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Les syndromes pariéto-thoraciques

Yvon Lesage

Les syndromes pariéto-thoraciques constituent à mon avis la charnière entre les manifestations rachidiennes et périphériques. Depuis 20 ans, nous avons essayé de définir et d'individualiser un certain nombre de tableaux cliniques rassemblés sous le patronyme de syndromes pariéto-thoraciques. Plusieurs de ces syndromes avaient déjà fait l'objet de description clinique ou d'une proposition thérapeutique (syndrome de Tietze, côte de Maigne, première côte). Ils ont pour point commun d'intéresser le thorax dans son entité ostéo-articulaire et musculotendineuse, et surtout le fait que leurs manifestations n'ont aucune origine directe pulmonaire, pleurale ou cardio-vasculaire.

Ils objectivent tous à l'examen clinique un dérangement mécanique intéressant soit le complexe costal, qui comprend les articulations costo-vertébrales et surtout costo-transversaires et les jonctions chondro-costales, soit les articulations inter-vertébrales avec leurs irradiations radiculaires ou métamériques.

Les malades arrivent souvent dans les services d'urgence des centres hospitaliers pour être adressés vers les services de pneumologie ou de médecine cardio-vasculaire, pour peu qu'ils aient eu le moindre antécédent orientant vers l'une ou l'autre discipline. Une récente statistique anglaise aurait chiffré à 15 % ce type de malade dans les urgences pulmonaires ou cardio-vasculaires. C'est dans le service de pneumologie du Pr Danrigal et grâce à la compréhension de ce chef de service que j'ai pu m'intéresser d'abord au traitement manipulatif du syndrome chronique, puis des syndromes sub-aigus, en particulier dans les séquelles pleurales, pour finir par les syndromes aigus que nous avons choisis comme base pathologique et séméiologique.

Compte tenu de ces divers éléments, nous avons donné aux syndromes pariéto-thoraciques la définition suivante. "Manifestation douloureuse aiguë (parfois même dramatique) ou chronique intéressant la région thoracique (antérieure, postérieure ou latérale), d'origine mécanique sans participation directe parenchymateuse, pleurale ou cardio-vasculaire".

Nous décrirons successivement les diverses formes pathologiques suivantes et leur traitement.


 
Syndrome pariétal aigu
 

C'est le type même de l'urgence médicale. Le début est brutal. Il s'agit presque toujours d'une douleur intense, antérieure, para-sternale ou antéro-externe d'apparition le plus souvent nocturne. Quelquefois, la notion d'un mouvement minime (comme par exemple le fait de se tourner dans le lit ou un effort de toux) est retrouvée à l'interrogatoire, mais très souvent on ne trouve aucun antécédent traumatique évident.

Etiologie

Il s'agit toujours d'une dyscinésie de l'articulation costo-transversaire.

Examen clinique

C'est la douleur antérieure, transfigurante, en coup de poing qui fait le plus souvent l'objet de l'appel du malade ou de son hospitalisation évoquant quand elle est à gauche un infarctus, quand elle est à droite une embolie pulmonaire.

La totalité des malades que nous avons pris en charge avaient montré un ECG normal, une radio pulmonaire normale. Certains avaient subi des examens plus poussés : scintigraphie - angiographie. Il est inutile d'insister sur l'importance de ces examens (tout au moins des premiers) pour éviter une erreur de diagnostic. Bien sûr, l'auscultation pulmonaire ou cardiaque est négative. Le diagnostic est essentiellement fait par la palpation. On recherche d'abord le point douloureux antérieur ; il se situe au niveau de la jonction sterno-costale des 6ème, 7ème ou 8ème côtes. En suivant le trajet costal, on notera souvent une douleur latérale axillaire à la mobilisation douce de la côte, cette douleur se manifestant aussi souvent à la respiration. Puis l'on détecte le point postérieur, qu'il faut bien entendu rechercher nettement plus haut que le point antérieur (fig.1), par une palpation douce bilatérale objectivant cette douleur à deux travers de doigt de l'épineuse. Ce point douloureux dans le syndrome aigu est unique et unilatéral.

Diagnostic différentiel

Par une pression contrariée des épineuses, on éliminera un dérangement inter-vertébral mineur (DIM, fig.2). Par un palper-rouler attentif, on recherchera un dermatome pouvant évoquer un syndrome intervertébral cervical ou une projection métamérique d'un DIM thoracique (fig.3). Une observation minutieuse des téguments élimine la possibilité d'un début de zona.

Fig. 1
Fig. 2
Fig. 3

Evolution et traitement

Parfois le malade, rassuré par la négativité des examens para-cliniques et cliniques et soulagé par les calmants et antalgiques, voit sa douleur diminuer et disparaître en trois ou quatre jours. Mais, chez une de nos patientes, les crises se sont répétées à plusieurs mois d'intervalle et ceci à trois ou quatre reprises ; en fait jusqu'à ce qu'un traitement manipulatif soit effectué. Mais le plus souvent, la douleur est à peine calmée par les antalgiques surtout si, comme cela est souvent le cas, le terrain est anxieux et contracté. Il faut alors intervenir manipulativement. La meilleure technique, car agissant à la fois sur le point antérieur et le point postérieur, est une technique directe.

Fig. 4
Fig. 5

On met le malade à plat ventre en travers de la table (comme pour l'examen dorsal) de façon à ce que le côté douloureux se trouve en bout de table. Le manipulateur se tient en bout de cette table et place le bord cubital de la main proximale sur le point douloureux, l'éminence thénar de l'autre main faisant contre-appui du côté opposé au même niveau (fig.4). Il faut faire vider progressivement et complètement les poumons et exercer en fin d'expiration une pression, rapide et contrôlée du côté douloureux, de la main proximale (fig.5). Le craquement manipulatif est la règle. Il est nécessaire de doser de façon très précise la pression en relâchant rapidement en fin de manipulation «recul».

Une autre technique est une extrapolation du « dérouler » dorsal (semi-indirecte contrariée, fig.6,7). Les côtes sont fragiles surtout si elles sont porotiques ; il est alors prudent d'utiliser cette deuxième technique. Le sujet est en décubitus. Un coussin ferme est posé au niveau du sternum. Les bras sont repliés, mains sur les épaules et le bras inférieur du côté douloureux. Le manipulateur se tient de l'autre côté de la table. Le bras proximal vient se mettre en berceau sous la tête et la partie supérieure du dos. Le bras distal entourant l'hémithorax vient prendre place sur le col de la côte douloureuse. Là aussi il faut faire vider progressivement et complètement les poumons et en se couchant sur le malade, exercer une pression contrôlée pour obtenir le craquement caractéristique.

Fig. 6
Fig. 7

Ces deux manoeuvres peuvent être répétées plusieurs fois, mais cela est rarement nécessaire s'il y a une bonne coordination du mouvement.

 
Syndrome pariétal subaigu (SPS)
 

Il ne s'agit plus là d'un tableau d'urgence. Au décours d'un syndrome parenchymateux ou pleural aigu, la douleur au niveau de l'hémithorax en cause continue ou réapparaît après avoir diminué, pouvant même persister plusieurs mois après disparition des signes cliniques au radiologiques. C'est l'examen clinique attentif du thorax qui permettra de faire le diagnostic.

Etiologie

On en est réduit aux hypothèses, mais la plus vraisemblable est celle d'un blocage-réflexe, la douleur parenchymateuse ou pleurale provoquant une sidération de tout mouvement du gril costal du côté douloureux et créant une pathologie mécanique évoluant pour son propre compte (dyscinésie costo-transversaire).

Examen clinique

Il est identique à celui décrit pour le syndrome pariétal aigu mais l'atteinte mécanique, bien que toujours unilatérale, est le plus souvent multiple et plus bas située : 8ème, 9ème et 10ème côtes. La recherche clinique de l'ampliation thoracique, manuelle ou à l'aide de l'hémi-compas thoracique, montre une nette diminution de l'ampliation thoracique du côté douloureux. Les épreuves fonctionnelles sont perturbées : VEMS et surtout CV sont abaissées.

Evolution et traitement

Le syndrome douloureux s'atténue en général progressivement mais il est rarement spontanément résolutif, perturbant la rééducation respiratoire qui a pu être entreprise. Le traitement manipulatif est identique à celui du SPA. Les deux techniques peuvent être utilisées agissant successivement sur les différents étages. Il est souvent nécessaire de répéter l'intervention manipulative à 8 ou 10 jours d'intervalle pour obtenir un résultat complet. Celui-ci est prouvé par la disparition de la douleur et la normalisation des épreuves fonctionnelles permettant de mettre en route une rééducation respiratoire efficace. Dans tous les cas, un traitement manipulatif précoce a permis de gagner plusieurs semaines de rééducation.

 
Syndrome pariétal chronique (SPC)
 

Il s'agit là de malades chroniques, connus et traités pour insuffisance respiratoire ou asthme, et qui nous avaient été confiés pour une rééducation respiratoire. Ils se plaignaient spontanément d'une douleur thoracique basse, bilatérale, les gênant pour prendre leur respiration. Là aussi c'est l'examen clinique qui fait le diagnostic. Il s'agirait là d'une dyscinésie pure du gril costal entraînant un véritable cercle vicieux blocage / douleur / blocage.

Examen clinique

Il est identique aux deux tableaux précédemment décrits mais, là, les localisations sont bilatérales et multiples : 8ème, 9ème et 10ème, réduisant sérieusement CV et VEMS et réduisant également à l'examen l'ampliation thoracique des deux hémithorax.

Traitement

Il fait toujours appel aux deux mêmes techniques directe et semi-indirecte contrariée. Plusieurs interventions sont nécessaires à une ou deux semaines d'intervalle. Des épreuves fonctionnelles comparatives avant et après manipulation ont permis de mettre en évidence des gains chiffrables quelquefois à 10% pour une seule intervention.

 
Syndrome de la première côte
 

Son entité est discutée et discutable. Il s'agit d'une douleur haut située en avant, sous-claviculaire, et en arrière au niveau du trapèze. Je crois pour ma part en avoir diagnostiqué trois ou quatre en trente ans de pratique manipulative. La plupart de ceux décrits ou que l'on m'a présentés comme tels ont été guéris par une manipulation cervicale car il s'agissait d'une projection au niveau du dermatome C4 antérieur (douleur sous-claviculaire) et C4 postérieur (trapézalgie). L'origine est mécanique post-traumatique.

Examen clinique

Il faut donc, par un palper-rouler soigneux, éliminer une cellulaigie C4. Ouand il s'agit d'une vraie première côte, il existe un point douloureux antérieur sternal (jonction sterno-costale) et postérieur au niveau de l'articulation costotransversaire et non au niveau du trapèze.

Traitement

Le sujet est en décubitus dorsal. On pose une main postérieure au niveau du col de la côte. L'autre main se place sur la main opposée du malade au niveau de la jonction sterno-costale (fig.8). En se couchant sur le thorax, on exerce une pression vive à ce niveau pour obtenir un craquement manipulatif toujours postérieur (fig.9).

Fig. 8
Fig. 9
 
Côte de Maigne
 

Il s'agit en fait d'un syndrome pariétal aigu intéressant les fausses côtes ou côtes flottantes. La douleur brutale est alors postérieure et latérale. Il est le plus souvent d'origine traumatique, quelquefois également lié à un simple faux mouvement en rotation. On retrouve une dyscinésie costo-transversaire 11ème, quelquefois 10ème ou une dyscinésie costo-vertébrale 12ème qui ne comporte pas d'articulation costo-transversaire. Mais il faut compter avec les anomalies transitionnelles de la jonction thoraco-lombaire, très fréquentes.

Examen clinique

Le point douloureux est postérieur et Maigne a décrit une douleur à l'élévation ou a l'abaissement de la côte qui débouche sur une manipulation dans le sens opposé.

Diagnostic différentiel

On doit éliminer un DIM de la jonction thoraco-lombaire mais il n'y a pas de douleur à la pression des épineuses et pas d'infiltration métamérique. La douleur est très localisée et n'irradie pas. Egalement une colique néphrétique en plus des syndromes pleuraux ou parenchymateux.

Traitement manipulatif

On peut utiliser la technique de Maigne. Le sujet est assis, le creux axillaire du côté non douloureux s'appuyant sur le genou du manipulateur. On incline le corps de ce côté pour bien dégager les côtes basses. La main homologue saisit le côté douloureux (fig.10,11).

Fig. 10
Fig. 11

Si la douleur est en élévation, on fait vider les poumons en appuyant sur la côte avec le pouce pour mise en tension, puis, on fait inspirer violemment en maintenant la côte ce qui a pour effet de la manipuler vers le bas (fig.12). Si la douleur est en abaissement, il faut saisir le bord inférieur de la côte avec la pulpe des doigts en faisant inspirer à fond pour mise en tension, puis, bien maintenir la côte en élévation en faisant expirer rapidement afin d'obtenir une manipulation vers le haut (fig.13).

Fig. 12
Fig. 13

Technique personnelle (fig. 155-156) en latéro-cubitus sur le côté non-douloureux. La main hétérologue saisit le coude du côté douloureux et l'élève au maximum au-dessus de la tête pour ouvrir l'hémithorax. Le reste de la technique est identique et basé sur une inspiration ou une expiration forcée.

Fig. 14
Fig. 15
 
Côte criquet
 

Je l'ai baptisée ainsi en raison du bruit caractéristique décelable à la mobilisation passive de la côte ou même spontanée à la respiration. Ce bruit rappelle parfaitement le petit jouet d'enfant appelé « criquet ». Le début est toujours traumatique. Un choc direct au niveau du gril costal dans la partie antérieure et basse est toujours retrouvé. Il s'agit en général d'un accident de sport ou d'une chute sur un objet contondant. Il s'agit pour nous d'une dislocation chondro-costale (fracture du cartilage).

Examen clinique

Le point douloureux se situe au niveau de la jonction côte-cartilage de la 8ème, 9ème ou 10ème côte. La mobilisation de la côte provoque le bruit caractéristique « du criquet » et fait le diagnostic.

Evolution et traitement

La guérison spontanée est exceptionnelle. La douleur s'estompe mais réapparait brutalement avec le même bruit à la moindre sollicitation (persistance dé la dislocation). Il faut manipuler comme pour le SPA par voie directe ou semi-indirecte contrariée puis poser une contention pour au moins six semaines (bandage élastique type Cemen pour contention de côte). En cas d'échec du traitement on peut envisager un agrafage chondro-costal avec des agrafes de Judet.

 
Syndrome de Tietze
 

On en parle beaucoup. Il n'y a pas de diagnostic différentiel de douleur thoracique haute ou on ne l'envisage pas... Pour ma part, je n'en ai jamais vu, ou ceux que l'on m'a présentés comme tels étaient des dermatomes C4 antérieurs guéris par une manipulation cervicale, ou un syndrome pariétal subaigu ou chronique haut situé. Il s'agirait, pour les auteurs qui l'on décrit, d'une chondrite de l'articulation sterno-costale du 3ème arc costal.
On peut logiquement penser qu'il peut s'agir de l'évolution vers une chondrite d'un syndrome pariétal aigu, subaigu ou chronique

Examen clinique

Je crois qu'on ne peut affirmer ce diagnostic que s'il s'agit simplement d'un nodule douloureux à la pression au niveau de la 3ème articulation sterno-costale en éliminant, par une palpation para-vertébrale postérieure, un point costo-transversaire et donc une dyscinésie costale.

Traitement

On a proposé des infiltrations avec plus ou moins de succès. Il y a certainement beaucoup plus de faux syndromes de Tietze que de vrais et leur guérison passe par une manipulation costo-transversaire.

 
Déchirure inter-costale
 

Là encore, on en évoque beaucoup plus qu'il n'en existe. On ne peut l'évoquer qu'à trois conditions. Il faut qu'il y ait un traumatisme, un hématome inter-costal ou au moins précocement une tuméfaction inter-costale et que les examens clinique et para-clinique aient éliminé tous les autres syndromes pariéto-thoraciques. Par contre, il peut très bien y avoir une déchirure inter-costale compliquant tous les autres tableaux cliniques et il faut en tenir compte dans le traitement de ceux-ci.

Traitement

Il s'agit essentiellement d'une contention élastique par bande Cemen. Contrairement aux autres hématomes, il ne faut pas utiliser de glace en raison des risques de complications parenchymateuses iatrogènes. Les enzymes diffusantes, les antalgiques, peuvent être utilisés en plus de la contention.

 
Syndromes pariéto-thoraciques d'origine vertébrale
 

Nous nous contenterons de les énumérer car ils sont bien connus et leur traitement passe par celui du DIM original.

Dorsalgie interscapulo-vertébrale ou "algie inter-scapulaire" d'origine cervicale (décrite par Maigne). Il s'agit du dermatome au point d'émergence de la branche postérieure du nerf rachidien de T2 mais en fait, d'après Lazorthe, de l'anastomose de toutes les branches postérieures de C5 à T2.

Irradiation d'un DIM thoracique, soit radiculaire inter-costale, soit métamérique. Le diagnostic est essentiellement clinique et prouvé par la découverte du DIM original. J'insisterai simplement sur un fait peu commun et qui fait réfléchir. Travaillant dans un service de pneumologie où les carcinomes sont fréquents, nous avons pu observer que des métastases vertébrales donnaient les mêmes irradiations radiculaires ou métamériques que les DIM. Il est donc indispensable de disposer d'un examen radiologique récent avant d'envisager tout traitement manipulatif de cette région.

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