Revue de
MÈdecine OrthopÈdique. 1988;12:7-10
Articulations interapophysaires et lombalgie
Robert Maigne
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Considérées
avant 1930 comme une des principales causes de lombalgie et de sciatique,
les lésions articulaires postérieures ont cédé la vedette à celles du disque
après les publications de Mixter et Barr, puis elles sont, sauf pour
quelques auteurs, tombées dans l'oubli avant de revenir dans l'actualité.
Certains, dans un passé qui n'est pas si lointain, leur niaient même tout
rôle dans la lombalgie.
Les articulaires
postérieures ont actuellement un rôle reconnu et peu discutable en matière
de pathologie vertébrale commune. Il n'en a pas toujours été ainsi et
beaucoup pensent que les auteurs d'outreAtlantique ont joué en ce domaine
un rôle majeur. N'est ce pas Ghormley qui, en 1933, lança le terme de "facet
syndrome" avec le succès que l'on sait ? N'est ce pas Mooney et Robertson
qui remirent cette conception au goût du jour en 1975 en utilisant
l'électrocoagulation ? Il ne faudrait pas en déduire trop vite que rien n'a
été fait ailleurs, bien au contraire.
Ce sont en
effet des auteurs français, J. Forestier et J.A. Sicard, qui, avant la
première guerre mondiale, observèrent qu'une inflammation "rhumatismale" des
articulaires postérieures lombaires basses était susceptible d'irriter la
racine du nerf sciatique dans le trou de conjugaison. Un chirurgien italien,
Putti, reprit et développa ces idées et publia en 1927 un important travail
consacré à l'arthrose articulaire postérieure comme cause de radiculalgie
sciatique et de lombalgies.
En 1933,
Ghormley publia un article qui allait demeurer célèbre sous le titre "Low
back pain with special reference to the articular facets" (que l'on pourrait
traduire par "lombalgie et articulaires postérieures") ; il y lança le terme
de "facet syndrome", dont on connaît la fortune. Mais contrairement à ce que
laisse entendre le titre, l'article était consacré à la présentation d'un
cas de sciatique par arthrose postérieure, que nous nommons maintenant
sciatique arthrosique. Ghormley ne parlait que très peu des lombalgies, bien
qu'il laisse entendre que l'arthrose articulaire postérieure pourrait être
responsable de douleurs au même titre que toute arthrose. Après cet article,
il ne publia plus rien sur le sujet. Il faut dire que c'est à cette époque
que l'on découvrit la hernie discale. Le disque intervertébral devint alors
la préoccupation principale des chercheurs, et pour de longues années nous
vécûmes sous le règne -un peu abusif- du disque.
En 1956, G.
Lazorthes décrivit les rameaux articulaires de la branche postérieure du
nerf rachidien d'une part et le contact serré de cette dernière avec les
massifs articulaires postérieurs. Il émit l'hypothèse que ces dispositions
rendaient compte du caractère douloureux de l'arthrose articulaire
postérieure. La riche innervation de l'articulation, l'irritation possible
du nerf étaient pour lui à l'origine d'un "syndrome de la branche
postérieure", fait de douleurs et de contractures musculaires. Mais cette
publication eut malheureusement peu d'échos en rhumatologie et en orthopédie.
C'est à peu
près à cette époque que nous même nous sommes intéressés à la pathologie
vertébrale commune et qu'essayant de codifier un examen segmentaire du
rachis, nous avons pu constater la fréquente souffrance des articulations
postérieures et établir qu'elle n'était pas forcément dépendante d'une
éventuelle arthrose (1964). Nous avons pu montrer qu'elle était souvent la
conséquence d'une dysfonction douloureuse bénigne du segment vertébral pour
lequel nous avons proposé le nom de "Dérangement Intervertébral Mineur"
(DIM). Cette notion, capitale pour la compréhension de la pathologie
vertébrale commune, permet de comprendre que les radiographies d'un "douloureux
du dos" puissent être normales. Nous l'avons amplement développée depuis
dans nos publications, y compris récemment dans la "Revue de Médecine
Orthopédique". La preuve de l'origine articulaire postérieure de la douleur
étant apportée par l'efficacité d'une infiltration anesthésique de
l'articulation. Celle ci fut pratiquée d'abord sous écran, puis en routine
au cours de l'examen clinique.
Nous avons pu
également mettre en évidence dans les tissus (muscles, tendons, peau et
tissus sous-cutanés) dépendant du même métamère que l'articulation atteinte,
des modifications cliniquement décelables par la palpation (cordons
myalgiques, cellulalgie, hypersensibilité des insertions téno-périostées)
rendant compte des irradiations douloureuses possibles, et qui constituent
le "Syndrome cellulo-périosto-myalgique segmentaire" (Maigne), que j'appelle
aussi "syndrome neurotrophique vertébral segmentaire". La connaissance de ce
syndrome apporte une réelle sémiologie clinique de la souffrance des
branches postérieures.
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En 1971,
se tenait à Monaco le 3e Congrès de la Fédération Internationale de
Médecine Manuelle. L'organisation et la présidence m'en ayant été
confiées, j'avais choisi pour thème "Les articulations
inter-apophysaires postérieures". Le programme comportait des
rapports embryologiques (Tondury), anatomiques (Lazorthes,
Junghanns), biomécaniques (Kos) et cliniques (Maigne).
Dans
mon rapport intitulé "Rôle des articulaires postérieures en
pathologie commune", je montrai que celui-ci était réel non
seulement au niveau lombaire, mais aussi aux niveaux cervical et
dorsal, et soulignai leur fréquente responsabilité dans nombre de
douleurs locales (lombalgies, dorsalgies, cervicalgies),
radiculaires, pseudo-radiculaires ou projetées (céphalées d'origine
cervicale, dorsalgie d'origine cervicale, lombalgie d'origine
dorsale, douleurs d'épaule ou de coude d'origine cervicale, etc.)
J'insistais sur le fait que la souffrance articulaire postérieure
n'était pas liée à l'aspect radiologique et qu'elle ne pouvait être
mise en évidence que par un examen segmentaire tel que celui que je
proposais. La disparition de la symptomatologie douloureuse par
l'infiltration anesthésique de l'articulation confirmait sa
responsabilité. L'infiltration cortisonée et/ou la manipulation en
constituait le traitement de base. |
Il fallut
attendre 1975 pour que Mooney et Robertson remettent à l'honneur le terme de
" facet syndrome" que tout le monde avait oublié. Ces deux auteurs
proposaient d'étendre le "facet syndrome" non plus aux sciatiques
arthrosiques (conception de Ghormley), mais aussi aux lombo-sciatalgies non
radiculaires, c'est à dire aux douleurs projetées d'origine articulaire
postérieure. Pour la première fois, outre-Atlantique, on s'intéressait
vraiment à cette pathologie. Ce n'est que peu à peu que le terme s'imposa
pour désigner également les douleurs lombaires pures.
Il est
intéressant de voir que la quasi totalité des auteurs anglo-saxons posent le
diagnostic de " facet syndrome" sur la radiologie (présence d'une arthrose
ou d'une asymétrie articulaire postérieure) et sur certains arguments
d'interrogatoire. Par exemple pour C. Burton, la douleur d'origine
articulaire postérieure est accentuée par l'activité, calmée par le repos :
sortir du lit est douloureux, la position assise mal tolérée, le
redressement après flexion totale des lombes peut déclencher une douleur
vive, mais la toux et l'éternuement sont indolores. On constate l'absence de
toute sémiologie clinique. A ces éléments venait s'ajouter pour certains
auteurs l'efficacité de l'infiltration anesthésique comme preuve de
l'origine de la douleur (Mooney et Robertson, 1975).
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"Facet syndrome" ou dérangement intervertébral mineur ?
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1) Une
première différence : le rôle de l'arthrose
On le voit
dans la conception Anglo-Saxone, l'arthrose articulaire postérieure est un
élément essentiel du facet syndrome. Or, une des grandes différences entre
DIM et facet syndrome est que le DIM est indépendant d'une éventuelle
arthrose. Dans quelles conditions se produit cette arthrose articulaire
postérieure lombaire basse et quel rôle joue t'elle dans la lombalgie ?
La
détérioration du disque entraîne des modifications de la biomécanique du
segment mobile et retentit sur les articulations postérieures qui se
détériorent à leur tour ; leur souffrance devient une partie plus ou moins
importante de la lombalgie. Farfan distingue deux mécanismes. Dans le
premier, une surcharge excessive entraîne une rupture de la plaque
cartilagineuse et des hernies intra-spongieuses. Il se produit un phénomène
de translation antéro-postérieure qui retentit sur les articulations
extrêmes de flexion ou d'extension.
Dans le
deuxième, des torsions excessives entraînent une fissuration radiaire du
disque et une surcharge articulaire postérieure d'un côté avec hernie
discale du côté opposé. L'évolution se fait vers un spondylolisthésis par
arthrose articulaire postérieure et un canal étroit. C'est souvent la
souffrance articulaire postérieure qui domine.
Ces deux
mécanismes sont ceux qui sont le plus couramment admis actuellement pour
expliquer la souffrance articulaire postérieure qui constitue le " facet
syndrome". Si l'évolution sévère décrite par Farfan se rencontre de temps en
temps, bien plus fréquents sont les cas où la détérioration discale
n'entraîne pas de désordres aussi bruyants.
L'arthrose
articulaire peut aussi être la conséquence des contraintes excessives que
provoque l'hyperlordose. Il n'est pas rare que l'évolution soit presque
muette malgré d'importantes lésions radiologiques de dégénérescence discale
et d'arthrose articulaire postérieure. Rappelons que Wiesel a retrouvé chez
des sujets n'ayant jamais souffert, une proportion importante de lésions
radiologiques discales ou articulaires tout à fait susceptibles de provoquer
des symptômes douloureux tenaces. L'évolution se fait souvent sous une forme
modérée épisodique qui peut être néanmoins parfois pénible pour le patient.
Elle se traduit par des douleurs lombaires de position et d'effort.
Dupuis et
Kirkaldy Willis divisent l'évolution du processus dégénératif en trois
phases successives :
Lors de la phase
d'instabilité définie comme une mobilité anormale du segment en quantité et
en qualité, les examens radiologiques dynamiques peuvent la visualiser. Elle
peut être asymptomatique ou symptomatique mais il n'y a, selon les auteurs,
aucun lien entre la clinique et les données radiographiques. Cette notion
est très importante.
Les lésions de
l'arthrose articulaire postérieure ne peuvent être symptomatiques que
lorsqu'elles présentent une poussée congestive, ou lorsqu'elles sont
importantes et peuvent modifier la morphologie du canal vertébral entraînant
une sténose qui peut se surajouter à une sténose congénitale et favoriser un
syndrome du canal étroit. Dans la majorité des cas, l'arthrose articulaire
postérieure est donc indolore ou asymptomatique. Si elle est symptomatique,
en dehors des conditions citées ci dessus, c'est bien souvent que
l'enraidissement qu'elle entraîne favorise un DIM qu'un traitement
manipulatif rendra souvent asymptomatique. Les choses se passent ainsi au
niveau lombaire, comme à d'autres niveaux du rachis.
Un certain
nombre de lombalgies communes d'origine lombaire basse semblent ainsi être
la conséquence d'une dysfonction douloureuse d'un segment vertébral, souvent
réversible par manipulation et stabilisable par rééducation, avec ou sans
lésions radiologiquement visibles.
SOUFFRANCE ARTICULAIRE POSTÉRIEURE ET NUCLÉOLYSE
La
déshydratation du disque par la nucléolyse entraîne une brusque modification
des rapports entre les articulations articulaires postérieures, susceptibles
de provoquer des lombalgies passagères, mais parfois durables.
PERIARTHRITES ARTICULAIRES POSTÉRIEURES
Les examens
tomodensitométriques permettent de détecter des calcifications au niveau des
capsules et des ligaments des articulations postérieures. Elles sont assez
fréquentes au niveau de la charnière dorso-lombaire siégeant au niveau de la
capsule articulaire et/ou du ligament jaune (JY Maigne et coll.). Les
réactions périarticulaires sans traduction radiologique sont sans doute
beaucoup plus fréquentes à tous les niveaux, certaines semblent jouer un
rôle dans la douleur articulaire postérieure.
AUTRES LÉSIONS ARTICULAIRES POSTÉRIEURES
L'arthrographie articulaire postérieure a permis de montrer l'existence de
lésions que ne révèle pas la radiographie conventionnelle : manifestations
hydarthrosiques, formations diverticulaires et plus rarement kystes
synoviaux, ou communication entre des articulations adjacentes. Les kystes
synoviaux sont susceptibles de comprimer la racine dans le trou de
conjugaison. La communication entre cavités articulaires adjacentes
correspond à la jonction de plusieurs cavités kystiques (Chevrot et coll.).
Leur rôle éventuel dans la lombalgie ne semble pas clairement établi.
2)
Une deuxième différence : la localisation du DIM
Si les
anglo-saxons réservent le terme de facet syndrome aux atteintes lombaires
basses, le concept de DIM s'applique pour nous à tous les étages du rachis :
lombaire, thoracique ou cervical, et plus particulièrement aux régions
charnières.
Dans le cadre
des lombalgies, des DIM de la charnière thoracolombaire sont susceptible
d'être à l'origine de douleurs lombaires basses. En effet, la lombalgie
d'origine vertébrale ne trouve pas toujours sa source dans l'atteinte des
trois derniers segments lombaires. Comme nous l'avons montré, elle peut
provenir d'un segment de la jonction dorso-lombaire (T11-T12, T12-L1, L1-L2)
précisément par le biais d'une souffrance articulaire postérieure
conséquence d'un DIM, qui se transmet par le biais de la branche postérieure
correspondante du nerf rachidien et n'est ressentie que dans la région
lombaire basse. Nous rappellerons ici la symptomatologie habituellement
unilatérale de cette lombalgie :
• zone
cellulalgique douloureuse au pincé-roulé de la partie supérieure de la fesse
et/ou de la région sus-jacente à la crête iliaque.
• "Point de
crête" douloureux à la pression sur la crête iliaque que lorsqu'on comprime
le rameau nerveux concerné ;
• segment
vertébral douloureux à l'examen segmentaire au niveau de la jonction
dorso-lombaire T12-L1, le plus souvent.
La souffrance
segmentaire responsable est habituellement un DIM. La douleur articulaire
postérieure retrouvée à l'examen segmentaire est toujours située du côté de
la lombalgie. L'infiltration anesthésique de l'articulation supprime les
signes d'examen et la gêne du patient.
Il peut
exister des formes aiguës où le rachis est bloqué, habituellement sans
attitude antalgique et des formes chroniques, les plus fréquentes, que rien,
sauf examen clinique, ne différencie des lombalgies d'origine lombaire
basse. Il y a d'ailleurs souvent associations en proportions variables chez
un même sujet d'une lombalgie d'origine haute, et d'une lombalgie d'origine
basse.
3)
Une troisième différence, le mécanisme
II y a
corrélation entre arthrose (ou malposition articulaire postérieure) et facet
syndrome. Au contraire, le terme de DIM ne sous-entend pas obligatoirement
une lésion de ce type. Il désigne simplement une dysfonction réversible du
segment mobile rachidien, la perturbation primitive pouvant aussi bien se
situer au niveau du disque par exemple. Du fait de sa riche innervation,
l'articulation est en quelque sorte le "haut-parleur" des souffrances de ce
segment mobile.
Le rôle de la
souffrance articulaire postérieure dans le mécanisme des lombalgies est
maintenant reconnu. Mais on a encore trop tendance à lier image radiologique
et douleur. Des articulations arthrosiques peuvent être asymptomatiques et
des articulations radiologiquement normales peuvent être responsables de
douleurs rebelles. La notion de DIM montre ici tout son intérêt.
C'est avant
tout l'examen clinique qui détecte l'articulation douloureuse, et le test
anesthésique qui confirme son rôle dans la gêne du patient.