image
image
image
image

 

Revue de Médecine Orthopédique. 1987;8:23-5 et 1987;9:15-17

La méthode Mézières

Jean-Claude Goussard
Service de Rééducation Fonctionnelle, Hôtel-Dieu de Paris

Disparue en 1991, Mlle Françoise MEZIERES a consacré une grande part de son existence à mettre au point, développer et enseigner la méthode de rééducation qui porte son nom, et que nous proposons de décrire ici. Cet exposé succinct correspond à une approche de ses idées et de ses pratiques. Le but n'est pas de développer l'intégralité de la méthode, mais d'informer le lecteur et de susciter sa réflexion et sa curiosité, qui pourront être satisfaites par la participation à des Journées d'Etudes ou à des Conférences organisées par des élèves de Melle MEZIERES, ou par la lecture d'ouvrages détaillés se rapportant à cette méthode.

 
Origine de la méthode
 

Après avoir effectué de nombreuses observations sur les déviations rachidiennes dans le sens antéro postérieur et dans le plan frontal, sur les déformations thoraciques et sur celles des membres, elle attribue à l'enraidissement des muscles des gouttières paravertébrales :

  • Les déformations thoraciques non traumatiques ou rachitiques,
  • Toutes les algies vertébrales dites "rhumatismales", les torticolis, lumbagos, ...
  • Les pincements discaux et subluxations vertébrales,
  • Les inégalités ou attitudes vicieuses des membres.
 
Bases scientifiques de la méthode
 

Afin que le lecteur comprenne bien, il est indispensable d'exposer les principes qui ont conduit son auteur à agir en sens contraire de la méthode classique. Ils sont détaillés dans une publication intitulée "Révolution en gymnastique orthopédique", parue en 1949. Voici ces principes de base que nous développerons succinctement:

PREMIER PRINCIPE: "Tout vient de l'enraidissement des muscles postérieurs"

Pour justifier son propos, interprétant Vandervael pour l'étude des positions debout, elle déclare : "Dans la station debout normale, l'équilibre est très stable et n'exige aucune contraction musculaire". "La force des spinaux n'a pas à intervenir dans la station normale ... par contre, leur souplesse est indispensable... du fait que leur contraction est statique excentrique". Ainsi les lordoses physiologiques sont accentuées par l'attitude bipède et les mouvements des membres. La station normale debout accentue les courbures vertébrales et raccourcit les spinaux qui en sous-tendent les arcs. D'où l'auteur conclut : "Les différentes déviations dans le sens antéro-postérieur sont guéries par l'assouplissement de ces muscles";

"On conviendra que les muscles et ligaments postérieurs à l'axe transversal se raidissent et que ceux antérieurs à cet axe sont distendus"

"Ce n'est pas la faiblesse des extenseurs qu'il faut incriminer et combattre, mais leur raideur".

SECOND PRINCIPE: "Il n'est que des lordoses; La lordose est responsable de la cyphose ; Tout est compensation lordotique"

Selon F. MEZIERES, la lordose est à l'origine de toutes les déformations et seul le traitement de la lordose est à envisager, quel que soit le cas de gravité. En dépit de ses courbures, le rachis présente deux concavités postérieures : l'une lombo­dorsale regardant vers le bas, l'autre cervico-dorsale regardant vers le haut.

Il existe deux lordoses physiologiques différemment orientées. La région apparemment voûtée est le point de jonction de ces deux concavités. Elle est située au niveau des omoplates.

Toujours selon l'auteur, la cyphose n'est possible qu'au prix d'une accentuation des lordoses et elle s'exagère ou se déplace avec celles-ci. D'où la conclusion que la lordose est à l'origine de la cyphose et qu'il est nécessaire de réduire les lordoses pour corriger la cyphose. La théorie est identique pour les scolioses : les spinaux, qui produisent la lordose, sont également rotateurs et fléchisseurs latéraux. Ce raccourcissement des muscles postérieurs provoque de la part des spinaux des flexions et des rotations dans le cas où l'attitude (ou le mouvement) n'est pas rigoureusement symétrique. Les spinaux sont donc susceptibles d'engendrer la scoliose. C'est en les allongeant pour réduire la lordose que l'on corrige les rotations et les flexions latérales. D'où la conclusion :"il n'est que des lordoses", et la nécessité de corriger la lordose pour effacer la scoliose.

L'auteur de la méthode déclare : "Il n'est pas une attitude, pas un mouvement qui ne comporte un raccourcissement, par compensation, de toute la musculature postérieure. F. Mézières énonce ainsi : "Tout allongement d'un muscle postérieur quelconque engendre le raccourcissement de l'ensemble de ces muscles". Pour obtenir un allongement segmentaire, il est donc indispensable de le produire dans la totalité.

TROISIEME PRINCIPE: "Solidarité du tronc et des membres ; Influence de la rotation interne des membres"

Les membres sont solidaires du tronc, et le creux poplité constitue une troisième concavité postérieure. L'allongement du creux poplité provoque l'ensellure lombaire ou cervicale et, inversement, la rectification des lordoses rachidiennes entraîne la flexion des genoux. L'auteur a observé que la lordose s’accompagne toujours de la rotation interne des membres. Cette compensation produit :

Au niveau des membres supérieurs, l'enroulement des épaules en avant et la pronation des mains. L'allongement des rotateurs internes se compense aussitôt par une lordose haute et l'élévation de l'épaule qui, en s’abaissant en arrière, augmente encore la lordose. D'où la nécessité de corriger simultanément toutes les lordoses ET la rotation interne.

Au niveau des membres inférieurs, quel que soit le cas, le fémur est toujours en rotation interne. Lordoses et rotation interne sont seules responsables du genu recurvatum (attribué à tort, selon l'auteur, à la faiblesse ligamentaire). Le récurvatum disparaît et le genou a peine à s'allonger normalement lorsqu'en corrigeant totalement les lordoses, on fait exécuter une rotation externe des cuisses.

QUATRIEME PRINCIPE: "Influence du blocage diaphragmatique"

"Le diaphragme est un muscle lordosant et ses points d'insertion sont aussi ceux du psoas. Ces muscles produisent l'ensellure lombaire".

Fr. MEZIERES a remarqué que la lordose coexiste toujours avec le blocage du diaphragme (en inspiration et en expiration). Le blocage respiratoire, immobilisant les insertions diaphragmatiques et fixant la lordose, donne un point d'appui ferme aux spinaux, eux aussi lordosants.

CINQUIEME PRINCIPE: "Il n'est de bonne tenue de tête sans quadriceps"

L'auteur a également mis en évidence l'extrême importance du tonus quadricipital pour la statique corporelle. Elle constate que leur contraction est d'une très grande intensité lorsque sont simultanément empêchées les lordoses et les rotations internes des membres, ce qui met tout le corps en tension. Ceci est tout aussi valable en décubitus dorsal pour maintenir les jambes à l'équerre, qu'en station assise à l'équerre pour maintenir le tronc vertical.

SIXIEME PRINCIPE : "Des abdominaux"

F. MEZIERES affirme que les exercices abdominaux effectués classiquement n'ont pas d'effet sur le thorax, car la technique néglige de les faire exécuter sur l'élongation totale du rachis, ce qui nécessite que soient simultanément contractés les muscles pré cervicaux. Elle édicte en règle que "pas plus qu'il n'est possible d'effectuer une élongation partielle de la musculature postérieure, pas plus n'est opérante la contraction partielle de la musculature antérieure". En conséquence, il est indispensable d'agir d'un bout à l'autre du rachis et simultanément dans les deux plans antérieur et postérieur, afin d'obtenir un allongement de l'un et un raccourcissement de l'autre.

Ceci ne peut être réalisé qu'en éloignant le vertex du coccyx par le raccourcissement de la distance menton pubis, c'est à dire en resserrant le menton et en maintenant les membres inférieurs à l'équerre du tronc. Il en résultera un étirement des muscles postérieurs qui ne pourront exécuter que des contractions statiques excentriques, cependant que les muscles antérieurs exécuteront des contractions statiques concentriques.

SEPTIEME PRINCIPE : "Les effets des attitudes capitales"

L'élévation de l'occiput dans le plan du scapulum et du sacrum. Ce mouvement qui fait appel aux muscles pré cervicaux, entraîne le soulèvement de toute la paroi antérieure du thorax et efface la lordose cervicale. Par compensation, il augmente la lordose lombaire qui s'étend à la région dorsale. Cette inversion de la courbure dorsale doit être corrigée.

La flexion latérale de la tête produit une expansion du contour latéral de la tête et entraîne une élévation du bassin du même côté, et un apparent raccourcissement du membre inférieur homologue.

La rotation de la tête produit une élévation de la moitié antérieure du thorax du côté opposé, ainsi que l'entraînement de l'épaule opposée en avant, ce qu'il faut empêcher.

F. MEZIERES conclue en affirmant que c'est seulement par les muscles cervicaux que l'on peut augmenter les volumes thoraciques antérieurs et latéraux, et que la scoliose statique peut être expliquée par la jambe raccourcie ainsi démontrée. La compensation lordotique entraînée par ces exercices et son effet néfaste ne peuvent être empêchés que par la musculature abdominale.

 
La méthode
 

Le traitement est très simple en théorie. Il vise, quel que soit le cas, à allonger le rachis pour en effacer toutes les courbures. Il s'adresse simultanément et en sens inverse aux plans antérieur et postérieur à l'axe trans­versal de la colonne vertébrale. Citons l'auteur de la méthode : "Dans le plan antérieur, il convient de raccourcir verticalement le tronc (convexité des courbures) et d'allonger transversalement au niveau de la ceinture scapulaire. Dans le plan postérieur, il tend à allonger verticalement le tronc (concavité des courbures) et raccourcir transversalement au niveau de la ceinture scapulaire .

"En conséquence, les muscles à assouplir sont les spinaux post­cervicaux, les faisceaux supé­rieurs des trapèzes, les ischios-jambiers, grands pectoraux et rotateurs internes des bras et les adducteurs. Leur élongation, d'abord passive, sera l'oeuvre des postures qui constituent la première partie du traitement. L'élongation sera active dans la deuxième partie du traitement qui comportera l'entraînement et le raccourcissement des muscles capables d'allonger ceux précités, à savoir : les muscles pré cervicaux, sus et sous hyoïdiens, sterno cleïdo-mastoïdiens, abdominaux, quadriceps, fléchisseurs du pied, faisceaux inférieurs des trapèzes, rotateurs externes des bras, grands fessiers".

Fr. MEZIERES conclue en insistant : «Tout doit être ramené à la raideur de ces muscles (les spinaux). En conséquence, un seul cas est à considérer (la lordose), en sorte que l'élongation totale du rachis est le seul moyen curatif des déviations". "Ce but unique est à rechercher dans tous les cas". "Alors que l'attitude des membres inférieurs et du bassin est considérée comme influençant celle du rachis, c'est au comportement vertébral qu'il faut attribuer un effet sur le bassin et les membres".

 
Technique et procédés
 

L’exercice de base est une posture : décubitus dorsal, dos plaqué au sol, membres inférieurs étendus verticalement à l'équerre, pieds en talus, membres supérieurs allongés le long du corps en rotation externe. Ce choix s'explique pour deux raisons déjà évoquées : toute la musculature longitudinale postérieure (des orteils à l'occiput ) est une seule et même chaîne indissociable qu'il convient d'étirer. L'étude de la station debout est sans intérêt thérapeutique, selon Fr. MEZIERES.

Une autre posture est fréquemment utilisée : assis au sol, membres inférieurs étendus, tronc vertical en rectitude, menton près du cou, regard horizontal, mains aux épaules, coudes au corps, poignets en dehors. Le sujet tend à se grandir, le tronc s'incline en avant (sans s'enrouler).

Ces postures, minutieusement corrigées à tous les articles dans tous les plans, doivent être maintenues assez longtemps pour obtenir un effet de fluage.

C'est au kinésithérapeute qu'il appartient de placer tous les segments en correction. Il assure seul les mobilisations afin de vaincre toutes les tensions et es raideurs musculaires. Puis il maintient la posture le temps nécessaire pour obtenir un effet de fluage. Le patient doit supporter les tensions musculaires, souvent douloureuses. L'action du kinésithérapeute exige une participation intense de tous les instants. Tout doit être corrigé à la fois : rapports et placements des orteils, talons, chevilles, genoux, rectitude au départ des trois points alignés du bassin, du dos, de l'occiput. Ainsi, constamment le kinésithérapeute place, surveille, corrige, mobilise. il ne peut et ne doit traiter qu'un seul cas à la fois. La séance de travail dure au moins une heure.

Il ne nous appartient pas ici d'argumenter cette méthode de rééducation, c'est pourquoi nous ne ferons que citer l'auteur qui conclut de la manière suivante la présentation de sa méthode : "L'équilibre et l'équilibration sont affaire d'agencement de masses. Les muscles postérieurs qui sont nombreux et puissants forment une chaîne polyarticulaire unique tendue des orteils à l'occiput. L'allongement de cette chaîne en un point quelconque entraîne le raccourcissement de l'ensemble. L'inspiration de grande amplitude nous tasse et amène la tête et les épaules en avant. Toute méthode logique de rééducation devra donc :

  • Lutter contre la rétraction des muscles postérieurs et ce, dans toutes leurs physiologies ;
  • Corriger l'accentuation des courbures,
  • Bannir tout travail analytique,
  • Libérer le blocage inspiratoire."



image
 
image
image
image