image
image
image
image

 

In La hernie discale lombaire, sous la direction de L. Simon et al. Masson ed, Paris 1990, p163-7

Hernies discales et manipulations vertébrales

R Maigne


 

Summary: Disc herniation and vertebral manipulations. Spinal manipulation is an important element in the treatment of backache with or whithout sciatica. This treatment must be restricted to the cases in which manipulation can be carried out in accordance with the « rule of no pain and opposite motion ». The relief may be immediate, total and long lasting. But the aspect of disc protrusion seen in radiculography or in CAT scan is very often not modified after successful treatment. Because of this lack of demonstrable effect, the way of action of spinal manipulation is not clearly understood. If there is no scientific evidence to explain why it works, it is only because we do not know all about the mechanisms of pain in these cases. One of the disadvantages of manipulative therapy is the long training which is necessary in order to acquire skill in its use.


Certains syndromes douloureux que l'imagerie et la clinique font rattacher à une hernie discale sont soulagés d'une manière parfois spectaculaire et souvent durable par des manipulations. Ce fait d'observation quotidienne pour qui a une bonne pratique de ces techniques ne va pas sans poser de problèmes, si l’on sait qu'il n'y a le plus souvent aucune différence notable entre l'image «avant» et l'image «après». Autant que le mode d'action de la manipulation, cela met en question le mécanisme de la douleur dans de tels cas.

 

Principes d’application des manipulations

Une grande règle régit pour nous l'application des manipulations : la Règle de « la non?douleur et du mouvement contraire » (Maigne). Il va sans dire que le mouvement manipulatif, précédé de mobilisations dans la même direction, ne doit en aucun cas faire apparaître ou aggraver une douleur préexistante. Mais le point essentiel de cette règle est que la manipulation doit forcer le mouvement libre opposé (« mouvement contraire ») à celui qui déclenche la douleur.

Les mouvements du rachis se développent dans les trois plans de l'espace : sagittal (flexion ou extension), frontal (latéroflexion droite ou gauche), horizontal (rotations). De même, les différentes techniques manipulatives exercent des contraintes dans l'une ou l'autre de ces directions, selon la manoeuvre sélectionnée. La décision de recourir à un tel traitement nécessite donc l'étude précise de la mobilité rachidienne passive dans toutes les directions sur la zone à traiter. On peut consigner le résultat sur le « schéma en étoile » figurant les six directions possibles. Une manipulation ne peut être généralement efficace que s'il existe au moins trois directions libres et indolores.

Le nombre de séances varie selon les cas. Une ou deux pour un lumbago aigu, deux à cinq pour une sciatique ou pour une lombalgie chronique, avec un espacement de deux à sept jours, constituent les chiffres habituels. Un soulagement partiel apparaît habituellement dès la première séance. Il est parfois total. Chaque séance comporte en proportions variables des manœuvres de détente, des mobilisations et étirements, et enfin une à trois manœuvres avec impulsion (la « manipulation » proprement dite). C'est leur bon dosage, leur précision qui fait la qualité du traitement.

 

Application aux hernies discales lombaires

Une hernie discale lombaire peut être à l'origine: 1) d'un lumbago aigu, 2) d'une radiculalgie sciatique, 3) d'une lombalgie chronique. Il fut une époque où elle était considérée comme la cause quasi unique de ces trois affections. Une évolution s'est faite, et le rôle des articulations postérieures est actuellement beaucoup plus largement admis.

Lumbago aigu
Il est classiquement d'origine lombaire inférieure. Il peut être d'origine discale et parfois déboucher sur une sciatique, il peut être d'origine articulaire postérieure (Mac Nab). Mais il peut aussi être d'origine dorso-lombaire avec une douleur uniquement lombaire basse (Maigne). Les lumbagos aigus dans leur ensemble réagissent souvent à la manipulation. Mais les résultats varient sensiblement selon les formes cliniques.

Les lumbagos aigus d'origine dorso-lombaire réagissent très bien et très vite à ce traitement, si la technique est appropriée et précise. Ils ne sont pas d'origine discale. Ils sont généralement la conséquence d'une dysfonction douloureuse aiguë du segment vertébral et liés à ce que nous nommons un « Dérangement intervertébral mineur ». Cette dysfonction ne concerne sans doute pas la seule articulation postérieure, mais celle ci joue sûrement un rôle important. Il est assez facile de différencier le lumbago d'origine D12-L1 (un quart des cas totaux) du lumbago d'origine lombaire basse par l'absence habituelle de scoliose antalgique et par l'examen segmentaire attentif et sur les signes qui lui sont propres.

Il est en revanche impossible de différencier cliniquement le lumbago discal du lumbago par entorse articulaire postérieure lombo-sacrée. Le caractère spontanément résolutif du lumbago aigu en trois à dix jours fait que nous ne disposons pas d'études scanographiques suffisantes pour connaître la fréquence de chacun d'eux et, si elles existent, les particularités cliniques qui permettraient éventuellement de les différencier. Néanmoins, sur l'aspect clinique, on peut distinguer parmi les lumbagos aigus d'origine lombo-sacrée trois variétés :

  • Ceux avec attitude antalgique convexe du côté de la douleur (50 %)
  • Ceux avec attitude concave du côté de la douleur (35 %)
  • Ceux avec attitude en cyphose lombaire (15 %).

Les deux premières variétés réagissent bien à la manipulation, 50 % sont complètement soulagés dès la première séance, la moitié de ceux restants le sont après une deuxième séance faite deux jours plus tard. La dernière catégorie, avec attitude en cyphose, représente sans doute une forme d'origine plus souvent discale que les deux premières. La manipulation se trouve ici assez souvent contre-indiquée, car la règle de la non douleur et du mouvement contraire est inapplicable.

Sciatique
Le problème est différent, puisque la plupart des sciatiques radiculaires communes sont la conséquence d'une hernie discale bien montrée par l'imagerie. La manipulation peut soulager un certain nombre de ces sciatiques, partiellement ou complètement. La sélection se fait uniquement sur les critères cliniques. Il faut que l'état du rachis la permette et que la règle de la non douleur puisse être respectée. Il faut en outre que la manœuvre soit facile à exécuter pour un opérateur entraîné et qu'il y ait un gain immédiat après la première séance sur le signe de Lasègue, la flexion antérieure ou la douleur du patient pour se mouvoir. Lorsque ce gain immédiat est net, deux à quatre séances complémentaires seront faites et chacune marquera un progrès.

L'indication type est la sciatique modérée ; mais certaines sciatiques aiguës peuvent être parfois remarquablement soulagées, au point que le patient oublie trop vite les règles élémentaires de repos et de prudence.

Les sciatiques hyperalgiques ne répondent pas, sauf rares exceptions, aux critères de sélection et sont donc des contre?indications.

Les sciatiques parésiantes ne sont pas des contre indications. Il n'est pas rare qu'un patient qui présente une discrète parésie L5 et ne peut redresser le gros orteil contre résistance puisse le faire immédiatement après la manipulation. De même, on peut parfois constater la réapparition d'un réflexe achilléen qui était très diminué ou aboli. En revanche, il faut s'abstenir de toute manipulation dans les sciatiques paralysantes, qui constituent une contre indication. Il va sans dire que la suspicion même d'un syndrome de la queue de cheval contre?indique formellement cette technique.

En pratique sept sciatiques sur dix peuvent être traitées par manipulation, avec un bon résultat dans deux cas sur trois.

Lombalgies chroniques
Sous réserve des mêmes critères d'application, la manipulation se révèle être un bon traitement de nombre de lombalgies chroniques d'origine lombo-sacrée ou dorso-lombaire. Elle apporte en deux à six séances un soulagement net et durable, que va conforter ? lorsqu'elle est nécessaire ? une rééducation rendue plus facile. Une séance d'entretien deux ou trois fois par an est parfois utile.

La lombalgie chronique d'origine dorso-lombaire (Maigne) constitue la meilleure indication si l'état du rachis le permet. Elle n'est pas discale.

Certaines lombalgies d'origine lombo-sacrée qui peuvent être d'origine discale sont assez couramment soulagées par les techniques manipulatives. Celles ci apportent parfois à elles seules des améliorations rapides et curieusement durables, malgré les aspects radiologiques d'arthrose ou de détérioration discale importants qu'on peut parfois constater. Mais la manipulation constitue surtout un moyen qui, associé aux autres traitements, permet entre des mains entraînées d'instituer une rééducation plus brève et plus efficace.

Parmi ces lombalgies d'origine lombo-sacrée, quelles sont celles qui sont d'origine articulaire postérieure, quelles sont celles qui sont d'origine discale, et quelles sont celles qui sont d'origine ligamentaire ? Les tests d'infiltrations peuvent parfois permettre d'évoquer, mais non de prouver, telle ou telle origine. Et il semble bien que dans de tels cas, la structure responsable de la douleur n'est pas toujours la même chez un même patient et varie selon les périodes.

Si on s'en tient seulement aux critères de l'imagerie, on peut constater que la manipulation peut soulager parfaitement et parfois durablement des lombalgies où tout porte à croire qu'une hernie discale joue un rôle. En revanche, il est des cas à imagerie similaire où toute manipulation est impossible, et d'autres où elle est possible, mais n'apporte aucune modification... Un cas particulier est l'association d'une lombalgie d'origine haute dorsolombaire avec une lombalgie basse.

 

Mécanismes d’action. Hypothèses

Pour expliquer le soulagement obtenu dans le cas du lumbago aigu discal, on a évoqué la réintégration vers le centre du disque (de Sèze) du fragment du nucléus bombant contre l'anneau fibreux. Ce mécanisme est vraisemblable mais à notre connaissance non démontré par l'image.
En ce qui concerne les sciatiques dont l'origine discale peut être affirmée, il est peu vraisemblable que la manipulation puisse faire « rentrer » la hernie. Chrisman et coll. ont pu étudier 39 malades ayant présenté une sciatique discale qui avait été soulagée durablement par manipulations. Ils ne trouvèrent aucune modification des images radiologiques faites avant et après le traitement, même lorsqu'il semblait exister une compression marquée et que le soulagement se maintenait. Farfan estime que 30 à 40 % des patients soulagés d'une sciatique par manipulations présentent le même aspect à la radiculographie après et avant le traitement manipulatif. Nous avons pu faire des constatations analogues sur des dizaines de cas.

On ne peut alors qu'avancer des hypothèses. Il est possible que la manipulation, séparant même passagèrement les antagonistes, permette pendant cette courte période aux phénomènes congestifs et inflammatoires de diminuer, atténuant le conflit, tandis que par action réflexe, elle agisse favorablement sur les contractures qui entretiennent le conflit...

La manipulation est un traitement qui s'avère assez souvent efficace dans le domaine de la pathologie lombaire commune même lorsqu'une hernie discale peut être tenue pour responsable, si les règles d'application sont respectées et si elle est bien exécutée. Il n'est pas inutile de rappeler ici que pour donner toutes ses possibilités, la manipulation demande un très long entraînement pratique et un bon sens clinique, même s'il arrive parfois qu'une technique approximative apporte un résultat spectaculaire. Le fait que son mode d'action ne soit pas encore très clair ne peut faire le procès de cette technique. Mais cela pose le problème du mécanisme même de la douleur.


Bibliographie
1 FARFAN L.H. Mechanical disorders of the low back. Philadelphia, Lea and Febifer, 1977
2 Mac NAB I. Backache. Baltimore, The Williams and Wilkins Co., 1979
3 MAIGNE R. Origine dorsolombaire de certaines lombalgies basses. Rôle des articulations interapophysaires et des branches postérieures des nerfs rachidiens. Rev. Rhum., 1974, 41:781-789
4 MAIGNE R. Low back pain of thoracolumbar origin. Arch. Phys. Med. Rehabil., 1980, 61:389-395
5 MAIGNE R. Le choix des manipulations dans le traitement des sciatiques. Rev. Rhum., 1965, 32:366-372.



image
 
image
image
image