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Rhumatologie 1953;6

Evaluation et orientation thérapeutique
des épicondylalgies

R Maigne


 

 

Résumé. L'auteur propose une cotation de la douleur épicondylienne de 0 à 20 basée sur la douleur provoquée par les mouvements de pronation, de supination et d'extension de la main exécutés contre résistance statique de l'examinateur. Ces mouvements sont exécutés coude à 90°, puis coude étendu. Cela permet de juger de l'évolution de l'épicondylalgie et surtout d'apprécier de l'efficacité Immédiate et lointaine des traitements appliqués.

Il pratique aussi un bilan cervical à la recherche d'une sensibilité articulaire postérieure C5-C6 ou C6-C7 du même côté que l'épicondylalgie ; la participation cervicale est affirmée sur l'amélioration immédiate des tests par manipulation ou infiltration cervicale; un testing des mouvements non volontaires du coude.

De ces constatations, trois origines principales peuvent être retenues: une origine cervicale dans plus de 2/3 des cas; une origine huméro-radiale dans 1/6 des cas par blocage intra-articuIaire ou périarthrite; une tendinite isolée.


 

 

L'épicondylalgie est généralement considérée comme une tendinite d'insertion. L'injection locale des stéroïdes en est le traitement habituel et en soulage un certain nombre. Des examens histologiques faits chez certains patients opérés ont pu montrer des altérations tendineuses avec infiltrations inflammatoires et même des zones de nécrose fibrillaire.

 

Mais si les épicondylalgies sont toutes dues à une tendinite d'insertion, comment expliquer les résultats excellents et fréquents des manipulations cervicales, ou ailleurs, de certaines mobilisations du coude, chacune de ces manœuvres étant choisies et appliquées en fonction de critères précis ?

 

 

I) Evaluation de l'épicondylalgie

 

1) Tests

 

Il nous a paru intéressant, en présence d'une épicondylalgie, de pouvoir en évaluer la sévérité par des tests simples. Nous avons dans ce but proposé (l975) une cotation de 0 à 20 basée sur la douleur provoquée par des mouvements contre résistance statique. On teste ainsi la pronation, la supination, l'extension de la main et des doigts.

 

On cotera : 0 = pas de douleur ; 1 = douleur contre forte résistance ; 2 = douleur contre résistance légère ; 3 = mouvement impossible contre la moindre résistance tant la douleur provoquée est vive.

 

On teste ainsi :

  • L'extension dorsale de la main et des doigts contre la résistance manuelle du médecin. Cette manoeuvre sera exécutée coude étendu (0 à 3) puis coude fléchi à angle droit (0 à 3).
     
  • La pronation. Le médecin donne une poignée de main au patient et lui demande de serrer et de forcer en rotation interne (pronation) tandis qu'il s'oppose à ces mouvements. La manœuvre est faite coude étendu (0 à 3) puis coude fléchi à angle droit (0 à 3).
     
  • La supination. Même manoeuvre mais en rotation externe et supination coude étendu (0 à 3) puis fléchi à angle droit (0 à 3).
     
  • Enfin, la douleur nocturne spontanée sera cotée de 0 à 2. Ainsi la note totale sera comprise entre 0 et 20.

 

2) Examen du coude

 

On teste :

 

  • Le jeu articulaire latéral du coude. Debout, face au patient, celui-ci a le bras tendu en avant en supination, le médecin coince, entre son bras et son thorax, l'avant-bras du patient et le maintient fermement. Il empaume des deux mains qui se font opposition le coude à examiner, par ses parties latérales. Il fait alors jouer latéralement l'articulation par des petits mouvements alternatifs d'adduction et d'abduction. Il existe un ballottement latéral notable chez les laxes, plus discret chez les raides. Il peut être diminué, inexistant, ou douloureux dans un sens précis. Il doit être comparé au côté opposé.
     
  • L'hyperextension du coude : normale et libre, ou impossible et douloureuse.
     
  • On teste en mouvement passif sans résistance du sujet, la pronation forcée, et la supination forcée recherchant limitation et douleur toujours par examen comparatif avec le côté opposé.

 

3) Examen du rachis

 

On recherche une sensibilité exquise à la palpation des articulations interapophysaires C5-C6 ou C6-C7 du même côté que la douleur d'épicondyle. L'examen se fait le patient allongé sur le dos, le médecin se tient en bout de table. Le cou du patient est bien relâché. Il peut facilement, dans cette position, palper la face postérieure des massifs articulaires, le majeur droit explorant les articulations droites et le gauche les articulations gauches. Sur chaque massif articulaire, en allant de bas en haut de C7 à C2, ils effectuent des mouvements de friction presque sur place avec une légère pression.

 

Des radiographies cervicales complèteront cet examen. Mais le fait qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de lésions dégénératives sur ces étages - ou ailleurs - ne saurait affirmer ou infirmer le rôle éventuel du rachis cervical dans la douleur épicondylienne.

 

La présence de cette sensibilité C5-C6 ou C6-C7, du même côté que l'épicondylalgie fait suspecter la participation cervicale à la douleur du coude. Celle-ci ne sera affirmée et confirmée que sur l'amélioration immédiate et nette des tests de cotation après le traitement cervical.

 

 

II) Orientations thérapeutiques

 

À partir de ces résultats on peut déterminer l'orientation thérapeutique.

 

1) Il y a une sensibilité articulaire C5-6 ou C6-7 du même côté

 

Le rachis cervical peut être en cause. Mais sa responsabilité ne pourra être affirmée qu'après traitement d'épreuve cervicale, s'il est possible. Si la manipulation n'est pas contre-indiquée (état du rachis, état vasculaire) et si elle est applicable (règle de « la non-douleur ») on fera d'abord une manipulation en rotation. Après celle-ci, on fait un nouveau testing qui permettra de noter ou non une certaine amélioration des tests. On fait alors une deuxième manœuvre cervicale, en latéro-flexion, puis une troisième en menton pivot par exemple. Dans les épicondylalgies cervicales l'amélioration obtenue est très nette sur les tests, parfois totale, les négativant.

 

L'effet d'une première séance peut persister ou être passager, mais dans la majorité des cas, s'il a été favorable, en deux à quatre séances le résultat sera acquis, même sur des épicondylalgies rebelles et anciennes.

 

Dans le cas où il y a aussi une perte du jeu latéral du coude, c'est-à-dire une réaction périarticulaire associée, on pratique des mobilisations du coude. Elles sont généralement suffisantes. On réserve l'infiltration intra-articulaire aux quelques cas insuffisamment améliorés.

 

Remarque. On nous objectera sans doute que la seule infiltration locale des tendons permet de soulager bien des épicondylites dans lesquelles existe une sensibilité articulaire C5-C6 ou C6-C7. Cela est tout à fait exact :

 

  • Cela peut correspondre aux cas (1 sur 5) où le traitement cervical n'influence pas les tests. On peut alors penser qu'il y a coexistence, mais aucun rapport de cause à effet entre le cou et 1'épicondylaigie ;
     
  • Il n'est pas étonnant qu'une douleur d'origine cervicale puisse être soulagée par un traitement local. Nous voyons cela couramment dans le cas de douleurs aussi authentiquement vertébrales que les sciatiques. Cela se conçoit aussi si le facteur cervical est discret et l'épicondylalgie bénigne. Mais, si le facteur cervical est important et durable, le traitement local sera souvent un échec, ou la récidive ne sera pas loin.

 

 

Comment concevoir le rôle du rachis cervical ?

 

On peut avancer deux hypothèses :

 

a) Supposons que le tendon soit effectivement le siège d'altérations. Celles-ci peuvent être bien supportées et ne provoquer ni gêne, ni douleur. Mais que survienne une irritation minimale de la racine qui l'innerve, au niveau cervical, la tolérance devient moindre. Alors est perçue la douleur épicondylienne, conséquence ici des deux facteurs : cervical et local ; on peut éventuellement ne traiter que l'un d'entre eux et soulager le patient.

 

b) Le tendon est normal anatomiquement, mais sa tolérance aux contraintes que lui font subir des efforts excessifs ou inhabituels est diminuée, si la racine qui l'innerve est irritée au niveau cervical. La vérité est peut-être ailleurs, mais quoiqu'il en soit la pratique quotidienne nous oblige bien à admettre le rôle d'une composante cervicale. Certaines données électromyographiques apportent des arguments à notre thèse en montrant des signes de dénervation partiels, d'intensité variable, dans le territoire C6 et C7 (Bence [1]. - dans 40 % d'épicondylalgies).

 

L'intérêt de cette très intéressante étude aurait été encore plus grand si ces cas avaient reçu un traitement cervical approprié, et si l'examen cervical avait été conduit en recherchant la sensibilité élective de l'articulation C5-C6 ou C6-C7 du même côté que l'épicondylalgie. L'état radiologique du rachis n'étant pas, nous l'avons vu, un argument qu'on puisse retenir. De plus, les irritations radiculaires minimes peuvent n'avoir aucune traduction électromyographique.

 

2) Il n'y a pas de sensibilité articulaire C5-6 ou C6-7 du même côté

 

Le rachis cervical n'est pas en cause. Deux éventualités:

 

a) Le jeu articulaire du coude est libre. C'est l'infiltration classique du point le plus douloureux de l'épicondyle avec un mélange d'anesthésique local et d'un dérivé cortisoné qui est le traitement de choix. On contrôle aussitôt sur les tests pour savoir si l'injection a été faite au bon endroit : si oui, disparition de la douleur aux mouvements contre résistance. Dans certains cas, il est mieux de rechercher par un testing sélectif le ou les muscles et tendons concernés, et si l'infiltration épicondylienne n'est pas suffisante on infiltrera avec de la xylocaïne le muscle concerné au point où celui-ci est le plus douloureux à la palpation.

 

b) Le jeu articulaire du coude n'est pas libre

  • Le jeu latéral du coude est inexistant ou globalement diminué. Mais sa recherche, tout en étant désagréable, ne provoque pas la douleur vive. Cette restriction globale du mouvement évoque une réaction périarticulaire (qui peut se voir aussi s'il y a composante cervicale). Le traitement comme il est dit ci-dessus comportera des mobilisations, généralement suffisantes, parfois l'infiltration intra-articulaire.
     
  • On provoque une vive douleur dans une orientation précise. Soit dans l'adduction forcée, soit dans l'abduction forcée, tout en butant sur une résistance, tandis que dans le sens opposé le mouvement est libre et indolore. Souvent l'hyper-extension est également douloureuse, de même que la supination forcée, et on note une vive sensibilité de l'interligne huméro-radial. Cela témoigne d'une douleur articulaire huméro-radiale. Il s'agit d'une épicondylite par « blocage interhuméroradial » (Maigne [3]).

 

Epicondylite par blocage huméroradial - Le début d'une telle épicondylalgie a le plus souvent été brusqué au court d'un mouvement (10 % environ des cas totaux). Là aussi, on peut se trouver en présence :

 

  • d'un blocage pur : une seule direction de mouvement, à l'examen du coude, est douloureuse et bloquée ;
     
  • d'un blocage associé à une périarthrite réactionnelle du coude: le jeu latéral est fortement diminué ou a disparu, mais il y a un sens du mouvement très douloureux. Il n'y a pas de signes cervicaux.

 

SANS PÉRIARTHRITE. - la manipulation du coude trouve là son indication privilégiée. On pratique la manipulation du coude selon la « règle de la non-douleur ». Par exemple ; en adduction forcée si elle est libre et si l'abduction est douloureuse; en supination forcée (en mouvement répétitif) si la supination est libre et la pronation douloureuse, ou inversement, etc. Après chaque geste, en juge aussitôt de son efficacité sur les tests de cotation et on conduit ainsi, pas à pas, le traitement en une à cinq séances.

 

AVEC PÉRIARTHRITE. - dans les cas anciens, il peut se surajouter une réaction périarticulaire. Ce sont des cas souvent difficiles à traiter. Le jeu latéral du coude est inexistant, sa recherche est particulièrement douloureuse dans une direction précise. L'infiltration cortisonée intra-articulaire doit être associée à des mobilisations dans les directions opposées à celle qui est la plus douloureuse. Dès qu'elle sera possible on pratiquera la manipulation comme ci-dessus.

 

Hypothèse : A quoi est dû ce blocage huméro-radial : fragment du pseudo-ménisque huméro-radial, coincement de franges synoviales ? On ne peut savoir. Mais une telle épicondylalgie répond bien à la manipulation appropriée.

 

Dans les cas sévères et rebelles, le traitement chirurgical pourrait être exceptionnellement envisagé. L'opération de de Goes est la plus adaptée.

 

Autre mécanisme d'épicondylalgie

 

Dans quelques cas, une épicondylalgie rebelle peut être liée à la compression de la branche postérieure du nerf radial dans le court supinateur. Ceci étant facilité par les mouvements de supination répétés, et une prédisposition anatomique. La douleur est souvent nocturne. La vitesse de conduction est diminuée [1, 21]. L'intervention chirurgicale est la solution thérapeutique logique.


 

 

Bibliographie

 

BENCE(Y.), COMMANDRE(F.), DuMOULIN(J.), DEBISSCHOP(G) et CLAPARENE(Ph.): Les Epicondylalgies rebelles. Intérêt de l'étude électromyographique. Annal. Méd, Phys., 1978, 21, 80-91.

COMTFT(J.J.), CHAMBAUD(D.), GENETY(J.): La compression de la branche postérieure du nerf radial. Une étiologie méconnue de certaines paralysies et de certaines épicondylalgies rebelles. Nouv Press. Méd., 1976, 51 1111-4.

MAIGNE(R.): Epicondylalgies, Rachis cervical et articulation huméro-radiate. Ann. Méd. Phys. 1960;3:299-311.

MAIGNE(R.); Cotation et diagnostic d'une épicondylalgie. Cinésiologie. 1975, 56,113-114.


Centre de Rééducation - Hôtel-Dieu Paris



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