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Annales Médecine Physique 1972;15:262-74

Articulations interapophysaires

et pathologie douloureuse commune du rachis

R Maigne


 

 

 

Si l'on invoque fréquemment la responsabilité du disque dans la pathologie douloureuse traumatique ou dégénérative de la colonne vertébrale, on a peu tendance à l'heure actuelle à faire jouer un rôle aux articulations interapophysaires. Sans doute accuse t’on parfois l'arthrose articulaire postérieure, ou parle t’on d'entorse vertébrale ou vertébro-discale, mais cela reste rare.

Il nous paraît cependant qu'il faille envisager plus largement la responsabilité des articulations interapophysaires dans bien des algies vertébrales communes. Cela ne signifie pas que leur atteinte soit forcément primitive. Les arguments dont nous disposons nous pousseraient au contraire à penser qu'il s'agit le plus souvent d'une pathologie secondaire à des lésions discales muettes par elles mêmes.

 

 

A) Rappel anatomique

 

 

Les articulations interapophysaires ont une forme et une orientation qui varie selon les différents étages du rachis. Elles conditionnent l'amplitude et la direction des mouvements (fig. 1) de chaque segment vertébral. Leur capsule articulaire est dense, large, assez élastique et les recouvre comme une coiffe. Elle donne naissance à des formations méniscoïdes dans 84 % des cas (nous renvoyons aux Rapports de ce volume pour tous les détails concernant ces formations). La capsule est l'organe le plus innervé du rachis. Cette riche innervation est nécessaire pour permettre à l'appareil musculaire de soutien de s'adapter aux nombreuses variations de tension auxquelles ces articulations sont soumises.


 

Fig. 1


 

Sur un plan anatomique, notons que cette articulation affecte des rapports très intimes avec la branche postérieure du nerf rachidien qui la contourne. Cette dernière innerve tous les plans postérieurs du dos : cutanés, musculaires, articulaires et ligamentaires de l'occiput aux coccyx (Lazorthes).

      

Sur un plan fonctionnel, soulignons l'étroite solidarité fonctionnelle au sein du « Segment Mobile » qui va lier la partie antérieure  (le disque) avec la partie postérieure (les articulations interapophysaires). Celles ci s'écartent dans les mouvements de flexion, se rapprochent dans les mouvements d'extension ou jouent asymétriquement dans les mouvements de torsion ou de latéro-flexion.

 

 

B) Anatomopathologie des douleurs articulaires postérieures

 

 

La lésion articulaire peut être dégénérative, mécanique, malformative ou inflammatoire.

 

1) Dégénérative
 

L'arthrose peut être primitive comme cela peut se voir au niveau du rachis cervical,mais le plus souvent, elle est secondaire à la détérioration structurale du disque, comme par exemple dans le syndrome de la post-ménopause (de Sèze et Caroit), où les articulations lombaires inférieures ont à subir des pressions supérieures à leurs possibilités par suite de la détérioration discale, de la laxité ligamentaire et du relâchement musculaire abdominal. Comme toute arthrose, l'arthrose articulaire postérieure joue le rôle d'une rouille, favorise les enraidissements segmentaires, les blocages articulaires. En outre elle subit des poussées inflammatoires. Elle s'accompagne de réactions périarticulaires.

 

2) Mécanique

  • Primitive : le blocage d'une formation méniscoïde qui se déchirerait ou se plisserait est peu vraisemblable, étant donné la minceur habituelle de ces petites formations (voir les rapports du Pr Tondury et du Pr Emminger). Mais on ne peut éliminer la possibilité de pincement de villosités synoviales (très richement vascularisées et innervées), de franges graisseuses qui peuvent alors se gonfler, se congestionner ou même s'infarcir. Ces articulations n'étant pas différentes fondamentalement des autres articulations, on peut y rencontrer des entorses (Guilleminet et Stagnara, Dechaume et Antonietti, Lazorthes) avec les conséquences articulaires et périarticulaires que cela comporte (oedème, hydarthrose, périarthrite) provoquant l'irritation de la branche postérieure du nerf rachidien (Lazorthes).

 

  • Secondaires : l'examen segmentaire vertébral systématique (voir rapport sur la sémiologie des DIM dans ce même numéro) que nous utilisons pour la recherche des signes de souffrance d'un segment vertébral, nous a montré la quasi constance de la souffrance articulaire postérieure dans les dérangements intervertébraux mineurs. C'est le disque qui est la clef de voûte du système. Sa lésion modifie obligatoirement le fonctionnement des articulations postérieures et peut provoquer leur souffrance, le plus souvent d'ailleurs une seule est concernée. Cela peut se voir au cours d'affections discales cliniquement évidentes ; ainsi, la hernie discale modifie par sa présence l'équilibre fonctionnel du segment mobile, l'axe des forces est déporté en arrière et de ce fait les articulations postérieures, une surtout, si la hernie est latérale, sont soumises à des contraintes excessives et la douleur issue de cette souffrance articulaire postérieure s'ajoute à la douleur discale et radiculaire. Il en va de même dans les blocages discaux postérieurs responsables des lumbagos aigus ou des lombalgies chroniques. Cela se voit aussi au cours de lésions discales cliniquement muettes. Un blocage postérieur qui ne fait pas une pression suffisante sur le ligament commun postérieur pour provoquer directement une douleur, ou une hernie discale postéro-latérale qui n'irrite pas la racine, vont perturber de la même manière la dynamique du segment mobile et peuvent donc provoquer aussi la souffrance articulaire postérieure.

 

C'est sans doute en modifiant sensiblement la position du fragment du noyau inclus dans la fissure de l’anulus que la manipulation peut dans ces cas rétablir un fonctionnement plus normal de l'articulation et rendre supportables les contraintes qu'elle subit. C'est ainsi qu'on voit disparaître souvent immédiatement après une manipulation la sensibilité d'une articulation interapophysaire cervicale ou dorsale.

 

Il faut ajouter à cette notion purement mécanique, celle du dérangement fonctionnel (voir l'article sur la sémiologie). Celui ci double toujours le dérangement mécanique, dans le système vertébral qui fonctionne entièrement sous le signe de l'automatisme. Le raté dans un mouvement entraîne un circuit parasite, dont la contracture est l'élément le plus palpable. Il semble même que cet élément fonctionnel soit souvent plus important que l'élément mécanique et qu'il puisse lui survivre. La contracture perma­nente tend ici à verrouiller le conflit et à entretenir le disfonctionnement segmentaire, donc la souffrance articulaire. Cela crée un cercle vicieux. La manipulation, en inhibant la contracture par l'étirement brusque qu'elle apporte, peut la faire cesser. Ailleurs, on pourra agir par d'autres procédés (étirement, physiothérapie, infiltrations, etc. ).

 

Enfin, toute articulation en dysfonction chronique et à plus forte raison si elle subit des poussées inflammatoires, présente des réactions périarticulaires, sensibles et enraidissantes. Les articulations interapophysaires n'y échappent pas. Cela provoque l'irritation de la branche postérieure du nerf rachidien.

 

3) Malformations articulaires

 

Elles peuvent jouer un rôle de facilitation dans la pathologie mécanique ou dégénérative de ces articulations. Nous renvoyons au rapport de C. Gillot qui, étudiant les articulations interapophysaires lombaires, a pu trouver avec une grande fréquence des malformations : asymétrie articulaire, existence de crêtes horizontales qui sont susceptibles de favoriser des blocages articulaires, d'autant qu'à ce niveau les articulations ont des formes de demi cylindre qui ne peuvent guère que glisser en flexion extension.

4) Rhumatismes inflammatoires

 

Nous ne ferons que mentionner ici, car cela sort du cadre de cet article, l'atteinte rhumatismale des articulations cervicales. C'est un signe habituel du Rhumatisme Inflammatoire de l'enfant, mais elle est assez fréquente dans la polyarthrite rhumatoïde de l'adulte. Elle peut parfois être précoce, mais c'est le plus souvent un symptôme tardif survenant chez un rhumatisant traité depuis longtemps. Elle peut entraîner des manifestations très diverses, de la simple cervicalgie aux complications neurologiques graves. Elle peut aboutir à des luxations atloïdo-axoïdiennes, et plus rarement à des luxations cervicales moyennes (C3-C4 et C4-C5). Dans la pelvispondylite, les articulations interapophysaires sont régulièrement touchées, l'évolution se faisant en trois stades : ostéoporose puis érosion des facettes avec pincement de l'interligne et enfin ankylose avec ossification de la capsule.

 

 

C) Douleurs qui peuvent être liées à une lésion des articulations interapophysaires

 

 

Il est intéressant de savoir quelles sont les douleurs qui peuvent être provoquées par la souffrance d'une articulation interapophysaire. Il peut s'agir :

  • de douleurs locales,
  • de douleurs régionales (par l'intermédiaire de la branche postérieure du nerf rachidien),
  • de douleurs « projetées » irradiées selon une topographie pseudo­radiculaire.

 

1) Douleurs locales : irritation directe de l'articulation
 

Celle ci, comme l'a montré Taillard en opérant sous anesthésie locale au niveau du rachis lombaire, provoque des douleurs locales, et des douleurs irradiées qui ont une topographie pseudo-radiculaire, suivant le trajet de la racine du même étage. Certaines sciatiques des spondylolisthésis trouvent leur origine dans la souffrance des articulations postérieures, comme l'ont montré Brocher et Taillard. Avec Rageot, nous avons pu en soulager un certain nombre par la seule infiltration de l'articulation postérieure.

 

Il est facile de retrouver ces irradiations par l'infiltration locale. La seule irritation provoquée par l'aiguille peut provoquer de telles douleurs irradiées, surtout lorsque l'articulation est pathologique. Par exemple, dans l'observation no 5, l'infiltration de l'articulation L5-Sl reproduisant exactement une topographie L5, allant jusqu'au gros orteil qui était celle de la douleur spontanée.

 

2) Douleurs régionales : le syndrome de la branche postérieure du nerf rachidien

 

Ce syndrome décrit par G. Lazorthes comporte, le nerf étant mixte une souffrance tout à la fois sensitive et motrice. «La contracture para­vertébrale est la conséquence de l'irritation de ce nerf ; elle résulte d'un véritable réflexe régional en réponse à l'irritation des fibres de la sensibilité proprioceptive d'origine articulaire».

 

Dans les cas chroniques, on pourra rencontrer dans son territoire d'innervation le même syndrome cellulo-myalgique que nous avons décrit dans les atteintes radiculaires telles que sciatiques, cruralgies ou NCB (voir Rapport sur les Dérangements intervertébraux et leur sémiologie). C'est surtout sous la forme d'une bande de cellulalgie suspendue qu'on le trouvera ; elle a quelques centimètres de hauteur et s'étale obliquement à la partie externe du clos. Il faut se souvenir que le territoire d'innervation cutanée des branches postérieures dorsales et lombaires se situe généralement à 3 ou 4 étages au dessous de leur niveau d'émergence. C'est ainsi que les plans cutanés de la région de la crête iliaque et de la fosse iliaque externe sont innervés par les branches postérieures de D12, L1 et L2. C'est à ce niveau et non au niveau de la charnière lombo-sacrée, qu'il faudra rechercher la cause de certaines lombalgies. La plupart des douleurs dites sacro-iliaques sont en fait dues à l'irritation des branches postérieures lombaires qui innervent les tissus de cette région (fig. 2).


 

Fig. 2 : Innervation des plans cutanés du dos par la branche postérieure des nerfs rachidiens

A)   Branche postérieure du 7e nerf rachidien dorsal. 

B)   Point d'émergence superficielle du rameau cutané.

C)   Zone d'innervation cutanée de ce nerf (D7).

D)   Branche postérieure du 12e nerf rachidien dorsal.

E)    Point d'émergence superficielle du rameau cutané.

F)    Zone d'innervation cutanée de ce nerf (D12).

Le tracé est schématique. Ne figure pas sur ce dessin le rameau musculaire qui innerve les muscles paravertébraux.

 

 


 

 

D) Examen clinique

 

 

Nous ne reviendrons pas sur l'examen du segment vertébral exposé dans un autre article de ce même numéro des Annales ; l'examen des articulations interapophysaires n'en n'est qu'une partie. Rappelons cependant brièvement qu'on mettra en évidence la souffrance articulaire postérieure e n la palpant ou en faisant une légère pression à son niveau. Ceci est indolore sur une articulation normale, et très sensible sur une articulation qui souffre. On reproduit ainsi souvent la douleur spontanée du patient. C'est avec la pulpe de l'index ou du majeur que cet examen est le plus commode. A l'inverse, on peut faire disparaître la douleur locale et irradiée par l'infiltration anesthésique de la capsule tandis que le début de l'injection augmente souvent cette même douleur ;

 

L'irritation de la branche postérieure du nerf rachidien est en pratique la conséquence directe de la souffrance articulaire et périarticulaire postérieure. L'examen n'en est pas très facile. Cependant, il est un signe qui nous parait très évocateur de la souffrance chronique de ce nerf : c'est l'existence de la bande de cellulalgie suspendue que nous venons de décrire. On la recherchera avec attention par le palpé-roulé des plans cutanés du dos et des fosses iliaques. Elle aura un intérêt si elle est bien isolée dans un territoire normal et si elle est unilatérale. La manoeuvre du pincé­roulé reproduit assez souvent la douleur spontanée du patient. Il faudra alors examiner avec soin l'étage vertébral correspondant en se rappelant le décalage d'étage et en sachant que les superpositions de territoire sont la règle pour les étages voisins.

  • Au niveau du rachis cervical, l'examen des articulations postérieures est facile car elles sont très accessibles à la palpation. Celle ci se fera le patient couché sur le dos, sa tête reposant dans les mains de l'opérateur, les muscles du cou bien relâchés. On palpera doucement les régions para­vertébrales. Les articulations interapophysaires sont sous les doigts.
     
  • Au niveau du rachis dorsal, les articulations inter-apophysaires sont plus profondes. L'examen se fait sur le patient assis, dos rond, ou couché à plat ventre, très détendu. La pulpe de l'index qui se promène de chaque côté de la ligne médiane au niveau du rachis thoracique, à un travers de doigts de celle ci, appuyant de demi centimètre en demi centimètre, réveille une vive sensibilité lorsqu'elle appuie au niveau d'une articulation postérieure sensible, à un travers de doigts de la ligne des épineuses, comme nous avons pu le vérifier par des contrôles radiographiques.
     
  • L'examen est plus difficile au niveau du rachis lombaire. Elles sont profondément enfoncées sous une épaisse couche musculaire. Pour cette région, la meilleure position d'examen est le patient couché à plat ventre, un coussin sous le ventre, ou mieux encore couché en travers de la table. Le médecin appuie avec le pouce sur la région para épineuse à un bon travers de doigt de l'épineuse et détermine en certains points une très vive sensibilité, parfois une douleur irradiée. Il peut s'agir d'une douleur articulaire postérieure. L'aiguille enfoncée en, ce point et qui, butant contre le massif articulaire postérieur réveille la même douleur, affirme le diagnostic.

 

L'examen radiologique, que nous ne traiterons pas ici, est le complément indispensable de l'examen clinique.

 

 

E) Traitement

 

 

Nous rappellerons que l'atteinte articulaire postérieure est le plus souvent la conséquence d'un dérangement du segment mobile, dont une lésion discale est responsable. Dans la plupart de ces cas, le traitement est donc manipulatif. Il rétablit un meilleur équilibre fonctionnel, par action mécanique ou réflexe sur la contracture ou par action sur les deux et fait disparaître la souffrance articulaire postérieure. La manipulation agit aussi comme elle le fait sur les articulations des membres, sur les raideurs périarticulaires et nous savons que les lésions traumatiques ou arthrosiques des articulations interapophysaires s'accompagnent aussi de périarthrite, très facile à palper au niveau du rachis cervical.

Le soulagement obtenu par une manipulation est souvent immédiat : l'articulation n'est plus sensible à la palpation, tandis que le patient se sent délivré de sa gêne ou de sa douleur. Il arrive même que la bande de cellulalgie si sensible quelques minutes plus tôt au pincé roulé, deviennent aussitôt indolore.

Ce sont d'ailleurs de tels tests de contrôle que nous utilisons au cours des traitements manipulatifs pour juger de l'effet d'une manoeuvre. Si celle ci est bien choisie, et le cas bien sélectionné, chaque geste apporte un progrès. Aucun ne doit irriter. Parfois après trois ou quatre séances de manipulation, on a obtenu une amélioration appréciable ; mais le patient conserve une gêne ou une douleur. Si l'on constate que le point articulaire postérieur reste encore très sensible, on fait à son niveau une infiltration anesthésique. Si celle ci apporte un soulagement immédiat, le test est positif. Il sera généralement utile de refaire une infiltration avec un corticoïde retard qui apportera dans la majorité des cas un excellent résultat. Cela est particulièrement vrai au niveau du rachis cervical.

Lorsque pour des raisons cliniques ou techniques, la manipulation ne peut être pratiquée et à plus forte raison, lorsque l'irritation articulaire n'est pas d'origine mécanique (poussée inflammatoire d'arthrose, par exemple), nous utiliserons l'infiltration articulaire (après test anesthésique) en donnant notre préférence à un corticoïde retard. Cela est tout particulièrement intéressant au niveau du rachis cervical. Il faut bien entendu que l'atteinte porte sur un petit nombre d'articulations, ce qui est généralement le cas.

Il est étonnant de constater en effet que dans les poussées inflammatoires d'arthrose, il n'y a le plus souvent qu'une ou deux articulations vraiment sensibles, alors que l'atteinte radiologique est étendue. Cela est rendue plus vrai dans la pathologie traumatique ou micro­traumatique, où il n'y a le plus souvent qu'une articulation touchée. Il en va tout autrement dans les atteintes du rhumatisme inflam­matoire.

 

Technique de l'infiltration

 

Elle est simple. Il suffit d'injecter à un centimètre et demi de la ligne médiane au niveau du point douloureux à la palpation. L'aiguille est enfoncée perpendiculairement au plan cutané et l'on rencontre le contact osseux à une profondeur croissante selon qu'on s'adresse au cou, au dos aux lombes. Bien que l'orientation des articulations soit différente à chacun de ces niveaux, l'aiguille atteint facilement la capsule qui est très lâche. L'injection reproduit fréquemment, ce qui est un signe favorable, la douleur et l'irradiation habituelle.

 

 

F) Observations

 

 

1) Au rachis cervical, on trouvera avec une grande fréquence la sensibilité d'une articulation interapophysaire :

  • dans les traumatismes cervicaux mineurs ;
  • dans les cervicalgies avec arthrose cervicale ;
  • dans certaines céphalées chroniques habituelles qui peuvent être la conséquence immédiate ou lointaine d'un trauma cervical souvent oublié ou d'un trouble statique cervical ou d'une mauvaise habitude posturale.

 

Citons quelques observations typiques :

 

Obs. 1. M. B, 34 ans. Cervicalgies post-traumatiques depuis un accident d'automobile datant de six mois. La douleur est droite avec forte limitation de la rotation et de la latéro-flexion droite. A l'examen, on note une vive sensibilité de l'articulation C5-C6, droite, qui paraît plus grosse que la gauche, et dont la pression reproduit la douleur habituelle. La mobilité cervicale a été sensiblement améliorée par trois manipulations, mais il y a persistance d'une gêne perma­nente et d'une douleur à la rotation extrême. L'infiltration intra-articulaire dans l'articulation C5-C6 droite qui est très sensible à la palpation, d'un demi centimètre cube d'un dérivé cortisoné, répétée deux fois à une semaine d'intervalle, supprime complètement la douleur résiduelle et la gêne fonctionnelle.

 

Obs. 2. M. S, 65 ans. Présente une importante cervicarthrose étagée de C4 à Dl portant sur les uncus et les articulations interapophysaires. Il souffre depuis quatre mois. Il a été transitoirement un peu calmé par le port d'une minerve puis par des anti-inflammatoires pris d'une manière quasi­ continuelle depuis deux mois, qu'il supporte de plus en plus difficilement. Deux ans plus tôt une longue poussée avait finalement été calmée par la radiothérapie anti-inflammatoire. Deux cures thermales sulfureuses avaient été faites par la suite. A l'examen, la rotation droite est impossible, la rotation gauche fortement limitée, de même que les mouvements de flexion et surtout d'extension. Mais ce qui frappe, c'est qu'à la palpation seule l'articulation C6-C7 à droite est vraiment très sensible, elle paraît augmentée de volume ; on a l'impression d'une importante réaction péri articulaire. L'articulation gauche du même étage est un peu sensible mais moins atteinte. Cependant, radiologiquement, cet étage n'est pas le plus atteint. Il l'est moins que C4-C5 et C5-C6. Une première infiltration intra articulaire C6-C7 droite provoque une vive réaction de 24 heures puis une amélioration très marquée de la douleur. En cinq infiltrations (quatre à droite et une à gauche, le patient est complètement soulagé et la mobilité satisfaisante.

 

Obs. 3. Mme S, 30 ans.

Elle présente depuis l'âge de 14 ans des céphalées occipito-orbitaires dont les crises sont allées en se rapprochant et en augmentant de durée et d'intensité. Elles ne sont pas influencées par les règles et l'on De retrouve aucune cause déclenchante particulière. Des examens et explorations nombreuses, y compris une artériographie, ont été pratiqués à différentes reprises car ces céphalées provoquent un handicap sérieux chez cette jeune femme très active. Point capital, elles ont toujours la même topographie occipito sus-orbitaire droite (cette topographie occipito sus-orbitaire unilatérale est pour nous la topographie la plus fréquente des céphalées cervicales). Elles se déclenchent souvent le matin. Elles durent un ou deux jours. Elles sont très mal calmées par le Pyramidon qui était efficace il y a quelques années. Les multiples traitements essayés, y compris relaxation et psychothérapie, ont été des échecs. Il n'y a pas de prodrome, pas de pâleur, pas de vomissements, mais souvent des nausées. Seul point de l'examen clinique, l'extrême sensibilité de l'articulation C2-C3 à droite et l'existence d'une importante cellulalgie localisée à la région sous-occipitale droite. Toutes précautions étant prises, on entreprend un traitement par manipulations. A la troisième séance, nette amélioration ; la cellulalgie est très diminuée, la sensibilité articulaire atténuée, et il n'y a eu qu'une crise par semaine. Mais malgré la continuation du traitement manipulatif (six séances en tout), on marque le pas ; l'amélioration reste très appréciable mais les crises persistent au rythme de deux ou trois tous les quinze jours et l'articulation C2-C3 reste encore très sensible et paraît encore augmentée de volume à la palpation. C'est alors qu'on pratique une injection intra-articulaire de corticoïdes, ce qui déclenche une crise aiguë de céphalée de 24 heures, puis la patiente reste trois semaines sans souffrir, une deuxième injection la laisse un mois sans douleurs ; après une troisième injection, il n'y a plus en de céphalées (quatre mois de recul).

 

2) Au rachis dorsal, la plupart des douleurs dorsales communes sont comme nous l'avons montré des douleurs d'origine cervicale. Elles se présentent alors avec un point douloureux très caractéristique retrouvé à l'examen à un travers de doigt de l'épineuse de D5 ou de D6, et dont la pression reproduit la douleur habituelle même lorsque le patient croit la ressentir plus haut ou plus bas.

 

C'est le mécanisme le plus fréquent des douleurs dites « des couturières ». On rencontre cette algie inter scapulaire d'origine cervicale avec une grande fréquence dans les traumatismes cervicaux mineurs ou dans les séquelles de névralgies cervico-brachiales. En fait, ce point douloureux para D5 ou D6 est l'expression d'une souffrance cervicale quelle qu'en soit l'origine (bénigne ou maligne) et semble t’il qu'elle soit discale, articulaire postérieure ou même intra rachidienne. Il va sans dire que dans l'immense majorité des cas, elle est de nature bénigne et mécanique.

 

Ce point para D6 correspond à l'émergence de la branche postérieure de D2, toujours plus importante que ses voisines. L'infiltration de celle ci à son émergence fait disparaître le point inter scapulaire et parfois, surtout dans les formes aiguës, la douleur dorsale. Les relais entre le rachis cervical inférieur et cette branche ne sont pas clairs. Il semble s'agir du nerf sinu­vertébral et d'anastomoses entre les branches postérieures cervicales et dorsales supérieures.

 

Mais ce qui est intéressant ici, c'est qu'il ne faut pas prendre le point inter scapulaire pour la souffrance de l'articulation interapophysaire sous-jacente. C'est au contraire en infiltrant l'articulation interapophysaire cervicale si elle est responsable que l'on peut faire disparaître parfois instantanément le point douloureux et la dorsalgie.

 

Voici un cas de dorsalgie d'origine cervicale :

 

Mme. Bou... 30 ans. Traumatisme cervical par accident d'auto il y a 6 mois. Présente depuis des cervicalgies gauches et surtout une dorsalgie inter scapulaire fort gênante. Il y a eu échec des traitements médicaux et aggravation par un essai de rééducation. Radiologiquement : cyphose cervicale, et à l'examen vive sensibilité de l'articulation C3-C6 gauche qui paraît augmentée de volume.

Une infiltration de Triamcinolone soulage immédiatement la cervicalgie, et une demi­heure plus tard, le point para D6, si sensible à la pression, avait disparu. Revue quinze jours plus tard, elle ne souffrait presque plus. Une deuxième infiltration la débarrassait de ses cervicalgies et de sa dorsalgie rebelle.

 

Le cas suivant est une dorsalgie d'origine dorsale :

 

Mlle Ch…, 42 ans. Dorsalgie depuis une chute de cheval ayant provoqué nu tassement de D8, il y a 2 ans. L'examen met en évidence une vive sensibilité au niveau de la région para vertébrale D8-D9 droite. Le point douloureux semble bien correspondre à l'articulation interapophysaire. Une injection de Novocaïne soulage immédiatement la douleur pour quelques heures. Huit jours plus tard, on fait une deuxième injection de Triamcinolone retard et on obtient un soulagement définitif de cette douleur résiduelle qui était due à l'entorse articulaire survenue en même temps que la fracture vertébrale.

 

3) Au niveau du rachis lombaire, ce sont surtout des lombalgies, mais parfois des syndromes pseudo-radiculaires trompeurs qui sont liés à la souffrance des articulations interapophysaires.

 

Obs. 4. M. B, 54 ans. Il présente depuis de nombreuses années des lombalgies à dominante droite qui vont en s'aggravant. Il souffre surtout assis, en auto et debout. Il n'a jamais eu de sciatique aiguë, mais présente fréquemment des irradiations à la face postérieure de la cuisse droite. Radiologiquement, discopathie modérée L4-L5 et L5-S1. La flexion antérieure est limitée (doigt-sol 40 cm.) ; il y a parfois douleur à la toux. Les muscles de la fosse iliaque externe droite sont très sensibles à la palpation.

Traité par cinq manipulations, il est nettement amélioré sur le plan de la mobilité (doigt­sol 10 cm.). Il n'a plus d'irradiations douloureuses. Les muscles de la fosse iliaque externe ne sont plus sensibles. La douleur est moins forte, mais persiste et est maximale au niveau de la crête iliaque droite, où l'on note au palpé roulé une zone de cellulalgie très sensible dont la pression rappelle la douleur résiduelle.

On pense alors à la possibilité de l'irritation de la branche postérieure de D12. Effectivement, on trouve au niveau de l'étage D12-L1 une douleur à la pression latérale contrariée des épineuses et une douleur à la pression au niveau de l'articulation interapophysaire droite. Une infiltration de cette articulation avec un corticoide retard atténue la douleur lombaire qui disparaît complètement après la troisième injection. Cette lombalgie de charnière se doublait donc d'une lombalgie d'origine vertébrale haute, ce qui est loin d'être l'exception.

 

Obs. 5. M. T, 55 ans. Il présente une douleur sciatique gauche qui dure depuis deux mois. La topographie est très précise. Elle suit un trajet L5 irradiant jusqu'au gros orteil. Il a été traité par infiltrations anti-inflammatoires, repos de 20 jours au lit, corset plâtré, sans amélioration. Il était plutôt mieux dans le corset plâtré, mais le repos allongé a été très pénible et on a du utiliser des calmants puissants.

A l'examen, le rachis est très enraidi, avec une contracture " cordée" des gouttières para­vertébrales à la flexion antérieure qui est très limitée et déclenche aussitôt la douleur sciatique. Le Lasègue est seulement à 70°. Réflexes et force musculaire sont normaux. Pas de troubles sensitifs objectifs.

Radiolographiquement : importante discarthrose L5-S1 et arthrose articulaire postérieure ; l'espace L4-L5, tout en étant un peu mince, ne présente aucune lésion visible. Une radiculographie a été conseillée et c'est avant de la faire qu'il vient nous consulter.

A l'examen, on note une très vive sensibilité de la région paravertébrale gauche au niveau de L5. En un point très précis qui semble correspondre à l'articulation interapophysaire, la pression du doigt déclenche en gâchette la douleur irradiée. Nous pensons alors à la possibilité d'une pseudo-sciatique par douleur articulaire postérieure et nous infiltrons l'articulation. Le seul contact de l'aiguille avec la capsule provoque en éclair une vive irradiation, ainsi que l'injection d'un demi centimètre cube de Triamcinolone retard. Cette irradiation suit exactement le trajet habituel de la douleur jusqu'au gros orteil. Dès l'infiltration, le patient est mieux ; la flexion antérieure est possible (la contracture s'atténue). Il présente rapidement une petite réaction douloureuse dans la nuit. Trois jours plus tard, il souffre beaucoup moins, le rachis est plus souple, il n'y a plus de Lasègue. Une deuxième infiltration est faite. Un mois plus tard, il déclare n'avoir plus souffert depuis cette deuxième infiltration et le rachis est parfaitement souple et indolore.

 

 

G) Conclusion

 

 

La souffrance des articulations interapophysaires, et le plus souvent d'une seule, nous paraît être d'une grande constance dans les algies vertébrales communes. La richesse d'innervation de la capsule, sa contiguité avec la branche postérieure du nerf rachidien, font que cette souffrance est particulièrement « parlante ». Cette souffrance se manifeste par des douleurs locales, des douleurs régionales par irritation de la branche postérieure du nerf rachidien, qui affecte avec elle des rapports étroits et des douleurs irradiées, ces ces dernières ont souvent une topographie pseudo-radiculaire.

 

La preuve de leur responsabilité peut être avancée sur les résultats obtenus par l'infiltration locale. Elles sont particulièrement faciles à explorer au niveau du rachis cervical.

 

Leurs lésions peuvent être rhumatismales. Elles peuvent être le siège de poussées inflammatoires d'arthrose. Elles peuvent être atteintes dans les rhumatismes inflammatoires. Mais en matière de pathologie vertébrale commune, les lésions sont essentiellement mécaniques, favorisées éventuellement par la détérioration arthrosique ou des malformations. Il peut s'agir de lésions primitives, blocages intra-articulaires ou entorses vertébrales, dont l'existence reste encore hypothétique. Mais c'est leur souffrance secondaire qui paraît la plus vraisemblable, conséquence de lésions discales ou de hernies discales qui ne sont pas toujours directement symptomatiques.

 

Le traitement sera souvent manipulatif, mais dans bien des cas, l'infiltration intra-articulaire rendra de grands services.

 


 

Bibliographie

 

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Guillemin M, Stagnara P. Rôle de l'entorse vertébrale dans les rachialgies. Presse Méd., 60, 274, 1952.

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Centre de Rééducation de l'Hôtel-Dieu

(Paris)



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