image
image
image
image

 

Revue de Médecine Orthopédique. 1988;12:43-44.

 

Lombalgie par blindage cellulalgique lombaire

 

R. Maigne

 

 

La forme de lombalgie que nous isolons ici n'est pas très fréquente. Mais elle n'est pas exceptionnelle : nous avons pu en colliger une trentaine de cas en deux ans. Son intérêt vient de son caractère rebelle aux traitements usuels et de l'efficacité d'une thérapeutique appropriée. Le diagnostic en est purement clinique, basé sur l'examen palpatoire des plans cutanés lombaires.

 

 

I) La douleur

 

La douleur n'a pas de particularité notable. Elle est quotidienne, tenace, accentuée par les efforts, par certaines positions. La station assise est souvent mal tolérée. Le repos calme peu. Le patient est souvent mieux après un dérouillage progressif des lombes.

Chez la plupart de ces patients existe dans le passé des accidents de lombalgie aiguë ou de sciatique. Il s'agit parfois de sujets qui ont été opérés avec succès d'une sciatique discale. Il s'est installé chez eux progressivement, une lombalgie chronique qui n'est plus soulagée par les infiltrations, ni par les anti-inflammatoires, ni par la kinésithérapie qui irrite souvent, et ils supportent mal les lombostats.

Mais chez certains sujets, il semble n'y avoir jamais eu d'incident lombaire et la lombalgie semble s'être installée d'emblée telle qu'elle est avec une aggravation progressive et souvent un retentissement psychique.

L'échec des thérapeutiques, la négativité des diverses investigations paraissent jouer le rôle essentiel.

Cette lombalgie pénible, tenace est rarement très invalidante. Le sujet réussit le plus souvent à s'aménager dans son travail et ses activités. Mais il les limite à l'indispensable et se plaint.

 

 

II) Examen

 

Lorsqu'on demande au sujet de se pencher en avant, on note la limitation de ce mouvement qui s'accompagne d'une raideur lombaire basse. Dans certains cas, cette flexion antérieure se fait en lordose fixée. En revanche, il n'y a pas de déviation latérale.

 

Il y a assez souvent un signe de Lasègue lombaire : la recherche du signe de Lasègue provoquant de chaque côté une douleur lombaire.

 

Le signe caractéristique est fourni par la palpation des plans cutanés lombaires sur le sujet à plat ventre, bien décontracté. Il est impossible de saisir un pli de peau entre pouce et index et de réaliser une manoeuvre de "pincé-roulé", même en mettant les mains à plat, les doigts en opposition, on n'arrive pas à provoquer l'ébauche d'un plissement de peau. Les plans cutanés et sous-cutanés sont tendus, infiltrés, réalisant un véritable blindage médian et symétrique. Celui ci est plus ou moins étendu, n'occupant parfois que la région lombaire basse de L3 au sacrum sur une surface à peine plus large que la paume d'une main, ou au contraire s'étendant à toute la région lombaire. La partie médiane est la plus infiltrée, celle où les plans superficiels sont les plus adhérents aux plans pro­fonds ; à la région périphérique, on passe très vite d'une zone infiltrée à une zone normale où le pli de peau est facile à décoller et où les plans sous-cutanés sont souples et indolores. La pression avec la pulpe des doigts sur n'importe quel point de la zone concernée est douloureuse. Si on n'y prend garde, cela peut amener des causes d'erreur dans l'examen segmentaire. La pression axiale sur les épineuses est douloureuse sur tous les segments lombaires parce que cette manoeuvre comprime le tissu infiltré douloureux contre l'épineuse. Il en va de même pour la manoeuvre de pression latérale sur l'épineuse et pour la recherche d'une douleur articulaire postérieure.

Lors de l'examen dynamique en flexion antérieure, on a l'impression que c'est le non allongement des plans cutanés infiltrés qui limite le mouvement et empêche le déploiement des épineuses en éventail, raidissant le rachis lombaire et même parfois le fixant en lordose lors de la flexion du tronc.

 

 

III) Radiographies

 

Les radiographies n'ont rien de caractéristique. Ces sujets présentent fréquemment des images de discopathie dégénérative, parfois des signes d'arthrose articulaire postérieure, parfois des radios normales.

 

Ce qui est frappant, c'est la très longue et tenace évolution de cette lombalgie. Un de nos patients âgé de 35 ans souffrait depuis l'adolescence. Des évolutions sur 8 ou 10 ans sont fréquentes dans nos observations. Mais il nous est toutefois arrivé, sur quelques sujets, de constater à l'examen palpatoire systématique un tel "blindage" douloureux à l'examen alors que ceux ci ne se plaignent que d'une gêne lombaire très modérée.

 

 

IV) Diagnostic différentiel

 

Le "blindage" médian et symétrique est à différencier de l'infiltrat cellulalgique que nous avons décrit dans la "lombalgie d'origine dorso-lombaire''. Dans ce dernier cas, celui ci est unilatéral, il n'atteint pas la ligne médiane. Il se situe au niveau de la partie inférieure des lombes et au niveau de la partie supé­rieure de la fesse. Il peut exceptionnelle­ment se situer dans la région sous costale si ce sont les segments D7 ou D8 qui sont concernés et non les segments dorso­lombaires, comme cela est le cas habituel­lement.

Mais surtout, dans ces cas, le pli cutané est facilement saisi entre pouce et index. Même lorsqu'il est très épaissi, boudiné, le décollage des plans profonds est possible, ce qui n'est jamais le cas dans la lombalgie par "blindage cellulalgique".

 

 

V) Terrain

 

Le terrain paraît jouer un rôle chez plus de la moitié de ces patients. Il s'agit de sujets émotifs, anxieux ou dépressifs présentant un état de dystonie neurovégétative. Mais les traitements par psychotropes qu'ils avaient éventuellement suivis n'avaient guère influencé la lombalgie.

 

 

VI) Pathogénie

 

Il semble s'agir d'une réaction neurotrophique régionale et symétrique des tissus mous lombaires, les muscles ne semblant pas concernés. Mais nous n'avons pu déterminer l'élément déclen­chant de ce processus. Peut être s'agit il d'un processus au départ mécanique (discal ?) On retrouve chez la plupart des patients un élément mécanique ou micromécanique qu'ils rendent responsa­bles de leur lombalgie (effort, mauvaise position, faux mouvement). Mais il est bien difficile de dire si l'incident allégué a été le point de départ, ou simplement la première occasion où la douleur a été perçue. En tous cas, les infiltrations épidurales n'apportent pas plus que les infiltrations articulaires postérieures de soulagement appréciable.

 

Les manoeuvres de mobilisation et de manipulations lombaires butent (sauf en extension) contre une résistance, et n'apportent pas de modification sensible à l'état du sujet,

 

 

VII) Traitement

 

Le traitement approprié va pratiquement toujours apporter une amélioration notable et même souvent une disparition de la lombalgie. Il passe par trois stades.

 

a) Le premier consiste à infiltrer en nappe la région concernée avec de la procaïne à 1 % et de suite après, à faire des mobilisations très progressives des plans superficiels sur les plans profonds. Cela est très difficile au début, mais devient peu à peu possible, la région centrale étant la plus récalcitrante. Les manoeuvres se font au début par simple opposition des doigts des deux mains qui s'efforcent de provoquer un pli de peau, puis par la manoeuvre du ''pincé-roulé" qui est peu à peu réalisable. Toutes les techniques de "plissage", de pétrissage, de mobilisation des plans cutanés peuvent être utilisées. Au bout de séances, les plans cutanés commencent à pouvoir être décollés, peu à peu, ils se désinfiltrent, s'assouplissent. En même temps, le sujet se penche plus facilement en avant ; dans cette position la lordose fixée s'atténue, la cyphose normale commence progressivement à apparaître. A ce stade, les douleurs habituelles sont déjà très atténuées, et la gêne dans la vie courante a disparu.

 

b) C'est alors qu'on pratique des mobilisations lombaires en extension et éventuellement des manipulations de déraidissement des zones dorso-lombaires, dorsales, puis lombaires.

 

c) Une rééducation dans laquelle une attention particulière sera portée à l'étirement des plans postérieurs complétera le traitement.

 

Il arrive parfois, une fois disparu le blindage cellulalgique lorsque les plans cutanés et sous-cutanés sont redevenus souples, faciles à mobiliser, et indolores au "pincé-roulé", que le sujet bien que très amélioré souffre encore dans certaines conditions, aux efforts notamment. On découvre alors une cause articulaire postérieure ou discale que le traitement par infiltration, manipulation et rééducation va pouvoir améliorer, alors que ces traitements étaient inefficaces avant le traitement des plans cutanés.



image
 
image
image
image