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Rhumatologie 1953;6

Commentaires sur les effets d'un traitement
par manipulations
dans une première série de lombalgies

R Lescure, R Maigne


 

 

 

I) Introduction

 

 

Nous avons l'honneur de vous présenter aujourd'hui une étude statistique des résultats obtenus par les thérapeutiques manipulatives sur une série de lombalgies.

Le travail a été divisé comme suit : le Docteur Maigne s'est spécialement occupé de l'analyse des syndromes aigus ; ses malades provenaient dans leur presque totalité d'une consultation de type dispensaire sans hospitalisation. Le Docteur Lescure s'est chargé de l'observation des lombalgies chroniques en utilisant des cas privés ou hospitaliers, ceux ci relevant en leur majeure partie de la clinique neurologique de M. le Professeur Riser. Certains parmi ces malades d'hôpital étaient couchés : il ne s'agit donc pas toujours d'un traitement ambulatoire.

Nous vous dirons successivement les commentaires suggérés par ces deux séries distinctes d'expérimentations.

Le compte statistique global porte sur 277 cas, dont 116 aigus et 161 chroniques.

   

Voici ce qui concerne d'abord les cas aigus.

Les résultats ayant paru d'emblée différents selon la distribution topographique entre les douleurs hautes et les douleurs basses, les douleurs unilatérales et les douleurs bilatérales, nous les avons séparés. Par ailleurs, à cause du caractère aigu des algies, il a paru suffisant de faire un classement très simple entre « très bons » résultats, « bons » résultats et résultats «nuls ». Nous ne nous attardons pas à donner les critères de ce clas­sement, qui sont évidents.

Etant donné la tendance rapidement résolutive des lumbagos aigus, le protocole manipulatif en ce qui concerne ces cas a été le suivant : on a fait deux séances à trois ou quatre jours d'intervalle, et le résultat que nous vous donnons est celui de la deuxième séance, lorsque celle ci a été jugée nécessaire. Les résultats ont été homologués cinq jours après le début de la crise, sur des malades vus au 1er ou 2e jour de celle ci. Ils ont tous été contrôlés dans le mois qui a suivi.

Enfin, il convient de dire que les lombalgies aiguës symptomatiques ont été éli­minées de cette statistique, notamment une série de six cas successifs qui se sont révélés coexister avec une spondylarthrite ankylosante méconnue jusque-là.

 

 

II) Résultats

 

1) Selon la topographie

 

Les résultats, selon la topographie, sont les suivants : il y avait 64 cas de lombalgies unilatérales hautes et 24 cas de lombalgies unilatérales basses. Les algies hautes ont donné 81% de bons résultats, et les algies basses 66% seulement. I1 y avait 16 algies bilatérales hautes (c'est à dire vraiment lombaires) et 4 algies médianes (sacrées). Les 16 lombalgies bilatérales hautes ont donné 62 % de bons résultats.

 

Il nous a paru exister une différence notable dans le comportement thérapeutique des cas selon que leur mode d'installation avait été brutal, rapide (presque toujours post-traumatique), ou bien progressif, d'aggravation croissante, sans régression intermédiaire, et, en général, non traumatique.

 

2) Les formes brutales traumatiques

 

Les formes brutales traumatiques représentaient 87 cas. Il y eut 71 bons résultats, soit 81%. Au contraire les formes progressives, non traumatiques (qui étaient de 29 cas) n'obtinrent que 15 bons résultats soit 51% seulement.

 

Il a paru intéressant de comptabiliser séparément douze cas qui se présentaient avec une cyphose médiane lombaire généralement basse. Ces 12 cas n'ont donné que 4 bons résultats, soit 33% ; les huit autres malades n'ont pas bénéficié du traitement. Ces der­niers ont pu être observés systématiquement pendant plusieurs semaines après interrup­tion des manipulations. Trois d'entre eux développèrent des algies sciatiques, dont deux ont très paradoxalement bénéficié instantanément d'une reprise du traitement, dès que la radiculalgie fut connue.

 

Enfin, nous avons envisagé la question des rechutes. Vous savez que cette question est très difficile à apprécier bien que dans ce cas particulier les organisations du service social auquel appartiennent ces observations permettent d'avoir automatiquement connaissance de toutes les éventualités.

Nous avons pu en dénombrer douze en dix huit mois. I1 convient de signaler que si la majorité répond favorablement à un nouveau traitement, ce ne fut pas le cas de toutes.

 

En conclusion donc, sur les lombalgies aiguës traitées par manipulations, on peut dire que très généralement la qualité et la rapidité du résultat ont été intéressantes. Mais les indications qui ont paru spécialement bonnes entre nos mains ont été les formes à début brutal, traumatique avec douleurs unilatérales hautes. Ces formes nous ont paru représenter la majorité des lombalgies d'efforts classiques, et permis de soulager complètement environ 80% des malades atteints avant le 5e jour d'évolution.

Nous voulons insister sur la nécessité de la prudence dans la manipulation de ces sujets. Il a été déjà rapporté que les manipulations intempestives ont pu soit aggraver la lombalgie préexistante, soit déclencher des radiculalgies.

La technique manipulative et surtout celle des algies aiguës ne saurait être qu'extrê­mement douce. Il est remarquable de noter que l'on peut bénéficier du test des deux séances seulement, auxquelles nous nous sommes volontairement astreints dans cette première série.

On verra que cette conduite est différente lorsque nous avons étudié les syndromes lombalgiques chroniques.

 

3) Les syndromes lombalgiques chroniques

 
Quant aux syndromes lombalgiques chroniques, le compte statistique a été arrêté à 161 malades pour ne pas exclure indûment 11 cas dont la trace a été perdue, et de manière à obtenir un chiffre de 150 cas analysables, d'un maniement plus aisé. Les résultats généraux ont été les suivants :
 
Ici, étant donné le caractère chronique de la lésion, nous avons dissocié les résultats de façon plus nuancée en parfaits, très bons, bons, légers ou nuls, les cas parfaits, très bons et bons étant les bons résultats, et les cas légers ou nuls étant les mauvais résultats. Il y eu 26 cas parfaits, 77 très bons résultats, 16 bons résultats, 9 résultats légers, 22 résultats nuls ; soit 80% de bons résultats et 20% de mauvais résultats.

Les détails de répartition entre ces résultats vont nous retenir plus longuement nous avons envisagé de nombreuses catégories : l'âge, le sexe, les traumatismes, les efforts étiologiques, la présence d'antécédents lombalgiques, la date de début, la topographie de l'algie, les éléments des examens cliniques et radiologiques, l'influence des traitements antérieurs, et enfin divers détails du traitement manipulatif.

 

En voici l'essentiel :

  • Selon l'âge, il y eut pour les sujets entre 20 et 30 ans, 73% de bons résultats, de 30 à 40 ans, 86%; de 40 à 50ans, 75%, de 50 à 60 ans, 76% ; enfin chez les sujets de plus de 60 ans, 71% de bons résultats.
    En conclusion : les sujets âgés accusent une légère infériorité quant aux résultats obtenus, mais comme ils sont moins exigeants vis à vis de la perfection du résultat demandé, c'est en définitif bien souvent les sujets âgés qui sont les plus satisfaits.
     
  • Selon le sexe : les hommes et les femmes ont obtenu successivement 78 et 80% de bons résultats. Conclusion : aucune différence n'existe vis à vis des sexes.
     
  • Selon les antécédents traumatiques : 25 de nos malades avaient présenté un ou des traumatismes notables dans leurs antécédents. Il est difficile de savoir néanmoins s'il y avait une réelle relation de cause à effet avec les douleurs. Il y a eu 16 bons résultats, soit 64%. Onze de nos malades avaient souffert d'un traumatisme vraiment récent, il y a eu 9 bons résultats, soit 81%. Il semblerait donc que les traumatismes récents n'aggravent pas le pronostic manipulatif. Ce qui s'accorde bien avec les observations faites par R. Maigne sur sa série d'algies aiguës. Par contre, les traumatismes anciens seraient légèrement péjoratifs. Il est indispensable de remarquer que cette série est trop courte pour donner toutefois des indications absolues.
  • Selon l'étiologie dite « d'effort » : nous avons distingué les micro-efforts qui correspondent aux petits efforts répétés (généralement professionnels et en flexion) et les macro-efforts, efforts notables, le plus souvent en soulèvement, presque toujours uniques. Enfin, dans ce chapitre, nous avons fait le compte des grossesses chez les femmes, comme pouvant être assimilés à des efforts lombaires. La répartition des résultats selon les micro-efforts, les macro-efforts, les grossesses et les absences de grossesses donnent successivement : 80%,79%, 82%, et 73% de bons résultats ; nous concluons donc à la négativité de l'influence de ces facteurs, et notam­ment de celle des grossesses vis à vis de l'action thérapeutique des manipulations. Ce simple fait donne aux manipulations une valeur certaine dans la cure toujours difficile des algies lombaires du post-partum.
  • Selon l'existence d'antécédents douloureux lombaires et radiculaires. Il existait 95 cas avec des lombalgies intermittentes apparues depuis plus d'un an, et 4 cas depuis moins d'un an. Il y eut pour les premières 81% pour les deuxièmes 75 % de bons résultats. Neuf cas présentaient des antécédents sciatalgiques ; tous ont été améliorés. 49 cas n'avaient pas eu de douleurs lombaires auparavant : 78% de bons résultats.

    Conclusion l'existence de lombalgies antérieures n'abaisse pas le pronostic thérapeutique. Mieux la signature discale laissée par une radiculalgie antérieure paraÎt être d'un bon pronostic.

  • Suivant la date de début : 94 malades souffraient depuis plus de six mois : 79% de bons résultats ; 52 malades depuis moins de six mois : 80%. Les algies récentes ou anciennes répondent donc très également aux manipulations, et ceci est d'autant plus important qu'il est confirmé à peu près par tous les auteurs, et paraît très spécialement le propre des manipulations.
  • Selon la topographie de la douleur. Nous avons divisé nos lombalgies chroniques, comme les cas aigus, en trois séries: la charnière lombo-sacrée, la région lombaire moyenne et les douleurs hautes. Il s'agit bien entendu de la douleur prédominante, abstraction faite des irradiations. Sur 22 lombalgies hautes : 86% de bons résultats. Sur 26 lombalgies moyennes : 65% de bons résultats. Sur 97 lombalgies basses : 82%. Enfin 5 lombalgiques étaient incapables de nous fournir la précision topographique suffisante (3 bons résultats). On remarquera la plus grande fréquence des topographies basses de la charnière lombo-sacrée, alors que c'était la douleur haute qui semblait plus répandue en ce qui concernait les syndromes aigus. La topographie moyenne paraît d'un moins bon pronostic (?)
  • Selon certaines données cliniques : l'examen physique a révélé 86 cas présentant des troubles statiques notoires, tandis que 24 cas en étaient apparemment indemnes : il y eut successivement 77 et 91% de bons résultats. De même, 25 cas avaient des troubles de la dynamique tandis que 27 cas n'en avaient pas: il y eut 67 et 80% de bons résultats. Dix cas montraient des signes radiculaires : tous ont été améliorés. 16 cas présentaient une attitude antalgique et obtinrent 81% de bons résultats. Nous concluons au bon pronostic des lombalgies avec des signes radiculaires tout au moins ébauchés et avec absence de troubles de la statique ou de la dynamique.
  • Selon l'aspect radiologique. On a comparé vis à vis de l'effet thérapeutique les éléments radiologiques suivants : anomalies anatomiques, images de déséquilibre statique, atteinte discale et images arthrosiques. Il y eut successivement 74, 84, 77 et 78% de bons résultats. Conclusion : les anomalies anatomiques se sont montrées légèrement péjoratives par contre, les images de déséquilibre statique n'ont pas été de mauvais pronostic.

    Il faut bien noter l'indépendance absolue entre les résultats et l'importance des signes arthrosiques radiologiques.

  • Selon l'efficacité des traitements antérieurs : 10% de nos malades avaient déjà reçu des traitements avant le nôtre. Nous avons comptabilisé séparément ceux qui avaient bénéficié de ces traitements, notablement, faiblement ou pas du tout. Les tableaux s'éta­blissent ainsi : 27 cas étaient déjà notablement améliorés par un traitement précédent : 92% de bons résultats. Dix neuf cas n'avaient eu qu'un résultat léger, nous avons eu 94% d'amélioration. 52 cas n'avaient obtenus qu'un résultat piètre ou nul : 71% de bons résultats.

    En additionnant les pourcentages de ceux qui avaient observé préalablement un résultat quelconque, on obtient 46 cas préalablement améliorés : ils procurèrent 93% de bons résultats manipulatifs.

    Conclusion : les lombalgies déjà favorables par ailleurs le sont extrêmement vis à vis des manipulations. Et il faut bien remarquer que 71% des cas rebelles antérieurement ont été améliorés, dont 62% purent être comptés comme « très bons » résultats.

  • Selon le nombre de séances nécessaires. Il nous a paru très utile de rechercher a) quand avait apparu le résultat thérapeutique ; b) combien de traitements sont nécessaires pour qu'il soit complet.

a) Quand sont apparus les premiers résultats. 62% des malades percevaient un mieux après la première séance; 76% dès la deuxième ; 85% à la troisième; 89% à la quatrième; 93% à la cinquième ; 95% à la sixième.

Ces résultats nous ont confirmé dans notre attitude de demander a priori un trai­tement de six séances, afin de lui donner toutes ses chances de succès, c'est à dire 95%.
b) Quelle a été la longueur utile du traitement. Autrement dit, combien de séances ont été nécessaires pour le résultat maximum ? Le résultat maximum a été obtenu en une séance pour 5% des cas. Il restait donc à améliorer 95%. En deux séances il restait à améliorer 79%. En trois séances, 69%. En quatre séances, 58%. En cinq séances, 51%. En six séances, 36%. Donc en six séances, les deux tiers des malades avaient enregistré leur plein résultat. En sept séances, 34, En huit séances, 24%. En 9 séances, 18%. En 10 séances, 16%. En 12 séances, 7%. Donc, 6% seulement des cas ont demandé plus de douze séances.

Ceci établit la fréquente nécessité de traitements longs et en série ; ce qui contredit absolument (s'il en était besoin) la notion de subluxation vertébrale instantanément réduite comme cause essentielle des lombalgies. S'il en était ainsi ce ne serait vraisem­blable que pour 5% seulement de nos cas.

 

  • Par rapport au travail du sujet : 30 malades avaient interrompu leur travail. 20 ont pu le reprendre dans la suite du traitement ou au cours de celui ci ; 7 sont restés invalides et 3 n'ont pu être suivis.

 

Conclusion

   

Nos conclusions sont les suivantes :

 

  • Le traitement par manipulations est un bon traitement des lombalgies aiguës et chroniques, exempt d'accidents notables s'il est bien pratiqué. On a lu à la fin du pre­mier chapitre les conclusions concernant les cas aigus. Les suivantes concernent les algies chroniques.
  • L'existence d'un élément étiologique discal semble être d'un bon pronostic.
  • Les lombalgies aiguës hautes semblent mieux influencées, les meilleurs résultats d'algies chroniques ont été les formes basses. Les lombalgies moyennes semblent d'un pronostic moins bon.
  • Les lombalgies qui se révèlent à l'examen clinique exemptes de troubles statiques ou dynamiques majeurs sont de bonnes formes.
  • L'importance des images de discarthrose radiologique ne semble comporter aucune sanction pronostique.
  • Les échecs des traitements antérieurs ne sont pas des contre-indications manipulatives ; pourtant, de meilleurs résultats ont été enregistrés sur les malades susceptibles d'avoir déjà été améliorés par d'autres traitements.
  • Les anomalies vertébrales et certains traumatismes semblent diminuer le bon effet des manipulations,
  • L'âge, le sexe, les efforts étiologiques, les antécédents algiques lombaires, et, comme nous l'avons dit, les aspects radiologiques n'influent pas ou peu sur les possibilités des manipulations.
  • Le traitement manipulatif fait vite sa preuve et une série test de deux séances pour les douleurs aiguës et de six séances pour les syndromes chroniques peuvent indiquer les chances de succès dans 95% des cas. Dès la première séance près de la moitié des résultats positifs s'ébauchent.
  • Le traitement manipulatif n'est donc pas un traitement unique. Il doit être administré par série. 6% seulement des malades ont dû dépasser 12 séances.
  • Le traitement manipulatif est un excellent traitement ambulatoire qui a permis le retour au travail des deux-tiers des malades, en ce qui concerne ceux des malades qui avaient dû l'arrêter.
  • Le compte des lombostats évités ou supprimés n'a pas été fait, mais il est important. Nous considérons ce dernier point comme un avantage non négligeable de cette expérimentation thérapeutique.



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