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Rachialgies communes et équitation
 

Marie-José Teyssandier, Médecine Physique, Nice

Il est admis que la pratique de l'équitation peut être responsable de douleurs vertébrales. Dès lors, ce sport est habituellement déconseillé. Est ce justifié ?

 
Paramètres de variation
 

Les problèmes ne se posent pas de la même manière selon que l'équitation est pratiquée par de grands sportifs, parfois professionnels, qui s'entraînent une à six heures par jour, ou des amateurs, adeptes d'une équitation d'agrément à raison d'une à trois heures par semaine. L'équitation regroupe plusieurs activités pratiquées à des doses différentes selon les cavaliers : trot assis ou enlevé, galop, saut, dressage, cross... D'autres facteurs peuvent varier tels l'âge, la qualification, le nombre d'années de pratique, la longueur des étrivières, etc...

 
Quelle rachialgie pour quel cavalier ?
 

Fréquence

Il s'agit dans 80 à 90 % des cas des dorso-lombalgies et dans 10 à 20 % des cas, des lumbagos, sciatiques ou cervicalgies. Leur fréquence varie selon les statistiques de 33%8 à 83,90%2 voire 100% pour les cavaliers professionnels5 En équitation d'agrément, elle est comparable à celle d'une population témoin.2,4,6,9 Elle est d'autant plus élevée que la pratique de ce sport est plus intense. Rappelons les travaux d'HORDEGEN à propos de 115 cavaliers de 20 à 79 ans ayant au moins 10 ans d'équitation. Ces sujets se plaignaient ou s’étaient plaint de dorso-lombalgies avec une fréquence de 54% pour les professionnels montant 8 à 9 heures par jour, 45% pour les sportifs pratiquant 1 à 3 heures par jour, 35% pour les amateurs montant 1 heure par semaine en moyenne,

Etude clinique

Les dorso-lombalgies du cavalier ne présentent aucune différence fondamentale avec ce que l'on observe, en matière de rachialgies "communes". Ce sont des douleurs peu invalidantes, qui n'ont jamais pour sanction l'arrêt définitif de la pratique équestre1,9,11 et n'altèrent en rien ses qualités.2,7,9 Personnellement, il nous a semblé que les dorso-lombalgies d'origine thoracique inférieure ou thoraco­lombaire étaient plus fréquentes.

On ne doit pas confondre ces rachialgies avec des courbatures qui durent parfois 4 ou 5 jours. Ce n'est pas toujours facile. Fréquentes chez le débutant, elles intéressent les paravertébraux, les adducteurs des cuisses, fessiers, carrés des lombes, etc., tous particulièrement sollicités pour faciliter la proprioception, le sens de l'équilibre et l’harmonie du geste sportif.

 
Incidence de la monte et évolution
 

Les dorso-lombalgies du cavalier sont exceptionnellement réveillées ou aggravées par la monte.4,5,6 Et pourtant, c'est le trot assis qui est allure de travail la plus fréquente utilisée lors d'une reprise et pour acquérir une bonne assiette, mais aussi la plus traumatisante pour le rachis.

Les douleurs apparaissent souvent avec l'arrêt de l'entraînement sportif et disparaissent dès la reprise de la monte. Tous les vieux cavaliers le savent. Pratiquement tous les auteurs citent cette curiosité et interprètent leur apparition par une perte de tonicité du haubanage musculaire paravertébral et leur sédation par la reprise de la musculation.

Il semble bien que la pratique régulière de l'équitation diminue la fréquence et l'intensité des dorso-lombalgies chroniques, chez les cavaliers même s'il s'agit de douleurs résiduelles post­traumatiques.3,6,7

L'allure au pas, lorsqu'elle est régulière, a des vertus sédatives remarquables sur les algies chroniques. Quel mécanisme peut on invoquer ? Au pas, la colonne vertébrale de cheval est animée de mouvements hélicoï­daux et de translation (Fig. 1) régulièrement rythmés, répétés 1 à 1,75 fois par seconde, ce qui correspond à une fourchette comprise entre 40 et 70 battues par minute. Une battue est le moment où le pied du cheval en action se pose à terre et par analogie, le bruit qu'il produit en frappant le sol. Ces mouvements hélicoïdaux sont transmis au bassin puis au rachis du cavalier.

L'anneau fibreux est ainsi successivement comprimé et décomprimé, ce qui entraîne comme le dit Renier, un "phénomène de pompe" favorable à l'imbibition discale, ce qui pourrait "défatiguer" le disque intervertébral.

 
Etude radiologique
 

Pratiquement toutes les études confirment l'absence de corrélation entre les lésions rachidiennes radio-visibles et la symptomatologie alléguée. Ainsi HORDEGEN, à propos de cavaliers pratiquant une équitation sportive ou en compétition, porteurs d'anomalies radiologiques du rachis note que seuls 50 % d'entre eux se plaignaient de dorso-lombalgies. Par contre, l'évolution des lésions dégénératives est accélérée chez les cavaliers professionnels par rapport aux adeptes de l'équitation d'agrément.5,6,7,9

Chez les professionnels, l'hyperlordose lombaire associée à une hypercyphose thoracique très fréquente, peut être corrélée avec des dorso-lombalgies.4,5,11,12 Rappelons ici l'étude d'AUVINET sur 42 cavaliers professionnels de l'Ecole Nationale d'Equitation, jeunes (32 ans en moyenne) qui montaient 3 à 5 heures par jour, depuis 13 ans et demi en moyenne et exécutaient, pour certains, des sauts d'Ecole (courbette croupade, cabriole). Ils présentaient une hyperlordose lombaire avec une fréquence anormalement élevée (72 à 87% des cas) associée à une hypercyphose haute dans 38% des cas, et alléguaient des dorso-lombalgies avec une plus grande fréquence qu'une population témoin (28 cavaliers sur 42).

 
Conclusions pratiques
 

I1 nous semble que l'équitation ne peut être tenue pour responsable du déclenchement ou de l'aggravation de lésion dégénératives rachidiennes, sous réserve : de la pratique d'une équitation d'agrément, du respect des contre indications médicales, et d'une bonne adaptation de la biomécanique pelvi rachidienne du cavalier.

La pratique équestre

L'absence de nocivité spécifique pour le rachis de l'équitation d'agrément est de règle, contrairement à ce que l'on observe chez les cavaliers sportifs ou professionnels. Cette notion doit être modulée dans les cas de sujets qui souffrent ou ont souffert de dorso­lombalgies, n'ont jamais pratiqué le sport équestre ou décident de se soumettre à l'apprentissage rigoureux de l'équitation académique. Le geste sportif du débutant, naturellement imparfait, peut favoriser le déclenchement de rachialgies qui deviennent, habituellement, de moins en moins fréquentes au fur et à mesure que le cavalier est plus qualifié.

Contre-indications médicales

Pour la majorité des médecins, toute pathologie rachidienne doit être considérée, comme une contre indication à la pratique de l'équitation. Telle n'est pas notre opinion. Nous retenons comme telles :

  • Chez l'adulte : les séquelles graves de dystrophie rachidienne de croissance. Les troubles importants de la statique vertébrale. Les spondylolisthésis de la charnière lombo-sacrée de grade supérieur ou égal à II, soit 50% de chevauchement1,2,6,12 et les affections rachidiennes inflammatoires (SPA), infectieuses, métaboliques.
  • Chez l'enfant et l'adolescent : une dystrophie rachidienne de croissance en phase évolutive douloureuse, la pratique de l'équitation avant l'âge de 5 ans à poney et 12 ans à cheval, plus de deux à trois heures par jour de monte pendant la durée des vacances, par exemple.
 
Adaptation de la biomécanique pelvi-rachidienne du cavalier
 

Ladaptation de la bio-mécanique pelvi-rachidienne du cavalier en fonction des allures de sa monture, a pour but la répartition et l'amortissement des forces auxquelles est soumis cet ensemble. Il faut d'ailleurs constater qu'une bonne adaptation va de pair avec un geste sportif considéré comme idéal, en équitation académique.

Le témoin le plus objectif en est l'assiette du cavalier qui installe son bassin et sa colonne vertébrale dans la position la moins traumatisante et la plus confortable pour être entretenue longtemps. C'est ainsi que l'on reconnaît (Fig.2) une bonne adaptation caractérisée par l'automatisation de l'assiette normale au pas et l'assiette "rein voussé" au trot assis, et une adaptation défectueuse, à proscrire parce que nocive, reconnaissable à l'assiette " rein creux".

On ne doit pas contre indiquer systématiquement la pratique de l'équitation à tous les sujets qui consultent, ou ont consulté, pour des rachialgies communes, mécaniques. Ce sport peut même leur être conseillé, dans certains cas et certaines conditions, dans le cadre de ce qu'il est devenu classique d'appeler la rééducation par l'équitation.


  • 1 ALLEMANDOU A. Pathologie vertébrale et équitation. Cinésiologie, 1978,14,68,53-63.
  • 2 AUVINET B. Equitation académique. Adaptation du cavalier. 1 Analyse du geste sportif Médecine du sport, 1978, 52, 6, 11/335-15/339 2 Cavalier professionnel, troubles statiques. Médecine du sport, 1978,52,6, 16/340-23/347 3 Cavalier professionnel, algies et lésions rachidiennes Médecine du sport , 1978, 52, 6,25/349 28/352.
  • 3 BLICKENSDORFER H. Aspects sociaux et médico-sportifs du cavalier de compétition.
  • Compte-rendus du 111P Congrès National, 11 Congrès Européen de Médecine et Sports équestres, SAUMUR, 1981,164-168.
  • 4 BONAVENTURE J.M.. Algies rachidiennes et équitation. Thèse Méd. Marseille, 1979, 356,1 42.
  • 5 CHARRAYRE M.N. Indications et contre-indications de l'équitation dans la pathologie lombaire non traumatique. Thèse Méd. Paris Sud, 1979,61,-42.
  • 6 CUCHE M.C. Equitation académique et sportive, aspects actuels de la pathologie de l'appareil locomoteur du cavalier. Thèse Méd. Nice, 1984,140-134.
  • 7 DAEMGEN F. Pathologie d'hypersollicitation et séquelles traumatiques de l'appareil locomoteur du cavalier. Thèse Mêd. Strasbourg, 1987,89,25-121.
  • 8 DESPROGES-GOTTERON R. Rhumatisme et équitation. Méd. Ed. Phys. et Sport, 1966, 4012,102-105.
  • 9HORDEGEN K.M. The influence of horse riding on the spine of the rider. compte-rendus du 3e Congrès National, Congrès Européen de Médecine et Sports Equestres, Saumur, 1981, 299-311.
  • 10 MOSELER W. Equitation. Paris, Berger Levrault Edit., 1967, 1 vol.
  • 11 REDON G. Le rachis du cavalier. Thèse Med. Limoges, 1973,14,1 34.
  • 12 WELLINGER C. Déterminisme de l'arthrose inter-apophysaaire et des glissements vertébraux au niveau de la charnière lombo-sacrée des rachis hyperlordotiques. Rev. Rhum., 1970,37,561-570.
  • 13 RENIER J.C. Introduction à la bio-mécanique du rachis lombaire. Rev. Rhum.1988, 55, 341-350.
     



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