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Revue de Médecine Orthopédique 1986;6:23-27

Recherche d'une rééducation adaptée aux syndromes de la charnière dorso-lombaire récidivants

Michel LEDOUX, Nicolas HALMAGRAND, Rééducation Fonctionnelle, Hôtel-Dieu de Paris

Un traitement médical bien conduit n'évite pas toujours l'évolution des syndromes de la charnière dorso-lombaire de MAIGNE (4,5) vers des formes chroniques ou récidivantes. Rappelons que la douleur n'est pas ressentie à son niveau d'origine, mais en périphérie : dans la région lombaire basse ou sacro-iliaque lors de l'irritation des branches postérieures D12 ou L1, l'irritation des branches antérieures de ces racines déclenchant, selon les cas, des douleurs pseudo-viscérales, pubiennes ou trochantériennes.
Les conseils posturaux (2), qui ont pour but d'éviter une surutilisation de cette charnière, sont parfois incompatibles avec la poursuite de certaines activités professionnelles ou sportives. Nous avons donc tenté d'établir un programme kinésithérapique destiné à limiter les contraintes imposées à la charnière dorso-lombaire chez ces populations à "hauts-risques"

 
Rappel anatomo-physiologique
 

Les 10 premières vertèbres dorsales forment un axe assez rigide dont les mouvements de rotations sont limités par l'orientation des facettes articulaires et le gril costal. Les articulaires postérieures supérieures de D12 sont de type dorsal, planes, orientées en arrière et en haut, obliques à 60° sur l'horizontale. Les articulaires postérieures inférieures de cette vertèbre sont de type lombaire, cylindriques, orientées en avant, inclinées à 90° sur l'horizontale (3). Ainsi le segment mobile D11-D12 est le dernier à posséder un grand degré de liberté en rotation.

Le mouvement est freiné brutalement au niveau du segment D12-L1. D12 apparaît donc, comme le butoir supérieur des mouvements de flexion-extension du rachis lombaire et le butoir inférieur des mouvements de rotation du rachis dorsal. Sur le plan cinésiologique, le segment mobile D12-L1 constitue le lien de transition des courbures sagittales (cyphose dorsale - lordose lombaire). C'est le point d'inflexion des contraintes pendant la marche et des rotations en position assise (1).

Ces différents éléments anatomo-physiologiques expliquent que la pathologie de surmenage à ce niveau est essentiellement articulaire postérieure. Les discopathies par contraintes axiales y sont rares et le plus souvent d'origine traumatique. Notons que les segments D10-D11 et D11-D12 sont aussi très sollicités dans les mouvements de rotations, ce qui explique la fréquence des dérangements inter-vertébraux mineurs retrouvés à ce niveau.

 
Implications pratiques
 

D12 apparaît par son anatomie comme un obstacle "incontournable". Son verrouillage est impossible. On peut cependant s'efforcer d'en limiter les contraintes, ainsi que celles imposées à D10 et D11, en atténuant au maximum les raideurs des segments sus et sous-jacents, membres inférieurs compris.
Le premier temps de la rééducation comportera donc une réduction de ces pertes de mobilité par des techniques de postures et d'auto-postures. Ces raideurs sont le plus souvent d'origine articulaire au niveau dorsal et musculaire au niveau lombaire.
Dans un second temps, on pourra effectuer un renforcement musculaire des plans musculaires superficiels antérieurs et postérieurs, puis "un réveil proprioceptif" des plans musculaires profonds par une mobilisation segmentaire.

 
Assouplissements articulaires et musculaires
 
ASSOUPLISSEMENTS ARTICULAIRES DORSAUX
Posture en extension (position assise) fig. 1.
Auto-posture en extension (technique du billot en décubitus) fig. 2.

ÉTIREMENTS MUSCULAIRES DORSAUX
Auto-posture d'étirement du grand dorsal fig. 3.

 

ASSOUPLISSEMENTS ARTICULAIRES LOMBAIRES
Les raideurs lombaires sont le plus souvent d'origine musculaire. La technique du "tampon buvard" (fig. 4) peut être utilisée. Elle combine une décooptation des articulaires postérieures en flexion à un étirement des muscles ilio-costaux lombaires.

ÉTIREMENTS DES MASSES SACRO-LOMBAIRES
Auto-posture en flexion dite du "tampon-buvard" fig. 4.

ÉTIREMENTS DU PSOAS (fig. 5)
Auto-posture du psoas droit, bassin bloqué par la mise en flexion de la cuisse gauche

ÉTIREMENT DES MUSCLES LONGS
Ischio-jambiers (posture manuelle) fig. 6 et droit antérieur (auto-posture) fig. 7.

RENFORCEMENT MUSCULAIRE
II tiendra compte d'un déficit éventuel et des activités du patient. Les muscles concernés seront donc déterminés par l'interrogatoire et le testing. Il s'agira souvent de corriger un déficit relatif créé par une activité sportive asymétrique (tennis, golf). Ce travail s'applique selon les cas aux muscles des plans postérieurs (grand dorsal, trapèze inférieur, masses. sacro-lombaires) et/ou antérieurs (abdominaux, couple diaphragme-transverse, psoas major).
  • Le GRAND DORSAL par son épaisse aponévrose lombaire est le point d'appui de la colonne dorso-lombaire. Son rôle est important chez le sportif qui fait intervenir les efforts conjugués de la ceinture scapulaire et du bassin, entraînant un couple rotatoire intense et rapide.
  • Le rôle du TRAPEZE INFERIEUR est très proche de celui du grand dorsal. Son utilisation intense tend à reporter les contraintes mécaniques rotatoires en D11-D12 par l'intermédiaire de son insertion distale en D11.
  • Les muscles ILIO-COSTAUX lombaires nous semblent être le complément naturel des 2 précédents lors d'efforts importants nécessitant un recrutement musculaire maximum pour effectuer un mouvement de redressement ou maintenir une posture.
  • L'importance des ABDOMINAUX dans le maintien du "caisson abdominal" est maintenant bien connu. Le psoas-major a un rôle particulier (6). Son anatomie en fait le seul muscle antérieur (avec les digitations du diaphragme) qui ne soit pas à distance de la colonne. Il nous paraît être l'antagoniste logique de l'ilio-costal dont la contraction simultanée doit jouer un rôle dans la poutre composite lombaire.

Pour effectuer ce travail de renforcement musculaire, nous choisissons toujours les contractions isométriques maximales contre opposition manuelle en position corrigée.

MOBILISATION SEGMENTAIRE
Troisième temps de la rééducation, cette mobilisation a pour but d'obtenir un réveil de la proprioceptivité des plans musculaires profonds en faisant exécuter des mouvements décomposés. L'idéal étant de pouvoir contrôler le rachis étage par étage, de la région lombo-sacrée à la région dorsale haute.

Transversaires épineux, épi-épineux et petit dentelé postérieur et inférieur sont les principaux muscles concernés.

La position assise doit être utilisée en premier, car elle permet de mieux contrôler l'exécution des mouvements et de "stimuler" chaque étage par pression ou opposition sur les apophyses épineuses (Fig. 8).
Des mouvements de flexion, de rotation et d'inflexion latérale (Fig. 9) vont être progressivement demandés.

La position quadrupédique permet une combinaison des mouvements de flexion-extension et rotation à chaque segment, aboutissant à une reptation. On peut faire travailler seul le sujet, en faisant progresser une balle dans la gouttière des épineuses (fig. l0 et 11).
Le même exercice effectué en décubitus représente le stade ultime de cette séquence rééducative Fig.12.
Ce programme de rééducation devra être complété par :
- un apprentissage des règles d'ergonomie rachidienne (2),
- un renforcement des quadriceps et des pelvi-trochanteriens,
- des exercices d'ajustement posturaux lombo-pelvien en position assise et debout (bascule pelvienne).
Cette rééducation techniquement simple, nécessite cependant de part sa personnalisation, une collaboration très étroite entre le médecin prescripteur, le kinésithérapeute et le patient.
Elle s'adresse avant tout à des patients motivés, sportifs pour la plupart, victime d'une surutilisation obligatoire de leur charnière dorso-lombaire (tennis, ski, football, golf).
Son but est de diminuer les contraintes imposées à cette charnière dans les mouvements de rotation du tronc en jouant d'une part sur l'utilisation de l'ensemble des segments du rachis dorsal et lombaire lors de ces mouvements, en combattant les raideurs articulaires et musculaires de cet axe ; d'autre part, en amplifiant le rôle protecteur des muscles superficiels et d'ajustement postural des muscles profonds de la région dorso-lombaire.

BIBLIOGRAPHIE
1 GREGERSEN G, LUCAS D. In "Physiologie articulaire" de IA KAPANDJI. 1 Vol, Paris, Ed. Maloine, 1975.
2 HALMAGRAND N. Problèmes de rééducation posés par les lombalgies d'origine dorso-lombaire. In Lombalgies et Médecine de Rééducation, 1 Vol. 258-263, Paris, Ed. Masson, 1983.
3 KAPANDJI IA. Physiologie articulaire. 1 Vol. Paris, Ed. Maloine, 1975.
4 MAIGNE R. Le Syndrome de la charnière dorso-lombaire : lombalgies basses, douleurs pseudo-viscérale, pseudo-douleurs de hanche, pseudo-tendinite des adducteurs. Sem Hop Paris, 1981, 57, 545-554.
5 MAIGNE R, MAIGNE JY. Syndrome des branches perforantes latérales des nerfs sous-costal et abdommo-génital (D12 et L1). Une cause méconnue de douleurs de hanche d'origine vertébrale ou locale. Ann Réadapt Med Phys 29 (1086). 29-37
6 REVEL M, SAMUEL J, ANDRES JC. Physiologie du muscle psoas major. Etude EMG et déduction pour la kinésithérapie. Annales de Kinésithérapie, Tome 9, 1982,7-39.



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