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La controverse de Bazas

ou : une réflexion sur la lésion manipulable

Les premières réactions de nos lecteurs !

 
Présentation
 
Le boeuf de Bazas, spécialité locale

La terminologie est l’un des importants problèmes qui se posent en médecine manuelle ostéopathie, comme dans d’autres disciplines médicales. Derrière les mots que nous utilisons se cachent des concepts et derrière les concepts des formations et des philosophies différentes. Si les mots peuvent nous aider, ils peuvent aussi nous diviser et limiter notre dialogue. Nous traitons pourtant les mêmes patients avec, on peut le penser, des résultats similaires. Dès lors, pourquoi ne pas réfléchir sur ces mots ?

Il y a eu dans le passé de nombreuses réunions de commissions de « terminologie » soit à l’échelle internationale (par exemple à la FIMM, Fédération Internationale de Médecine Manuelle), soit à l’échelle nationale, aussi bien en France que dans d’autres pays (par exemple aux Etats-Unis, où l’élaboration d’un glossaire spécifiquement ostéopathique est en cours). En France, la FEMMO avait réuni une telle commission en 1996 pour tenter une première harmonisation du vocabulaire entre certains groupes de formation. Malgré cela, le fossé demeure et ceux qui sont impliqués dans l’enseignement, en particulier universitaire au sein des DIU, ressentent cette difficulté de communication lorsqu’il s’agit de transmettre des concepts de base aux étudiants. Ces derniers ont aussi des difficultés de compréhension lorsqu'il suivent plusieurs enseignements.

C’est à l’initiative de Daniel Fiévet, enseignant aux DIU de Bordeaux et de Bobigny , fondateur du GEPO (Groupe d’Etude et de Perfectionnement en Ostéopathie) et du Pr Pierre Rabischong, anatomiste à Montpellier et observateur attentif et intéressé de la médecine manuelle qu’un groupe s’est constitué et réuni pour jouer cartes sur table. La réunion a eu lieu à Bazas, près de Bordeaux, les 23 et 24 avril 2004. Y participaient les Drs Dominique Bonneau (Avignon), Alain Cassourra (Paris, enseignant à Bobigny et Ostéo-Formation), Geneviève Cornaille-Lafage (Paris), Daniel Fiévet (Langon), Jean-Yves Maigne (Paris), Jacques Monière (Tours, ancien président de la FEMMO), Pierre Rabischong (Montpellier) et Pierre Savelli (Montpellier, ancien président de la FEMMO). Ce groupe avait reçu le parrainage et la bénédiction des deux sociétés savantes en médecine manuelle, la SOFMMOO et la SFO. Il n’a pour l’instant pris aucune dénomination officielle et n’a pas cherché à se doter de structures précises. Il est l’émanation d’un esprit particulier et d’une volonté de dialogue, d’où le titre de ce compte rendu, la controverse de Bazas…

Visite du Chateau d'Yquem, grâce à l'obliegance de D. Fiévet ; le groupe au (presque) complet
 
La lésion manipulable
 

Le sujet de cette première réunion était la lésion manipulable, un thème classique mais d’importance majeure. On pourrait même parler d’exercice obligé. Les traités classiques de Médecine Manuelle font toujours la liste des différentes appellations de cette lésion et de ce qu’elles recouvrent. On sait que cette lésion manipulable, qui constitue par principe l’indication majeure des manipulations vertébrales (ou articulaires), répond à des définitions et surtout à des concepts très variés. Le concept ostéopathique traditionnel est celui d’une perte de mobilité. Le concept opposé est celui de R. Maigne, avec le dérangement intervertébral mineur, défini par une dysfonction douloureuse réversible du segment mobile. Les Anglo-Saxons, quant à eux, parlent volontiers de dysfonction somatique, un concept proche des théories ostéopathiques. L’un des membres du groupe (JYM) a même été jusqu’à faire l’hypothèse que la lésion manipulable n’existait peut être pas et que la manipulation agissait simplement sur une ou plusieurs des composantes douloureuses des lésions classiques.

 
Que manipulez vous ?
 

Les participants ont d’abord dû plancher sur la question « Que manipulez vous ? » en y répondant par écrit en cinq minutes et avec un vocabulaire simple et personnel sans langue de bois. Il a paru intéressant de rapporter ici leurs réponses. Pour Dominique Bonneau, il s’agissait de dysfonctions articulaires algiques ou non et réversibles ; pour Alain Cassourra, de dysfonctions touchant une articulation ou un tissu et entraînant une perte de mobilité et des modifications de densité et tension tissulaire ; pour Geneviève Cornaille-Lafage d’une dysfonction segmentaire réversible avec ou sans hypomobilité et s’exprimant par de la douleur ; pour Daniel Fiévet, d’un trouble de mobilité anatomique intéressant l’ensemble des tissus depuis la peau jusqu’à la structure profonde ostéo-articulaire ; pour Jean-Yves Maigne, des lésions douloureuses et mineures affectant le segment mobile sous réserve qu’elles s’accompagnent d’une mobilité normale ou peu diminuée ; pour Jacques Monière d’une dysfonction segmentaire réversible, avec ou sans hypomobilité, sous réserve que la mise en tension n’induise pas de douleur et pour Pierre Savelli, d’une perte du jeu articulaire physiologique harmonieux, responsable ou non d’une douleur localisée ou à distance, d’origine extrinsèque ou intrinsèque. On remarque que les uns parlent de lésion là où les autres évoquent une dysfonction et que l’on retrouve cette polarité douleur – mobilité dans les définitions.

 
Une définition synthétique
 

Est il possible de faire une synthèse de ces définitions ? Ne s’agit il pas du mariage de la carpe et du lapin ? En fait, tel n’était pas le but. Il s’agissait plutôt de travailler sur une définition simple qui permettrait de faire comprendre à nos élèves les points communs et les points d’achoppement entre les différentes conceptions. Après discussion, il est apparu un relatif accord sur la définition suivante : un dysfonctionnement segmentaire réversible potentiellement douloureux avec ou sans diminution de mobilité. Cette définition a le mérite de la simplicité (peu de mots) et de la clarté (en particulier en traduisant en Français le mot anglais dysfunction par dysfonctionnement).

Parmi les problèmes posés, le plus important fut celui induit par les termes « avec ou sans diminution de mobilité », qui choquaient Alain Cassourra et Daniel Fiévet. En effet, manipuler un segment qui ne présente pas de diminution de mobilité est un non sens en ostéopathie.
Peut être faudrait il ajouter « selon les écoles », ce qui permettrait, lors de l’enseignement, de montrer les différences d’indication, ou encore de préciser « avec ou sans diminution de mobilité identifiée". La dysfonction représente la seule réelle indication à la manipulation pour les ostéopathes, alors que pour JYM la manipulation est aussi indiquée pour certains cas de syndromes myo-fasciaux, de douleurs liées à des tensions musculaires douloureuses, certaines formes de fibromyalgie ou certains enraidissements articulaires arthrosiques non douloureux.

Cette définition évoquant la dysfonction de mobilité sans forcément de douleur permet d'expliquer pourquoi les ostéopathes peuvent manipuler un segment pas forcément douloureux mais dont la restauration de mobilité va diminuer la douleur dans un autre segment du corps.

 
Des projets
 

Le groupe a décidé que cette définition n’était pour l’instant que provisoire, se gardant un droit à l’erreur. Une réflexion prolongée est encore nécessaire. Il s’est également interrogé sur sa capacité à utiliser cette définition, à la soumettre à l’épreuve des faits afin, si possible, de l’améliorer. Un espace de discussion sera ouvert sous peu à tous les internautes médecins sur le site de la sofmmoo (sofmmoo.com) et sur celui d’Ostéos de France pour accueillir leurs commentaires. De plus, la diversité des thèmes qui furent abordés fut un bon reflet du caractère animé de nos discussions. Il fut question de biomécanique, de sacro-iliaques, de fascias et même d’ostéopathie viscérale et cranienne. La divergence des concepts et des pratiques des participants ne fut pas un obstacle à l’écoute. A terme, il s’agit bien d’envisager une terminologie sur tous les aspects de la médecine manuelle ostéopathie. De nouvelles réunions sont prévues. La prochaine aura lieu le 10 décembre 2004 à Paris, pour faire le point du rôle de l’articulation sacro-iliaque dans nos pratiques respectives.

D'ici là, la SOFMMOO et Ostéos de France vous proposent d'apporter votre pierre à l'édifice. Avez vous des idées sur ce qu'est une "lésion manipulable" ? Pensez vous utile, ou intéressant, ou fécond un dialogue entre tenants de l'ostéopathie traditionnelle et ceux de la "médecine orthopédique", voie ouverte en France par R. Maigne ? Pensez vous qu'une définition unique soit possible ? Autant de questions auxquelles nous vous invitons à réfléchir et à répondre par e.mail. Les réponses seront publiées simultanément sur notre site et celui d'Ostéo de France. Ecrire à maigne@wanadoo.fr



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