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Cahiers de Rééducation et Réadaptation Fonctionnelle 1974;5:168-78

Sur la fréquente responsabilité des
articulations interapophysaires dorso-lombaires
dans les lombalgies basses

R Maigne


 

Résumé. L'auteur apporte une conception nouvelle dans l'origine des lombalgies basses. Il affirme la fréquente origine dorso­lombaire des lombalgies perçues au niveau lombaire inté­rieur ou fessier par les patients. Il montre qu'elles sont dues à la souffrance de la branche postérieure du nerf rachidien qui innerve la région de la crête iliaque et les plans cutanés de la moitié supérieure des fesses. Cette irritation de la branche postérieure est la conséquence de la souffrance articulaire postérieure d'un des étages charnières D10-D11, D11-D12, D12-L1 ou L1-L2. L'auteur décrit les signes d'examen propres à cette lombalgie et le traitement qu'il propose (infiltrations de l'articulaire postérieure ou manipulation) dont l'effet est géné­ralement rapide et efficace. Il pense que la méconnaissance de cette origine des lombalgies est une des explications des nombreux échecs de la chirurgie des lombalgies (greffes, discectomies) ou de certaines lombalgies résiduelles après opération pour sciatique discale.


 

 

 

Si la lombalgie commune ressentie par le patient comme une douleur lombaire basse trouve classiquement son origine au niveau des deux derniers étages vertébraux, il est bien des cas où il faut savoir chercher celle ci beaucoup plus haut, au niveau de la jonction dorso-lombaire. C'est le but de cet article que d'individualiser cette forme fréquente de lombalgie : la lombalgie basse d'origine haute.

 

 

Observation 1

Mme D. F... 36 ans, présente une lombalgie gauche qui dure depuis trois ans et qui a débuté après une série d'efforts inhabituels. Elle souffre surtout debout, un peu moins assise ; elle est aggravée par les efforts. Elle est très handicapée pour exercer sa profession de vendeuse. Les différentes thérapeutiques essayées se sont soldées par des échecs : infiltrations épidurales, tractions, manipulations, massages, rééducation, etc. Un corset plâtré a apporté une brève amélioration. Elle est assez bien soulagée par les anti inflammatoires, mais elle devrait en faire un usage quasi continu. Une discographie des deux derniers disques lombaires a été pratiquée. Ils sont normaux.

C'est alors que nous la voyons. Le rachis est souple, les dernières lombaires à peine sensibles à la pression insistante. Les radiographies, à part une hernie intraspongieuse du plateau supérieur de L2, sont strictement normales. Il existe seulement une petite zone punctiforme très sensible au niveau de la partie interne de la crête iliaque gauche, dont la pression semble réveiller la douleur habituelle. Nous notons aussi que les plans cutanés de la partie moyenne de la fosse iliaque gauche sont infiltrés d'une cellulite fort sensible au « pincé roulé » alors que ceux de la fosse iliaque droite sont normaux.

Nous pensons que le point douloureux de la crête iliaque correspond à l'insertion du ligament ilio-lombaire, ce qui nous paraît être parfois la cause de certaines lombalgies. Nous infiltrons ce point. L'impression de soulagement est immédiate. On répète l'infiltration trois fois à quelques jours de distance et on fait pratiquer des massages des plans cutanés. En trois semaines, la patiente est délivrée de sa lombalgie.

 

Mais deux mois plus tard, on se retrouve devant le même tableau. Le même traitement est remis en route avec le même bon résultat et on y associe alors une réédu­cation lombo-abdominale. Celle ci malgré l'attention qui y est apportée, irrite plus qu'elle n'aide. Peu après, survient la troisième récidive. Reprenant l'examen, nous recherchons attentivement la sensibilité de chaque étage vertébral de L5 jusqu'au niveau de D8. Nous découvrons au niveau de D12 une vive sensibilité de cette vertèbre à la pression latérale sur l'épineuse de gauche à droite. De l'autre côté et sur les autres vertèbres, cette même pression est indo­lore. De plus, la pression faite à un travers de doigt de la ligne médiane à gauche, au niveau du massif articulaire, est également très douloureuse. Les radiographies centrées sur ce segment ne montrent rien de particulier. Nous pen­sons alors à la possible irritation de la branche postérieure d'un nerf rachidien. Nous infiltrons au contact du massif articulaire postérieur, ce qui reproduit la douleur lombaire habituelle et fait disparaître aussitôt le point douloureux exquis de la crête iliaque et la sensibilité des plans cutanés au palpé roulé. En deux infiltrations complétées par une manipulation, cette patiente a été complètement soulagée de cette douleur. Elle l'est encore deux ans plus tard.

 

Ce cas particulier attire l'attention sur le fait :

  • Qu'un point très sensible douloureux de la crête iliaque situé à sa partie interne, que beaucoup considèrent comme dû à l'irritation du ligament ilio-lombaire, correspond en fait à l'émergence d'une branche postérieure d'un des nerfs rachidiens dorso-lombaires, L1 ou L2 le plus souvent. Nous l'appellerons le point de crête.

     
  • Que la cellulalgie fréquemment rencontrée à ce niveau peut être la conséquence de l'irritation de ce nerf, ce qui la fait rentrer dans le cadre du « Syndrome cellulo-téno-myalgique des irritations radiculaires » que nous avons décrit par ailleurs.
     
  • Ainsi la souffrance d'un étage dorsal bas ou lombaire haut peut s'exprimer par une douleur lombaire basse isolée.

 

Deux autres observations vont donner deux autres aperçus du tableau clinique possible de ce type de lombalgie.

 

Observation 2

M. D... 52 ans, a présenté quatre ans plus tôt, une scia­tique S1 gauche sévère que le traitement médical a bien calmé (repos, corset plâtré, infiltrations). Une rééducation lombo-abdominale a été longtemps poursuivie. Malgré cela et malgré l'aide du traitement médicamenteux et d'infiltra­tions, il persiste depuis deux ans une lombalgie droite, ressentie au niveau de la partie interne de la fosse iliaque externe. Cette douleur se calme au lit, mais s'exagère avec la position debout qu'elle rend intolérable si elle est pro­longée. La position assise n'est pas très bien supportée. Un lombostat ne lui a apporté aucune aide, semblant même aggraver la douleur.

C'est à ce moment que nous le voyons pour la première fois. Le rachis est assez souple, sans attitude antalgique. Il n'y a pas de Lasègue. L'achilléen gauche reste aboli. En position assise, on provoque la douleur lombaire habituelle en forçant la rotation droite. Les radiographies montrent une discopathie L5-S1 assez évoluée, le reste est normal. L'examen des plans cutanés réveille une vive sensibilité au pincé roulé et un épaississement des tissus à la partie interne et moyenne de la fosse iliaque externe droite, alors que les tissus sont souples et indolores à gauche. En outre, on note l'existence d'un point douloureux exquis à la pression au niveau du tiers interne-tiers moyen de la crête iliaque. Cette pression reproduit très sensiblement la douleur lombaire habituelle. Pensant alors à la possible irritation de la bran­che postérieure d'un nerf rachidien, nous examinons avec attention la jonction dorso-lombaire.

Les clichés sont normaux. Mais la pression latérale sur l'épineuse de L1 est très douloureuse vers la gauche, indo­lore vers la droite et sur les épineuses voisines. Le liga­ment inter épineux L1-L2 est également sensible à la pres­sion, les voisins ne le sont pas. Nous infiltrons alors le massif articulaire postérieur L1-L2 droit et nous voyons disparaître presque aussitôt la sensibilité des plans cutanés et le point douloureux de la crête iliaque. Le lendemain, le patient peut rester une heure debout sans souffrir. En trois infiltrations et une manipulation, il est complètement soulagé.

Il s'agissait donc ici aussi d'une irritation de la branche postérieure de L 1 au niveau du massif articulaire postérieur de Ll-L2 chez un patient porteur d'une discopathie L5-Sl, laquelle ne jouait en l'occurrence aucun rôle dans la lombalgie pré­sente.

 

Observation 3

Mme J. D... 32 ans. Depuis 3 semaines, sans cause appa­rente, souffre d'une lombalgie aiguë droite surtout doulou­reuse au lit et à la station debout. Il y a 2 ans, elle a présenté une névralgie crurale droite dont il ne reste plus de trace, sauf une diminution du rotulien droit.

A l'examen, la flexion antérieure est limitée et douloureuse, mais c'est surtout la latéro flexion et la rotation droites qui sont très bloquées et dont l'essai déclenche une douleur très vive. La douleur est diffuse, elle est mal localisée mais la patiente la reconnaît quand on appuie sur la crête iliaque droit au niveau d'un point qui correspond à l'émer­gence de la branche postérieure de D12. Ici, il n'y a pas de cellulalgie de la fosse iliaque. On reproduit aussi vivement la douleur lorsqu'on exerce une pression latérale sur l'épi­neuse de D12, de droite à gauche, ainsi que sur la zone para vertébrale qui correspond à l'articulation postérieure droite.

L'infiltration faite en ce point calme aussitôt, soulagement que complète une manipulation en rotation gauche, centrée sur cet étage.

 

 

I) Rappel anatomique

 

 

Nous ferons d'abord un bref rappel anatomique concernant les articulations inter apophysaires et les branches postérieures des nerfs rachidiens dorso-lombaires.

 

 

1) Les articulations inter apophysaires

 

Elles ont une orientation variable d'un étage à l'autre (fig. 1). Celle ci empêche la rotation dans la région lombaire. Par contre, rotation et latéro­flexion seraient très libres au niveau dorsal, s'il n'y avait les côtes. Donc la zone maximum de ces mouvements au niveau du tronc est la zone dorsale inférieure : D10-D11-D12-L1. C'est la plus sollicitée dans la vie courante. Leur capsule articulaire est la partie du rachis la plus innervée.

Certains ont voulu faire jouer à des formations intra-articulaires « pseudo-méniscales » un rôle dans des blocages articulaires. Il s'agit en fait de formations de nature synoviale. Leur rôle dans d'hypothétiques blocages mécaniques est peu vraisemblable.


 

Fig. 1 : Orientation des articulations inter apophysaires selon les étages vertébraux. Les apophyses articulaires supérieures de D12 ont une orientation analogue à celle des vertèbres dorsales et les inférieures ont une orientation lombaire.


 

 

2) Les branches postérieures des nerfs rachidiens dorso-lombaires

 

Rappelons que les branches postérieures des nerfs rachidiens innervent tous les plans cutanés du dos, du vertex au coccyx, les muscles intrinsèques de la colonne vertébrale, les articulations inter apophysaires et les ligaments sur et inter­épineux. La branche postérieure, au niveau lombaire supérieur et dorsal inférieur, se détache presque à angle droit du nerf rachidien, Elle contourne l'articulation inter apophysaire, en moulant son trajet sur le relief de l'apophyse articulaire supérieure de la vertèbre sous jacente. Elle se divise immédiatement en arrière de la portion inférieure du muscle inter costiforme (Lazorthes, fig.2).


 

Fig. 2 (d'après G. Lazorthes) Branche antérieur (A) et Branche postérieure (P) du nerf rachidien. Noter les rameaux articulaires de la branche postérieure et la division de celle ci en un rameau externe (E) et un interne (I).


 

 

Une branche externe motrice et sensitive devient sous cutanée environ trois vertèbres au­dessous de son origine (fig. 3). Une branche interne à peu près exclusivement motrice se dirige en bas, en arrière et en dedans et se distribue au transversaire épineux et à l'épi épineux. Le territoire cutané distribué par les branches postérieures de D12, L1 et L2, est figuré sur le schéma 4. On constate que D12 innerve toute la partie externe de la fosse iliaque externe à sa partie supérieure et que L1 innerve la région de la crête iliaque et la partie moyenne de la fosse iliaque externe, tandis que L2 innerve la partie plus interne. Nous avons constaté des variations individuelles très fréquentes à ce schéma d'Hovelacque. Nous retiendrons que :

  • Les plans cutanés de la moitié supérieure des fosses iliaques externes et de région de la crête iliaque sont innervés par les branches postérieures de D10 à L2.
  • Le point d'émergence de ces rameaux dorsaux se fait au niveau ou au voisinage de la crête iliaque. On peut avec le doigt les comprimer contre celle ci.
  • Les branches postérieures de L3, L4 et L5 n'ont généralement pas de rameaux cutanés.

 

Fig. 3 (à gauche) : La zone d'innervation cutanée des branches postérieures thoraciques et lombaires est décalée par rapport au niveau d'origine (d'après Hovelaque). Au dessous de D8 c'est le rameau externe qui est musculo­cutané, alors qu'au dessus, c'est le rameau interne. L3, L4, L5 n'ont généralement pas de rameau cutané.

 

Fig. 4 (à droite) : Innervation des plans cutanés de la partie supérieure de la fosse iliaque externe et de la région de la crête iliaque (d'après Hovelaque). En fait, nous avons constaté qu'il pouvait s'agir de D11, et même de D10.


 

 

II) Tableau clinique des lombalgies d'origine dorso-lombaire

 

 

La lombalgie aiguë est généralement provoquée par un faux mouvement ou un effort en torsion du tronc. Elle est unilatérale. Elle est ressentie comme un endolorissement profond, mal localisé de la fosse lombaire, irradiant à la crête iliaque. Elle ne s'accompagne pas d'une attitude antalgique en baïonnette ou en cyphose, comme la lombalgie discale L4-L5 ou L5-S1. Il existe une contracture plus ou moins importante de la région paravertébrale sans déviation rachidienne. La limitation douloureuse du mouvement porte généralement sur la rotation et la latéro-flexion du côté douloureux et plus souvent sur la flexion que sur l'extension.
 

La lombalgie chronique se présente à première vue comme une lombalgie banale lombo-sacrée. Elle est influencée par les positions, les efforts. Mais il faut noter son caractère unilatéral habituel et la fréquence avec laquelle les mouvements de torsion forcée du tronc exagèrent ou provoquent la douleur. La position couchée, même sur un lit ferme, n'a pas toujours l'effet favorable qu'elle a dans les lombalgies d'origine lombaire basse et le patient est parfois réveillé le matin par sa douleur dans le lit. La douleur est ressentie soit au niveau d'un point précis de la crête iliaque, soit plus profonde, plus diffuse, endolorissant la fosse lombaire et la fosse iliaque externe, avec parfois une sensation de pesanteur difficile à localiser.
 

Certains patients ressentent en même temps que la douleur basse une douleur plus haut située, latéro-vertébrale, au niveau de l'angle costo­vertébral. Il n'est pas rare de noter aussi une irradiation antérieure plus ou moins vive au niveau de la fosse iliaque ou de l'aine du même côté dans le territoire de la branche antérieure correspondante.

 

 

1) Examen clinique
 

L'examen de la région lombo-sacrée va révéler les particularités de cette lombalgie (fig. 5) :
 

a) L'existence d'un point douloureux exquis au niveau de la crête iliaque à sa partie moyenne ou interne. Cette pression reproduit souvent la sensation douloureuse habituelle. Ce point correspond à la pression du rameau cutané de la branche postérieure d'un nerf rachidien dorso­lombaire entre le doigt du médecin et la crête iliaque. C'est le « point de crête ».

 

b) Cellulalgie. A partir de ce point dans la moitié supérieure de la fosse iliaque externe, on notera l'existence d'une zone plus ou moins étendue d'infiltration cellulalgique, donnant à la palpation l'habituelle sensation de pli épaissi, infiltré. La manœuvre du palpé roulé qui la met en évidence est aussi très douloureuse. Les zones avoisinantes ou symétriques sont normales.

 


 

Fig. 5

A) Le « Point douloureux de crête » correspondant à la pression du rameau cutané irrité contre la crête iliaque.

B) La zone de cellulalgie fréquente révélée par la manœuvre  du « palpé roulé ».

C) Point articulaire postérieur sensible à la pression.

D) La pression latérale sur l'épineuse révèle une vive sensibilité de l'étage responsable et généralement dans un seul sens.


 

 

L'examen des plans cutanés lombo-fessiers par le palpé roulé et la recherche du point douloureux de la crête iliaque seront recherchés de préférence sur le patient couché en travers de la table. Chez le sujet mince, ces signes sont faciles à mettre en évidence. Ils le sont moins chez des sujets obèses ou chez des femmes aux tissus très infiltrés, encore que la présence du « point douloureux de crête » si particulier doive attirer l'attention.

L'origine dorso-lombaire est prouvée par la disparition instantanée du point douloureux de la crête iliaque et de la sensibilité de la zone cellulitique par l'infiltration cortisonée du massif articulaire postérieur responsable, D11-D12, ou D12-L1 du même côté par exemple. Cette infiltration fait également disparaître douleur spontanée et gêne aux mouvements du patient.

 

c) Etage responsable. Comment mettre en évidence l'étage dorso-lombaire responsable de la lombalgie ?

L'examen du rachis lombo-dorsal se pratiquera dans la même position du patient, couché à plat ventre en travers de la table. On cherchera à mettre en évidence un « Dérangement Intervertébral Mineur » (Maigne) en utilisant les manœuvres qui évoquent la souffrance spécifique d'un étage vertébral. Nous les rappelons :

  • pression sur l'épineuse (fig. 6 b),
  • pression latérale sur l'épineuse (fig. 6 d),
  • sensibilité du ligament inter épineux correspondant (fig. 6 c),
  • sensibilité du massif articulaire postérieur à la pression (fig. 6 a).

 

Fig. 6 : Les signes locaux qui mettent en évidence la souffrance d'un segment vertébral :

a) Sensibilité isolée du massif articulaire postérieur à la pression (patient à plat ventre en travers de la table, avec un coussin sous le ventre).

b) Pression lente et médiate sur l'épineuse.
c) Sensibilité du ligament inter épineux.
d) La pression latérale sur l'épineuse (1) et la pression contrariée sur les épineuses adjacentes (2 et 3) (valable pour le dos et les lombes) ; On exerce une pression latérale (de droite à gauche, puis de gauche à droite) sur les apophyses épineuses. Ici, la pression sur l'épineuse de la vertèbre B est douloureuse de droite à gauche (+) et pas de gauche à droite. Pour localiser l'étage inter­vertébral qui souffre, on exerce simultanément à l'appui douloureux un contre-appui sur l'épineuse de la vertèbre sus jacente A puis sur l'épineuse de la vertèbre C. La douleur est exagérée ( +++) lorsqu'on agit sur le segment atteint (2) ; elle n'est pas modifiée dans le cas contraire (3).


 

 

Ces manœuvres sont exécutées lentement à chaque étage vertébral. A ce niveau dorso­lombaire, la pression latérale sur l'épineuse est la manœuvre la plus évocatrice lorsqu'elle se double d'une vive sensibilité à la pression portant .sur l'articulation inter apophysaire du même étage. Pour l'étude de la sensibilité à la pression latérale, la pression sera tangentielle au plan cutané, lente, maintenue très appuyée et faite sur toutes les épineuses de D9 à L5. Elle sera faite de droite à gauche, puis de gauche à droite. Dans les cas typiques, on réveille une douleur par la pression, soit sur D11, soit sur D12 ou sur L1, dans un sens et pas dans l'autre. Le sens douloureux sera presque toujours le même que celui de la lombalgie : pression douloureuse de droite à gauche sur l'épineuse pour une lombalgie droite, et inversement.

 

Dans les formes pures de lombalgie basse d'origine dorso-lombaire, cette manœuvre de droite à gauche sur l'épineuse pour une lombalgie droite, et inversement ne provoquera aucune douleur sur les vertèbres lombaires basses et cela, même s'il existe une discopathie radiologiquement visible L4-L5 ou L5-S1 et même si le patient a dans ses antécédents des crises de lumbagos ou de sciatiques.

Ailleurs, il pourra exister des formes mixtes hautes et basses où cet examen révèlera aussi la sensibilité d'un étage lombaire inférieur. Le traitement d'épreuve par infiltration articulaire postérieure commencera toujours par l'étage dorso-lombaire.

 

La deuxième manœuvre intéressante consistera à rechercher la sensibilité du massif articulaire postérieur de l'étage correspondant du côté de la lombalgie. Le patient, toujours dans la même position, l'opérateur avec son médius appuie de 1/2 cm en 1/2 cm au ras de l'épineuse, imprimant à son doigt d'imperceptibles mouvements de glissement. Il provoque ainsi une vive douleur au niveau du massif articulaire responsable. C'est en ce point que l'infiltration anes­thésique sera faite (avec les repères donnés plus loin). Son but sera à la fois diagnostique en affirmant l'origine dorso-lombaire de la lombalgie par la disparition de la douleur et de la gêne du patient et par la disparition de la sensi­bilité du « point crête » et de la cellulite fessière. Il sera aussi thérapeutique car le soulagement ainsi obtenu peut persister ; mais celui ci sera plus sûr et plus durable avec une solution cortisonée, surtout si celle-ci a un effet retard.

 

On n'aura pas manquer d'interroger le patient sur d'éventuelles douleurs au niveau de la fosse iliaque du même côté que la lombalgie, et de rechercher à ce niveau l'existence d'une plaque de cellulalgie, témoignage de l'irritation de la branche antérieure du même nerf rachidien. Certains patients retrouvent lors de la palpation de cette zone hypersensible au pincé roulé et qu'ils ignorent une douleur bien connue d'eux et attribuée à tort à des problèmes gynécologiques ou intestinaux qui ne trouvent, et pour cause, pas de solution. Il n'est pas rare qu'une cicatrice d'appendicectomie soit le témoignage objectif de cette erreur de diagnostic (fig. 7).


 

Fig. 7 : La zone de cellulalgie de la fosse iliaque que retrouve fréquemment le « palpé roulé » systématique. Elle témoigne de l'irritation de la branche antérieure de D11, D 12 ou de L 1, dont elle peut être le seul témoignage.

Tantôt le patient souffre d'irradiation antérieure en même temps que de sa lombalgie.

Tantôt la douleur abdominale est dominante et dissociée de la douleur lombaire. S'il n'y a pas de trajet douloureux radi­culaire franc, son origine est souvent méconnue. C'est une source d'erreur thérapeutique.


 

 

III) Mécanisme de la souffrance articulaire postérieure

 

 

Si ici l'irritation de la branche postérieure est assez évidente, le mécanisme de son irritation l'est moins. On peut se demander aussi la signification de la plaque de cellulalgie de la fosse iliaque externe fréquemment rencontrée.

Comme nous l'avons rappelé plus haut, l'intimité entre la branche postérieure et l'articulation inter apophysaire bien montrée par G. Lazorthes fait que c'est dans la souffrance de cette articulation qu'il faut rechercher la cause de cette lombalgie.

En ce qui concerne la souffrance articulaire postérieure, la première remarque que l'on peut faire est que, contrairement à une opinion répandue, il faut noter son extrême fréquence dans les douleurs vertébrales communes. Il n'est pratiquement pas de douleur vertébrale de nature mécanique où l'examen attentif ne révèle la sensibilité élective d'une articulation inter apophysaire. La responsabilité de celle ci dans le syndrome douloureux est facile à mettre en évidence puisqu'il suffit de l'anesthésier pour soulager au moins transitoirement le patient.

 

Cette souffrance articulaire postérieure est en effet dans l'immense majorité des cas de pathologie vertébrale commune, la conséquence de la souffrance mécanique d'un segment vertébral isolé. C'est ce que nous avons appelé le « dérangement intervertébral mineur » (DIM). Cet état est d'ailleurs très souvent réversible par la manœuvre orthopédique particulière qu'est la manipulation, à condition qu'elle soit appliquée correctement, dans le bon sens et qu'elle soit évidemment techniquement possible. On constate alors la disparition de la gêne et de la douleur spontanée du patient et l'on ne retrouve la sensibilité si vive qui existait quel­ques instants plus tôt sur l'articulation postérieure à la moindre pression. Nous avons rappelé plus haut les signes d'examen qui permettent de solliciter chaque segment vertébral et de suspecter ces « dérangements intervertébraux ».

 

Si nous ignorons le mécanisme exact de ces « dérangements intervertébraux », nous pouvons penser qu'ils peuvent soit être le résultat d'une souffrance articulaire postérieure isolée, soit être la conséquence d'une lésion discale discrète, (asymptomatique par elle même) mais qui fait « boiter » le segment mobile et provoque ainsi la souffrance de l'élément le plus mobile et le plus innervé de ce segment : l'articulation inter­apophysaire. Il va sans dire que de tels dérangements sont favorisés par des lésions telles que hernie intra spongieuse, séquelles d'épiphysite, discopathie, séquelles de traumatisme, etc.

Mais il n'y a pas parallélisme entre l'importance de ces lésions radiologiquement visibles et l'aptitude d'un segment à être le siège d'un DIM. Il est fréquent que des étages radiologiquement très atteints soient muets, alors que l'étage sus jacent qui paraît indemne, est révélé par la recherche des signes de DIM comme le responsable du syndrome douloureux. Ceci est particulièrement remarquable dans le cas de patientes qui présentent un « Syndrome trophostatique de la post-ménopause » de Caroit et de Sèze et chez lesquelles il est fréquent que, malgré l'importance et l'étendue des lésions radiologiques, l'examen attentif révèle que l'essentiel de leur douleur réside dans la souffrance d'une ou de deux articulations inter apophysaires D11-D12 par exemple. L'infiltration de celle ci soulagera alors la patiente de lombalgies qui peuvent durer depuis des mois ou des années.

 

Le plus souvent, l'étage révélé sensible par l'examen est radiologiquement normal. Ainsi, la radiographie indispensable pour poser un diagnostic et pour évaluer l'état d'un rachis ne peut en aucun cas affirmer ou infirmer l'existence d'un DIM, c'est à dire la dysfonction douloureuse d'un étage vertébral précis.

 

Il faut ajouter que cette dysfonction douloureuse retentit sur le fonctionnement harmonieux du rachis et qu'elle a tendance à être auto-entretenue par la nature même de la mécanique vertébrale placée sous le signe absolu de l'automatisme. Toute douleur entraîne l'existence d'un « circuit parasite » de protection, tendant à éviter à l'élément sensible les agressions posturales ou d'effort par une mise au repos relatif. La contracture musculaire réflexe est l'élément essentiel, en tout cas le plus palpable de ce « circuit parasite » même si elle n'intéresse que quelques faisceaux de muscles paravertébraux profonds. Tout « dérangement mécanique » se double donc d'un « dérangement fonctionnel », et il est vraisemblable que celui ci puisse parfois persister après que la cause mécanique ait disparu.

 

Enfin à côté de cette souffrance articulaire postérieure de nature mécanique qui nous paraît de loin la plus fréquente, il faut connaître la possibilité de « poussées congestives, portant sur des articulations atteintes d'arthrose. Dans ces cas, l'infiltration cortisonée est le traitement le plus efficace, la manipulation est contre indiquée.

 

 

IV) La plaque de cellulalgie fessière

 

 

Elle est, comme nous l'avons vu, la conséquence de l'irritation du rameau cutané de la branche postérieure. Comme nous l'avons montré par ailleurs, ces zones de cellulalgie localisées accompagnent fréquemment les irritations radiculaires et font partie d'un ensemble plus vaste de troubles tissulaires que nous appelons « le syndrome cellulo-téno-myalgique des algies radiculaires » (Maigne).

Ces manifestations inconstantes mais fréquentes, se rencontrent dans des radiculalgies évidentes : sciatiques, NCB, cruralgies. Elles disparaissent le plus souvent avec la crise. Mais non reconnues et non traitées, elles peuvent persister et entretenir des pseudo radiculalgies rebelles.

Ce « syndrome cellulo-téno-myalgique » comporte :

  • Des plaques de cellulalgie vivement sensibles au pincé-roulé dans certaines parties du dermatome de la racine concernée.
  • Des faisceaux musculaires indurés, très sensibles à la palpation dans le corps de certains muscles tributaires de la racine atteinte.
  • Des sensibilités téno-périostées sous la dépendance de l'irritation radiculaire.

 

Ces zones de sensibilité, généralement méconnues du malade ne peuvent être retrouvées que par l'examen systématique et attentif. Elles peuvent contribuer à entretenir une douleur radiculaire. Mais elles peuvent être aussi la source d'erreur de diagnostic. En effet, elles peuvent :

 

  • Survivre à la crise radiculaire qui lui a donné naissance et entretenir longtemps des douleurs localisées ou pseudo radiculaires.
  • Exister chez des patients qui n'ont jamais présenté de douleurs radiculaires évidentes.


Mais l'examen vertébral systématique segment par segment retrouvera les signes habituels d'un DIM sur l'étage métamériquement correspondant. Plus encore, le traitement (manipulatif par exemple) de ce segment fera aussitôt disparaître, ou atténuera la douleur à distance qui ne lui paraissait pas liée (exemple : pseudo tendinite d'épaule, douleurs d'épicondyle, pseudo douleurs du genou, etc.).

Ce syndrome peut être aussi la seule manifestation d'une irritation à minima, ou séquelle d'une forte crise passée.

Dans le cas des branches postérieures des nerfs rachidiens qui sont sensitivomotrices comme les branches antérieures, le témoignage le plus évident de cette irritation est l'existence fréquente d'une bande de cellulalgie horizontale au niveau des plans cutanés du dos. Il faut se souvenir du décalage habituel entre l'origine vertébrale et la zone cutanée innervée, qui est classiquement de 3 à 4 étages vertébraux. Mais nos recherches actuelles nous montrent fréquemment un décalage beaucoup plus important (fig. 3).

 

Dans le cas qui nous intéresse, la cellulalgie occupe les plans cutanés d'une partie de la fosse iliaque externe. Et c'est la manœuvre du palpé­roulé qui la mettra en évidence par comparaison avec les zones voisines ou symétriques. Elle disparaît parfois aussitôt après manipulation de l'étage dorso-lombaire responsable, ou après infiltration de l'articulation inter apophysaire douloureuse, infiltration qui concerne aussi la branche postérieure correspondante du nerf rachidien.

Il est intéressant de noter ici que dans le cas d'une lombalgie d'origine basse L4-L5 ou L5-S1 par exemple, le syndrome cellulo-téno-myalgique touchera essentiellement les muscles fessiers : fascia lata, moyen fessier, grand fessier, qui seront le siège de cordons indurés très sensibles et qui disparaîtront avec le traitement efficace de la lombalgie (fig. 8). Rappelons que les rameaux cutanés des branches postérieures des derniers nerfs lombaires sont quasi inexistants.


 

Fig. 8 : Le « Syndrome cellulo-téno-myalgique » (Maigne) dans les lombalgies.

A gauche : Dans une lombalgie d'origine lombaire basse, le plus souvent discale, il y a irritation à minima des racines L5 ou S 1. Même si le patient n'a jamais eu de sciatique, on trouvera au niveau des muscles fascia lata, moyen fessier et grand fessier des cordons musculaires sensibles et durs, qui disparaîtront avec le traitement de la cause vertébrale et fréquemment une douleur au niveau de l'insertion du moyen fessier sur le trochanter.

A droite : Dans une lombalgie d'origine dorsale basse ou lombaire haute, le plus souvent d'origine articulaire posté­rieure, on trouvera des muscles souples et indolores, mais une infiltration cellulalgique des plans cutanés dans la plu­part des cas, douloureux au pincé roulé.


 

 

V) Fréquence

 

 

Plus nous recherchons avec attention chez les lombalgiques que nous sommes amenés à voir, l'existence d'un « point de crête » précis, isolé, exquis, qui reproduit tout ou partie de la lombalgie et plus nous examinons avec minutie la région dorso-lombaire, plus nous sommes obligés d'admettre la très grande fréquence du type de lombalgie que nous décrivons ici.

La confirmation thérapeutique souvent immédiate que nous apporte l'infiltration de l'articulation dorsale responsable ou la manipulation spécifique de cet étage, est remarquable chez des patients souffrant depuis longtemps.

 

Nos statistiques actuelles semblent nous montrer que la lombalgie commune d'origine haute dorso-lombaire est plus fréquente que la lombalgie commune d'origine basse lombo-sacrée (60% des cas).

Certains lombalgiques commencent leur carrière avec des lombalgies discales basses (avec ou sans sciatique). Puis, bien que les lésions radiologiques deviennent de plus en plus importantes au niveau de L4-L5 ou de L5-S1, c'est la char­nière dorso-lombaire qui prend le relais et devient l'origine de la douleur habituelle.

Pendant un certain temps de l'évolution, il y a origine haute et origine basse associées, que l'interrogatoire poussé et l'examen attentif peuvent très bien séparer. Ailleurs c'est d'emblée que la lombalgie est d'origine dorsolombaire. Enfin, partie des échecs des greffes pour lombalgies trouve là son explication de même que certaines lombalgies persistantes après intervention pour sciatique discale.

 

 

 

VI) Traitement

 

 

L'infiltration du massif articulaire postérieur responsable constitue un traitement efficace et commode de cette forme de lombalgie. Elle sera pratiquée au niveau de l'articulation douloureuse. La recherche de celle ci, comme d'ailleurs l'infiltration se fera sur le patient couché en travers de la table, tête, bras et jambe bien relâchés, un coussin sous le ventre de préférence.

Le point d'injection se situe à 1 cm de l'épineuse au niveau de son bord inférieur (fig. 9). On peut injecter un centicube d'un dérivé cortisoné retard de préférence. On réveille souvent la douleur basse en injectant le liquide. Le test de réussite est immédiat : diminution ou disparition de la sensibilité du point sensible de la crête iliaque tandis que la plaque de cellulalgie de la fosse iliaque externe devient plus souple et indolore.

 

Dans le cas où elle est possible, on peut aussi utiliser la manipulation, soit comme complément de l'infiltration lorsque l'effet de celle ci est incomplet ou ne dure pas., soit comme traitement d'emblée. Le résultat est souvent aussi spectaculaire que celui de l'infiltration. Cette technique a de plus le mérite d'améliorer le fonctionnement segmentaire du rachis. Elle sera effectuée selon le principe de la non douleur et du mouvement contraire, c'est à dire que la rotation sera faite de manière à forcer ce mouvement dans le sens opposé à celui qui provoque la douleur par la pression latérale sur l'épineuse.

 

Une des techniques utilisables est celle où le patient est assis à cheval en bout de table et où l'opérateur utilise la manipulation semi-directe assistée. Il faut évidemment avoir une bonne pratique de ces manœuvres pour qu'elles soient indolores et efficaces.

 

Dans les cas récidivants, la rééducation peut donner des résultats favorables, mais il faut interdire tous les mouvements de rotation. Il faut également enseigner au patient à éviter les mouvements de torsion du tronc, surtout en position assise et, bien entendu les efforts et être baleiné latéralement pour limiter les mouvements de rotation.


 

Fig. 9 : Les repaires pour l'infiltration des articulations interapophysaires.

1) En haut D11-D12 à 1,5 cm de la ligne des épineuses.

2) En bas, articulations lombaires :

- repère horizontal au bord inférieur de l'épineuse,

- repère vertical à 1 cm de la ligne des épineuses.

 


 

Le lombostat peut aider les patients présentant ce type de lombalgie. Mais il doit monter assez haut, fournir un bon soutien abdominal. Mais certains de ces patients supportent mal les lombostats qui appuient sur la crête iliaque et la zone de cellulalgie sensible, tandis que la barre supérieure d'un lombostat trop bas peut irriter la zone dorsale basse, origine de la douleur.

 

Ajoutons qu'il faut veiller à ce que la zone cellulalgique disparaisse complètement. Le traitement vertébral par infiltrations ou manipulations suffit souvent ; sinon, on fait pratiquer des massages en pétrissages des plans superficiels. Ces manœuvres désagréables peuvent être facilitées par l'adjonction de bains de chaleur et d'hydrothérapie.

L'infiltration anesthésique du point d'émergence superficielle du rameau cutané au niveau de la crête iliaque (le « point de crête ») peut compléter le soulagement quand l'infiltration articulaire et la manipulation ne suffisent pas et que le point persiste même diminué après le traitement vertébral (manipulations, infiltrations de l'articulation inter apophysaire dorsale responsable).

 


 

Chef de Service. Etablissement National Hospitalier de Saint-Maurice, 94.
Chargé du Centre de Rééducation de l'Hôtel-Dieu (Paris).



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