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Effet des manipulations vertébrales sur la hernie discale lombaire
J. D'ORNANO, T. CONROZIER, D.BOSSARD, M. BOCHU, E. VIGNON
Hôpital Edouard Herriot 09337 Lyon Cedex 03 |
Depuis
1874, date à laquelle un anatomiste italien, Domenico Cotugno, a décrit avec
précision le trajet anatomique du nerf ischiatique, l'opinion des médecins
sur l'étiologie de la douleur sciatique a beaucoup évolué. Rattachée au
départ à une affection tronculaire de cause générale, les travaux de Jules
Dejerine ont montré son étiologie radiculaire. Il a fallu attendre les
publications de Mixter et Barr (1934) puis celle de Sicard, de de Sèze
(1939-1940) pour que l'unité clinique se fasse au profit d'une étiologie
unique dans la sciatique dite commune dont l'expression du conflit disco
radiculaire constitue une atteinte essentiellement mécanique (8). La
vertébrothérapie (manipulations vertébrales) a, à son actif, des
améliorations rapides et durables, qui ont largement contribué au succès de
la méthode, d'autant que cette thérapeutique n'est souvent proposée qu'après
l'échec des traitements classiques, ce qui accroît la valeur du résultat. La
vertébrothérapie représente une thérapeutique étiologique de choix, d'un
certain nombre d'affections vertébrales d'origine mécanique, parmi
lesquelles se situe tout naturellement la sciatique commune. Les
manipulations vertébrales s'intègrent dans l'arsenal thérapeutique mis à la
disposition de tout médecin avec le repos, le traitement médical, les
tractions vertébrales, les infiltrations cortisoniques, et les méthodes de
contention. Des thèses de médecine, dont celle de l'un de nous, "Les
Manipulations Vertébrales en Rhumatologie" ont déjà montré les possibilités
d'action des manipulations vertébrales dans le traitement de la sciatique.
Il s'agissait de malades hospitalisés après échec des divers traitements
classiques proposés et souvent après plusieurs mois d'évolution. Les
résultats, bons et très bons, après deux ou trois séances de manipulations
vertébrales lombaires se situaient entre 65 et 70 % (3,5). Toutefois, un
certain nombre d'auteurs restent réticents à leur utilisation, en cas de
sciatique par hernie discale, craignant une éventuelle aggravation des
symptômes. Il nous a paru intéressant de confronter les possibilités
d'action des manipulations vertébrales, dans le cadre du traitement des
sciatiques par hernie discale. S'appuyant sur des arguments cliniques et
tomodensitométriques, cette étude a pour but: de démontrer l'innocuité des
manipulations lorsqu'elles sont réalisées dans le strict respect des grandes
règles d'application, avec un protocole d'exécution rigoureux d'approcher le
mécanisme d'action possible des manipulations sur la hernie discale.
Malades. Douze patients, 8 hommes et 4 femmes présentant tous une
névralgie sciatique d'origine discale, non hyperalgique et non déficitaire,
ont été inclus dans l'étude. L'âge moyen était de 42,8 ans (extrêmes 18 à 56
ans). La sciatique évoluait depuis 2,7 mois en moyenne (10 jours à 6,5 mois).
Six d'entre eux ont été traités durant leur hospitalisation dans le service
de rhumatologie de l'Hôpital Edouard Herriot à Lyon (Pr E. Vignon), six
autres ont été suivis en ambulatoire à la consultation de vertébrothérapie.
Le suivi moyen après la dernière manipulation a été de 4,2 mois (1,5 à 10
mois).
Méthode. Il s'agit d'une étude prospective. Une fois le diagnostic
de névralgie sciatique affirmé et son origine discale authentifiée par un
examen tomodensitométrique (TDM), tous les malades ont été traités par
manipulations (1 à 3 au total, 2 en moyenne) effectuées par le même
opérateur.
Il va de soi
que seuls des malades ne présentant pas de contreindications aux
manipulations (cliniques, radiologiques, biologiques et / ou techniques) ont
été inclus dans l'étude. Les manipulations ont été réalisées à condition
qu'il existe un sens libre et non douloureux (4) (règle d'or de Robert
Maigne à respecter impérativement) en sollicitant l'unité fonctionnelle
vertébrale L4-L5 ou L5-S1 (6). L'impulsion (ou thrust) étant appliquée selon
la sémiologie clinique de type mécanique, en position assise en rotation du
tronc, ou en décubitus en rotation du tronc ou du bassin. Lorsque plusieurs
manipulations ont été réalisées, elles ont eu lieu en moyenne entre 5 et 7
jours d'intervalle (extrême 3 à 11 jours). Ce traitement a été réalisé en
association avec les autres thérapeutiques habituelles de la sciatique
commune : repos au lit, anti-inflammatoires non stéroïdiens, myorelaxants,
infiltrations épidurales cortisoniques (7 cas sur 12) et tractions
vertébrales (6 cas sur 12). Les manipulations vertébrales ont été proposées
après échec de ces traitements, devant la persistance de signes cliniques
objectifs, rachidiens et radiculaires, soit en première intention, soit
après l'échec des tractions.
Ainsi une
analyse sémiologique quantifiée a permis de mettre en évidence la valeur et
les possibilités thérapeutiques de la vertébrothérapie. Avant le traitement
et immédiatement après chaque manipulation ont été notés les critères
suivants : indice de Schober, distance main-sol, existence ou non d'une
inflexion antalgique, signe de Lasègue, présence ou non de troubles
neurologiques, impression générale de l'examinateur et du patient.
A l'issue de
la dernière manipulation, puis lors des visites ultérieures du suivi, les
résultats ont été classés en 5 groupes :
-
Très bons
résultats : guérison complète.
-
Bons
résultats : persistance d'une minime lombalgie et/ ou sciatalgie
d'effort n'empêchant pas une vie normale.
-
Résultats
moyens : lombalgie ou sciatalgie modérée empêchant de mener une vie tout
à fait normale.
-
Mauvais
résultats : absence d'amélioration significative.
-
Aggravation
: augmentation des douleurs et de la gène fonctionnelle.
Une amélioration
non significative (inférieure à 50 %) après deux manipulations a été
considérée comme un échec et a fait interrompre le traitement par
vertébrothérapie. Avant la mise en route du traitement et au cours des 72
heures suivant la dernière manipulation, un examen tomodensitométrique a été
réalisé au niveau des 3 derniers disques lombaires. Des reconstructions
verticales dans le plan frontal et/ou sagittal, ainsi que des
reconstructions obliques ont été réalisées en fonction de l'aspect et de la
localisation de la hernie discale, afin de mieux objectiver le conflit
discoradiculaire. Les clichés tomodensitométriques, avant et après
traitement, ont été examinés et comparés par deux médecins différents du
médecin manipulateur (Fig. 1a et b). Sur le plan anatomique, les anomalies
discales ont été classées selon l'étage intéressé (disque L4-L5 dans 4 cas
et L5-SI dans 8 cas) et le type de la hernie (hernie médiane : 1 cas, hernie
paramédiane : 4 cas, hernie postérolatérale : 5 cas, protrusion ou
discopathie asymétrique : 2 cas).
Ils ont été
appréciés sur les critères précédemment cités immédiatement après la
dernière manipulation, mais seuls les résultats confirmés lors de la visite
systématique 15 à 30 jours plus tard ont été pris en compte. L'indice de
Schober moyen est passé de +1,8 cm avant traitement à +3,1 cm après
traitement. La distance main-sol moyenne est passée de 43,5 cm à 26,3 cm.
Une inflexion antalgique était notée dans 7 cas (58 3 %) avant traitement et
seulement dans 1 cas (8,3 %) à la fin de celui ci. Le signe de Lasègue est
passé en moyenne de 43° à 72,5°. Enfin, les troubles neurologiques
extrêmement minimes (l’abolition du réflexe achilléen et deux discrets
déficits du releveur du premier orteil) ne se sont pas sensiblement
modifiés.
Au total, les
résultats obtenus ont été les suivants :
-
Très bons :
3 cas
-
Bons : 3 cas
-
Moyens : 2
cas 66,7 % d'amélioration
-
Mauvais: 3
cas
-
Aggravation
: 1 cas 33,3 % d'échecs
Soit 50 % de
bons et très bons résultats, 66,7 % d'amélioration et 33,3 % d'échecs. Parmi
les quatre échecs du traitement, deux patients ont été opérés. Une fois il
s'agissait d'une hernie exclue L5-S1, l'autre fois d'une hernie L4-L5
sousligamentaire. Un patient a été traité par nucléolyse, mais le recul est
encore insuffisant pour en présenter le résultat.
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Résultats tomodensitométriques
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Onze fois sur
douze, soit 91,7 % des cas, l'image tomodensitométrique ne s'est pas
sensiblement modifiée malgré une évolution clinique favorable dans 8 de ces
11 cas (72,2 %). A noter que dans un cas de discopathie asymétrique L5-S1,
on pouvait discuter sur le second scanner une discrète diminution du débord
discal, sans pouvoir formellement l'affirmer. En revanche, dans un cas (8,3
%) le scanner a objectivé une migration vers le haut de la hernie discale
dans le foramen.
Malgré le
petit nombre de patients traités (13) et le recul peu important (4,2 mois),
cette étude permet néanmoins de souligner deux notions importantes.
La
présence d'une hernie discale ne nous parait pas être une contreindication
à la pratique de manipulations vertébrales, à condition que celles ci soient
réalisées par un médecin vertébrothérapeute dans le respect strict des
grandes règles d'application (loi du mouvement contraire et de la non
douleur R. Maigne et absence de troubles neurologiques grave)s. En effet, un
seul incident est survenu au cours de notre étude, dû à la migration d'un
fragment discal dans le foramen. Cet échec de la vertébrothérapie a confirmé
l'indication chirurgicale déjà posée. Dans tous les autres cas, il n'y a pas
eu d'aggravation de la symptomatologie. Ceci est dû au respect strict d'un
protocole rigoureux d'exécution. Au contraire, dans 2/3 des cas, les malades
ont été améliorés au moins partiellement. La responsabilité exclusive des
manipulations ne peut, bien sûr, pas être affirmée, car tous les patients
recevaient par ailleurs les autres thérapeutiques habituelles de la
sciatique commune. Toutefois, l'instantanéité du résultat constatée
immédiatement après manipulation par les tests comparatifs de Schober, de la
distance main-sol et du Lasègue, conduit à créditer le rôle important de la
vertébrothérapie dans cette amélioration, dont les bilans ultérieurs
montrent la stabilité. Sentiment qui est encore conforté lorsque l'on sait
que le recours aux manipulations est souvent tardif, la plupart du temps
dans le décours d'une hospitalisation, après une longue période d'échecs,
des traitements classiques à visée uniquement symptomatique. Malgré ces
conditions défavorables, quant à l'application technique, la
vertébrothérapie permet encore d'obtenir une amélioration d'environ 70 % des
cas.
L'étude
tomodensitométrique permet quant à elle, d'affirmer qu'il est possible, au
moins dans certains cas d’agir directement sur la hernie discale par les
manipulations. Dans tous les cas qui ont été favorables, le contrôle
tomodensitométrique a montré l'absence de corrélation anatomo-clinique entre
le volume apparent de la hernie discale et la guérison obtenue par la
vertébrothérapie.
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Hypothèses sur le mode d'action des manipulations
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Nous sommes
loin de comprendre très exactement ce qui se passe dans les manipulations
vertébrales, leur succès qui ne se dément pas, l'intérêt croissant que leur
porte le corps médical, montre bien qu'elles sont efficaces. il faut essayer
de déterminer une approche méthodologique, la plus rigoureuse possible (8).
L'U.F.V. est un système biomécanique en équilibre fonctionnel, regroupant
dans un ensemble cohérent et schématique, les divers éléments anatomiques
situés entre deux vertèbres contiguës et responsables de l'apparition des
douleurs d'origine vertébrale mécanique (Fig. 2). L' U.F.V. peut subir des
phénomènes de décompensation responsables d'un dysfonctionnement mécanique
segmentaire qui entraîne une sémiologie clinique intéressant les divers
éléments du métamère concerné.
Les
manipulations vertébrales agiraient en rétablissant l'équilibre fonctionnel
au sein de l'U.F.V. et une biomécanique la plus proche possible de la
normale en fonction de la réversibilité des lésions antérieures. Dans la
sciatique commune, le facteur mécanique est représenté par la saillie du
disque intervertébral, expression du conflit disco-radiculaire, ce qui
permet d'admettre que l'action bénéfique de la manipulation puisse
intéresser dans un premier temps le disque intervertébral. Tout l'intérêt de
la vertébrothérapie est, en effet, de rendre à nouveau compatible les divers
éléments constitutifs d'un segment vertébral dans le défilé inter
disco-apophysaire tant en regard du récessus que du foramen. La hernie
discale peut se réduire, se déplacer, se placer dans une zone
asymptomatique.
Les données
récentes, apportées par la tomodensitométrie, la discographie, les
constatations opératoires et le résultat des nucléolyses, peuvent éclairer
le mode d'action des manipulations dans les sciatiques par conflit disco-radiculaire.
Certains canaux lombaires étroits limites restent parfaitement tolérés et
asymptomatiques, l'apparition d'une sciatique est provoquée par l'agression
surajoutée, d'un disque protrusif. Lorsque l'élément compressif est dominant
dans le déclenchement de la sciatique, la chémonucléolyse va permettre de
rendre ce canal lombaire étroit à nouveau parfaitement toléré pour la racine
sciatique. Dans le cas de sciatique par hernie discale, l'étude de ces
mécanismes étiopathogéniques peuvent aider à la compréhension du mode
d'action des manipulations. Lorsqu'elle est efficace, l'action de la
manipulation vertébrale, dans le traitement de la sciatique se situe
vraisemblablement d'une manière privilégiée au niveau du disque inter-vertébral.
Il n'est évidemment pas question d'espérer modifier le comportement d'une
hernie discale extériorisée au delà des possibilités d'action des
manipulations vertébrales.
On peut
admettre u ne diminution des contraintes et des pressions intra-discales
responsables de la saillie du nucléus ce qui va permettre d'agir sur les
rapports de contiguïté disque racine, permettant un retour à l'équilibre
fonctionnel par modification mécanique au niveau de la racine, des
phénomènes vasomoteurs et oedémateux dus à la compression du sac dural et
des plexus vasculaires. La persistance de signes compressifs aux examens de
contraste malgré la guérison clinique, peut s'expliquer par la rupture de
contiguïté des rapports disque racine. Si le retour à l'équilibre
fonctionnel peut s'effectuer spontanément chez certains malades, l'aide de
la manipulation vertébrale est nécessaire lorsque le seuil d'adaptation et
de régulation de l'U.F.V. se trouve être dépassé. L'action mécanique de la
manipulation au niveau des contraintes discales et des articulations
interapophysaires postérieures entraîne la cessation des afférences
douloureuses à convergence médullaire et leur répercussion ans le métamère
correspond, spécialement au niveau de la projection douloureuse du dermatome
et des contractures musculaires de défense et de protection, au niveau du
myotome. Les boucles de régulation et l'ajustement fonctionnel peuvent à
nouveau s'effectuer normalement, l'autorégulation étant une caractéristique
des êtres vivants. Une partie du fonctionnement du rachis l'est sur ce mode
automatique. Seule la pathologie d'origine vertébrale mécanique commune,
engendrée par les structures de l'Unité Fonctionnelle Vertébrale, peut être
traitée par l'application des manipulations vertébrales dont l'action se
situe au niveau de l'Unité Fonctionnelle Vertébrale concernée, responsable
de cette pathologie. Enfin, il faut rappeler que la médecine manuelle ne
peut se concevoir sans base étiopathogénique ; elle commence par un examen
clinique qui aboutit a un diagnostic étiologique qui fait proposer des choix
thérapeutiques, parmi lesquels peut se situer la vertébrothérapie. Seules
les études médicales permettent ce choix. L'indication, la décision
d'exécution, la surveillance de la vertébrothérapie doit rester un acte
médical. Toute manipulation faite en dehors du milieu médical doit être
proscrite.
Cette étude
prospective de 12 malades, traités par manipulations vertébrales, permet de
souligner les points suivants. La hernie discale n'est pas une
contreindication aux manipulations vertébrales. Pratiquées dans le respect
des règles d'application par un médecin expérimenté, les manipulations
vertébrales: permettent une amélioration de la symptomatologie dans 2/3 des
cas, ce qui est en accord avec les principales données de la littérature.
sont sans effet dans 1/4 des cas sans provoquer d'aggravation. L'absence de
corrélation anatomoclinique. Dans plus de 90% des cas, l'image
scannographique de la hernie discale n'est pas modifiée, même lorsque
l'évolution clinique est favorable.
En cas de
hernie discale, on peut supposer que les manipulations vertébrales
permettent une diminution des contraintes et/ou des pressions
intra-discales, provoquant un retour à l'équilibre fonctionnel par
modification des rapports de contiguïté disque racine. La mobilisation de la
hernie discale dans un de nos cas, prouve que les manipulations peuvent agir
directement sur la hernie et se place donc comme une thérapeutique
étiologique de la sciatique commune d'origine discale. Le traitement par
vertébrothérapie, lorsqu'il est médicalement indiqué et techniquement
possible après en avoir éliminé les contre indications, peut être proposé
précocement sans attendre un échec prolongé des thérapeutiques médicales
symptomatiques et avant toute kinésithérapie. Le résultat rapide et stable
de la vertébrothérapie dans 3/4 des cas, après deux à trois séances, doit
faire proposer cette thérapeutique étiologique, dans le cadre de l'arbre
d'orientation du traitement bien conduit de la sciatique par conflit
disco-radiculaire. La vertébrothérapie peut constituer un test thérapeutique
intéressant, avant d'envisager nucléotomie, nucléolyse, ou chirurgie
d'exérèse.
Les rares
incidents et le risque thérapeutique inhérent à tout traitement, doit faire
exclusivement réserver la pratique des manipulations vertébrales à des
docteurs en médecine entraînés et spécialisés.
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