurs discales aiguës [3]. On comprend que la manipulation, en
écartant les plateaux vertébraux et en mettant en tension le ligament
longitudinal postérieur, puisse réduire la lésion en permettant au
fragment de nucleus de regagner sa position centrale [2,8,10]. Ce
mécanisme reste hypothétique.
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Effacement
des pics de pression intra-discaux. Lorsqu’un disque est soumis à des
contraintes de compression, sa pression interne augmente de façon
homogène. Si la compression se prolonge, la répartition de la pression
devient inhomogène. Des pics de pression apparaissent, correspondant à
des zones de concentration de stress, à côté de zones de basse pression
[1]. Ces pics de pression, qui pourraient agresser les plateaux
vertébraux adjacents, sont considérés comme une cause de lombalgie
posturale. Dans ce contexte, les variations de pression induites par la
manipulation pourraient jouer un rôle favorable d'homogénéisation et de
réduction de ces pics de pression intra-discaux [13].
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Déplacement
d'une hernie discale. Contrairement à certaines hypothèses, il n’a
jamais pu être observé (au scanner) de déplacement de hernie discale ou
de réintégration de la hernie dans le disque à la suite de manipulations
[4].
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Action des manipulations sur les articulaires postérieures
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L'opinion
selon laquelle les manipulations vertébrales agiraient préférentiellement
sur les douleurs d'origine articulaire postérieure est souvent émise [9],
mais ne repose sur aucune preuve. En revanche, le bruit de craquement
caractéristique ne peut provenir que de l'écartement brusque de ces
articulations, lié à un phénomène de cavitation [21].
Lors de la
manipulation, les surfaces articulaires ne s'écartent pas progressivement.
Dans un premier temps, les surfaces adhèrent l’une à l’autre et les
vertèbres restent solidaires. Lorsque la force manipulative dépasse un
certain seuil, la séparation se fait, mais de façon très brusque, comme une
ventouse arrachée d'un mur. Ce qui rend possible ce décrochage est la force
de cohésion liée à la présence de liquide synovial. Quand la force de
traction lui devient supéreiure, les deux surfaces se séparent brusquement.
Des microbulles de vide apparaissent dans le liquide synovial’apparition
soudaine et les gaz dissous s'y précipitent. De là naît le bruit de
craquement caractéristique, dont le mécanisme est le même, toutes
proportions gardées, que celui d’un coup de feu. Le craquement témoigne donc
d’une séparation brusque des articulaires postérieures, alors que
l'impulsion manipulative qui lui a donné naissance est un mouvement continu.
Il y a donc accumulation d'énergie puis, lors du décrochage des articulaires,
restitution sous forme d’une accélération du mouvement. Au total, les deux
vertèbres se séparent plus vite que ne le voudrait la seule impulsion
manipulative. Les forces de cohésion, en retardant la séparation des
surfaces articulaires, agissent comme un ressort. Lorsque le mouvement
atteint une certaine vitesse apparait le bruit de craquement, qui est le
témoin de cette vitesse. Il fait la spécificité de la manipulation. Une
tension musculaire trop importante ou une hypomobilité (liée à une arthrose
ou à une orientation particulière ce ces articulations) peut empécher toute
manipulation.
Pour des
raisons anatomiques évidentes, au cours d'un mouvement de rotation lombaire,
le craquement se produit du côté de la rotation (fig. 2). Lors d'une
manipulation en rotation cervicale, il se produit le plus souvent du côté de
la rotation, mais parfois de l’autre côté. Il n’a pas été étudié pour les
autres techniques.
Les actions
possibles au niveau des articulaires postérieures sont les suivantes :
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L’étirement
des capsules articulaires a probablement un effet inhibiteur sur les
contractures musculaires paravertébrales, comme cela a été montré chez
l’animal [7].
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Dégagement
d'une structure bloquée. L'écartement des facettes pourrait permettre à
une frange synoviale bloquée entre les deux murs articulaires de se
dégager [8,10]. Il s'agit d'un mécanisme allégué mais non prouvé de
blocages douloureux lombaires. Il en est de même des blocages
articulaires par engrènement de crêtes cartilagineuses.
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Rupture
d'adhérences intra-articulaires. A la suite d'une poussée congestive
d'arthrose, des adhérences intra-articulaires faites de dépôts de
fibrine pourraient se produire, restreignant le mouvement. L'écartement
brusque des deux surfaces articulaires pourrait rompre ces adhérences
[16].
Les articulaires
postérieures apparaissent autant comme le véritable “moteur à ressort” de la
manipulation que comme une cible thérapeutique.
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Action des manipulations sur les muscles péra-vertébrtaux
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Les muscles
paravertébraux constituent une cible importante des manipulations, car le
muscle est une structure relais de la douleur vertébrale.
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Décontraction par étirement direct. La mise en tension lors d'une
manipulation lombaire en décubitus latéral entraîne un étirement des
muscles paravertébraux du même côté et un relâchement de l'autre côté
[12 et fig. 3]. En fait, toutes les manoeuvres manipulatives entraînent
un étirement des muscles spinaux lors de la phase de mise en tension,
quel que soit l'étage [14]. Lors de l'impulsion proprement dite,
l'écartement des facettes, et l'écartement des deux vertèbres qui
s'ensuit entraîne un surcroît d'étirement des muscles, d'une façon
sèche. Ce mécanisme est connu, en physiologie, pour inhiber la
contracture musculaire.
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Décontraction par étirement des capsules articulaires. L’étirement et la
distension des capsules articulaires postérieures a une action
inhibitrice sur la contracture musculaire paravertébrale [7].
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Réaction
musculaire post-manipulative. Une réaction musculaire post-manipulative
a été mise en évidence in vivo par EMG [6]. Chaque type de manipulation
est suivi d’une réponse musculaire réflexe (contracture réflexe en
réponse à l’étirement manipulatif) dans une région spécifique, assez
étendue toutefois. Ces réponses surviennent entre 50 et 200 msec après
l’impulsion manipulative, cette rapidité de survenue éliminant une
réponse volontaire du sujet. La durée du phénomène est brève, de moins
de 0,5 seconde. Cette contraction réflexe succédant à l’étirement du
muscle pourrait faire décroître la contracture musculaire.
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Action des manipulations sur la douleur
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Il est
probable que les manipulations ont un effet antalgique propre indépendamment
de toute autre action mécanique vertébrale. Dans une étude, des sujets
soumis à une stimulation électrique cutanée paraspinale voyaient leur seuil
de sensibilité à la douleur s'élever immédiatement après une manipulation au
même niveau, ce qui n'était pas obtenu dans le groupe placebo [17]. Des
observations ont été rapportées de patients porteurs de pathologie osseuse
métastatique et soulagés temporairement par des manipulations (évidemment
pratiquées de façon fautive, après erreur diagnostique) [22]. Cette
inhibition de la douleur pourrait être liée à l'activation par la
manipulation du système descendant d'inhibition de la douleur, dont
l'origine se situe au niveau de la substance grise périaqueducale [23].
Cette activation se ferait sous l'effet de la contre-stimulation qu'entraîne
la manipulation en étirant brusquement des structures innervées (ligaments,
disques, capsules articulaires).
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Effet placebo des manipulations
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Les
manipulations ont certainement un effet placebo. Y concourent le sentiment
que la vertèbre est remise en place, la bonne acceptation (voire le besoin
ressenti) du bruit de craquement, ainsi que la prise en main qui précède
l'acte manipulatif. A cette action purement psychologique s'ajoute
l'évolution propre, spontanément favorable, de beaucoup de syndromes
douloureux vertébraux. Le médecin peut (et doit) utiliser cet effet placebo
lorsque le patient y est sensible. Par exemple, il peut insister sur le
bruit de craquement en soulignant que le dos est maintenant bien débloqué.
N’oublions pas que nous devons avant tout soulager et, ensuite seulement,
faire de la science.
On aurait
cependant grand tort de réduire leur action à ce seul effet placebo.
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Synthèse du mode d'action des manipulations
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Ces notions
permettent de mieux comprendre le ou les modes d'actions possibles des
manipulations sur certaines douleurs vertébrales communes, qui peuvent
s'envisager à trois niveaux et bien sûr s'associer.
a)
Les manipulations pourraient guérir une lésion particulière (c.à.d.
que les manipulations en seraient le meilleur traitement étiologique et le
plus physiologique). Cette lésion est appelée "lésion manipulable". Selon
les écoles, elle porte différents noms (lésion ostéopathique, dysfonction
somatique, hypomobilité, subluxation, fixation, dérangement intervertébral
mineur) et obéit à des conceptions variées. Ainsi, les trois premières sont
des troubles de la mobilité vertébrale (ou de toute autre articulation)
pouvant survenir en n'importe quelle partie de la colonne et pouvant être à
l'origine de n'importe quelle douleur. La subluxation est un "déplacement"
en mauvaise position avec impossibilité de réduction spontanée. Le
dérangement intervertébral mineur est assimilé à une petite entorse
pérénisée par une contracture musculaire périvertébrale et est à l'origine
de douleurs en rapport avec sa localisation anatomique sur la colonne.
Aucune de ces lésions n'a pu réellement être visualisée malgré les
techniques modenes d'imagerie.
b)
Les manipulations pourraient agir sur une des composantes d'une lésion
complexe sans agir sur la cause proprement dite. C'est
particulièrement le cas des contractures musculaires qui accompagnent nombre
de cervicalgies ou de lombalgies d'origine discale ou articulaire
postérieure. L'étirement sec d'un muscle contracturé le détend et
l'assouplit. Si la cause des contractures musculaires est en voie de
guérison, elles n'auront pas tendance à récidiver après manipulation. Au
contraire, si la cause est encore active parce que non traitée ou sérieuse
(hernie discale compressive, inflammation intra-discale, instabilité...),
elles récidiveront très vite et le traitement manipulatif sera un échec.
c)
Enfin, troisième hypothèse, les manipulations, dépourvues d'action sur les
lésions elles-mêmes, pourraient n'avoir qu'une action purement antalgique
du fait de leur action sur le système nerveux central. Il s'agit d'une
action totalement non spécifique (au même titre que n'importe quel
antalgique).
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Règles d'application des manipulations
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Les règles
d’application des manipulations (“Quelle manipulation faire dans telle
situation ?”) dérivent avant toute chose de l’idée que l’on se fait des
lésions qu’elles prétendent traiter. Ainsi, pour la chiropraxie
traditionnelle, la lésion de base est une subluxation vertébrale (ou une
“fixation”). La manipulation doit donc faire parcourir à la vertèbre
déplacée le chemin inverse, lequel chemin définit la zone d’impact et la
direction spécifique. Pour l’ostéopathie, la lésion de base est une perte de
mobilité (souvent associée à un blocage en malposition), dite “dysfonction
somatique”. La manipulation à choisir est donc celle qui redonne la mobilité
perdue.
Envisager les
choses d’un point de vue médical (ou scientifique) ne permet pas de retenir
ces conceptions. Le pragmatisme demande de chercher les règles d’application
des manipulations dans leur mode d’action, et non l’inverse.
1.
Règle de la non-douleur et du mouvement contraire
R Maigne a
proposé, en 1965, une règle empirique d’application : la règle de la
non-douleur et du mouvement contraire [15]. Cette règle est à utiliser
lorsque l’indication à un traitement manipulatif est acquise (voir plus
bas). Sa signification est la suivante. La ou les manipulations doivent être
faites sur un segment donné dans une direction opposée à celle(s) qui
déclenche(nt) la douleur. Par exemple, une cervicalgie avec douleur en
rotation droite et en latéro-flexion droite doit être manipulée avec des
manoeuvres en rotation gauche et en latéro-flexion gauche, c’est à dire dans
le sens opposé à la douleur. Cette règle est donc bien différente d’une
interprétation hâtive, selon laquelle “il ne faut pas faire mal”. Elle a
l’énorme avantage de ne plus faire référence à une quelconque lésion, mais
seulement à la douleur.
Détermination de la direction douloureuse. La direction douloureuse
doit être déterminée lors de l’étude de la mobilité passive du rachis, puis
lors de la phase préparatoire de la manipulation, qui s’appelle “mise en
tension” (et qui “mime” la manipulation en la préparant). En principe, il y
a cohérence entre les deux mesures (si la rotation passive du cou est
douloureuse vers la droite, une mise en tension cervicale en rotation droite
sera douloureuse). Il arrive qu’il y ait discordance. C’est alors de la
douleur lors de la mise en tension dont on doit tenir compte pour déterminer
si la manipulation est possible ou non.
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Plus
de trois directions douloureuses. Lorsque le mouvement est
douloureux dans plus de trois directions, la manipulation est
contre-indiquée. Il s’agit souvent de situations aiguës (torticolis,
lumbago, sciatique aiguë) qui, quoique de type mécanique, seraient
aggravées par une manipulation. Il peut aussi s’agir de discopathies
inflammatoires qui relèvent de traitements médicamenteux.
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Absence de direction douloureuse.
Il peut
arriver qu’il n’y ait pas de direction douloureuse (ex : douleur
produite par la mise en charge du rachis et non par la rotation) ou que
la direction douloureuse soit différente de celle où l’on manipule.
Ainsi, un grand nombre de lombalgies sont douloureuses en flexion ou en
extension, alors que les directions forcées par les manipulations sont
en rotation, les quelles sont en général indolores. Dans ce cas, il est
possible de manipuler dans toute direction. Les manoeuvres seront
choisies en fonction de leur mode d’action présumé sur le segment mobile
(cf. infra).
-
Blocage en fin de course.
Il arrive que ni la mobilisation passive, ni la mise en tension ne
soient douloureuses, mais que l’impulsion manipulative ne soit suivie
d’aucun craquement. On dit que la manipulation ne “passe pas”. Ceci
témoigne d’un blocage “arthrosique” ou d’un verrouillage musculaire de
protection. Il faut essayer de manipuler dans la direction inverse. Si
le blocage est bilatéral, il ne faut pas forcer. Une telle situation est
assez caractéristique des discopathies en phase inflammatoire ou des
arthroses évoluées.
2. Etude
de cette règle en fonction du mode d’action des manipulations
Un certain
nombre d’actions anatomiques doivent impérativement être obtenues si l’on
veut profiter au mieux des possibilités qu’offrent les traitements
manipulatifs. Trois d’entre elles nous paraissent indispensables pour
soulager certaines douleurs vertébrales : étirer les muscles paravertébraux
et écarter les articulaires postérieures du côté de la douleur et faire
baisser la pression intra-discale. Le côté douloureux est déterminé par
l’examen segmentaire.
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Etirement
des muscles paravertébraux. L’étirement sec des muscles paravertébraux
est bénéfique puisqu’il diminue leur tension. Une des manoeuvres au
moins doit étirer au maximum les muscles du côté de la douleur, c’est à
dire, par exemple, les muscles lombaires droits si la lombalgie est à
droite, ou si les signes d’examen prédominent à droite. Dans ce cas, on
choisira une rotation vers la gauche (manipulation dite en décubitus
latéral droit avec flexion lombaire, qui étire bien les muscles
lombaires droits). Pour une cervicalgie de même côté, une rotation ou
une latéro-flexion gauche, avec la possibilité d’agir sur les muscles
paravertébraux cervicaux au niveau de leurs attaches thoraciques hautes
par une manipulation du rachis thoracique (donc la possibilité d’agir
sur une cervicalgie sans manipuler le rachis cervical).
-
Ecartement
des interlignes articulaires postérieurs. L’écartement des interlignes
est bénéfique puisque la distension capsulaire aurait un effet de
détente sur les muscles paravertébraux. De plus, il pourrait, dans
certains cas, “débloquer” et remobiliser l’articulation. Cette action
doit se faire du côté de la douleur. Pour la même lombalgie droite, on
choisira une rotation vers la droite (manipulation dite en rotation à
cheval vers la droite, qui semble permettre une bonne décoaptation
articulaire postérieure droite). Quel que soit le côté de la lombalgie,
la manoeuvre dite en appui sternal assure une excellente (et sonore)
décoaptation bilatérale. Appliquée vers la charnière thoraco-lombaire,
ses effets de détente se font sentir sur l’ensemble des paravertébraux
lombaires, jusqu’à la charnière lombo-sacrée. Pour une cervicalgie, on
complétera la rotation par une latéro-flexion (ou l’inverse).
-
Baisse de la
pression intradiscale. Faire baisser brusquement la pression
intra-discale est sans doute une des conséquences bénéfiques des
manipulations. Au niveau lombaire, la manipulation en décubitus latéral
a cette action. Il est probable que la manipulation en rotation à cheval
la possède encore plus, en raison de l’accentuation de la lordose
lombaire qu’elle nécessite (donc de l’écartement des plateaux
vertébraux). Cette donnée n’a pas été étudiée au rachis cervical.
3.
Synthèse
Suite à ces
remarques, les manipulations suivantes peuvent être proposées en cas de
lombalgie ou de cervicalgie sans inflammation et sans blocage majeur. Il
s’agit d’un “traitement de base”, qui n’est pas toujours applicable
(quoiqu’il le soit dans la grande majorité des cas) et qui doit se faire
dans le cadre de la règle de la non-douleur. Ces séquences de manipulations
les plus standardisées possible exploitent au mieux toutes les actions
physiques de ces manoeuvres et leurs possibilités.
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En cas de
lombalgie : associer systématiquement la manoeuvre en décubitus latéral
sur le côté douloureux en cyphose (rotation contro-latérale), la
rotation à cheval avec rotation homo-latérale (vers le côté douloureux)
et une manoeuvre en appui sternal.
-
En cas de
syndrome de charnière thoraco-lombaire sans atteinte lombo-sacrée
concomittante : associer systématiquement une rotation contro-latérale
et un appui sternal.
-
En cas de
cervicalgie : associer systématiquement les manoeuvres en rotation et
latéro-flexion (contro-latérales) et un appui sternal haut ou une
manoeuvre en enroulé dorsal.
Il s’agit donc
de proposer pour une douleur donnée, une séquence de manipulation la plus
standardisée possible qui exploite au mieux toutes les actions physiques de
ces manoeuvres et leurs possibilités. Il est cependant des cas où cette
standardisation n’est pas possible.
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Society for the Study of the Lumbar Spine
Légende des figures (à venir)
Figure 1 :
Courbe de pression intradiscale mesurée dans les disques lombaires de L1-L2
à L4-L5 au cours d'une manipulation en rotation lombaire, le rachis étant
positionné en flexion et le patient installé sur le côté. On note une légère
accentuation de la pression en début de manipulation, à laquelle fait suite
une dépression nettement plus marquée suivie d'un retour à la normale.
Figure 2 :
Aspect de l’articulaire postérieure L4-L5 sur le squelette. A gauche, lors
de la rotation lombaire gauche, les surfaces articulaires se rapprochent. A
droite, lors d'une rotation vers la droite, elles s’écartent. Le bruit de
craquement correspond à une accélération de la vitesse d'écartement.
Figure 3 :
Manipulation en rotation lombaire droite sur un rachis en flexion, le
patient étant en décubitus latéral gauche (tête vers la gauche de la
figure). On note l’étirement des fibres de l’érecteur spinal du côté gauche
(partie inférieure de la figure) alors que le même muscle est en relâchement
complet du côté droit (partie supérieure de la figure).
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