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Revue de Médecine Orthopédique. 1991.

Pressions intra-discales lombaires in vivo :

Application aux techniques de rééducation des lombo-radiculalgies

J.G. Drevet, C. Lelong, F. Plas, Th. Aubergé


Les enregistrements, in vivo, des pressions intra-discales des étages lombaires permettent de mieux apprécier les contraintes auxquelles les structures nucléaires sont soumises. Les pressions intra-discales (PID) analysées au niveau L3-L4 et L4-L5, dans différentes situations statiques et dynamiques, autorisent une meilleure compréhension des techniques rééducatives des lombo-radiculalgies, en recherchant les situations de « moindre contrainte » des disques pathologiques.

Les principes inspirant les techniques rééducatives du rachis dorso-lombaire varient selon les auteurs. Ainsi Cyriax a proposé une rééducation en lordose lombaire dont le principe est de créer une hyperpression dans le secteur discal postérieur et un blocage des arcs postérieurs, évitant ainsi la mobilisation des fragments discaux. Ses inconvénients sont évidents : l'hyperlordose est très souvent mal tolérée lors d'une lombalgie discale, cette position étant par ailleurs susceptible d'aggraver une saillie postérieure préexistante. A l'opposé, la rééducation en cyphose, préconisée par Williams, a pour principe d'étirer les muscles spinaux contracturés, facteurs d'hyperpression intra-discale  et de douleurs créant ainsi un cercle vicieux, entretenant contractures et douleurs. Les détracteurs de cette technique soulignent que la position statique en cyphose est certes antalgique, mais un travail dynamique en cyphose est potentiellement dangereux, capable d'exprimer une protrusion discale, comme cela est fréquemment constaté lors d'accidents aigus.

Outre les divergences concernant les postures rééducatives, le travail des chaînes musculaires est également sujet à discussion : la musculation en course interne, protectrice du rachis, s'oppose au travail en étirements, fondement de la technique décrite par F. Mézieres.

Qu'en est il réellement au niveau des structures discales ? L'enregistrement des PID peut apporter une contribution à la compréhension des techniques rééducatives proposées.


1) Historique

Les contraintes exercées au niveau des structures discales du rachis lombaire ont inspiré plusieurs types d'expérimentations :

- La première étape, anatomique, a consisté en l'enregistrement des pressions intra-discales, cadavériques. Virgin, puis Nachemson3 ont ainsi pu constater une pression résiduelle intra-nucléaire proche de 1 bar. Soulignons que ces mesures ont été effectuées sans que soit précisée la date les séparant de l'exitus, réduisant ainsi le rôle des chaînes musculaires.

- Des mesures in vivo ont ensuite été conduites7 permettant d'apprécier :

  • les pressions exercées sur les disques sous l'effet de charges préalablement définies
  • le degré de résistance des structures discales à des contraintes d'intensité croissante…
- En parallèle à l'élaboration de modèles mathématiques jugeant des contraintes discales,1,2,6 des mesures in vivo ont été effectuées, conduites essentiellement par Nachemson4,5 et Schult6.

2) Matériel et méthode

Le capteur de pression que nous avons réalisé est de type piezo-résistif, permettant l'enregistrement de variations d'impédance. Il autorise ainsi des mesures dynamiques et statiques à la différence des capteurs piézo-électrique, dits actifs qui assurent, certes, une rapidité d'enregistrement et une dynamique des mesures mais ne permettent  pas les enregistrements statiques.

Le capteur miniaturisé présente un diamètre de 1,3 mm, la membrane étant en silicium diffusé (fig. 1)

Fig. 1 - Le capteur de pression et sa gaine protectrice

L'étendue des mesures est de 16 bars, le domaine de compensation de 0° à 60° C. Une protection de la membrane a été assurée par le parylène. Le conditionneur réagissant comme un pont d'impédance autorise une lecture immédiate des pressions exprimées en bars (ou kg/cm2). Le matériel créé a permis la réalisation d'épreuves statiques et dynamiques :

  • débubitus latéral, procubitus
  • positions déclives d'inclinaisons variables : 0° à 90°
  • station debout, marche, inclinaisons latérales, extension et flexion du segment lombaire
  • suspension à l'aide des membres supérieurs
  • station assise selon différentes modalités
Sur le plan méthodologique, il convient de distinguer les disques sains des disques dégénérés. En effet, lorsque l'intégrité du nucléus est préservée, celui-ci peut être assimilé à une poche visco-élastique, frettée par les couches concentriques de l'anulus. il en résulte une pression intra nucléaire qui est peu susceptible de varier en fonction du positionnement du capteur.

A l'opposé un disque dégénéré éventuellement protrusif présente une rupture de la chambre nucléaire : les PID varient selon les déplacements du capteur ; des secteurs peuvent ainsi se situer en pressions négatives, expliquant l'aspiration spontanée des produits opaques lors de certaines discographies.

Nous avons pu constater qu'une pression moyenne peut cependant être retenue, sous réserve :

  • d'un positionnement du capteur au centre du disque dégénéré,
  • d'un disque continent, sans fuite épidurale, même s'il réalise une protusion,
  • d'une PID qui demeure stable avec le temps et qui ne varie pas ou peu lorsque le capteur est déplacé de quelques millimètres (évitant le risque d'enregistrement dans une fissure périphérique qui peut être en hyper ou en hypo-pression).
Il est donc apparu nécessaire que la prise de PID soit précédée d'une tomodensitométrie et d'une discographie pour chaque sujet, afin d'apprécier le statut discal.

En pratique, les sujets présentant un nucléus sain, 10 hommes et 7 femmes âgés de 19 à 52 ans ont fait l'objet d'une mesure de pression lors de l'examen concernant un disque pathologique sous-jacent, dans le cadre d'une discographie diagnostique ou précédant une discolyse.

L'examen exige une simple prémédication et une anesthésie locale des chaînes musculaires, la voie postéro-latérale droite étant utilisée (Fig. 2).

Fig. 2a - Mise en place du capteur dans la chambre nucléaire

Un enregistrement des PID a également été conduit chez 25 sujets présentant une pression moyenne au sein d'un disque protrusif (14 hommes et 11 femmes de 20 à 57 ans).


3) Résultats et applications rééducatives

Nachemson a conduit ses enregistrements en deux étapes successives:

- Utilisation d'un capteur constitué d'une membrane polyéthylène élastique reliée à un électro-manomètre, en 1961 (3) ; les résultats de cette étude, ayant porté sur 50 sujets, ont secondairement fait l'objet de correctifs ; un matériel performant, composé d'une jauge a pression, à membrane en résine époxy, piézzo-résistive, à permis, chez 9 sujets, d'obtenir des mesures plus précises..

- Les résultats ont été exprimés par rapport à la surface globale discale et en pourcentage du poids du corps

Pression intra-discales

  • en décubitus dorsal : 25 % du poids du corps
  • en station debout : 100 % du poids du corps
  • en station assise et selon différentes variations classiques, ne concernant pas l'assise: 180 % à 200 %
  • la flexion antérieure : 250 %
  • les efforts de charge augmentant les contraintes, proportionnellement à la charge.
Remarquons que l'expression des résultats par rapport à la surface globale discale expose à des approximations successives : calcul de la surface discale, difficile à effectuer et appréciation des charges exercées sur l'anulus, par référence aux modèles biomécaniques (utilisant un diviseur variant dé 1,3 à 1,6). C'est pourquoi, rejoignant en cela Schult, nos résultats sont, de principe, exprimés par référence à la pression intra-nucléaire.

Les enregistrements que nous avons réalisés, conduits chez 42 sujets regroupant 17 noyaux sains et 25 disques dégénérés, autorisent plusieurs remarques par rapport aux travaux en extension :

Les variations importantes des pressions basales, chez des sujets de même âge, de morphotype identique. Ainsi, pour un disque sain, en décubitus latéral la P.I.D. varie de 1,2 à 3,4 kg/cm2, en position debout de 2,4 à 6,1 kg/ cm2.

Il apparaît difficile d'établir des valeurs de référence, les valeurs moyennes ne reflétant pas l'importance des extrêmes. Le problème est identique pour les disques pathologiques dont les pressions moyennes apparaissent plus faibles.

L'hyperlordose majore la PID de façon importante, mais surtout immédiate, de 30 % à 100 % selon l'importance de l'hyperlordose (fig. 3).

 

Fig. 3 - Station debout - majoration de la PID par l'hyperlordose

Fig. 4 - En procubitus, la contraction volontaire des spinaux élève la PID de façon rapide et importante

Fig. 5 - En décubitus latéral, le rôle des chaînes musculaires apparaît déterminant dans l'élévation de la PID


Il en est de même pour la position en cyphose dès qu'elle atteint 30°. La rétroversion du bassin, dans la position dite intermédiaire, ne présente pas de modification appréciable des PID par rapport à la position spontanée, réalisée en discrète lordose. A l'opposé, le rôle des chaînes musculaires, notamment des muscles spinaux apparaît dominant. Les étirements des muscles spinaux ont été appréciés par le test de suspension à l'aide des mains, rachis lombaire discrètement cyphosé, position souvent recherchée par le lombalgique, en période douloureuse. La baisse de la PID apparaît ainsi immédiate et significative : de 30 % à 50 % de sa valeur de base.

L'étude des contractions musculaires des chaînes dorso-lombaires postérieures (Fig. 4 et 5) a réservé le plus de surprises : la mise en jeu de ces chaînes est suivie d'une élévation instantanée et majeure de la PID : elle s'accroît de 100 % à 400 % de sa valeur de base, pour des contractions relativement usuelles, assimilables à celles réalisées lors de stress d'environnement. Les PID peuvent atteindre 9 à 10 kg/ cm2, valeur constatée lors des efforts de toux, bien connus pour déclencher une lombalgie aiguë chez un sujet prédisposé.

Il apparaît ainsi que les chaînes musculaires agissent directement, intensément et de façon immédiate au niveau des structures discales.

Leur mise en jeu quotidienne, par le biais des facteurs de l'environnement, suffit à élever les P.I.D. à des valeurs proches de celles susceptibles de déclencher un épisode lombaire aigu.

On conçoit ainsi leur importance dans l'apparition et l'entretien de la pathologie discale dégénérative. On comprend mieux les situations décrites, comme favorables par le sujet lombalgique :

- les étirements par tractions mécaniques ou manuels passifs.


4) Application aux techniques de rééducation des lombo-radiculalgies

a) Le conflit discal en phase subaiguë ou aiguë.

Toute élévation de la PID doit être évitée, les situations de moindre contrainte étant à privilégier. Le choix de la position de travail apparaît simple : l'hyperlordose et la cyphose majorent rapidement la PID.

Il apparaît souhaitable, sauf exception, squelettique ou morphologique, de privilégier la position intermédiaire ou spontanée qui comporte une discrète lordose de la charnière lombo-sacrée (il n'existe pas de modification significative de la PID entre ces deux positions).

Le travail rééducatif peut difficilement se concevoir s'il s'accompagne d'une élévation de la PID .Comme nous l'avons souligné, une contraction, même modeste des chaînes musculaires postérieures élève la PID à des seuils critiques. Seul un travail précis de contracté-relâché peut être entrepris très rapidement en utilisant les irradiations musculaires à partir de la tête ou des membres. Dans tous les cas, les exercices sont réalisés en position moins douloureuse, rachis allongé ou dressé et effectués en contractions statiques. Dans ces conditions, la rééducation peut être précoce en thérapie antalgique par relâchement des muscles contracturés ; qui accroissent la PID. Les étirements actifs ou passifs sont justifiés, susceptibles de diminuer la PID lors de leur réalisation. Ces étirements musculaires se conçoivent dans l'axe du rachis en postures douces, effectués progressivement avec le rééducateur. Un programme d'auto-étirements accompagne le traitement et permet au patient de graduer ses exercices même sur les lieux de travail.

b) Les lombo-radiculalgies d'évolution chronique

Les retentissements au niveau des structures discales demeurent identiques, le choix de la position de travail ne peut guère être modifié. Si l'étirement musculaire se justifie tout autant, peut-on introduire un travail de musculation, notamment de la sangle abdominale ? Les impératifs de renforcement du caisson abdomino-pelvien peuvent en effet inciter à entretenir ou à renforcer une sangle musculaire défaillante.

Un tel schéma rééducatif peut être envisagé, très à distance d'un épisode aigu, car l'élévation de la PID apparaît une nouvelle fois immédiate et importante lorsque la sangle abdominale est sollicitée en course interne (fig. 6). Déterminer un délai précis pour la mise en route d'un travail musculaire en course interne est cependant difficile, probablement propre à chaque patient. Quelques repérés peuvent toutefois se révéler utiles

 
 


 

Fig. 6 - La mise en jeu des muscles de la sangle abdominale élève instantanément la P.I.D. lors de l'expiration forcée (6 kg/cm2).

- Le travail de tonification musculaire ne doit pas réveiller les douleurs d'origine discale ni les exacerber, notion classique  qu'il convient de souligner. Des douleurs de sollicitations musculo-ligamentaires sont, par contre, habituelles et tolérées.

- Un épisode douloureux, de nature discale correspond à une élévation des pressions, périphériques ; il est synonyme d une défaillance annulaire interne et le plus souvent, externe : une effraction plus ou moins complète du système de frettage est réalisée. Un tel état ne petit s'amender en quelques jours ; il est probable que le délai de restauration se juge en semaines et en mois. Il apparaît clair que de nombreux schémas rééducatifs de travail en course interne sont débutés trop précocement, confondant le traitement de la phase douloureuse et celui de la prévention des récidives.


Soulignons les limites de l'étude que nous avons conduite

L'enregistrement des pressions intra-discales permet l'étude du comportement du système nucléaire aux pressions exercées. Il n'autorise cependant aucune appréciation concernant les contraintes de cisaillement que peut subir l'anulus. Ces contraintes de cisaillement, exercées notamment lors des efforts de torsion, jouent probablement leur rôle fondamental dans la détérioration du système annulaire interne et à un moindre degré, périphérique.

La mesure des pressions intra-discales lombaires permet de souligner la susceptibilité du disque inter-vertébral vis-à-vis de son environnement, notamment musculaire. Elle permet d'envisager un travail rééducatif des lombo-radiculalgies, s'effectuant dans l'axe du rachis, privilégiant même précocement, les étirements des chaînes musculaires postérieures.

Le renforcement musculaire des chaînes antérieures et postérieures se conçoit à distance de l'épisode car il a toujours comme corollaire une élévation très significative de la pression intra-discale.

Le traitement doit être complété par un programme préventif des récidives. Il est établi par le rééducateur en tenant compte du contexte personnel et socio-professionnel du patient.



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