Cahiers du Collège de Médecine, 1968;9:1029-36
Bases
physiopathologiqes des traitements
par
manipulations vertébrales
R Maigne
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La manipulation est une mobilisation passive forcée qui
tend à porter les éléments d'une articulation ou d'un ensemble
d'articulations au-delà de leur jeu habituel, jusqu'à la limite de leur jeu
anatomique possible. Elle consiste, au niveau du rachis, lorsque l'état de
celui-ci le permet et le nécessite, à exécuter des mouvements de rotation,
de latéroflexion, de flexion ou d'extension, isolés ou combinés, sur le
segment vertébral choisi. Ces mouvements sont donc des exagérations des
mouvements physiologiques segmentaires de la colonne.
Nous avons montré que la manipulation doit s'effectuer
en deux temps distincts :
- Une « mise en tension » progressive et lente du segment jusqu'à la
limite possible permise par la résistance des éléments périarticulaires
et surtout musculaires (figure 1).
- Ce point étant atteint et maintenu, il est fait une brusque
exagération du mouvement, très limitée dans sa course et qui doit être
évidemment très contrôlée. Ce dernier temps de la manipulation
s'accompagne d'un bruit de craquement analogue à celui que l'on obtient
par traction brusque sur les doigts par exemple. Cela signifie que la
résistance tonique à l'étirement des éléments périarticulaires a été, un
court instant, dépassée et non pas, comme le pensent les patients et
même certains opérateurs, que quelque chose s'est remis en place.
Fig. 1 : Ce schéma montre les différences
qu'il y a entre un mouvement actif, un mouvement passif et une manipulation.
La manipulation s'exécute à partir de la «mise en tension ». Ce point
correspond à la limite extrême du mouvement passif. Le mouvement manipulatif
doit être très mesuré, mais suffisamment puissant pour vaincre la résistance
tonique des éléments périarticulaires. Trop puissant ou trop important, il
va dépasser la limite anatomique possible et créer une entorse ou une
subluxation.
Cette manœuvre, malgré les apparences, ne doit jamais
être violente et en aucun cas douloureuse. Elle va avoir trois effets
possibles :
- Restaurer une mobilité normale dans une articulation enraidie, comme
le feraient, avec moins d'efficacité, des mobilisations passives
classiques, lorsque l'articulation considérée a perdu un peu de son jeu
articulaire sans pour autant présenter de dérangement mécanique.
- Remédier à un éventuel dérangement mécanique réversible, par exemple
libérer un blocage méniscal du genou.
- Provoquer par l'étirement brusque sur les muscles et sur des
éléments aussi innervés que la capsule articulaire, les ligaments et les
éléments tendineux, une action réflexe et vasomotrice et une détente
musculaire.
Pour comprendre l'action favorable des manipulations
dans certaines douleurs d'origine rachidienne, il paraît indispensable de
connaître le mécanisme de celles-ci. Or, il faut bien avouer notre ignorance
devant le mécanisme physiopathologique du torticolis, de la dorsalgie, de la
lombalgie et de la coccygodynie, pour ne citer que quelques exemples qui
sont pourtant des affections de grande banalité. Même la sciatique discale,
qui est la mieux connue des affections mécaniques courantes du rachis,
comporte encore beaucoup d'éléments obscurs. Et cependant, les progrès de la
physiopathologie vertébrale nous font mieux connaître les structures
vertébrales susceptibles de « dérangement », de «lésions mécaniques » et les
douleurs qui peuvent y être liées.
A) Anatomie
Il est commode, comme le fait Junghanns, de considérer
que la colonne vertébrale est constituée d'un ensemble de « segments mobiles
» dont la somme représente la mobilité totale du rachis. Il appelle «segment
mobile » ce qui est compris entre deux vertèbres adjacentes, c'est-à-dire
d'une part le disque en avant, les articulations postérieures en arrière et
d'autre part les moyens d'union et de soutien : ligament commun antérieur,
ligament commun postérieur, ligament jaune, ligament interépineux et
surépineux. Il faut ajouter à ces éléments les muscles qui font mouvoir et
les nerfs qui les commandent (figure 2).
Fig. 2.
Le segment mobile vertébral (d'après Junghanns)
- Lorsqu'on introduit un mouvement de flexion dans ce segment
rachidien, il se produit un glissement léger du noyau en arrière, les
bords antérieurs des plateaux se rapprochent, les bords postérieurs
s'écartent, les articulations postérieures divergent, tandis que les
ligaments interépineux se trouvent tendus et limitent le mouvement. Il
en va de même des muscles extenseurs du segment, qui sont eux aussi
soumis à l'étirement.
- Lorsqu'on introduit un mouvement d'extension, c'est l'inverse qui se
passe : le noyau glisse légèrement en avant, les plateaux s'écartent à
leur partie antérieure tandis que les épineuses se rapprochent et
viennent au contact.
- Les mouvements de torsion dont l'amplitude est très variable, selon
les différents étages du rachis, en fonction de la forme et de
l'orientation des articulaires postérieures, sont très fréquemment
associés aux mouvements de latéroflexion et même bien souvent ne sont
possibles que combinés avec ceux-ci. Lorsqu'on pratique un mouvement de
manipulation dans l'une de ces directions, on amène le segment mobile le
plus sollicité à la limite de son jeu anatomique possible, en faisant
jouer les éléments articulaires au maximum et en étirant également au
maximum les muscles antagonistes du mouvement.
Ceci nous amène à étudier en détail les différents
éléments du "segment mobile", à considérer les différents dérangements
mécaniques dont il peut être atteint et les douleurs dont ils peuvent être
responsables et l'action possible du mouvement manipulatif sur eux.
Confrontées avec les observations que nous pouvons faire dans la pratique
des traitements par manipulations, ces données nous permettront de mieux
comprendre leurs bases physiopathologiques:
1) Le disque intervertébral
Le disque est composé de deux parties, l'une
périphérique : l'anneau fibreux (annulus fibrosus), l'autre centrale le
noyau gélatineux (nucleus pulposus).
Il est formé de lamelles fibro-cartilagineuses
concentriques. Les fibres de chaque lamelle sont obliques et d'obliquité
inverse d'une lamelle à l'autre. Cet entrecroisement permet une meilleure
résistance dans les mouvements de torsion. Cet anneau s'insère sur le corps
vertébral. Les fibres qui s'insèrent sur le bourrelet marginal, que l'on
appelle fibres de Sharpey, sont particulièrement résistantes. Le point le
plus faible de l'anneau fibreux se situe au niveau de sa partie postérieure.
Il est extensible et absorbe élastiquement les forces de pression qui lui
sont transmises par le noyau central, tout en maintenant solidement les
vertèbres au contact.
C'est un noyau gélatineux qui siège un peu en arrière
du milieu du disque, à l'union des 2/3 antérieurs et du 1/3 postérieur. Ce
noyau est déformable et incompressible. Il se comporte comme une poche d'eau
gardant le même volume total, servant de ronde aux mouvements
intervertébraux, et transmettant intégralement les pressions qu'il reçoit à
l'anneau fibreux.
Il présente en outre une tension interne qui lui est
propre (Hirschberg, Schrader). Le degré de cette tension interne, comme
d'ailleurs son élasticité, sont directement liés à sa teneur en eau. Très
riche en eau chez le nouveau-né : 88 %, le noyau se déshydrate
progressivement : 80 % à 14 ans, 70 % à 70 ans. L'anneau fibreux se
déshydrate relativement moins : 79 % à la naissance : 70 % chez le vieillard
(Keyen, Compere et Puschert).
Le disque n'est pas vascularisé chez l'adulte. Sa
nutrition est assurée par ses propriétés osmotiques au travers des plaques
cartilagineuses dit corps vertébral. Aussi le gonflement correct du disque
dépend de la perméabilité des plateaux cartilagineux et du pouvoir osmotique
du noyau. Une altération dans le facteur d'imbibition amène, comme l'ont
montré Henry et Mitchell, une instabilité intervertébrale.
L'innervation du disque n'est pas très bien connue. Il
est certain que le noyau n'est pas innervé, non plus que les fibres
profondes de l'annulus, mais il semble cependant à la plupart des auteurs
que le nerf sinuvertébral, qui innerve le ligament longitudinal postérieur,
innerve aussi les fibres périphériques de l'annulus, tour au moins dans sa
partie postérieure.
2) les articulations postérieures
Leur forme et leur orientation varient selon les
différents étages du rachis. Les techniques manipulatives doivent tenir
compte de ces orientations. Elles déterminent l'amplitude et la direction
des mouvements de chaque segment intervertébral.
Elles sont maintenues par une capsule articulaire
dense, assez élastique, qui les recouvre comme une coiffe. Cette capsule,
selon certains auteurs allemands, peut donner naissance à des petits
ménisques semi-lunaires qui pénètrent dans l'espace articulaire ; comblé de
coussinets adipeux (Schmnicke et Santo, Emminger et Zuchswerdt). Les
recherches que nous avons faites sur une série de 12 rachis lombaires frais
ne nous ont pas permis de mettre en évidence ces ménisques, sauf dans une
articulation où une formation correspondait à cette description. Peut-être
s'agit-il d'une faute technique de notre part. Mais J.-P. Toussaint et P.
Falbeck, qui les ont recherchés au niveau du rachis cervical, n'ont pas été
plus heureux que nous.
Dans le travail de thèse que nous avons suggéré à
Freudenberg et que celui-ci réalisa sous la direction de C. Gillot, il
montra l'existence de fréquentes anomalies des surfaces articulaires des
articulations lombo-sacrées et tout particulièrement l'existence de crêtes
transversales transformant parfois la surface une surface à facettes. Dans
ces cas, reproduisant sur pièce anatomique un mouvement de flexion
antérieure, Freudenberg a pu constater que si l'on ajoute un certain degré
de latéroflexion et de rotation, la flexion s'exécute avec un ressaut et
même parfois le mouvement se bloque au moment du retour à la position
normale. C'est peut-être l'explication de certains «blocages» ou accrochages
lombaires qui rompent le déroulement harmonieux du mouvement et provoquent
un retentissement douloureux sur les structures articulaires discales et
musculaires.
La capsule de ces articulations est l'élément le plus
innervé de toute la colonne vertébrale (Luschka, Tondury). Cette riche
innervation correspond à la nécessité de permettre à l'appareil de soutien
proximal et distal de s'adapter aux nombreuses variations de tension
auxquelles la capsule est continuellement exposée (Alois, Brügger). Cela
explique pourquoi des dérangements mineurs de ces articulations peuvent
avoir un retentissement douloureux marqué.
3) Le système ligamentaire et
musculaire
a) Les ligaments
- Le ligament longitudinal antérieur forme un long réseau fibreux
allant du tubercule antérieur de l'atlas au sacrum Il ne s'insère pas
sur le listel et passe en pont sur la partie antérieure du disque. Il
est très résistant, généralement respecté dans les tassements
vertébraux.
- Le ligament longitudinal postérieur au contraire du ligament
antérieur s'insère sur le disque au niveau duquel il s'élargit, tandis
qu'il se rétrécit au niveau du corps vertébral. Il renforce le disque en
arrière.
- Le ligament interépineux, qui relie les apophyses épineuses entre
elles, est très important dans la stabilité du rachis. Il est renforcé,
surtout au niveau du rachis dorsal et lombaire, par le ligament
surépineux.
b) Les muscles
Ils sont l'élément moteur du segment mobile, qu'il
s'agisse des muscles paravertébraux aux faisceaux courts, à action directe,
ou des muscles longs, agissant à distance. Le bon fonctionnement du segment
mobile exige une parfaite synergie des différents muscles. Un mouvement non
prévu, mai estimé, peut amener une mauvaise répartition des forces sur le
joint intervertébral ; certains éléments de ce joint, étant donné
l'importance des bras de leviers, ont alors à subit une traction ou une
pression considérable, dépassant leur capacité dé résistance. C'est cette
bonne synchronisation musculaire que l'on doit rechercher, lors de la
rééducation gymnique du rachis, encore plus que l'augmentation de la force
de tel ou tel groupe musculaire.
4) Le trou de conjugaison
C'est plus un petit canal qu'un trou. Il est formé par
la superposition de deux pédicules voisins ; il est limité en arrière par
les apophyses articulaires postérieures, en avant par la partie
postéro-latérale des disques et des corps vertébraux. Ce canal est tapissé
par un faisceau fibreux, intimement lié aux lamelles de l'annulus et à la
capsule des articulations postérieures. Macroscopiquement, la racine
antérieure (motrice) et postérieure (sensitive) fusionnent dans le canal,
mais microscopiquement, elles sont encore séparées à la sortie du trou de
conjugaison. La racine postérieure présente le renflement du ganglion
rachidien. Le nerf sinu-vertébral, qui porte le nom de Luschka qui l'a le
premier décrit (1850) (ramus meningeus nervi spinalis), semble jouer un rôle
très important dans la pathologie douloureuse du rachis. Hovelacque, puis
Lazorthes ainsi que Kimmy lui consacrèrent d'importants travaux. Ce nerf est
formé par la jonction de deux racines, l'une spinale, l'autre sympathique.
Il naît de la racine en dehors du canal de conjugaison, puis y pénètre selon
un trajet récurrent. Le paquet vasculaire est fait d'un volumineux plexus
veineux et d'une petite artère radiculaire. C'est l'irritation ou la
compression des éléments de ce canal par les différents dérangements du
joint intervertébral qui est responsable de nombreux désordres douloureux,
d'origine rachidienne.
B) Douleurs qui
peuvent être liées aux différents éléments du segment mobile
1) Généralités
Ayant étudié la sensibilité des différentes structures
anatomiques vertébrales à l'étage lombaire et à l'étage cervical chez des
patients conscients, sous anesthésie locale, Wiberg donne les conclusions
suivantes pour le rachis lombaire :
- La pression sur le ligament jaune n'est pas douloureuse, sauf si la
pression trop forte se transmet au disque adjacent.
- La pression sur la surface postérieure du disque et du ligament
postérieur provoque une douleur lombo-sacrée dans tous les cas. C'est
une douleur profonde latéralisée du côté de l'excitation.
- La pression directe sur la racine nerveuse provoque une vive douleur
dans le territoire du dermatome correspondant.
- Après anesthésie de la racine, il est toujours possible de produite
la douleur par pression sur le disque.
Cloward, reprenant les expériences de Wiberg, parvient
aux mêmes conclusions et obtient, par excitation des fibres superficielles
de l'hémidisque lombaire, des douleurs irradiant à la région sacro-iliaque,
à la hanche, à la fesse du même côté et conclut que ces douleurs sont le
fait du nerf sinu-vertébral qui innerve les fibres périphériques du disque
et des ligaments qui l'entourent. Il différencie cette douleur « discogène »
de la douleur
«neurogène» de la racine rachidienne. Dans les
discographies, si le disque est normal, une quantité de 0,2 à 0,3 ml de
liquide opaque ne provoque, dit-il, aucune douleur ; mais si les fibres de
l'annulus sont déchirées, permettant à la solution opaque injectée sous
pression de gagner la périphérie du disque, la douleur existe.
Sa1ocalisation, son caractère et son intensité
dépendront de la situation et de l'étendue de la déchirure discale.
Cette opinion est controversée. Pratiquant 148
discographies sur 50 jeunes volontaires indemnes de douleurs
vertébrales, Earl P. Hott a pu montrer que l'injection
intradiscale de liquide de contraste était régulièrement
douloureuse et n'était pas liée à une déchirure
éventuelle de l'annulus.
Il n'en reste pas moins que tous les auteurs sont
d'accord pour reconnaître que la piqûre de la superficie du disque par
l'aiguille de discographie, ou toute autre excitation mécanique ou
électrique, provoque des douleurs régionales. Il est intéressant de noter
qu'au niveau du rachis cervical où l'expérience est plus facile, on a pu
noter que ces douleurs projetées étaient différentes s'il s'agit de la
partie antéro-latérale de l'annulus ou de la partie postéro-latérale
(Cloward, Herbert) :
- La pression sur la partie superficielle du disque dans sa partie
postérieure et postéro-latérale produit une douleur, même lorsque la
racine nerveuse est anesthésiée. Cette douleur est latéralisée. du côté
excité et se projette régionalement : épaule, haut du bras (Falcone, Mac
George, Berg, 1949 ; Wilberg, 1949 ; Cloward, 1952).
- Au contraire, la pression de la partie antéro-latérale des disques
cervicaux provoque une douleur musculaire interscapulaire analogue à
celle obtenue en irritant la racine motrice (Cloward, 1960 ;
Fryckholin). Pour ces auteurs, cette douleur serait musculaire.
2) Douleurs provenant de la
souffrance des articulations postérieures
Ayant excité la capsule des articulations postérieures
au cours d'interventions pratiquées sous anesthésie locale, Taillard a pu
provoquer des douleurs irradiées qui présentaient une topographie,
pseudo-radiculaire. Les irradiations sont retrouvées par l'irritation que
provoque une aiguille d'injection au niveau de ce massif articulaire
postérieur. Et, comme certains auteurs (Brügger), nous avons vu disparaître
des douleurs irradiées après injection de novocaine ou d'hydrocortisone au
niveau d'une articulation postérieure. L'irradiation est fréquemment
lombo-fessière pour le rachis lombaire moyen et vers la crête iliaque et la
face postérieure de la fesse et de la cuisse pour les articulations
postérieures du rachis lombaire inférieur.
3) Douleurs provenant de la
souffrance du ligament interépineux
Kellgren, en injectant quelques gouttes de sérum salé
hypertonique à 6 p. cent dans les ligaments interépineux, la peau étant
anesthésiée, a pu provoquer des douleurs locales et à distance. La
topographie de ces douleurs est à peu près superposable à celle des racines
rachidiennes correspondantes avec cependant quelques différences au niveau
des membres. L'infiltration du ligament L1, par exemple, provoque une
douleur dans un territoire qui est celui de la racine L1. Mais cette douleur
ressemble aussi à celle de la colique néphrétique et s'accompagne d'une
rétraction du testicule et d'une contracture douloureuse de la partie
inférieure de la paroi abdominale. Or, selon Kellgren et Lewis, la douleur
est indépendante du mode de stimulation.
Il est donc tour à fait logique de penser qu'un
ligament intervertébral, soumis à une irritation mécanique, tiraillement par
exemple, puisse déterminer une douleur locale et à distance, selon une
topographie voisine de celle de la racine rachidienne correspondante sans
que cette racine soit directement touchée. Si la douleur interépineuse est
liée à un « dérangement intervertébral » que la manipulation peut faire
cesser, elle peut ainsi, normalisant la fonction articulaire, soulager la
souffrance de ce ligament et faire disparaître les douleurs qui y sont
liées. On trouve fréquemment en clinique une souffrance du ligament
interépineux dans les séquelles de hernie discale. Le soulagement,
temporaire mais franc, qu'apporte sa novocaïnisation met alors en évidence
sa fréquente responsabilité dans la lombalgie résiduelle.
C) Les lésions
mécaniques possibles du segment mobile
Elles consistent, dans le cadre de celles qui nous
intéressent en thérapeutique manuelle, c'est-à-dire de celles qui sont
mineures et réversibles, en enraidissements segmentaires et en dérangements
mécaniques mineurs auxquels il faut sans doute ajouter des dérangements
purement fonctionnels sans lésion anatomique.
1) Les enraidissements
vertébraux segmentaires
Par manque d'exercice, par microtraumarismes répétés,
par troubles statiques ou mauvaises positions de travail, certains segments
vertébraux perdent leur mobilité normale. Mais cette perte de mobilité est
aussi la conséquence normale du vieillissement du disque : le nucleus se
déshydrate, ses structures se détériorent, ce qui entraîne l'ostéophytose
vertébrale et favorise l'arthrose articulaire postérieure.
On connaît les effets favorables de la mobilisation
passive sur les articulations des membres atteints d'arthrose, lorsque
celle-ci n'est pas trop importante et en dehors des poussées inflammatoires.
L'utilité d'une telle action se révèle surtout sur les phénomènes
périarticulaires qui accompagnent très régulièrement les lésions
dégénératives d'arthrose vertébrale. Cette action de la manipulation n'est
pas tellement différente de celle qu'on obtiendrait par une mobilisation
passive normale. Mais la mécanique vertébrale est telle que lorsqu'un
segment de la colonne se trouve atteint c'est évidemment lui qui aura le
moins tendance à être mobilisé lorsqu'on imposera un mouvement passif global
à la région considérée. Celui-ci portera sur les segments sus et
sous-jacents, plus mobiles, et pas ou peu sur celui que l'on désire
atteindre. Seule la mobilisation très élective et poussée que permet
lamanipulation permet de faire porter le mouvement sur l'étage voulu. C'est
ainsi qu'il est courant de voir un sujet qui depuis des mois ne peut tourner
le cou pour faire une marche arrière, être immédiatement libéré par une
manipulation bien adaptée. Il est souvent très utile, avant d'entreprendre
une gymnastique rééducative du rachis, d'assouplir les zones raides par
quelques séances de manipulations progressives.
2) Les dérangements mécaniques
mineurs
Lorsque la manipulation soulage un sujet qui s'est créé
une douleur vertébrale par effort ou faux mouvement, il est commode, comme
hypothèse de travail, de considérer qu'elle a remédié à un dérangement
réversible. Les premiers manipulateurs attribuaient leurs succès
thérapeutiques à la remise en ordre de « subluxations vertébrales ». La
meilleure connaissance de la pathologie vertébrale et les progrès de la
radiologie ont montré l'inexactitude d'une celle conception. Par contre,
l'étude de la pathologie discale a fait entrevoir l'espoir d'une explication
rationnelle de l'action des manipulations. Nous verrons que,
malheureusement, elle n'apporte pas encore toutes les clartés souhaitées.
Quels sont donc les dérangements mécaniques
susceptibles de survenir au sein du segment mobile ?
a) Au niveau du disque
- Le blocage intradiscal
Le degré le plus léger de dérangement discal est rendu possible par une
déchirure incomplète de l'anneau fibreux. Au cours d'un mouvement et
surtout au cours d'un effort tronc fléchi, un fragment du nucleus peut
s'incarcérer dans cette fissure de l'anneau déchiré. Le bombement que
cela occasionne sur la partie postérieure du disque et sur le ligament
commun postérieur - et peut-être, par leur intermédiaire, contre la
dure-mère - est douloureux car ces éléments sont très innervés. Il est
communément admis que ce blocage intradiscal peut provoquer le lumbago
aigu ou être responsable de la plupart des lombalgies chroniques (De
Sèze). Même si ce blocage intradiscal postérieur ne provoque pas
directement de phénomènes douloureux, il fait bailler en arrière
l'espace intervertébral et surtout crée un dysfonctionnement du segment
mobile en modifiant le centre du mouvement et les bras de levier qui
jouent sur les autres éléments : articulaires postérieurs et ligament
interépineux notamment. On peut donc créer d'une manière indirecte une
douleur due à la souffrance d'un de ces éléments.
- La hernie discale
A un degré de plus, c'est la hernie discale. Le noyau gélatineux fait
irruption à travers l'anneau fibreux rompu. Il vient alors comprimer la
racine nerveuse en regard de laquelle il vient généralement faire
hernie. Cette hernie discale s'accompagne d'une forte réaction
congestive locale qui est responsable d'une part des symptômes. On sait
que la hernie du disque L5-Sl comprime la racine S1, tandis que celle du
disque L4-L5 comprime la racine L5. Mais une grosse hernie peut
comprimer deux racines ou même à l'étage lombaire les racines de la
queue de cheval.
b) Au niveau des articulations postérieures
De nombreux auteurs ont attiré l'attention sur le rôle
de ces articulations dans la pathologie douloureuse des rachis (Guntz,
Keller, Putti, Brochet, Hadley, Harris et Mac Nab, Taillard, Vilaresca et
Barcelo, Lazorthes, etc.). Pour certains (Junghanns) il peut se produire un
blocage d'une de ces articulations par coincement de franges graisseuses ou
de villosités articulaires. Emminger, Zuchswerdt pensent que les petits
ménisques interapophysaires qu'ils ont décrits peuvent se plisser, se
déchirer. Mais nous avons vu que leur existence ne peut être tenue pour
certaine, ou tout au moins pour constante. Nous ajouterons au niveau de la
région lombaire tout au moins les blocages que permettent certaines
anomalies des articulaires postérieures que nous avons signalées plus haut.
Tout cela implique une souffrance aiguë de cette petite articulation surtout
si les autres éléments du joint intervertébral conservent leur mobilité ;
chaque mouvement retentit alors douloureusement sur l'articulation lésée,
d'autant que la capsule de ces articulations est l'organe le plus innervé du
rachis (Tondury, Lazorthes). Il y a certainement là une explication à de
nombreuses douleurs vertébrales provoquées par des faux mouvements et dans
lesquelles le rôle du disque ne peut être invoqué sans quelques réticences.
D'ailleurs en dehors même de l'existence des lésions
anatomiques on peut évoquer des phénomènes d'entorse de ces articulations.
C'est bien l'opinion de G. Lazorthes qui écrit : « Les algies rachidiennes
et paravertébrales relèvent généralement de conflits disco- ou
arthro-radiculaires. Mais certaines constatations cliniques et certains
résultats thérapeutiques démontrent que cette hypothèse ne peut pas
expliquer toutes les algies vertébro-radiculaires ». Il montre que la
branche postérieure des nerfs rachidiens est solidaire de l'arc vertébral
postérieur. Elle se distribue aux articulations interapophysaires, aux lames
vertébrales et aux muscles du dos, du vertex au coccyx... La richesse de
l'innervation apophysaire vertébrale fait présumer que la douleur prend le
plus souvent origine au niveau des articulations postérieures... « L'œdème,
les atteintes capsulo-ligamentaires, l'hématome périarticulaire, sont autant
de facteurs d'irritation de la branche postérieure plaquée contre
l'articulation ».
D) Actions de
la manipulation
Il nous faut l'envisager :
- dans le blocage intradiscal,
- dans la hernie discale,
- dans les « blocages » des
articulations postérieures,
- sur la contracture paravertébrale.
1) Dans le blocage intradiscal
La manipulation constitue un traitement souvent
remarquable du lumbago aigu traumatique qui est instantanément soulagé ou
très amélioré ; elle agit par réintégration totale ou partielle du fragment
incarcéré vers le centre du disque (de Sèze).
Dans le cas où ce blocage intradiscal crée un
dysfonctionnement au sein du segment mobile, la manipulation peut
éventuellement y remédier.
2) Dans la hernie discale
Il est fréquent de voir des sciatiques discales
typiques améliorées très franchement après une manipulation et complètement
soulagées an bout de 3 ou 4 séances. Le caractère souvent immédiat du
résultat obtenu, aussi bien sur les signes objectifs que sur les signes
subjectifs, est remarquable.
Certains ont d'ailleurs nié l'action heureuse possible
des manipulations dans les cas de sciatiques discales authentiques. Or nous
ne comptons pas les sciatiques discales, confirmées par un examen au
Méthiodal®, qui ont pu être très bien soulagées par manipulations et d'une
manière durable.
Il paraît évident que la manipulation soulage cette
sciatique parce qu'elle fait cesser le conflit disco-radiculaire responsable.
Trois hypothèses peuvent alors être avancés pour cette action mécanique sur
le disque : la manipulation a fait réintégrer à la hernie la cavité centrale
du disque ou elle l'a entraînée en une zone silencieuse ou, enfin, elle a
extériorisé encore plus le fragment hernié qui devient ainsi un corps
étranger, mobile dans l'espace épidural et voué à la résorption. Examinons
chacune d'entre elles :
- Réintégration de la hernie
On a décrit des hernies discales réductibles, « intermittent prolapse
disk », ou « concealed ruptured disk » (Falkoner, Mac George et Berg,
Dandy) ; dans ces cas, la sortie du noyau gélatineux ne surviendrait que
dans les mouvements d'hyperextension du rachis ou lorsqu'une forte
surcharge est appliquée. Il semble cependant douteux qu'une hernie
discale de quelque importance puisse réintégrer la cavité discale car «
la pâte dentifrice rentre difficilement dans le tube » (Bang). Et si
elle rentre, on peut se demander pourquoi elle s'y maintiendrait. Enfin
cela est en contradiction avec la non-modification de l'image
myélographique après manipulation. Si de rares cas ont été publiés dans
lesquels l'examen au Méthiodal® montrait, après soulagement obtenu par
manipulation, une franche diminution de l'encoche discale, l'inverse est
beaucoup plus fréquent. Dans un de nos cas récent, un examen au
Méthiodal® fut refait en dehors de nous, après un traitement manipulatif
qui avait soulagé complètement le malade. Il ne montrait aucune
modification de l'encoche discale par rapport à celui qui avait été fait
avant. Revu après plusieurs mois, ce patient restait complètement
soulagé. Une récente publication de Christman, Mittnacht et Snook
confirme cette observation. Chez 39 malades traités par manipulations
pour des sciatiques discales, ayant toutes eu un examen préalable au
Méthiodal®, ils ne trouvèrent aucune modification des images
myélographiques faites avant et après traitement, même lorsque celles-ci
étaient très positives et que le bon résultat se maintenait au bout de
trois ans et plus après le traitement manipulatif.
- Entraînement du fragment discal dans une zone silencieuse
Il est une deuxième hypothèse : la suppression. du conflit par
entraînement du fragment discal dans une zone silencieuse. C'est celle
qu'avait formulée J-A Lièvre. Elle serait une justification du mouvement
thérapeutique que nous faisons en utilisant la règle de la non-douleur
qui rend à supprimer le contact disque rachis.
- Section de la hernie
Dans les premières périodes où l'on parlait de manipulations, Thurel
avait émis l'hypothèse que des mouvements brusques pouvaient décapiter
une hernie et amener une section quasi chirurgicale de celle-ci,
entraînant de ce fait la guérison au prix d'une vive douleur. Un tel
mécanisme est impossible à vérifier. Mais il faut noter que les
manipulations, telles que nous les pratiquons, ne créent pas de « vive
douleur » puisque notre principe vise précisément à les faire dans le
sens ou elles ne sont pas douloureuses et les cas de myélographies que
nous venons de citer s'inscrivent en faux contre cette hypothèse qui, si
elle est vraie, n'est sûrement pas le mode d'action habituel.
- Autre hypothèse
Dans les trois hypothèses précédentes, nous sommes partis de l'idée que
la manipulation modifiait le rapport hernie-racine, en modifiant la
position de la hernie. Nous avons d'ailleurs vu que, compte tenu des
contrôles myélographiques, cette modification, si elle existe, ne petit
être qu'extrêmement minime. On peut alors se demander comment un si
léger déplacement favorable de la hernie pourrait se maintenir aussi
longtemps.
Comme on le voit, aucune de ces hypothèses d'action
mécanique sur le disque n'étant parfaitement satisfaisante, ou est amené à
envisager d'autres possibilités. Deux points sont établis : 1- La sciatique
est due à la compression de la racine par le disque, tout au moins dans la
quasi-totalité des cas et en particulier dans ceux qui nous intéressent ici
; 2- La hernie discale est un phénomène permanent et pratiquement fixe, qui
veut sans doute augmenter, mais rarement diminuer et très peu se déplacer.
Pour expliquer l'action favorable de la manipulation,
il faut donc admettre que la crise est la conséquence - lorsqu'elle est
régressive - d'un élément complémentaire réversible sur lequel la
manipulation a une action favorable. C'est sur lui qu'agirait la
manipulation efficace. Quel peut être cet élément épisodique ? Il est peu
vraisemblable que la manipulation agisse directement sur l'inflammation de
la racine par le jeu clé réflexes vasomoteurs -, par contre, il paraît plus
plausible que l'action de celle-ci se situe an niveau de la contracture
musculaire réflexe qui une fois déclenchée provoque, aggrave et verrouille
le conflit. En effet, il nous arrive, par des procédés manuels qui ne font
faire à la colonne aucun mouvement, mais qui agissent directement sur la
contracture paravertébrale, de soulager non seulement des douleurs locales
mais aussi des sciatiques discales authentiques.
Il parait donc possible que la manipulation agisse
directement sur le muscle en contraction. Effet qui peut se surajouter,
d'ailleurs, à celui de la suppression temporaire du conflit évoquée plus
haut, cette action simultanée permettant une décrue des réactions
inflammatoires et une rupture du cercle vicieux qui entretient la
contracture. La manipulation, étirement orienté, ferait céder cette
contracture comme l'étirement des muscles du mollet fait céder la crampe de
ceux-ci.
3) Dans le blocage articulaire
postérieur
Comme nous l'avons vu, il semble bien qu'il puisse
exister une pathologie de « blocage » dans les articulations
interapophysaires postérieures, soit pax coincement de villosités
articulaires, de franges graisseuses ou du petit ménisque interapophysaire
décrit par les auteurs allemands, ou encore en raison d'irrégularité des
surfaces articulaires comme Freudenberg et Gillot l'ont récemment montré.
L'action de la manipulation qui en permettrait le déblocage est alors tout à
fait logique et compréhensible.
4) Sur la contracture
musculaire
Nous avons été amenés, pour expliquer l'action de la
manipulation dans les sciatiques discales, à envisager l'effet direct de
celle-ci sur la contracture paravertébrale. Or cette contracture aiguë ou
subaiguë, importante ou localisée à quelques faisceaux musculaires
paravertébraux, est présente non seulement dans les hernies discales, mais
aussi dans tous les dérangements mécaniques mineurs qui sont susceptibles de
réagir favorablement à la manipulation.
L'examen attentif des gouttières paravertébrales d'un
patient qui souffre de douleurs d'origine mécanique, permettra toujours de
constater, à la palpation, l'existence d'une contracture, même s'il s'agit
seulement de petits cordons musculaires durs, tendus et très sensibles,
unilatéraux le plus souvent. Il faut, pour les mettre en
évidence, que le patient soit bien relâché et placé en
position adéquate.
Lorsqu'un sujet ressent une douleur à la suite d'un
mouvement mal coordonné, il déclenche une contracture d'un muscle on d'une
partie de muscle. Au niveau d'un membre, il lui est généralement facile d'y
remédier par un mouvement spontané mais, au niveau du rachis, cela est
impossible et la contracture va persister plus ou moins longtemps formant un
cercle vicieux. La manipulation, qui est une traction orientée, peut alors
la faire céder comme l'étirement fait céder la crampe, si elle est appliquée
selon la direction qui convient.
E) Conclusion
L'expérience quotidienne montre que les manipulations
vertébrales sont un traitement efficace d'un certain nombre de douleurs
vertébrales, mécaniques, traumatiques. microtraumatiques, statiques,
posturales, ou même arthrosiques. Si les indications de cette thérapeutique
sont maintenant bien connues, le mécanisme d'action de la manipulation pose
de nombreux problèmes, d'autant plus que la physiopathologie des affections
traitées par elle n'est pas encore bien élucidée. Cependant, la meilleure
analyse du geste manipulatif et la meilleure connaissance de la
physiopathologie vertébrale permettent une, meilleure interprétation des
faits couramment observés.