Manipulations de la première côte (primocostale)
Georges
BERLINSON
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Nous avons
étudié dans un précédent article les manipulations des côtes reliées au
sternum, c'est à dire des côtes sternales. La manipulation de la
première côte est totalement différente, tant sur le plan technique que
conceptuel. Nous ferons d'abord un bref rappel anatomique puis
biomécanique afin de mieux appréhender les techniques manipulatives.
La première côte est située au carrefour cervico-thoracique et son
orientation fait qu'elle est cervicale en arrière et thoracique en avant. En
effet, elle est courte, large dans le plan transversal et mince dans le plan
frontal. C'est la seule côte qui soit plane alors que toutes les autres sont
le siège de courbures qui correspondent à leurs contraintes mécaniques.
Autrement dit, on peut poser à plat la première côte sur une table alors que
c'est impossible pour toutes les autres (Piganiol).
Elle
s'articule avec la transverse de T1 et à de rares exceptions avec C7-T1 et
le disque correspondant. En avant, elle s'articule avec le manubrium sternal.
Elle plonge donc en avant et en bas. Sous son angle postérieur, se niche le
ganglion stellaire, ce qui explique les troubles sympathiques fréquents
entraînés par sa dysfonction. L'insertion des scalènes qui laissent passer
entre eux l’axe vasculaire, font de la première côte un élément privilégié
de cette région. En arrière, la première côte est en rapport avec le plexus
brachial qui forme un véritable mur neurologique.
Nous pourrons
dire ainsi que le soulignait mon regretté Maître G. Piganiol : «la première
côte comporte trois segments : articulaire, musculaire, vasculo-nerveux dans
sa partie médiane et neurologique dans son tiers postérieur». Rappelons
également les rapports étroits avec le dôme pleural qui a fait dire de la
première côte qu'elle était la clef de voûte du dôme pleural (Bérard).
Les scalènes
s'insérant en haut jusqu'en C3, nous comprenons que toute dysfonction de la
première côte retentira sur le rachis cervical et vice versa.
La brièveté
de cette côte et sa situation au sommet de la pyramide thoracique font
qu'elle est peu mobile. Lors de la respiration, seule la contraction des
scalènes, qui sont des muscles respiratoires accessoires, la mobilise dans
un plan frontal.
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Eléments cliniques orientant vers une
dysfonction primocostale
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Je n'ai
trouvé dans aucun traité de description clinique ni de séméiologie
spécifique. Les signes que je vais décrire sont le fruit de longues années
de palpation et d'examen dynamique de patients consultant pour une
pathologie cervico-scapulaire ou cervico-brachiale. Cette description
n'engage que moi.
Interrogatoire. Le patient décrit une douleur dans la région
cervico-scapulaire et montre le plus souvent la région du trapèze. Dans de
rares cas, il signale que la douleur augmente lors de l'inspiration forcée
et dans ce cas, il montre une zone sus-claviculaire interne. Il est souvent
gêné lors de la rotation du côté opposé à la côte suspecte.
Palpation. En avant, l'index de l'opérateur se place le long du
bord supérieur de chaque clavicule. Il pourra ainsi palper la corde
éventuelle du scalène antérieur qui est contracturé dans le cas d'une
dysfonction costale. Cette palpation doit être menée avec douceur car cette
zone est très sensible. En arrière, le pouce appréciera une tension
différente d'un côté par rapport à l'autre mais n'oublions pas que la
palpation s'effectue à travers le trapèze qui est souvent contracturé et qui
est de toute façon très sensible. On évitera de se faire piéger par une
cellulalgie de C4 en faisant un pincé roulé et par la corde de l'angulaire
qui se trouve en bas et en dedans. La pression plus poussée du pouce mettra
en évidence une sensation de masse dure, bien ressentie par le patient par
le déclenchement d'une sensibilité qui n'existe pas de l'autre côté lorsque
l'on fait la même manœuvre. Ceci correspond au col de la première côte en
dysfonction. Pour les ostéopathes, elle serait «postérieure».
Avant d'aller
plus avant, je voudrais insister sur la situation de la première côte.
Lorsque je demande à nos élèves de la palper, ceux ci sont toujours beaucoup
trop médiaux ce qui explique la plupart des difficultés rencontrées lorsque
l'on aborde cette manipulation. La côte se trouve à plus de quatre travers
du doigt de la ligne médiane. Lorsque l'on place son pouce sur la face
latérale de l'apophyse épineuse de T1 et que l'on pose la main à plat sur le
scapulum, la côte se trouve au niveau de la première commissure (au niveau
de la première MP).
Examen dynamique. N’oublions pas que nous avons affaire à une «chaîne»
fonctionnelle dont tous les éléments sont interdépendants et il faudra
analyser avec soin, la responsabilité propre de chaque élément de cette
chaîne en cas de pathologie régionale. Mon ami L. Kruhmholz décrit une
technique d'examen qui est à la première côte ce que le signe de Piedallu
est au rachis lombaire.
Le sujet
étant assis, le dos tourné au médecin celui ci place ses pouces sur les
2 premières côtes et demande au patient de lever doucement ses bras
tendus jusqu'à la verticale puis il redescend doucement. Le médecin
pendant tout le mouvement suit la mobilité des deux côtes et outre une
modification lors de l'ascension (c'est un peu le signe de la baïonnette),
il note surtout un retard de l'abaissement de la côte en dysfonction.
Il a également
décrit un recul plus important de la côte suspecte lorsqu'il demande au
patient de tourner la tête à fond du même côte. Ces signes demandent
évidemment une grande habitude et une finesse de palper qui nécessitent de
longues années de pratique. Le Dr. P. Gabriel (Gand), rhumatologue, avec
lequel j'ai beaucoup travaillé, met en évidence une pathologie fonctionnelle
de la première côte de la façon suivante.
Le médecin
derrière le sujet place ses mains à plat sur chaque épaule, la première
commissure venant enserrer la côte. Exerçant une pression douce
verticale, de la même façon d'un côté puis de l'autre, on sent très bien
l'ascension libre de la côte «saine» alors que la côte pathologique ne
bouge que peu ou pas.
Reste la
question qui m'est posée chaque fois : comment savoir si l'on doit traiter
une côte «antérieure» ou «postérieure» ? La plupart des traités que j'ai
consultés et mon expérience m'inclinent à penser que dans l'immense majorité
des cas, il s'agit d'une côte postérieure, qu'il faut donc traiter d'arrière
en avant. En cas de doute, il est possible d'imprimer avec la paume afin de
ne pas être agressif, une poussée d'arrière en avant puis sous la clavicule
une pression antéro postérieure toujours à main plate (avec l'éminence
thénar). Dans ce cas, la manœuvre douloureuse nous donnera la conduite à
tenir, en respectant la loi de la Non Douleur de R. Maigne.
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Manipulation fondamentale en décubitus
dorsal
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Pour toutes
les techniques, nous prendrons comme type de description la manipulation de
la première côte gauche, ce qui simplifiera l'exposé.
La
manipulation en décubitus dorsal est une technique en antépulsion (fig.
1,2). Le sujet est en décubitus dorsal et l'opérateur à sa droite. Elle se
fait en quatre temps.
-
ler
temps : on relève le bras gauche du sujet afin de libérer la
première côte en relevant la clavicule. On place la main droite du sujet
sur son sternum afin de créer un contre appui antérieur tout en laissant
un vide au niveau de la région para-sternale gauche qui permettra la
mobilisation de la côte d'arrière en avant.
-
2ème
temps : l'opérateur glisse sa main droite sur le col de la côte
où elle prendra appui par son éminence thénar. Celle ci doit être placée
de telle sorte que l'angle interne de la scapula vienne s'inscrire
exactement dans l'angle radio-carpien de la main droite du médecin.
-
3ème
temps : on solidarise le coude droit du sujet dans la hanche de
l'opérateur, avant bras sur avantbras, main sur main, afin de réaliser
un bloc rigide.
-
4ème
temps : la manipulation s'effectue par un changement du poids
du corps du médecin qui roulera sur le patient et rencontrera ainsi le
seul point mobile : la côte qui viendra ainsi en avant en fin
d'expiration du sujet. Cette manoeuvre est très simple et c'est pour
cette raison que nous l'avons classée dans les manipulations de base.
Fautes à éviter
:
-
Mauvaise
position de la main postérieure.
-
Pulsion trop
lente et trop puissante qui écrase le patient.
-
Mauvaise
solidarisation corps de l'ensemble opérateur / coude patient / les 2
avant bras.
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Manipulation en rétropulsion
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Position du patient
et de l’opérateur : idem.
Le problème dans
ce cas est la nécessité de faire subir à la côte une pulsion d'avant en arrière.
Il faudra donc créer un vide postérieur en prenant appui en arrière non sur le
col mais sur l'extrémité supérieure du rachis thoracique. La préparation
initiale est la même mais l'éminence thénar de la main droite de l'opérateur
viendra prendre appui par son éminence thénar sur les épineuses de T1 et T4
(fig. 3,4).
On
placera l'index droit du sujet sous le bord inférieur de la clavicule gauche du
patient afin d'être dans l'axe de la côte après avoir relevé le bras gauche
comme précédemment La solidarisation opérateur-patient se fait comme auparavant
et la pulsion se fera d'avant en arrière en fin d'expiration par transfert du
poids du corps du médecin de son pied gauche sur son pied droit.
Note :
Cette manœuvre est très efficace pour la manipulation des premières
thoraciques. Il suffit de placer l'éminence thénar non sur les épineuses mais
sur les transverses du segment à manipuler. Par exemple, pour faire une
manipulation T2-T3, l'appui se fera sur la transverse de T3 qui subira une
contrainte d'arrière en avant alors que T2 par l'intermédiaire du scapulum
subira une contrainte d'avant en arrière. Nous aurons réalisé une technique
semi-médiate c'est à dire qu'un contrôle se fera sur la vetèbre et l'autre à
distance avec un bras de levier.
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Manipulation en position oblique (dite à la
Récamier)
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Cette technique
est très élégante mais demande une parfaite maîtrise du jeu corporel pour être
réussie. N'oublions pas que la côte plonge en bas et en avant. Le sujet est
assis, le dos tourné à l'opérateur. L'opérateur est debout derrière lui. Pied
droit sur la table (en position basse). Genou droit dans l'aisselle droite du
sujet. Celui ci garde le coude gauche collé au corps et pose sa main sur sa
cuisse gauche. La face postérieure du bras droit du médecin vient se poser par
sa partie médiane sur la scapula du sujet contre la face latérale droite du cou.
La main droite se pose légèrement sur l'occiput du sujet (fig. 5,6,7).
On placera
l'index droit du sujet sous le bord inférieur de la clavicule gauche du patient
afin d'être dans l'axe de la côte après avoir relevé le bras gauche comme
précédemment La solidarisation opérateur-patient se fait comme auparavant et la
pulsion se fera d'avant en arrière en fin d'expiration par transfert du poids du
corps du médecin de son pied gauche sur son pied droit.
Note : Cette manœuvre est très
efficace pour la manipulation des premières thoraciques. Il suffit de placer
l'éminence thénar non sur les épineuses mais sur les transverses du segment
à manipuler. Par exemple, pour faire une manipulation T2-T3, l'appui se fera
sur la transverse de T3 qui subira une contrainte d'arrière en avant alors
que T2 par l'intermédiaire du scapulum subira une contrainte d'avant en
arrière. Nous aurons réalisé une technique semi-médiate c'est à dire qu'un
contrôle se fera sur la vertèbre et l'autre à distance avec un bras de
levier.
L'opérateur bascule
ensuite le sujet sur le côté droit (45°) et vient poser sa main gauche sur la
première côte gauche. Pour le repérage, mettre en tension les scalènes gauches
et repérer leur insertion. Le pouce est au contact de la face latérale gauche de
l'épineuse de T1 par son extrémité pulpaire et la main posée sur le trapèze
gauche vient à la limite externe de ce dernier ce qui amène la côte dans la
première commissure.
On va réaliser un
mouvement d'ensemble par pivotement de l'opérateur sur son pied gauche. On
produira dans le même mouvement :
- Une rotation
droite de la tête du sujet ainsi qu'une latéro-flexion gauche qui
rapprochera l'occiput de la côte afin de détendre les scalènes. La main
droite ne s'appuie pas, elle ne fait que guider légèrement la tête
- Dans le même
temps, la main gauche de l'opérateur va effectuer une glissade en bas et en
avant tandis que le coude s'élève au zénith afin de bien imprimer à la côte
son impulsion en bas et en avant.
- Le «thrust»
doit être comme toujours sec, rapide et peu puissant. Au cours de la
manœuvre, le corps de l'opérateur subit une rotation droite.
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Manipulation en décubitus ventral
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Le s ujet est en
décubitus ventral, les bras pendants de chaque côté de la table. Celle ci est en
position basse. On place un petit coussin sous le menton. L'pérateur se place
sur le côté droit du patient.
Technique. On commence par une légère latéro-flexion droite du rachis
cervical associée à une discrète rotation de la tête. La mobilisation de
l'ensemble tête/cou du sujet est assurée par la main gauche de l'opérateur
tandis que sa main droite vient vérifier la mise en tension au niveau de la côte.
Pour les opérateurs entraînés, la localisation se «voit» car la peau «frissonne»
lorsque la localisation est correcte (au niveau de la côte). Dès lors, sans
modifier la position de la main gauche, l'opérateur exerce une pulsion sèche et
rapide par son éminence thénar sur le col de la côte (fig. 8,9).
Le
bras droit doit être tendu et l'impulsion manipulative sera obtenue par un
transfert du poids du corps de l'opérateur de son pied droit sur son pied gauche
(la pulsion est faite en fin d'expiration).
Fautes à
éviter
- Augmenter la
rotation lors de la mise en tension et de la manipulation ce qui
entraînerait une manipulation cervicale. Pour éviter de solliciter la
sous-occipitale, la main gauche doit rester fixe, contre le cou du sujet et
n'exercer aucune action ;
- Bras non
tendu, avec pulsion «lourde» ce qui écrase le sujet ;
- Absence de
jeu corporel, le bras n'est plus en bonne position. Comme dans toutes les
manœuvres, et plus encore celles en décubitus ventral, la pulsion doit être
de faible amplitude, très rapide et très sèche (low amplitude - high
velocity). Manipulation en décubitus latéral.
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Manipulation en décubitus latéral
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Technique. Cette technique ressemble à la manœuvre dite «en mandoline».
Nous n'insisterons donc pas sur le positionnement préalable qui est bien connu.
Pour la première côte gauche, le sujet est sur le côté droit. La localisation se
fait en extension comme pour une jonction cervicothoracique. Comme pour la
technique oblique, on rapproche l'occiput de la côte avec la main gauche,
mobilisatrice et le pouce viendra sur le col de la côte dès que la mise en
tension sera perçue au bon niveau (fig. 10).
Fig.
10
La pulsion
manipulative sera effectuée de la même façon en fin d'expiration en envoyant la
côte en avant et en bas par transfert du poids du corps sur le pied gauche.
Fautes à
éviter :
- Mauvaise
localisation
- Le pouce
n'est pas sur la côte
- Pas de jeu
corporel. Il faut oublier la main !
Contrairement à
ce que l'on pourrait penser, cette manœuvre bien réalisée n'est ni brutale, ni
douloureuse.
Technique
: La table est en position basse. Sujet : assis, tournant le dos à
l'opérateur, les fesses au dernier quart de la table. Les jambes sur la table ou
pendantes. Opérateur : debout, derrière le sujet, le pied gauche sur la table.
Contrôle scapulaire, comme pour un Nelson (fig. 11).
On
mobilise le sujet en arrière, jusqu'à ce que la face médiane du genou de
l'opérateur vienne au contact de la première côte gauche.
Mise
en tension, sans perdre le niveau. La pulsion se fera par une rapide pulsion
postéro-antérieure du genou, en fin d'expiration (fig. 12). Pour les opérateurs
«osseux», le genou pourra être couvert d'une petite serviette pliée.
Fautes à éviter :
- Sujet trop
loin ou trop près de l'opérateur, le genou ne peut pas être au bon endroit,
- Utiliser
l'apex du genou. A réserver aux patients que l'on ne désire pas revoir !
- Comme
toujours, pulsion mal dosée et trop lente.
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Manipulation en retropulsion assise
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Cette technique
m'a été enseignée par mon ami, le Dr Krumholz. Nous voulons imprimer une pulsion
d'avant en arrière à la première côte gauche. Le sujet est assis, le dos tourné
à l’opérateur. L'o pérateur est debout, derrière le sujet, les genoux fléchis.
Il passe son bras gauche sous l'aisselle du sujet et demande à ce dernier de
laisser aller sa tête sur son épaule gauche et place son pectoral droit contre
l'hémithorax droit du sujet afin de créer un vide à gauche. Son éminence thénar
gauche vient ensuite au contact de la première côte gauche sous la clavicule. Le
bras droit du médecin vient passer audessus de l'épaule droite du sujet ce qui
permet à la main droite de venir renforcer la main gauche en se posant dessus
(fig. 13,14,15)
Puis, il se
redresse en imprimant au sujet une flexion ventrale et une discrète latéro-flexion
gauche, jusqu'à ce qu'il sente la localisation sous la main gauche. A ce moment,
pulsion en arrière et en dehors par transfert sur le pied gauche. Le corps de
l'opérateur subit une légère rotation gauche. La manipulation se fait en fin
d'expiration.
Retenons
l'importance de la première côte dans la biomécanique du complexe
cervico-scapulaire. Toutes les techniques manipulatives ont un point commun :
mobiliser la côte dans un plan oblique à 45°. En général, il s'agit d'une côte
postérieure, c'est à dire qu'il faut imprimer une pulsion postéro-antérieure.
L'expérience m'a
montré que la principale difficulté de nos élèves résidait dans la localisation
de la côte. Ceci s'ajoute au fait qu'il n'existe aucune description précise de
la séméiologique des dysfonctions primo-costales.
Nous comprenons
les discussions qui subsistent entre les médecins manipulateurs, certains
n'hésitant pas à déclarer que « la première côte, cela n'existe pas ».
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