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Nouvelles données sur l’ergonomie de la station assise.
Apport de la mesure in vivo de la pression intra-discale.

C.Lelong* T.Aubergé** F.Plas*** J.G.Drevet*

* Clinique du Dos **Clinique Belledonne *** Ecole de Kinésithérapie CHU, Grenoble

La pathologie mécanique du rachis lombaire apparaît fréquemment exacerbée par la station assise notamment, par la station assise de travail. Peut on envisager des progrès ergonomiques autorisant la définition d'un siège de travail et, de façon plus globale, d'un espace de travail adaptés à la position assise ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons réalisé un modèle biomécanique puis conduit l'enregistrement des pressions intra-discales in vivo, autorisant l'étude des contraintes rachidiennes lors des différentes stations assises.

 
Pourquoi une nouvelle conception de la station assise au travail ?
 

Une première question doit être posée: la position assise actuel­le représente t'elle un facteur de risque rachidien ? C'est Staffel15, chirurgien orthopédiste allemand, qui fixa en 1884, les normes de la chaise de travail moderne, acceptées ensuite sans critique par les experts. Il s'agit d'un siège à assise horizontale muni d'un dossier vertical, le sujet assis présentant ses chevilles, ses genoux et ses hanches fléchis à angle droit (Fig. 1). A cette époque cependant, le plan de travail était incliné par rapport à l'horizontale ; il est devenu horizontal et les hauteurs du siège, du plan de travail, ne cessent de diminuer malgré l'augmentation de la taille de la population, ce qui est paradoxal. Staffel avait par ailleurs décrit cette station assise en considérant le dos droit et le regard à l'horizontal.

Fig : 1 ‑ Station assise de travail définie en 1884 par Staffel.

Fig. 2 ‑ Station assise de travail habituelle en 1990

Mais pour effectuer un travail et afin de respecter le confort visuel, nous devons nous pencher en direction du plan du bureau (fig. 2).

Les études radiographiques réalisées par Schobert12, en 1962, ont montré que le passage de la station debout à la station assise conventionnelle décrite par Staffel entraîne une flexion des hanches de 60° ainsi qu'une flexion du rachis lombaire de 30°, et non une flexion des hanches de 90°. Cette flexion sera généralement majorée en position de travail en fonction de la tâche à effectuer, de la hauteur du plan de travail et des habitudes de l'individu.

Andersson et Nachemson, ont pu, grâce à des enregistrements de pression in vitro puis in vivo, évaluer les charges discales dans diverses positions assises.1,10,11  Ils ont montré que la charge approximative du disque L3-L4 chez un individu atteint :

  • en position debout, 100% du poids du corps ;
  • en position couchée 25% du poids du corps ;
  • en position assise à 90°, regard horizontal (position de Staffel), 140% du poids du corps ;
  • en position assise en flexion antérieure, de 185% à 250% du poids du corps, en fonction de la tâche à accomplir.
Ces contraintes discales exagérées en position assise, maintenues durant de longues périodes, peuvent ainsi réaliser des micro-traumatismes exposant à des fissures intra-discales participant à la genèse des lombalgies (2).
 
Existe t'il une solution ?
 

Depuis de nombreuses générations certains artisans, tels les potiers, utilisent un siège de travail dont l'assise est inclinée vers l'avant.

Si l'on considère le corps en état de relaxation totale, il adopte une géométrie de moindre contrainte, illustrée par la position de repos spontanément adoptée par les astronautes en vol orbital (fig. 3) : l'angle tronc-cuisse avoisine 120°, permettant d'éviter une flexion du rachis lombaire et de conserver la lordose physiologique16. Conformément à ces réflexions, Mandal8, 9 préconise un siège incliné vers l'avant, un bureau incliné et des hauteurs modifiées afin d'éviter toute flexion lombaire (fig. 4). S'agit il d'une meilleure ergonomie de la station assise de travail ?

Fig. 3 ‑ Géométrie de moindre contrainte d'après Verriest et coll.

Fig. 4 ‑ Une nouvelle conception de la station assise de travail d'après Mandal.


 
Biomécanique des disques lombaires en station assise
 

L'étude biomécanique de la station assise a été réalisée en deux étapes : 1- réalisation d'un modèle mathématique, puis 2- contrôle et validation par l'enregistrement des PID.

Modèle mathématique

Nous avons élaboré un modèle mathématique du rachis lombaire permettant de calculer aux trois derniers étages lombaires pour une attitude précise et un sujet donné, les forces normales et tangentielles aux disques ainsi que les contraintes totales imposées à ces structures. Les contraintes discales sont représentées par la PID développée dans le nucléus et les contraintes totales dans les fibres de l’anulus.

Le modèle a pu être réalisé grâce à l’utilisation de radiographies et de formules d'équilibre des forces et des moments par rapport à un système d'axes de référence. Une analyse des contraintes discales, lors de positions assises de référence a été ainsi permise :

  • la position assise décrite par Staffel, station assise à 90°, regard à l'horizontal (Fig. 1)
  • la position assise de travail sur siège et plan de travail horizontaux (Fig. 2)
  • la position assise de travail adaptée : assise inclinée vers l'avant, plan de travail incliné, hauteurs adaptées (Fig. 4).
Les différents calculs et la réalisation du modèle mathématique ont été précisés par ailleurs5,6,7.

Les conclusions de cette étude sont les suivantes : l'adaptation de la station assise de travail (station C ou Fig. 4) permet de réduire de 55% l'ensemble des contraintes discales au niveau des trois derniers disques lombaires par rapport à la position (B) (station assise de travail habituelle) et de 33% par rapport à la station assise redressée représentée par la position (A) (station assise décrite par Staffel). Il apparaît évident que la station assise de travail peut être considérablement améliorée par l'inclinaison antérieure de l'assise du siège.

Néanmoins certains éléments restent à déterminer :

  • la validation du modèle mathématique par la corrélation avec les résultats des PID, in vivo
  • l'angle d'inclinaison de l'assise du siège; divers tests pratiques ont pu montrer qu'une inclinaison supérieure à 10° est inconfortable sauf si celle ci s'accompagne d'un appui au niveau des genoux.
  • la part active musculaire qui joue un rôle capital au niveau des contraintes discales lombaires3
  • le rôle d'un support lombaire, d'un dossier, en déterminer la forme et l'inclinaison.
Un protocole d'enregistrement des PID lors de diverses positions assises, constitue l'étape complémentaire indispensable.

Enregistrement des pression intra-discales en position assise

Les enregistrements, in vivo, des PID des étages lombaires permettent de mieux apprécier les contraintes auxquelles les structures nucléaires sont soumises.10,11,13,14

 
Matériel et Méthode
 

Le capteur de pression est de type piezzo résistif, permettant l'enregistrement de variations d'impédance et autorisant des mesures statiques et dynamiques. Le capteur miniaturisé, dont la membrane est en silicium, présente un diamètre de 1,3 mm. Il permet une mesure directe, in situ, de la pression régnant dans le nucleus. Le conditionneur, réagissant com­me un pont d'impédance, autorise une lecture immédiate des pressions exprimées  en kg/cm2. Ce matériel a pu être testé et validé par de nombreuses études, notamment la réalisation d'épreuves statiques et dynamiques. Lors de ces études, l'effet de la musculature paravertébrale sur la PID a pu être démontrée.3

Toute contraction musculaire des chaînes thoraco-lombaires postérieures, est suivie d'une élévation instantanée et majeure de la PID, de 100% à 400% sa valeur de base. Sur un plan méthodologique, seuls les disques peu altérés, continents, sont étudiés lors de ces études dynamiques, ce qui permet d'assimiler le nucléus à une poche visco-élastique frettée par les couches concentriques de l'anulus. il en résulte une pression homogène, indépendante de la position du capteur, ce qui n'est plus le cas pour un disque très dégénéré.4

En pratique, l'étude est réalisée chez des sujets présentant un nucléus peu altéré dans le cadre d'une discographie décisionnelle (fig. 5). La population étudiée comporte 10 sujets adultes. Les premiers résultats concernent l'analyse de quatre dossiers. Les positions assises étudiées :

L'inclinaison antérieure de l'assise est analysée sans soutien lombaire : assise horizontale, inclinaison antérieure de –5°, - 10°. –15°. L'enregistrement des PID pour chaque position dure entre 1 et 2 minutes, de façon à apprécier le rôle éventuel des tensions musculaires. Pour chaque posture, une première mesure est effectuée le regard à l'horizontale puis avec une flexion antérieure lombaire de 20°.

Le rôle de soutien lombaire est ensuite testé pour chaque inclinaison d’assise. Le soutien lombaire présente une échancrure latérale droite, pour des raisons techniques. Le rôle des accoudoirs est ensuite apprécié pour chacune des inclinaisons précédentes (-5°, -10°, -15°).

 
Résultats pérliminaires
 

Les premiers résultats obtenus auprès de quatre sujets adultes, trois hommes et une femme, âgés de 28 à 47 ans, autorisent les observations suivantes :

1) Une réduction de l'ordre de 30% des PID (25% à 30%) lors de la position assise avec une inclinaison de 10° vers l'avant par référence à la position avec assise horizontale.

2) Le rôle important d'un support lombaire adapté lors des temps de repos, ainsi que la présence d'accoudoirs qui éloignent cependant des conditions requises pour la réalisation de certaines activités professionnelles. Il apparaît ainsi qu'une meilleure ergonomie de la station assise de travail est réalisable, essentiellement par une modification de l’inclinaison de l’assise. Cependant, une amélioration isolée du siège de travail est insuffisante.

3) Les hauteurs du siège et du plan de travail doivent également être adaptées ; un meilleur siège de travail ne permettra pas, à lui seul, de diminuer les risques lombaires si l'ensemble de l'espace de travail n'est pas considéré: adaptation des différentes hauteurs, plan de travail incliné, aménagement de l'espace de travail, respect des exigences visuelles.


Bibliographie

  • 1 ANDERSSON BJ.G, ORTENGREN R., NACHEMSON A., ELFSTROM G. BROMAN H. The sitting posture: an electromyographic and discometric study. Orthop. Clin. North. Am., 1975,6,105-120.
  • 2.BORTOLUCCI C., DOSDAT J.C. ROBERT H. Approche biomécanique du disque intervertébral lombaire sous différents types de charges par mesures de pression intra­nucléaires. Biophys. Med.Nucl., 1979,.3, A63­167.
  • 3.DREVET J.G..LELONG C.,AUBERGE T. Les pressions intra discales lombaires in vivo, applications aux techniques de réédu­cation des lombo radiculaigies. Ann. Kinesither., 1990. 17.509-512.
  • 4. DREVET J.G.. AUBERGE T. LELONG C.. BLANC D.. MARTIN M. Lombalgies rebelles et discopathies fonc­tionnelles. Rev.Med. Orthop. 1990. n°20,17-18.
  • 5 LELONG C..DREVET J.G. CHEVALLIER R., PHELIP X. Biomécanique rachidienne et station assi­se.
  • Rev. Rhum. Mal.Osteoartic.. 1988. 55, 375­380.
  • 6 LELONG C., DREVET G., GRIMAL C., JUVIN R., PLAS F., PHELIP X. Réflexions sur la station assise de travail In Actualités en Rééducation Fonctionnelle et Réadaptation, Masson ed., Paris 1986, pp. 40918.
  • 7 LELONG C. La station assise de travail: réflexions et biomécanique. Thèse Médecine, Grenoble, 1986
  • 8 MANDAL A.C. "The seated man". Taarbaek Strandvej Ed, Denmark, 1974.
  • 9 MANDAL A.C. L'homme assis : théories et réalités Ann. Kinésithér., 1984,11,17.
  • 10 NACHEMSON A. The influence of spinal movements on the lumbar intradiscal pressure and on the tensil stresses in the annulus fibrosus. Acta. Orthop. Scand., 1963, 33, 183-207.
  • 11 NACHEMSON A.; MORRIS J.M. In vivo measurements of intradiscal pressure. J. Bone Joint Surg., 1964, 46-A, 1077-1092
  • 12 SCHOBERTH Sitzhaltung Sitzschaden Sitzmöbel Springer Verlag Ed., Berlin, 1962
  • 13 SCHULTZ A., ANDERSSON B.J.G. Analysis of loads on the lumbar spine. Spine, 1981, 6, 76‑83.
  • 14 SCHULTZ A., ANDERSSON B.J.G. ORTENGREN R., HADERSPECK K. NACKEMSON A. Loads on the lumbar spine. J. Bone Joint. Surg., 1982, 64-A, 713-721
  • 15 STAFFEL F. Allgem Gesundheitspfleg, 1884, 3, 403-411
  • 16 VERRIEST J.L. Les sièges d'automobiles Recherche, 1986,17:912-920



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