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Revue de Médecine Orthopédique 1987,10:5-9

Constitution et territoire cutané des branches postérieures des nerfs rachidiens
Révision du schéma de Déjerine

Par G. Lazorthes et J. Zadeh

Plusieurs travaux ont été réalisés antérieurement par G. Lazorthes sur les branches postérieures des nerfs rachidiens: rapports avec les articulations vertébrales postérieures (1,2), innervation de ces articulations (3), ce qui avait abouti à la description d'un syndrome de la branche postérieure des nerfs rachidiens (4).

L'étude du territoire cutané de chacun de ces nerfs nous a amenés à réviser le schéma de Déjerine (5). A la différence des branches antérieures qui sont toutes faites de fibres motrices, sensitives et neurovégétatives, les branches postérieures des nerfs rachidiens n'ont parfois pas, ou très peu, de territoire sensitif. Telles sont classiquement dans la région cervico-dorsale C5, C6, C7, C8, D1 et, dans la région lombo-sacrée, L4, L5, S1. Nous avons cherché dans leurs histogrammes le reflet de cette particularité. Tout d'abord, signalons que le prélèvement des branches postérieures à leur origine n'est pas aisé car elles sont très variables ; elles sont parfois très fines, souvent étalées en collatérales et terminales aussitôt après leur naissance. Nous avons dû, pour certains nerfs, en particulier les derniers, les rechercher sur cinq sujets. Dans une première analyse, nous avons compté le nombre de leurs fibres ; dans une deuxième, nous avons mesuré leur calibre.


Le nombre de fibres

Sur un graphique, il apparaît que mis à part les branches postérieures de C2 et C3 qui sont constituées par 2885 et 2010 fibres, le nombre moyen oscille entre 700 et 900 si ce n'est pour les sacrées qui ont environ 300 fibres. De C5 à T1 et à partir de L4 et surtout de S1, ce nombre se réduit beaucoup.

La réduction de fibres de C5 à T1 nous parait correspondre et même être la conséquence de l'importance des branches antérieures qui vont à ce niveau au membre supérieur par le plexus brachial ; il se trouve que les nerfs en question, C6, C7, C8, T1, n'ont pas de territoire cutané.

La réduction des dernières branches postérieures lombaires et des sacrées correspond aussi à "l'accaparement" par les branches antérieures d'un grand nombre de fibres qui vont au membre inférieur par les plexus lombaire et sacré ; elle est aussi la conséquence de la réduction des masses musculaires et des territoires cutanés postérieurs lombaires et sacrés.

Le diamètre des fibres
Le diamètre des fibres des branches postérieures varie de 4 à 14 microns. La majorité ont de 6 à 10 microns. Les branches postérieures qui n'ont pas de territoire cutané, C5, C6, C7, C8 et L4, L5 ont, semble t’il, des fibres d'un diamètre inférieur à celles qui en ont un. Leurs histogrammes constitués presque uniquement de fibres motrices montrent des calibres de 4 à 6 microns. Les branches qui sont à la fois motrices et sensitives se signalent par une majorité de fibres de 8 à 10 microns.

Les hiatus d’innervation
Contrairement aux branches antérieures des nerfs rachidiens, les branches postérieures n'arrivent pas toutes en surface. Il existe trois hiatus : le hiatus crânio-cervical, le hiatus cervico?thoracique et le hiatus lombo-sacré.

Le hiatus crânio-cervical
Il est très étendu. Nous en avons fait une étude d'anatomie comparée avec G. Bastide en 1956. Elle nous a montré qu'il est à son maximum chez l'homme (6). Rappelons que les six derniers nerfs crâniens et la première branche cervicale ont perdu leur territoire cutané puisque le cuir chevelu est innervé par la branche ophtalmique du trijumeau et par les branches postérieures des 2ème et 3ème nerfs cervicaux qui se rejoignent au sommet du crâne.

La première branche cervicale n'arrive jamais en surface. La deuxième branche postérieure, dite nerf d'Arnold, monte vers le crâne et innerve la partie postérieure du cuir chevelu. La troisième branche a un territoire cutané étroit, situé sur le crâne et au niveau de la région de la nuque. La quatrième, au contraire, a un territoire très important qui occupe la face postérieure du cou et s'étend jusqu'à l'épaule, où elle rencontre la branche sus-acromiale du plexus cervical superficiel.

Le hiatus cervico-thoracique
Dorsal ramus Il est décrit de façon différente selon les auteurs. Certains en nient l'existence et accordent à tous les nerfs un territoire cutané (Pernkopf, Keegan). D'autres, tels Tunderry et Johnson, admettent au contraire qu'il existe un hiatus total entre C4 et T2. D'autres encore, comme Déjerine, projettent les branches postérieures de C5 à T1 dans une région commune constituant une surface triangulaire. Elle est reproduite dans la plupart des traités d'anatomie français (Charpy, Testut et Latarjet, Hovelaque, Paturet) et dans les ouvrages de neurologie ; c'est ce schéma que nous utilisons généralement dans nos services.

Pour nous, la cinquième branche cervicale n'arrive à la peau qu'une fois sur trois ; son territoire cutané est alors situé à la jonction cervico-thoracique, entre les apophyses épineuses de T1 et T2 et l'angle supérieur et interne de l'omoplate. Les branches postérieures de C6, C7 et C8 n'arrivent jamais à la peau ; elles sont uniquement musculaires. Ce hiatus d'innervation est constant ; la sensibilité cutanée y est assurée par les branches descendantes de C4 et les branches ascendantes de T2.
La branche postérieure de T1 est en effet dépourvue de rameau cutané une fois sur trois ; lorsqu'elle atteint la peau, elle a un territoire cutané étroit.
La deuxième branche postérieure thoracique parait vouloir compenser la différence des branches postérieures qui la précèdent ; son territoire cutané s'étend jusqu'à l'acromion.
La troisième thoracique a un territoire cutané moins étendu elle aboutit au milieu de la face postérieure de l'omoplate. Les suivantes dorsales arrivent toutes en surface ; à partir de la septième, leur direction est de plus en plus oblique en bas, si bien qu'elles aboutissent à la peau plusieurs vertèbres au dessous de leur origine.

Le hiatus lombo-sacré
Le hiatus lombo-sacré est aussi représenté de façon variable par les auteurs. Certains accordent à tous les nerfs un territoire cutané. D'autres admettent l'existence d'un hiatus important entre L3 et S3 (Tunderry). Déjerine et les auteurs de langue française représentent une surface cutanée quadrangulaire correspondant aux branches postérieures lombaires sans préciser ce qui correspond à l'une ou à l'autre.
Les branches postérieures de T11 et T12 s'arrêtent au niveau de la crête iliaque ; elles atteignent parfois le quadrant supéro-externe de la fesse, comme le décrit R. Maigne (7, 8), mais ce n'est pas la règle. T12 peut descendre jusqu'à la face externe de la peau qui revêt le grand trochanter.

Dorsal rami

Les branches postérieures de L1 et L2 franchissent la crête iliaque, traversent la moitié externe de la région fessière ; L1 va jusqu'à la peau qui revêt le grand trochanter. Si les branches de D11 et D12 dépassent la crête iliaque, celles de L1 et L2 innervent le milieu de la fesse. Il existe une sorte de balancement entre la branche postérieure de D12 et celle de L1. Les branches postérieures de L4 et L5 n'atteignent pas le plan cutané. Le hiatus dit lombo-sacré porte donc sur L4 et L5 ; certaines de leurs fibres sont peut?être portées en surface par leurs voisines M et S1 auxquelles elles s'anastomosent. La première branche postérieure sacrée s'unit à la branche postérieure de S2. Va t’elle directement au revêtement cutané ou grâce à cette anastomose ?

Branches posterieures dorsal ramiA gauche, plexus sacré postérieur et nerf de Trolard. A droite, le nerf de Trolard, trajet et rapport.
 
nerf de TrolardVue générale du nerf de Trolard et de son territoire d'innervation.

La branche postérieure du deuxième nerf sacré est la plus importante ; avec celles de S1, S3, S4, elle constitue un plexus sacré postérieur situé entre les muscles sacro-lombaires et le plan ostéoligamentaire qu'il innerve. Sa branche terminale a été appelée le nerf fessier postérieur par Trolard, à tort d'après nous, puisqu'elle n'a pas de territoire fessier. En effet, les branches collatérales du plexus sacré postérieur vont aux ligaments et à la peau de la région sacrée latérale. Quelques filets nerveux quittent les anses anastomotiques L5-Sl et S1-S2 pour aboutir à l'articulation sacro-iliaque. Le nerf dit fessier postérieur parcourt le segment inférieur de la face latérale du sacrum, dans un canal entouré de tissu adipeux abondant et limité en arrière par l'aponévrose fessière profonde et en avant par le grand et le petit ligament sacro?sciatiques ; il est fermé latéralement par l'accolement des deux parois ; il est situé en dedans des éléments traversant le canal sous-pyramidal. Le nerf, long de 10 cm environ, donne au niveau du hiatus sacré quelques filets à l'articulation sacro?coccygienne, puis il quitte son canal en perforant l'aponévrose et le muscle grand fessier et arrive sous la peau de la région sacro-coccygienne pour donner deux branches terminales : l'une, ascendante, située près de la ligne médiane, parallèle à celle du côté opposé, va au voisinage du deuxième trou sacré se perdre dans la peau ; l'autre, descendante, également parallèle à celle du côté opposé, aboutit à la région coccygienne. Ainsi, le nerf dit fessier postérieur n'a pas de territoire fessier et mériterait plutôt le nom de nerf interfessier puisque son territoire cutané correspond à la ligne para-médiane du sacrum et du coccyx.

Cette étude n'a pas seulement un intérêt anatomique. Elle a pour but non seulement de préciser les territoires cutanés, mais aussi de reconnaître le siège des irradiations douloureuses. Dans la région cervico-thoracique, nous retenons l'importance de la 4ème branche postérieure cervicale et de la deuxième dorsale. Au niveau de la région lombo-sacrée, nous proposons de distinguer trois trajets douloureux étagés de haut en bas et de dehors en dedans : le premier correspond aux branches postérieures des 11ème et 12ème nerfs thoraciques, le deuxième à celles des premier, deuxième et troisième nerfs lombaires, et le troisième aux sacrées.

La constitution des branches postérieures des nerfs rachidiens, leur rapport intime avec le plan articulaire postérieur, leur rôle dans l'innervation de ce plan articulaire peuvent apporter l'explication de l'existence d'irradiations douloureuses dans le territoire des branches antérieures par le mécanisme bien connu de la douleur rapportée (9), dont une action physique ou une infiltration des branches postérieures apportera la preuve.

 

1 LAZORTHES G., GAUBERT J., CHANCHOLLE A.R., LAZORTHES Y. Rapports de la branche postérieure des nerfs cervicaux avec les articulations interapophysaires vertébrales. Réunion de l'Association des Anatomistes, Toulouse, 1962.
2 LAZORTHES G. Les branches postérieures des nerfs rachidiens et le plan articulaire vertébral postérieur. Ann. Méd. Phys. XV, 2,1971
3 LAZORTHES G. La branche postérieure des nerfs rachidiens. L'innervation des articulations interapophysaires, vertébrales. 42° réunion de l'Association des Anatomistes, Lisbonne, 1956.
4 LAZORTHES G., GAUBERT J. Le syndrome de la branche postérieure des nerfs rachidiens. Presse Médicale,1956,2022.
5 DEJERINE. Sémiologie des affections du système nerveux. 1914
6 LAZORTHES G., BASTIDE G. Innervation sensitive du cuir chevelu et premier dermatome cervical. Etude chez lHomme et quelques mammifères. Compte Rendu de l’Association des Anatomistes, XLIH réunion, Lisbonne, 26/29 Mars 1956
7 MAIGNE R. Origine dorso-lombaire de certaines lombalgies basses. Rôle des articulations interapophysaires et des branches postérieures des nerfs rachidiens. Revue du Rhumatisme, 1974,41 (12),781?789.
8 MAIGNE J.Y., LAZARETH J.P., MAIGNE R. Territoire cutané des branches postérieures issues des nerfs rachidiens T11 à L3. Société d’Anatomie, 21 Septembre 1986 A paraître dans "Le Bulletin de l'Association des Anatomistes".
9 LAZORTHES G. Les douleurs rapportées quelques exemples dans le domaine oto-neuro ophtalmologique. Revue d'Otorhinophtalmologie, 1981, 53,145-150.

* Laboratoire de Neuro-anatomie, Faculté de Médecine Toulouse Rangueil, 133, route de Narbonne, 31077 Toulouse Cedex.



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